Le RN prétend défendre les catégories populaires, mais les votes de ses député·es au Parlement national comme européen démentent ces discours. Il a aussi entrepris de séduire l’électorat féminin en gommant ses propositions les plus réactionnaires. Mais il conserve sa vision rétrograde, réduisant les femmes avant tout à des rôles d’épouses et mères, et il ne défend jamais l’égalité femmes-hommes.
En 2024, le curseur politique français et international s’est dangereusement déplacé vers l’extrême droite. Les politiques néo-libérales, menées par les gouvernements de droite mais aussi de gauche, ont aggravé les inégalités, entraînant ce processus d’adhésion électorale à l’extrême droite. Contrairement à ce que l’on entend parfois, ce n’est pas le vote pour l’extrême droite qui est majoritaire dans les classes populaires, mais l’abstention.
Une partie importante de la population est attirée par les discours du Rassemblement national (RN) et de l’extrême droite qui prétendent défendre les catégories populaires et le pouvoir d’achat. Mais les votes des député·es du RN au Parlement démentent ces discours. Ils et elles ont voté contre : l’augmentation du SMIC à 1500 euros, l’indexation des salaires sur l’inflation, le gel des prix des loyers, le blocage des prix de biens de première nécessité, la revalorisation des petites retraites, le rétablissement de l’impôt sur la fortune (ISF), la taxe sur les super-profits ou celle sur les revenus supérieurs à 3 millions d’euros. Il y a un énorme décalage entre l’image d’un RN défenseur des petites gens face aux puissants et la réalité de leur programme !
Le RN danger pour les femmes et les minorités sexuelles
Depuis son arrivée à la tête du Front national, devenu RN en 2018, Marine Le Pen a appliqué une stratégie de « dédiabolisation » du parti, écartant de son discours les positions les plus extrêmes sur la xénophobie ou l’immigration, pour afficher des préoccupations sociales. Elle a également entrepris de séduire l’électorat féminin en gommant les propositions les plus rétrogrades et traditionalistes. Elle met en avant une légitimité à défendre les femmes au nom de sa « sensibilité féminine », en présentant une image plus lisse de femme moderne. On constate malheureusement que cette stratégie porte ses fruits. Alors que, historiquement, les femmes votaient globalement beaucoup moins que les hommes pour l’extrême droite, l’écart s’amenuise au fil des élections, voire disparaît. Il y a néanmoins une différence selon l’âge : les plus jeunes femmes votent moins pour l’extrême droite que les plus âgées, et également moins que les jeunes hommes.
L’opération séduction du RN envers les femmes est une imposture
Sous un discours qui se veut moderne, le RN conserve sa vision rétrograde, réduisant les femmes avant tout à des rôles d’épouses et mères. À l’Assemblée nationale, ses député·es ont systématiquement voté contre (ou se sont abstenu·es sur) les textes en faveur de l’égalité femmes-hommes ou de la suppression des discriminations envers les minorités sexuelles Même chose au niveau européen, alors que les textes proposés défendaient la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes et les violences faites aux femmes, et pour un meilleur accès à l’avortement et à la contraception.
Une vision traditionaliste de la famille
En 2012, Marine Le Pen (MLP) affirmait que « le progrès pour les femmes est de rester à la maison » et proposait un salaire parental (auparavant nommé salaire maternel) pour « permettre aux femmes de ne plus travailler pour s’occuper des enfants ». Elle n’a retiré cette mesure de son programme que récemment. La famille française reste au centre du projet social du RN car elle ferait rempart aux dangereux changements de la société, d’où les propositions d’« exonérer d’impôt sur le revenu tous les jeunes actifs jusqu’à 30 ans pour qu’ils restent en France et fondent leur famille chez nous » (mesure 7, MLP, 2022) et de réserver les allocations familiales aux familles dont un au moins des parents est français.
« Puisque la liberté d’avorter a été tellement mise en avant par les féministes de 68, je crois qu’il faut surtout donner aux femmes la liberté d’avoir les enfants qu’elles désirent grâce au salaire parental. » MLP, Le choc du mois (mensuel d’extrême droite), 2007.
Pour séduire les femmes, le RN veut légitimer un modèle archaïque, dans lequel très peu de femmes se retrouvent, promu aussi par le courant catholique traditionaliste très influent dans l’extrême droite. Ce modèle assigne des rôles différents – et hiérarchisés – aux femmes et aux hommes : les femmes ont un rôle de gardiennes et reproductrices des « valeurs identitaires » de la société française. Mais le RN ne se préoccupe ni de leur autonomie, ni de leur emploi, ni de leur épanouissement personnel. En 2017, les député·es RN à l’Assemblée ont voté contre les mesures de partage du congé parental entre les parents.
La défense d’une politique nataliste
Contre l’épouvantail d’un « grand remplacement », l’accent est mis sur la natalité française pour assurer « la continuité de la Nation et la perpétuation de notre civilisation », « contre la submersion migratoire ». L’argument est de rendre viable notre système de retraites… en évitant tout recours à l’immigration. Pourtant, le Conseil d’orientation des retraites montre que l’immigration est très bénéfique pour l’équilibre budgétaire des retraites. L’amélioration du taux d’activité des femmes aussi, mais ce n’est pas la préoccupation du RN. En octobre 2022, une députée RN affirmait « si nous ne relançons pas notre natalité, notre peuple disparaîtra ». Le RN a repris la mesure d’Orban (Hongrie) d’un prêt à taux zéro pour le logement au 3ème enfant… alors que le logement peut être un problème dès le premier enfant ! Son programme ne contient aucune proposition pour des modes d’accueil de la petite enfance, considérant que c’est le rôle des mères de s’occuper des enfants.
Le RN affirme protéger les femmes qui doivent conforter le modèle familial traditionnel : la sacro-sainte famille hétérosexuelle blanche… et française. Lors des campagnes contre la PMA pour toutes, les lesbiennes ont été les premières visées. Le refus du mariage homosexuel (partagé par le FN à l’époque) a été d’une violence inouïe dans la rue, libérant la parole homophobe et lesbophobe ; pour l’extrême droite, seul le mariage hétérosexuel peut fonder une famille, encadrer la filiation et stabiliser les enfants.
Contre le mariage pour toutes et tous
En janvier 2013, plus de 300 000 personnes manifestent contre le mariage pour tous, l’extrême droite défile et le discours homophobe est décomplexé. Marion Maréchal va même jusqu’à avancer que l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe favoriserait certaines « dérives » dont la polygamie. Un an avant, MLP affirmait dans un communiqué l’opposition de son parti au mariage homosexuel. Depuis, elle dit avoir pris ses distances avec cette position. Mais en 2023, les dix ans de l’adoption du mariage homosexuel ont donné lieu à une nouvelle offensive de la part des opposants au sein du RN. Par ailleurs, ce parti affiche son soutien à la Hongrie d’Orban, à la Pologne ou à la Russie et à leurs lois homophobes ou anti-LGBT.
Aujourd’hui, les droits des personnes trans sont également en ligne de mire de l’extrême droite, qui, en plus d’attiser la transphobie, souhaite faire reculer les droits acquis.
Au-delà, comme beaucoup à droite, l’extrême droite disqualifie dans ses discours toutes les personnes qui luttent contre les discriminations et les violences racistes, sexistes et LGBTphobes.
Rien pour lutter contre les violences sexistes et sexuelles
Le RN affirme que les auteurs de violences sont majoritairement des immigrés… alors que le premier lieu des violences faites aux femmes est la famille. L’extrême droite, dont le RN, n’avance aucune proposition politique de fond pour lutter contre ces violences. Elle valorise de fait le machisme et l’infériorisation des femmes : pour Zemmour « la virilité va de pair avec la violence, […] l’homme est un prédateur sexuel, un conquérant ».
Ce discours « décomplexé » se répand, il alimente une haine des femmes et des féministes et nourrit la violence machiste. Les mesures proposées sont des mesures pénitentiaires et pénales sans réflexion sur leurs sources ni sur le fait que les auteurs mis en cause sont à 96% des hommes.
Opposition à l’éducation à la vie affective et sexuelle à l’école
« L’école est là pour transmettre les savoirs ; la sexualité ne relève pas de sa responsabilité ». Marine Le Pen, 2022.
L’extrême droite s’oppose radicalement à tout projet sur l’éducation à l’égalité et à la vie affective et sexuelle et renvoie aux familles l’exclusivité de cette éducation. Elle est pourtant indispensable pour lutter contre les stéréotypes, prévenir les violences sexuelles notamment sur les enfants et permettre une émancipation collective. De nombreux rapports nationaux ou internationaux (Défenseur des Droits 2022, UNESCO 2017, 2018, 2023) rappellent son rôle essentiel dans la protection des enfants.
En 2014, suite aux mobilisations de l’extrême droite et de mouvements homophobes contre l’éducation à l’égalité et à la sexualité à l’école, le gouvernement de l’époque a retiré le programme des ABCD de l’égalité. Ces mobilisations ont encore un impact important sur les débats concernant l’éducation à la sexualité à l’école. L’association « Parents vigilants » lance sur les réseaux sociaux des appels contre « l’activisme LGBT en milieu scolaire ». La Manif pour tous (devenue Syndicat de la Famille en 2023) indique sur son site que le refus de l’éducation sexuelle à l’école est son premier « combat »…
Le phénomène réactionnaire des « tradwife »
Phénomène popularisé sur TikTok et présent sur les réseaux sociaux, #tradwife est un mouvement qui prône le retour aux valeurs traditionnelles autour de la famille patriarcale avec une nette séparation des rôles genrés : un mari qui travaille et assure le revenu de la famille et une femme qui reste au foyer, s’occupe du bien-être des enfants et du mari. Ce modèle est maintenant mis en avant par des femmes, souvent jeunes, à travers des vidéos qui mettent en scène le quotidien merveilleux d’une mère, souvent de famille nombreuse, et vantent le retour à un « authentique » idéalisé.
Aux États-Unis, les mouvements d’extrême droite et les suprémacistes affichent des liens avec le courant tradwife. Certaines influenceuses portent même un discours nataliste et raciste en alertant sur le « danger de la baisse de natalité des personnes blanches » et en incitant à procréer.
Position au mieux ambiguë sur l’IVG
Marine Le Pen dénonçait en 2012 les « avortements de confort », « à répétition, remplaçant la contraception ». Elle souhaitait dérembourser l’IVG. Aujourd’hui, elle n’en parle plus, ayant intégré que cette position ne pourrait qu’éloigner l’électorat féminin. Rappelons qu’en 2015, les candidat·es FN en PACA avaient proposé de supprimer les subventions au Planning Familial. En 2018, la députée Caroline Parmentier déclarait en parlant des IVG : « après avoir « génocidé » les enfants français à raison de 200 000 par an, on doit maintenant les remplacer à tour de bras par les migrants » ! Lors de la réunion du Congrès le 5 mars 2024 pour constitutionnaliser l’IVG, ce sont 40% des élu·es RN qui ont voté contre ou se sont abstenu·es, témoignant de l’ancrage profond des idées traditionalistes au sein du parti.
Absence de préoccupation pour l’égalité
Le programme du RN présenté en 2022 comporte 18 livrets dont deux seulement mentionnent les femmes. Le livret Sécurité indique ainsi : l’islamisme « a pour ambition de remplacer nos mœurs et nos lois par d’autres qui reposent sur l’inégalité entre les hommes et les femmes ». C’est la seule référence à l’inégalité ou à l’égalité dans tout le programme !
La séparation des rôles entre les femmes et les hommes prônée par l’extrême droite est en effet opposée à la notion d’égalité. Ainsi, dans les discours comme dans le programme, on ne trouve aucune mention de l’égalité salariale entre les femmes et les hommes, ni bien sûr aucune défense du droit à l’emploi pour elles. À l’inverse, un eurodéputé FN réclamait en 2015 le « droit des femmes à rester chez elles », qui aurait « l’avantage de libérer des emplois » ! En janvier 2020, les député·es européen·nes RN ont voté contre la résolution sur la réduction des écarts de salaires femmes-hommes.
Instrumentalisation des droits des femmes pour stigmatiser les musulman·es
Dans son histoire passée, le RN ne défendait pas la laïcité et mettait en avant « l’héritage catholique » de notre pays. Il était aux côtés de l’école privée. Désormais, il semble découvrir les vertus de la laïcité, mais uniquement en l’instrumentalisant contre l’islam. Il se prétend brusquement défenseur des droits des femmes… sans jamais y inclure la défense des femmes étrangères, qu’elles viennent se réfugier en Europe pour fuir l’excision ou d’autres persécutions, ou bien qu’elles luttent dans leur pays comme les Kurdes, les Iraniennes, etc. Jamais le RN n’exprime une solidarité avec les femmes du monde.
L’immigration est rendue responsable de violences envers les femmes (c’est la seule référence à ces violences dans le programme de 2022). Le RN affirme que l’islam constitue une menace forte pour les femmes, et l’affichage récent d’un discours « féministe » sert de support à son discours raciste ou à des agressions contre les femmes musulmanes. Par exemple, Julien Odoul, président du groupe RN, a demandé lors d’une séance du conseil régional de Bourgogne en octobre 2019, au nom des principes laïques, qu’une femme voilée présente dans la tribune du public « retire son voile islamique ». Cette interpellation agressive, qui a suscité une vive polémique, témoigne de l’ignorance des principes de laïcité, qui n’interdisent évidemment pas le port du voile dans l’espace public.
Les tentatives d’alliance en Europe
Il faut s’intéresser aux dirigeant·es vers qui se tourne Marine Le Pen en Europe pour comprendre le type de régime politique qui l’inspire. Pour élargir ses alliances, elle fait les yeux doux à Georgia Meloni, première ministre d’Italie, dirigeante de Fratelli d’Italia, qui a milité dans sa jeunesse au MSI, héritier du parti fasciste de Mussolini. En novembre 2023, son gouvernement s’est heurté à d’importantes mobilisations pour protester contre plusieurs féminicides en Italie et contre la désinvolture du gouvernement sur ces questions. Rien n’est fait non plus pour limiter les obstacles rencontrés par les Italiennes pour avorter : la clause de conscience, très large, est utilisée par un grand nombre de professionnels hostiles à l’IVG. L’autorisation légale vient même d’être donnée aux groupes anti-avortement d’être présents dans les centres médicaux qui délivrent les autorisations d’avorter. D’autres libertés individuelles, tout aussi fondamentales, sont fortement remises en cause par le gouvernement. Notamment, il poursuit pour diffamation les personnes qui osent faire allusion aux racines fascistes du parti de G. Meloni. Le deuxième allié espéré par Marine Le Pen est Victor Orban, premier ministre de Hongrie, grand admirateur de Poutine et de Trump. Depuis 2022 en Hongrie, l’équipe médicale doit faire écouter à la femme enceinte les battements du cœur du fœtus avant toute IVG ! Dans ce pays aussi, les droits humains et la liberté d’expression sont régulièrement bafoués. Les migrant·es sont pourchassé·es à la frontière.
Les groupes d’extrême droite sont encore divisés en Europe mais après les élections européennes, le risque est grand, s’ils remportent de nouveaux succès électoraux, qu’ils se réorganisent pour renforcer leur unité.
Le projet de société défendu par le RN et plus largement par l’extrême droite s’en prend aux personnes les plus vulnérables. Mais ce n’est pas en transformant les personnes réfugiées ou d’origine étrangère en boucs émissaires que l’on améliorera les conditions de vie dans notre pays et ailleurs. Pour cela, il faut prendre des mesures de justice sociale et fiscale radicales, investir massivement dans les services publics (école, santé, accueil de la petite enfance, services auprès des personnes dépendantes, etc.) et une planification écologique en fonction des besoins sociaux, ce à quoi l’extrême droite est hostile. Défendre les droits des femmes et le progrès social, c’est combattre résolument le discours de haine propagé par l’extrême droite.
Groupe Féminisme Fondation Copernic et Commission Genre – Mai 2024
La Fondation Copernic regroupe des militant-e-s associatifs, syndicaux, politiques, des praticiens et des chercheurs de la gauche anti-libérale et écologiste. Elle s’adresse à toutes celles et ceux qui ne se résignent pas à l’ordre néolibéral
https://blogs.mediapart.fr/fondation-copernic/blog/270624/l-extreme-droite-contre-les-droits-des-femmes