L’accélération de la procédure Le Pen porte atteinte à l’égalité devant la loi
La décision d’avancer la date du procès en appel des assistants parlementaires du Front national à l’été 2026, en raison du calendrier électoral, pose une série de problèmes qui affaiblissent l’institution judiciaire
La décision d’avancer la date de l’appel du procès de Marine Le Pen est un mauvais coup porté à l’Etat de droit. La démarche, politiquement s’entend, tente de mettre un terme aux cris d’orfraie du Rassemblement national – « une très bonne nouvelle », s’est félicitée Marine Le Pen – et cherche à prouver par l’absurde que la justice ne se mêle en rien de politique. Ce nouveau calendrier vise cependant, en respectant à peine les formes, à faire comme si le procès n’avait pas eu lieu, pour que le processus électoral puisse se dérouler comme prévu.
Cette décision pose de sérieux problèmes. Il ne s’agit pas, ici, de vouloir à tout prix empêcher Marine Le Pen de se présenter à la présidentielle, et l’appel est un droit essentiel. Il s’agit d’une question de principe. Marine Le Pen a été condamnée, lundi 31 mars, à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et surtout cinq ans d’inéligibilité, applicable immédiatement. L’audience d’appel, compte tenu des délais habituels, n’était pas prévue avant deux, voire trois ans, il faudrait ensuite deux bons mois de débats. La rédaction de la décision en aurait pris facilement trois de plus : trop tard pour la campagne de 2027.
Premier problème, il n’est pas contestable que la décision de précipiter l’arrêt de la cour d’appel à l’été 2026 est dérogatoire : c’est une décision sur mesure, au bénéfice de Marine Le Pen, qui bouscule l’égalité devant la loi, « l’un des piliers de la démocratie », a noté le tribunal. Et encore, « en cas de violation de la loi pénale, les élus ne bénéficient d’aucune immunité » et il ne saurait être question « de revendiquer un privilège ». Quel autre justiciable obtiendrait qu’on avance son procès en appel pour obtenir une deuxième chance d’échapper à une sanction ? La date de l’appel du procès du MoDem de février 2024, en tous points comparable, n’a toujours pas été fixée ; sans doute parce que François Bayrou a été relaxé en première instance.
Tartufferie
Deuxième difficulté, il s’agit bien d’un désaveu cinglant du tribunal, en dépit des dénégations de la procureure générale près la cour d’appel de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau. (…)
S’indigner des attaques personnelles contre les magistrats qui, de façon collégiale, ont décidé de faire exécuter sur-le-champ l’inéligibilité de Marine Le Pen et, dans le même temps, affaiblir la décision de ces mêmes juges, en précipitant l’appel pour qu’elle ne puisse pas s’appliquer, est une tartufferie.
Après l’égalité devant la loi, la séparation des pouvoirs prend elle aussi un sérieux coup de canif. (…)
Troisième problème, (…) Le dossier des assistants du Front national au Parlement européen, longuement analysé à l’audience, est accablant. Comment confirmer la culpabilité de la plupart des prévenus, tout en trouvant une solution afin que Marine Le Pen puisse se présenter à la présidentielle ?
(…)
Suffirait-il alors de ne pas se pourvoir en cassation, si aucune inéligibilité n’est prononcée ? Marine Le Pen, dans cette hypothèse, serait définitivement condamnée pour détournement de fonds publics. Ce qui ne l’empêcherait pas, juridiquement, d’être élue présidente de la République, son éventuelle peine de prison serait suspendue pendant la durée du mandat.