Franck Johan­nès. Le Monde. « L’ac­cé­lé­ra­tion de la procé­dure Le Pen porte atteinte à l’éga­lité devant la loi »

https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/04/l-acce­le­ra­tion-de-la-proce­dure-le-pen-porte-atteinte-a-l-egalite-devant-la-loi_6590545_3232.html

L’ac­cé­lé­ra­tion de la procé­dure Le Pen porte atteinte à l’éga­lité devant la loi

La déci­sion d’avan­cer la date du procès en appel des assis­tants parle­men­taires du Front natio­nal à l’été 2026, en raison du calen­drier élec­to­ral, pose une série de problèmes qui affai­blissent l’ins­ti­tu­tion judi­ciaire

La déci­sion d’avan­cer la date de l’ap­pel du procès de Marine Le Pen est un mauvais coup porté à l’Etat de droit. La démarche, poli­tique­ment s’en­tend, tente de mettre un terme aux cris d’or­fraie du Rassem­ble­ment natio­nal – « une très bonne nouvelle », s’est féli­ci­tée Marine Le Pen – et cherche à prou­ver par l’ab­surde que la justice ne se mêle en rien de poli­tique. Ce nouveau calen­drier vise cepen­dant, en respec­tant à peine les formes, à faire comme si le procès n’avait pas eu lieu, pour que le proces­sus élec­to­ral puisse se dérou­ler comme prévu.

Cette déci­sion pose de sérieux problèmes. Il ne s’agit pas, ici, de vouloir à tout prix empê­cher Marine Le Pen de se présen­ter à la prési­den­tielle, et l’ap­pel est un droit essen­tiel. Il s’agit d’une ques­tion de prin­cipe. Marine Le Pen a été condam­née, lundi 31 mars, à quatre ans de prison, dont deux avec sursis, et surtout cinq ans d’iné­li­gi­bi­lité, appli­cable immé­dia­te­ment. L’au­dience d’ap­pel, compte tenu des délais habi­tuels, n’était pas prévue avant deux, voire trois ans, il faudrait ensuite deux bons mois de débats. La rédac­tion de la déci­sion en aurait pris faci­le­ment trois de plus : trop tard pour la campagne de 2027.

Premier problème, il n’est pas contes­table que la déci­sion de préci­pi­ter l’ar­rêt de la cour d’ap­pel à l’été 2026 est déro­ga­toire : c’est une déci­sion sur mesure, au béné­fice de Marine Le Pen, qui bous­cule l’éga­lité devant la loi, « l’un des piliers de la démo­cra­tie », a noté le tribu­nal. Et encore, « en cas de viola­tion de la loi pénale, les élus ne béné­fi­cient d’au­cune immu­nité » et il ne saurait être ques­tion « de reven­diquer un privi­lège ». Quel autre justi­ciable obtien­drait qu’on avance son procès en appel pour obte­nir une deuxième chance d’échap­per à une sanc­tion ? La date de l’ap­pel du procès du MoDem de février 2024, en tous points compa­rable, n’a toujours pas été fixée ; sans doute parce que François Bayrou a été relaxé en première instance.

Tartuf­fe­rie

Deuxième diffi­culté, il s’agit bien d’un désa­veu cinglant du tribu­nal, en dépit des déné­ga­tions de la procu­reure géné­rale près la cour d’ap­pel de Paris, Marie-Suzanne Le Quéau. (…)

S’in­di­gner des attaques person­nelles contre les magis­trats qui, de façon collé­giale, ont décidé de faire exécu­ter sur-le-champ l’iné­li­gi­bi­lité de Marine Le Pen et, dans le même temps, affai­blir la déci­sion de ces mêmes juges, en préci­pi­tant l’ap­pel pour qu’elle ne puisse pas s’ap­pliquer, est une tartuf­fe­rie.

Après l’éga­lité devant la loi, la sépa­ra­tion des pouvoirs prend elle aussi un sérieux coup de canif. (…)

Troi­sième problème, (…)  Le dossier des assis­tants du Front natio­nal au Parle­ment euro­péen, longue­ment analysé à l’au­dience, est acca­blant. Comment confir­mer la culpa­bi­lité de la plupart des préve­nus, tout en trou­vant une solu­tion afin que Marine Le Pen puisse se présen­ter à la prési­den­tielle ?

(…)

Suffi­rait-il alors de ne pas se pour­voir en cassa­tion, si aucune inéli­gi­bi­lité n’est pronon­cée ? Marine Le Pen, dans cette hypo­thèse, serait défi­ni­ti­ve­ment condam­née pour détour­ne­ment de fonds publics. Ce qui ne l’em­pê­che­rait pas, juri­dique­ment, d’être élue prési­dente de la Répu­blique, son éven­tuelle peine de prison serait suspen­due pendant la durée du mandat.

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