Guade­loupe : aux origines de la contes­ta­tion. Avec Stépha­nie Mulot et Pierre Odin (France culture)

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Depuis main­te­nant une semaine, la situa­tion s’en­flamme en Guade­loupe à la suite d’une grève des soignants contre l’obli­ga­tion vacci­nale. D’où provient cette colère poli­tique, et comment l’apai­ser ? Nous en parlons ce matin avec nos invi­tés.

Capesterre-Belle-Eau (Basse-Terre, Guadeloupe), le 7 août 2021.
Capes­terre-Belle-Eau (Basse-Terre, Guade­loupe), le 7 août 2021.• Crédits : Cédrick-Isham Calva­dos/AFP

Le 15 novembre, des soignants guade­lou­péens réunis dans une inter­syn­di­cale ont lancé un mouve­ment de grève pour protes­ter contre l’obli­ga­tion vacci­nale. Ce qui se présen­tait au départ comme l’ex­pres­sion d’un mécon­ten­te­ment face à la poli­tique sani­taire de l’Etat métro­po­li­tain est rapi­de­ment devenu un trem­plin pour une contes­ta­tion beau­coup plus large, rassem­blant diffé­rents motifs de colère de la popu­la­tion locale. 

La grande violence des actions conduites rappelle aux obser­va­teurs les émeutes de 2009. Elle traduit une nouvelle fois le senti­ment d’in­com­pré­hen­sion qu’é­prouvent de nombreux Guade­lou­péens face à leur trai­te­ment. D’où provient cette insa­tis­fac­tion ? Quelles sont les déci­sions poli­tiques qui, sur le long terme et plus récem­ment depuis le début de la crise sani­taire, ont conduit à cette situa­tion de mécon­ten­te­ment et de colère ?  Ce sont les ques­tions que nous abor­de­rons avec nos invi­tés :

  • Stépha­nie Mulot, profes­seure de socio­lo­gie à l’Uni­ver­sité de Toulouse-Jean-Jaurès, membre du CERTOP cher­cheuse asso­ciée au labo­ra­toire cari­béen de sciences sociales. Elle a récem­ment signé, pour AOC, un article consé­quent inti­tulé « Sur le refus de la vacci­na­tion contre le Covid-19 en Guade­loupe ».
  • Pierre Odin, poli­tiste, ensei­gnant à l’Uni­ver­sité des Antilles (Guade­loupe), auteur de Pwofi­ta­syon. Luttes syndi­cales et anti­co­lo­nia­lisme en Guade­loupe et en Marti­nique (La Décou­verte, 2019). 

Etat des lieux depuis la Guade­loupe

Pierre Odin est en direct depuis la Guade­loupe, où il nous décrit l’état actuel de la situa­tion.

La situa­tion est complexe à décrire en quelques mots. Pour l’ins­tant, on a l’im­pres­sion que l’île vit au rythme des blocages routiers qui se sont instal­lés depuis une semaine. Des images de barrages, de zones bloquées arrivent par les réseaux sociaux. Des incen­dies ont lieu tous les jours. Pierre Odin

La situa­tion s’apaise-t-elle ou y a-t-il toujours le même degré de violence ?

Cela dépend des endroits, et des moments de la jour­née. On a peut-être eu la sensa­tion d’un relâ­che­ment des barrages en fin de semaine. En même temps, les décla­ra­tions des respon­sables syndi­caux ne vont pas dans ce sens récem­ment, et les annonces de Gérald Darma­nin sur l’en­voi de troupes ont reçu un accueil très hostile, ce qui va peut-être contri­buer à tendre la situa­tion. Pierre Odin

S’agit-il d’un mouve­ment global, a-t-on affaire à des mino­ri­tés actives, ou y a-t-il un soutien impor­tant dans la popu­la­tion ? 

Ce que je vais racon­ter aujourd’­hui n’est pas propre­ment de l’ana­lyse socio­lo­gique. On est dans un temps très confus, où il faut penser entre de nombreux discours, de prises de posi­tion contra­dic­toires, avec une inquié­tude quant à la situa­tion, et donc le seul geste socio­lo­gique que je puisse faire, c’est remettre l’ou­vrage sur le métier, et essayer de repen­ser un certain nombre de choses sur la situa­tion. Pierre Odin

Pour l’ins­tant, il est dur de dire si le mouve­ment est popu­laire. On a l’im­pres­sion d’un mouve­ment syndi­cal qui au départ était sur une ligne assez secto­rielle et mino­ri­taire, qui capi­ta­lise sur une oppo­si­tion forte au pass sani­taire, sans pouvoir dire s’il y a un senti­ment d’adhé­sion aussi fort qu’en 2009, car à cela se super­pose beau­coup de ques­tions sur le mouve­ment. Pierre Odin

De la crise sani­taire à la crise poli­tique

Stépha­nie Mulot, qui a beau­coup étudié le rapport des Guade­lou­péens au coro­na­vi­rus et aux vaccins, insiste pour sa part sur l’en­ra­ci­ne­ment de la situa­tion actuelle dans la contes­ta­tion de la poli­tique sani­taire.

Il me paraît inté­res­sant de rappe­ler que le mouve­ment a repris de la vigueur avec la crise sani­taire. Le point de départ, c’est quand même une contes­ta­tion de la gestion poli­tique de l’épi­dé­mie. L’an­née dernière, LKP avait mené une forme de judi­cia­ri­sa­tion en portant plainte contre l’ARS, en deman­dant la mise à dispo­si­tion d’hy­droxy­chlo­roquine depuis avril 2020. Il s’agit de dénon­cer une gestion très verti­cale de l’épi­dé­mie par le gouver­ne­ment, c’est-à-dire le fait que les déci­sions ont été prises sans s’ap­puyer sur l’ex­per­tise des profes­sion­nels de santé ou sur les demandes des profanes. L’énorme vague d’août 2021 a été une héca­tombe en Guade­loupe, et l’obli­ga­tion vacci­nale est arri­vée en même temps.

Il y a un cumul et une super­po­si­tion de faits qui ont amené à une mobi­li­sa­tion. En ce moment, on se demande quel est l’objet de la mani­fes­ta­tion, qui change au fil des jours. Car s’agis­sant de l’obli­ga­tion vacci­nale, 85% des soignants sont vacci­nés. Donc c’est autre chose qui se super­pose au conflit. Stépha­nie Mulot

La socio­logue montre comment la contes­ta­tion sani­taire s’en­ra­cine dans le senti­ment d’une iden­tité guade­lou­péenne.

La raison sani­taire est parfois rempla­cée par une rhéto­rique de résis­tance aux injonc­tions natio­nales. Cette notion de résis­tance est souvent utili­sée en Guade­loupe pour carac­té­ri­ser une forme d’iden­tité guade­lou­péenne. Elle est construite comme un héri­tage du marro­nage, des résis­tances à l’es­cla­vage. Stépha­nie Mulot

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