Je me permets de recopier les remarquables articles de Libération et du Monde reçus il y a quelques jour, articles d’intérêt public dans le débat pluraliste qui doit se développer à partir de données partagées. En les citant précisément.
PB, 16–11–2020
Libération
« Le film aux accents complotistes de Pierre Barnérias, qui entend dénoncer une « manipulation globale » de l’épidémie par l’Etat, les médias et les scientifiques, est un succès d’audience sur le Net, deux jours après sa sortie.
Deux personnes masquées, avec des logos de l’AFP, LCI, BFM TV et TF1 à la place des yeux. Un sous-titre qui ne fait pas non plus dans la dentelle : « Mensonges, corruptions, manipulations : retour sur un chaos. » L’affiche de Hold-up donne le ton. Ce documentaire, sorti mercredi en France et dont le visuel très accrocheur a défilé depuis sur les écrans de millions de téléphones ou d’ordinateurs, entend tirer au clair les « erreurs commises au plus haut niveau » de l’Etat, des médias et de la communauté scientifique dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 en France.
Avant même sa sortie, Hold-up comptait déjà plusieurs milliers de mentions sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête. Le tout grâce à des bandes-annonces spectaculaires : dans l’une d’entre elles, on y voyait une sage-femme, Nathalie Derivaux, émue aux larmes, commenter des propos du polémiste Laurent Alexandre sur les élites (qui n’ont pourtant aucun rapport avec le Covid, puisqu’ils ont été tenus en 2019), en le comparant à… Adolf Hitler. Depuis que le documentaire complet est disponible en ligne, à la vente ou à la location sur la plateforme Vimeo, l’objet continue de creuser son sillon, notamment grâce aux coups de projecteur offerts par des personnalités aux profils pour le moins divers. Ici l’animateur de Sud Radio André Bercoff ou le gilet jaune Maxime Nicolle, là l’actrice Sophie Marceau sur son compte Instagram… Sur Facebook, le lien Vimeo a également été partagé des milliers de fois, majoritairement dans des groupes se présentant comme pro-Raoult ou pro-gilets jaunes.
Visiblement soucieux de l’écho reçu par le documentaire, plusieurs membres de la majorité ont réagi. Les députés Mounir Mahjoubi et Coralie Dubost ont dénoncé sur Twitter un documentaire de « fake news complotiste », ou encore une « propagande complotiste à budget blockbuster ». La polémique naissante a conduit l’ex-ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, interrogé dans Hold-up, à prendre ses distances : « Je n’ai pas vu ce film, et s’il y a le moindre caractère complotiste, je veux dire le plus clairement possible que je m’en désolidarise. »
« Great Reset »
La thèse principale de ce documentaire de près de trois heures, énoncée dans la dernière partie ? Le Forum économique mondial de Davos se sert du Covid-19 (maladie qui serait causée par un virus fabriqué par l’homme) dans le cadre d’un « plan global [pour] soumettre l’humanité », appelé le « Great Reset ».
« Notre but, déclare l’un des producteurs du film, Christophe Cossé, avertir, ou alerter, informer la population de ce qui est en train de se tramer de façon totalement pernicieuse et extrêmement bien calculée. » Dans une tribune, il estime ni plus ni moins que « se profilent la vaccination massive, et son corollaire, le fichage de chaque individu. En France, en Europe, mais dans le monde entier, au prétexte d’un virus pas plus offensif qu’un autre Covid saisonnier ».
Trente-sept intervenants sont convoqués pour appuyer la thèse de Hold-up. Pour une bonne partie, ce sont les mêmes qui s’expriment dans les colonnes de France Soir, cet ancien titre de presse devenu depuis le début de l’année une plateforme pro-Raoult alimentée par des bénévoles. Ils sont presque tous membres fondateurs de l’association BonSens, « lobby citoyen » qui regroupe des personnalités critiques vis-à-vis de la gestion de la crise sanitaire.
Le personnage central du documentaire ? Christian Perronne, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), féroce contempteur de la politique gouvernementale et fervent partisan de Didier Raoult et de son protocole. L’équipe derrière Hold-up revendique ainsi s’être « inspirée énormément du travail et du livre du professeur », le best-seller Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? (juin 2020). Avant la pandémie de Covid-19, Christian Perronne s’était fait connaître pour ses thèses controversées sur l’origine de la maladie de Lyme (qui serait due à une prolifération cachée de tiques modifiées par un chercheur nazi). Des positions qui lui avaient valu les foudres et les moqueries de… Didier Raoult. En juin, la Société de pathologie infectieuse de langue française s’était également élevée contre Perronne, lui reprochant d’avoir déclaré que les sociétés savantes n’auraient pas recommandé le recours à l’hydroxychloroquine parce qu’elles seraient « complètement corrompues » et que c’est « la corruption qui a plongé des dizaines de milliers de Français dans la mort ». « Une crise sanitaire ne justifie pas qu’on dise, ou qu’on fasse, n’importe quoi ! » s’étaient alors émus les spécialistes en réaction.
Youtubeur pro-Trump
Autour de lui, dans Hold-up, on retrouve la députée (ex-LREM) Martine Wonner, le directeur de publication de France Soir, Xavier Azalbert, mais aussi la généticienne et ancienne chercheuse à l’Inserm (qui s’est désolidarisé de ses récentes prises de position) Alexandra Henrion-Caude. Cette fervente catholique s’est fait connaître pendant la pandémie grâce à un entretien avec la web-télé d’extrême droite TV Libertés.
Deux intervenants sont plus marqués politiquement. L’autrice Valérie Bugault, qui est l’une des « personnalités phares de la chaîne » TV Libertés, et le youtubeur pro-Trump Silvano Trotta, dont le travail est régulièrement salué par le réalisateur de Hold-up. Quand il ne parle pas d’un complot lié au Covid (la « plandémie », comme il l’appelle), ce vidéaste plonge allègrement dans les fake news ayant trait à la récente élection américaine (comme sur un trop grand nombre d’inscrits dans le Wisconsin ou un bourrage des urnes décelable dans des courbes).
Sans grande surprise, on retrouve également dans Hold-up Laurent Toubiana, fer de lance des experts « rassuristes », qui expliquait il y a quelques semaines que l’épidémie de Covid-19 était derrière nous. Ou Jean-Dominique Michel, anthropologue suisse qui évoquait en mars une « hallucination collective » à propos de la pandémie.
Plus étonnant : Monique Pinçon-Charlot, sociologue traditionnellement classée à gauche et qui a beaucoup travaillé avec son mari sur le thème de la haute bourgeoisie, fait également partie du casting. Elle y critique le discours de « peur » véhiculé par les médias et va même jusqu’à parler d’une « troisième guerre mondiale » et d’un « holocauste » visant à « éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité, parce que les riches n’en ont plus besoin ».
Sans doute pour donner un côté plus « populaire », des chauffeurs de taxi et de VTC, Mamadou, Kamel et Rachid, seuls personnages du documentaire dont on ne connaîtra que le prénom, sont intercalés entre les médecins (cardiologue, gynécologue, dermatologue…), auteurs et chefs d’entreprise.
Si Hold-up se présente comme une enquête journalistique, il ne l’est que sur la forme. Les propos des intervenants ne sont jamais ni contextualisés ni questionnés. Surtout, si le propos reste dans un premier temps très général (comme sur la peur « entretenue » par les politiques) ou insiste sur des controverses bien établies (un long passage prend fait et cause pour l’hydroxychloroquine en s’appuyant sur l’étude rétractée du Lancet), il dévie peu à peu vers un complotisme très confus.
Cryptomonnaies et 5G
Un homme présenté comme un ancien opérateur du renseignement (anonyme) se vante ainsi, visage couvert, qu’une « source de l’Agence de sûreté nucléaire » lui aurait dit « que le virus avait été fabriqué ». Une affirmation qui va à l’encontre de toute la littérature scientifique sur le sujet, même si l’origine exacte du virus est toujours inconnue, et que l’hypothèse d’un virus naturel échappé d’un laboratoire n’a en revanche pas encore été formellement écartée. Un autre intervenant va jusqu’à accuser l’Institut Pasteur d’avoir fabriqué le virus, reprenant une grossière intox basée sur un brevet mal compris. Là encore, il n’est jamais contredit. Pire, le commentaire abonde : « Le coupable de la Covid-19 a bien été trouvé. »
A l’inverse, le film n’évoque pas les mensonges (pourtant bien établis) de l’Etat visant à dissumuler les faiblesses de ses stocks stratégiques de masques. Et pour cause : Hold-up préfère fustiger le port du masque, à grand renfort de micro-trottoirs ou d’allégations douteuses sur le fait que le « masque ne sert à rien quand vous n’êtes pas malade », comme le lance un homéopathe interrogé dans le documentaire, oubliant un peu vite qu’il protège aussi son porteur, et que les personnes asymptomatiques peuvent être contagieuses.
Dans sa dernière partie, Hold-up mute réellement, et établit un lien obscur entre nanoparticules, cryptomonnaies et Covid, sur fond de déploiement de la 5G pendant le confinement (là aussi, une fausse information liée à une mauvaise interprétation d’un décret). Le tout dans le cadre du plan machiavélique « Great Reset ». Cette « grande réinitialisation » n’a pourtant rien de bien secret : il s’agit d’un projet porté par le Forum économique mondial de Davos (une ONG qui réunit dirigeants d’entreprises et responsables politiques), visant à réfléchir aux moyens d’assurer une « croissance économique plus durable » à l’occasion de la crise économique causée par la pandémie. Les (vrais) responsables de cette grande machination, selon Hold-up ? Les coupables classiques des théories conspirationnistes : Bill Gates, David Rockefeller ou le Français Jacques Attali.
Le bonus diffusé lors du générique de fin réserve une surprise finale : Nadine Touzeau, décrite comme une profileuse, se lance dans une analyse de personnalité sur la seule base de… photographies. Ainsi, Laurent Alexandre est jugé « extrêmement faux » (notamment en raison « de la commissure des lèvres et au niveau de son regard ») et Anthony Fauci, chef de la cellule de crise de l’administration Trump sur le coronavirus, est qualifié de « suiveur ».
Derrière la caméra de ce curieux objet documentaire, qui rappelle par certains aspects Zeitgeist : the Movie, autre documentaire complotiste, sur le 11 Septembre : Pierre Barnérias, ancien journaliste (passé par TF1, Europe 1 ou Ouest-France) et réalisateur ces dix dernières années de plusieurs films sur la foi, mais aussi la fin de vie et « l’au-delà ». Il a notamment réalisé Thanatos, l’ultime passage (où il recueille des témoignages de « mort imminente ») et M et le 3e secret, un film sur la Vierge Marie qui « réalise des prodiges par milliers » et « multiplie ces derniers temps ses apparitions ». Mais aussi Il était une foi, un documentaire sur « deux jeunes diplômés de grandes écoles partis pendant un an sur des vélos bizarroïdes à la rencontre de communautés chrétiennes persécutées et oubliées ». Sur sa chaîne YouTube, Thana TV, qui compte aujourd’hui plus de 70 000 abonnés et a servi de rampe de lancement à Hold-up, le réalisateur partageait essentiellement des vidéos sur le thème de l’au-delà. Mais depuis quelques mois, Thana TV s’est muée en porte-voix des « Covido-sceptiques », multipliant les interviews de scientifiques ou de soignants (que l’on retrouve dans le documentaire, comme le Pr Christian Perronne), et qui sont tous sur la même ligne : le gouvernement nous cache des choses et en fait beaucoup trop avec le Covid.
Aux côtés de Barnérias, en tant que producteurs de Hold-up : Nicolas Réoutsky et Christophe Cossé. Les deux ont beaucoup travaillé avec France Télévisions (comme réalisateur ou producteur), notamment sur l’émission la Carte aux trésors. Désormais, les deux se concentrent sur la réalisation de documentaires.
Crowdfunding
Comment est né ce projet, qui devrait être traduit dans sept langues, et pourrait ainsi rapidement faire le tour du monde ?
Le film aux accents complotistes de Pierre Barnérias, qui entend dénoncer une « manipulation globale » de l’épidémie par l’Etat, les médias et les scientifiques, est un succès d’audience sur le Net, deux jours après sa sortie.
Deux personnes masquées, avec des logos de l’AFP, LCI, BFM TV et TF1 à la place des yeux. Un sous-titre qui ne fait pas non plus dans la dentelle : « Mensonges, corruptions, manipulations : retour sur un chaos. » L’affiche de Hold-up donne le ton. Ce documentaire, sorti mercredi en France et dont le visuel très accrocheur a défilé depuis sur les écrans de millions de téléphones ou d’ordinateurs, entend tirer au clair les « erreurs commises au plus haut niveau » de l’Etat, des médias et de la communauté scientifique dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 en France.
Avant même sa sortie, Hold-up comptait déjà plusieurs milliers de mentions sur les réseaux sociaux, Facebook et Twitter en tête. Le tout grâce à des bandes-annonces spectaculaires : dans l’une d’entre elles, on y voyait une sage-femme, Nathalie Derivaux, émue aux larmes, commenter des propos du polémiste Laurent Alexandre sur les élites (qui n’ont pourtant aucun rapport avec le Covid, puisqu’ils ont été tenus en 2019), en le comparant à… Adolf Hitler. Depuis que le documentaire complet est disponible en ligne, à la vente ou à la location sur la plateforme Vimeo, l’objet continue de creuser son sillon, notamment grâce aux coups de projecteur offerts par des personnalités aux profils pour le moins divers. Ici l’animateur de Sud Radio André Bercoff ou le gilet jaune Maxime Nicolle, là l’actrice Sophie Marceau sur son compte Instagram… Sur Facebook, le lien Vimeo a également été partagé des milliers de fois, majoritairement dans des groupes se présentant comme pro-Raoult ou pro-gilets jaunes.
Visiblement soucieux de l’écho reçu par le documentaire, plusieurs membres de la majorité ont réagi. Les députés Mounir Mahjoubi et Coralie Dubost ont dénoncé sur Twitter un documentaire de « fake news complotiste », ou encore une « propagande complotiste à budget blockbuster ». La polémique naissante a conduit l’ex-ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy, interrogé dans Hold-up, à prendre ses distances : « Je n’ai pas vu ce film, et s’il y a le moindre caractère complotiste, je veux dire le plus clairement possible que je m’en désolidarise. »
« Great Reset »
La thèse principale de ce documentaire de près de trois heures, énoncée dans la dernière partie ? Le Forum économique mondial de Davos se sert du Covid-19 (maladie qui serait causée par un virus fabriqué par l’homme) dans le cadre d’un « plan global [pour] soumettre l’humanité », appelé le « Great Reset ».
« Notre but, déclare l’un des producteurs du film, Christophe Cossé, avertir, ou alerter, informer la population de ce qui est en train de se tramer de façon totalement pernicieuse et extrêmement bien calculée. » Dans une tribune, il estime ni plus ni moins que « se profilent la vaccination massive, et son corollaire, le fichage de chaque individu. En France, en Europe, mais dans le monde entier, au prétexte d’un virus pas plus offensif qu’un autre Covid saisonnier ».
Trente-sept intervenants sont convoqués pour appuyer la thèse de Hold-up. Pour une bonne partie, ce sont les mêmes qui s’expriment dans les colonnes de France Soir, cet ancien titre de presse devenu depuis le début de l’année une plateforme pro-Raoult alimentée par des bénévoles. Ils sont presque tous membres fondateurs de l’association BonSens, « lobby citoyen » qui regroupe des personnalités critiques vis-à-vis de la gestion de la crise sanitaire.
Le personnage central du documentaire ? Christian Perronne, chef du service maladies infectieuses à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine), féroce contempteur de la politique gouvernementale et fervent partisan de Didier Raoult et de son protocole. L’équipe derrière Hold-up revendique ainsi s’être « inspirée énormément du travail et du livre du professeur », le best-seller Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? (juin 2020). Avant la pandémie de Covid-19, Christian Perronne s’était fait connaître pour ses thèses controversées sur l’origine de la maladie de Lyme (qui serait due à une prolifération cachée de tiques modifiées par un chercheur nazi). Des positions qui lui avaient valu les foudres et les moqueries de… Didier Raoult. En juin, la Société de pathologie infectieuse de langue française s’était également élevée contre Perronne, lui reprochant d’avoir déclaré que les sociétés savantes n’auraient pas recommandé le recours à l’hydroxychloroquine parce qu’elles seraient « complètement corrompues » et que c’est « la corruption qui a plongé des dizaines de milliers de Français dans la mort ». « Une crise sanitaire ne justifie pas qu’on dise, ou qu’on fasse, n’importe quoi ! » s’étaient alors émus les spécialistes en réaction.
Youtubeur pro-Trump
Autour de lui, dans Hold-up, on retrouve la députée (ex-LREM) Martine Wonner, le directeur de publication de France Soir, Xavier Azalbert, mais aussi la généticienne et ancienne chercheuse à l’Inserm (qui s’est désolidarisé de ses récentes prises de position) Alexandra Henrion-Caude. Cette fervente catholique s’est fait connaître pendant la pandémie grâce à un entretien avec la web-télé d’extrême droite TV Libertés.
Deux intervenants sont plus marqués politiquement. L’autrice Valérie Bugault, qui est l’une des « personnalités phares de la chaîne » TV Libertés, et le youtubeur pro-Trump Silvano Trotta, dont le travail est régulièrement salué par le réalisateur de Hold-up. Quand il ne parle pas d’un complot lié au Covid (la « plandémie », comme il l’appelle), ce vidéaste plonge allègrement dans les fake news ayant trait à la récente élection américaine (comme sur un trop grand nombre d’inscrits dans le Wisconsin ou un bourrage des urnes décelable dans des courbes).
Sans grande surprise, on retrouve également dans Hold-up Laurent Toubiana, fer de lance des experts « rassuristes », qui expliquait il y a quelques semaines que l’épidémie de Covid-19 était derrière nous. Ou Jean-Dominique Michel, anthropologue suisse qui évoquait en mars une « hallucination collective » à propos de la pandémie.
Plus étonnant : Monique Pinçon-Charlot, sociologue traditionnellement classée à gauche et qui a beaucoup travaillé avec son mari sur le thème de la haute bourgeoisie, fait également partie du casting. Elle y critique le discours de « peur » véhiculé par les médias et va même jusqu’à parler d’une « troisième guerre mondiale » et d’un « holocauste » visant à « éliminer la partie la plus pauvre de l’humanité, parce que les riches n’en ont plus besoin ».
Sans doute pour donner un côté plus « populaire », des chauffeurs de taxi et de VTC, Mamadou, Kamel et Rachid, seuls personnages du documentaire dont on ne connaîtra que le prénom, sont intercalés entre les médecins (cardiologue, gynécologue, dermatologue…), auteurs et chefs d’entreprise.
Si Hold-up se présente comme une enquête journalistique, il ne l’est que sur la forme. Les propos des intervenants ne sont jamais ni contextualisés ni questionnés. Surtout, si le propos reste dans un premier temps très général (comme sur la peur « entretenue » par les politiques) ou insiste sur des controverses bien établies (un long passage prend fait et cause pour l’hydroxychloroquine en s’appuyant sur l’étude rétractée du Lancet), il dévie peu à peu vers un complotisme très confus.
Cryptomonnaies et 5G
Un homme présenté comme un ancien opérateur du renseignement (anonyme) se vante ainsi, visage couvert, qu’une « source de l’Agence de sûreté nucléaire » lui aurait dit « que le virus avait été fabriqué ». Une affirmation qui va à l’encontre de toute la littérature scientifique sur le sujet, même si l’origine exacte du virus est toujours inconnue, et que l’hypothèse d’un virus naturel échappé d’un laboratoire n’a en revanche pas encore été formellement écartée. Un autre intervenant va jusqu’à accuser l’Institut Pasteur d’avoir fabriqué le virus, reprenant une grossière intox basée sur un brevet mal compris. Là encore, il n’est jamais contredit. Pire, le commentaire abonde : « Le coupable de la Covid-19 a bien été trouvé. »
A l’inverse, le film n’évoque pas les mensonges (pourtant bien établis) de l’Etat visant à dissumuler les faiblesses de ses stocks stratégiques de masques. Et pour cause : Hold-up préfère fustiger le port du masque, à grand renfort de micro-trottoirs ou d’allégations douteuses sur le fait que le « masque ne sert à rien quand vous n’êtes pas malade », comme le lance un homéopathe interrogé dans le documentaire, oubliant un peu vite qu’il protège aussi son porteur, et que les personnes asymptomatiques peuvent être contagieuses.
Dans sa dernière partie, Hold-up mute réellement, et établit un lien obscur entre nanoparticules, cryptomonnaies et Covid, sur fond de déploiement de la 5G pendant le confinement (là aussi, une fausse information liée à une mauvaise interprétation d’un décret). Le tout dans le cadre du plan machiavélique « Great Reset ». Cette « grande réinitialisation » n’a pourtant rien de bien secret : il s’agit d’un projet porté par le Forum économique mondial de Davos (une ONG qui réunit dirigeants d’entreprises et responsables politiques), visant à réfléchir aux moyens d’assurer une « croissance économique plus durable » à l’occasion de la crise économique causée par la pandémie. Les (vrais) responsables de cette grande machination, selon Hold-up ? Les coupables classiques des théories conspirationnistes : Bill Gates, David Rockefeller ou le Français Jacques Attali.
Le bonus diffusé lors du générique de fin réserve une surprise finale : Nadine Touzeau, décrite comme une profileuse, se lance dans une analyse de personnalité sur la seule base de… photographies. Ainsi, Laurent Alexandre est jugé « extrêmement faux » (notamment en raison « de la commissure des lèvres et au niveau de son regard ») et Anthony Fauci, chef de la cellule de crise de l’administration Trump sur le coronavirus, est qualifié de « suiveur ».
Derrière la caméra de ce curieux objet documentaire, qui rappelle par certains aspects Zeitgeist : the Movie, autre documentaire complotiste, sur le 11 Septembre : Pierre Barnérias, ancien journaliste (passé par TF1, Europe 1 ou Ouest-France) et réalisateur ces dix dernières années de plusieurs films sur la foi, mais aussi la fin de vie et « l’au-delà ». Il a notamment réalisé Thanatos, l’ultime passage (où il recueille des témoignages de « mort imminente ») et M et le 3e secret, un film sur la Vierge Marie qui « réalise des prodiges par milliers » et « multiplie ces derniers temps ses apparitions ». Mais aussi Il était une foi, un documentaire sur « deux jeunes diplômés de grandes écoles partis pendant un an sur des vélos bizarroïdes à la rencontre de communautés chrétiennes persécutées et oubliées ». Sur sa chaîne YouTube, Thana TV, qui compte aujourd’hui plus de 70 000 abonnés et a servi de rampe de lancement à Hold-up, le réalisateur partageait essentiellement des vidéos sur le thème de l’au-delà. Mais depuis quelques mois, Thana TV s’est muée en porte-voix des « Covido-sceptiques », multipliant les interviews de scientifiques ou de soignants (que l’on retrouve dans le documentaire, comme le Pr Christian Perronne), et qui sont tous sur la même ligne : le gouvernement nous cache des choses et en fait beaucoup trop avec le Covid.
Aux côtés de Barnérias, en tant que producteurs de Hold-up : Nicolas Réoutsky et Christophe Cossé. Les deux ont beaucoup travaillé avec France Télévisions (comme réalisateur ou producteur), notamment sur l’émission la Carte aux trésors. Désormais, les deux se concentrent sur la réalisation de documentaires.
Crowdfunding
Comment est né ce projet, qui devrait être traduit dans sept langues, et pourrait ainsi rapidement faire le tour du monde ? « C’est un film initié par Pierre, avec qui on échangeait beaucoup pendant le premier confinement sur cette situation extraordinaire, raconte à Libération Christophe Cossé, pour qui le succès autour du film s’explique par le manque de pluralisme des médias sur l’épidémie. Il n’y a pas eu de travail de fond sur ce sujet, comme on pourrait l’exiger de l’ensemble de nos rédactions. Il n’y a surtout eu aucun pluralisme. Les voix dissonantes sur la situation sanitaire ont toutes été rapidement isolées. Il faut croire que les gens qui nous soutiennent avaient besoin ou envie d’avoir d’autres regards que celui qui nous est proposé pour le moment. »
Quid du pluralisme dans Hold-up, où toutes les personnes tiennent, à peu de chose près, le même discours ? « Il n’y avait absolument aucune intention, aucun calcul de notre part. On a donné la parole à des gens qui avaient besoin d’une tribune, justifie-t-il. On n’avait jamais imaginé l’impact que pourrait avoir ce film, ça nous dépasse un petit peu. »
Pour financer ce projet, les trois hommes ont choisi le crowdfunding. A raison : leur objectif de 20 000 euros sur la plateforme Ulule a été atteint en quatre jours et le projet a finalement été financé à 914 % (un peu plus de 182 970 euros collectés, auxquels il faut ajouter plus de 100 000 euros sur Tipeee pour le seul mois de novembre). Lancée fin août, la campagne de crowdfunding a été largement partagée sur Facebook. Hold-up a ainsi remporté un succès bien plus important que leur précédent projet qui avait récolté… moins de 400 euros sur un objectif de 30 000.
Dix contre-vérités véhiculées par « Hold-up »
L’équipe « CheckNews » de « Libération » a passé au crible, minute par minute, les affirmations des nombreux intervenants du documentaire.
L’idée générale du documentaire Hold-up, selon laquelle la pandémie servirait un dessein caché (et assez fumeux) des autorités, ne relève pas de la critique factuelle. Le propre des discours conspirationnistes, ne s’appuyant sur aucun élément tangible, étant qu’il échappe au fact-checking. Pour autant, tout au long de ses deux heures quarante-trois, le docu distille, dans la bouche de ses nombreux intervenants, quantité d’informations erronées, trompeuses, qui, elles, peuvent être aisément infirmées. Florilège non exhaustif.
1. L’OMS ne préconise pas le port du masque pour le grand public (à 5 min)
« La France n’applique pas les recommandations de l’OMS. L’OMS ne dit pas que tout le monde doit mettre un masque », affirme Astrid Stuckelberger, « docteure en médecine et professeure universitaire ». Les recommandations, dont la dernière version date du 20 octobre, sont pourtant claires : « Si le Covid-19 se propage dans votre communauté, protégez-vous en prenant quelques précautions simples, comme maintenir une distance physique avec autrui, porter un masque, bien ventiler les pièces […]. Considérez le port du masque comme normal lorsque vous êtes avec d’autres personnes. » Et de préconiser le port du masque en tissu en population générale, et le masque chirurgical pour les personnes à risque, ainsi qu’en cas de symptômes évocateurs de la maladie. En juin, l’OMS conseillait déjà aux autorités « d’encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers, dans le cadre d’une approche globale de lutte contre la transmission du Sars-CoV-2 ».
2. Le confinement n’a servi à rien (à 8 min)
C’est une des thèses martelées tout au long du documentaire : le confinement, en plus d’être liberticide, est inutile sur le plan sanitaire. Les auteurs en ont la preuve, courbe de mortalité de l’Insee à l’appui : « Le virus a particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe », note la voix off. C’est effectivement après l’entrée en vigueur du confinement (le 17 mars) que le pic de mortalité est apparu. Ce qui, sauf à ne pas comprendre la dynamique d’une épidémie, ne prouve pas que le confinement n’a servi à rien. Car les décès interviennent, en moyenne, trois semaines après la contamination. Il est donc logique que le pic du nombre de morts, apparu à la fin de la première semaine d’avril, ait eu lieu trois semaines après l’instauration du confinement, qui correspondait, lui, au pic des contaminations.
3. La Suède n’a pas confiné et compte beaucoup moins de morts que nous (à 10 min)
« Quant à la Suède, qui n’a pas confiné, les chiffres parlent d’eux-mêmes », explique la voix off, soucieuse de souligner, en termes de décès, la différence entre la France et ce pays scandinave. Et de montrer une infographie selon laquelle la Suède a connu un pic à 111 morts au printemps, tandis que la France affichait un sommet à 1 438 morts le 15 avril. Problème : le « pic français » du 15 avril n’a pas grand sens. Ce jour-là, les données incluent le bilan quotidien des morts à l’hôpital (514), mais aussi et surtout celui des Ehpad (924 morts), qui n’est, lui, remonté que tous les trois ou quatre jours, et qui représente donc plusieurs jours de décès cumulés. Ainsi, les chiffres, pris en moyenne sur sept jours, afin de lisser les soubresauts statistiques propres à chaque pays, montrent un pic suédois de 99 morts le 16 avril, tandis que l’Hexagone connaît le sien, avec 974 morts, le 9 avril.
A LIRE AUSSIQue sait-on du documentaire « Hold-up », qui dénonce une « manipulation » mondiale sur le Covid-19 ?
Rapporté à la taille de chaque population, cela donne un pic de 97 morts pour 100 000 habitants en Suède, contre 145 morts pour 100 000 habitants en France. Soit un pic 1,5 fois plus important pour la France par rapport à la Suède, contre 13 fois plus important dans le documentaire. Et encore, le pic Français, à ce moment-là, est gonflé par la remontée tardive des décès dans les Ehpad, qui ne sera mise en place que début avril. Car sur toute la première vague, et pas seulement au moment du pic, la Suède comptait, en cumulé, davantage de morts que la France : au 18 juin, elle enregistrait ainsi 494 morts par million d’habitants, contre 442 par million d’habitants pour la France.
Par ailleurs, dire que la Suède n’a pas confiné, c’est aller un peu vite en besogne. Certes, le pays n’a pas connu de confinement strict comme la plupart des pays européens. Mais sa population a d’elle-même réduit, sur « recommandations » du gouvernement, une grande partie de ses interactions sociales. Par ailleurs, lors de la première vague, les lycées et facs ont été fermés et les rassemblements de plus de 50 personnes, tout comme les visites dans les maisons de retraite, étaient interdits.
4. La « délation rémunérée » des médecins (à 38 min)
Les médecins ont été incités financièrement à signaler les cas contacts de leurs patients, affirme le documentaire. Une « délation rémunérée », dénonce la voix off. Pour illustrer le propos : une capture d’écran d’un article de CheckNews. Détail cocasse, ce dernier expliquait le contraire. En effet, si cette piste a été un temps évoquée, elle a vite été abandonnée. Et notre article était ainsi titré : « Finalement, les médecins ne bénéficieront pas d’une prime au signalement des cas contacts ». Ce qui témoigne, de la part des auteurs, d’une grossière manipulation.
5. L’OMS interdit les autopsies (à 39 min)
Le documentaire s’interroge sur la possibilité d’une évaluation fiable du nombre de morts du Covid-19. L’endocrinologue et gynécologue Violaine Guérin l’affirme : « Il faut réaliser qu’on a interdit les autopsies. » Pour quelle raison, interroge l’intervieweur ? « Instruction de l’OMS, etc. » Une allégation là encore mensongère. L’OMS n’interdit pas les autopsies, puisqu’elle en précisait dès mars les modalités : « Les procédures de sécurité appliquées aux personnes décédées infectées par le virus du Covid-19 doivent être compatibles avec celles utilisées pour n’importe quelle autopsie de personne décédée de maladie respiratoire aiguë. Si une personne est morte pendant la période de contagiosité du virus du Covid-19 […] des mesures de protection respiratoire supplémentaires seront nécessaires pendant les actes générant des aérosols. » Il est simplement précisé que « s’il est pris la décision d’autopsier un corps présumé ou confirmé infecté par le virus du Covid-19, les établissements de santé doivent vérifier que des mesures de sécurité sont en place pour protéger les personnes qui pratiqueront l’autopsie ».
6. On nous prévoyait 500 000 morts au Royaume-Uni (à 57 min)
Surfant sur l’idée que les autorités ont voulu générer la peur, l’infectiologue Christian Perronne raille « le plus grand canular » de l’épidémie : la projection, par Neil Ferguson, de 500 000 morts au Royaume Uni. Les modélisations de l’épidémiologiste star de l’Imperial College of London ont bien pesé dans les décisions des Etats européens (y compris en France) de prendre des mesures sévères pour endiguer l’épidémie. Mais l’argument selon lequel la projection s’est révélée fausse parce que le Royaume-Uni n’a pas connu l’hécatombe annoncée est absurde. La modélisation entendait évaluer le risque encouru si aucune mesure n’était prise contre l’épidémie. Certes, on ne saura jamais ce qu’il serait advenu si le confinement n’avait pas été décrété. Mais c’est pour éviter qu’il y ait 500 000 morts qu’il a été décidé.
7. Laurent Toubiana a prédit la fin de l’épidémie (à 1 h 12)
« J’ai pu donner le moment où l’épidémie allait atteindre son pic, j’ai pu donner aussi le moment où elle allait atteindre la fin. Je l’ai écrit, et je n’ai pas lu cela dans une boule de cristal : je l’ai déduit de mes connaissances de la maladie », fanfaronne l’épidémiologiste Laurent Toubiana. Dans un texte écrit le 11 mars, le chercheur de l’Inserm explique : « Il est très possible d’espérer que l’épidémie atteigne son pic en Europe avant la fin mars, et avec une fin de l’épidémie vers la fin avril 2020. » Si le pic de l’épidémie, en France par exemple, a bien été atteint début avril, la « fin », elle, se fait encore attendre… Mercredi, et pour ne parler que des décès, l’Hexagone connaissait 385 morts dus au Covid (en moyenne sur sept jours), soit 74 % du pic de la première vague (514 morts le 8 avril). Toubiana se targue donc d’avoir prédit la fin d’une épidémie… qui n’est pas finie.
8. Avec le Rivotril, l’Etat a organisé l’euthanasie des seniors (à 1 h 14)
C’est Serge Rader, pharmacien et figure du mouvement antivaccin, qui l’affirme, à propos des personnes âgées en Ehpad : « On leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé, pour les achever complètement. » L’affirmation fait écho à une intox largement relayée depuis des mois, selon laquelle l’Etat aurait organisé l’euthanasie des personnes âgées en autorisant par décret l’utilisation du Rivotril, un sédatif utilisé en soins palliatifs. Un décret a bien été publié fin mars, pour faciliter la dispensation de la molécule. Mais il ne visait pas à rendre possible l’euthanasie – illégale – mais à pallier la pénurie de midazolam, une autre molécule pour laquelle les hôpitaux craignaient une érosion des stocks, utilisée pour endormir les patients en réanimation, mais aussi en soins palliatifs, pour adoucir la fin de vie des malades.
A LIRE AUSSILa promotion du film assurée par France Soir
9. L’Institut Pasteur a créé le virus (à 1 h 52)
Jean-Bernard Fourtillan, connu pour avoir récemment mené un essai clinique sauvage sur plus de 350 malades de Parkinson et Alzheimer (et proche du docteur Henri Joyeux, figure du mouvement antivaccin), affirme, lui, que le Sars-CoV-1, puis le Sars-CoV-2, ont été créés en insérant une « séquence d’ADN de la malaria » dans un virus peu dangereux. Le responsable ? L’institut Pasteur, qui aurait déposé un brevet vieux de quinze ans sur le sujet. Problème : ces brevets sont des documents publics, qui comportent par exemple des descriptions de séquences d’un coronavirus de 2002 (responsable du Sras) et des premières pistes pour trouver un vaccin. Quoi qu’il en soit, « on n’invente pas un virus », comme l’explique Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur, ajoutant qu’il existe des centaines, voire des milliers de brevets de ce genre chaque année. Le 2 novembre, le tribunal correctionnel de Senlis a d’ailleurs condamné pour diffamation un homme qui avait diffusé les mêmes accusations contre l’Institut Pasteur. Il a écopé d’une amende de 5 000 euros avec sursis et 1 euro de dommages et intérêts.
10. Les tests Covid existaient déjà en 2015 (à 1 h 52)
Dans la même veine que ces vrais-faux brevets, est reprise l’idée selon laquelle des tests PCR détectant le virus existaient bien avant l’apparition de la maladie. Au moins depuis 2015, enchaîne l’intervenant, en brandissant des images issues d’une base de données de la Banque mondiale, censées montrer que des « tests Covid » ont été vendus avant cette année. En réalité, pour aider les pays à avoir une idée globale des stocks et échanges des produits en tension pendant la crise, comme les réactifs utilisés dans les tests, les codes de ces biens commerciaux ont été mis à jour pour être regroupés sur une même page de la banque mondiale et intitulés Covid-19. Et ce sont des produits commercialisés depuis des années qui se sont retrouvés sous cette appellation. La rumeur a pris tellement d’ampleur, à l’automne, que la Banque mondiale a dû modifier en urgence ses pages pour faire apparaître ces produits sous le nom « tests médicaux » et non plus « test Covid ». Cette fois, Jean-Bernard Fourtillan en rajoute une couche puisqu’il parle de « brevet sur les tests pour détecter le Covid » déposé en 2015. Comme l’ont expliqué nos confrères d’AFP Factuel il y a quelques semaines, il s’agit d’un brevet sur les techniques d’analyse de données biométriques mis à jour en 2020 permettant d’utiliser ces techniques dans le cadre du Covid, comme le permet la réglementation américaine.
La suite et fin du documentaire se perd entre le transhumanisme, la 5G, ou l’avènement prochain d’un gouvernement mondial à la faveur de la pandémie (dont on parle de moins en moins). Les trois derniers quarts d’heure ne semblent même plus prétendre reposer sur des faits, rendant sans objet l’examen factuel des propos tenus.
Covid-19 : les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie
Le film, diffusé en ligne depuis mercredi, promet de raconter l’histoire secrète de l’épidémie due au coronavirus. En réalité, il s’affranchit des faits à de multiples reprises. Inventaire.
Par Adrien Sénécat et Assma Maad Les Décodeurs Le Monde
Le Covid-19 ne serait guère plus qu’une « grippette », les mesures sanitaires prises depuis le printemps n’auraient aucun sens et les citoyens du monde entier se seraient fait berner par une élite corrompue. Voilà, à gros traits, ce que prétend dévoiler le documentaire Hold-up, retour sur un chaos (disponible en version payante en ligne depuis mercredi 11 novembre), réalisé par Pierre Barnérias. Très attendu, il a recueilli plusieurs centaines de milliers d’euros de financement participatif, sa bande-annonce a déjà été vue plus de 400 000 fois sur YouTube et il est très largement partagé sur les réseaux sociaux.
Pendant un peu plus de deux heures quarante, les auteurs prétendent raconter l’histoire secrète du Covid-19. Une ribambelle d’invités y défile, dont certains noms prestigieux comme l’ancien ministre de la santé français Philippe Douste-Blazy, qui a, cependant, pris ses distances avec le contenu du film.
Ce récit prospère sur plusieurs controverses bien réelles autour de la pandémie, comme les interrogations sur l’origine du virus, qui n’est toujours pas tranchée et les discours fluctuants des autorités sanitaires sur l’utilité du port du masque. Mais loin d’approfondir ces débats, Hold-up multiplie les affirmations approximatives, voire complètement fausses. Nous en avons sélectionné sept exemples.
- Une remise en cause hâtive du confinement
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur l’hydroxychloroquine et le SRAS
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
- L’exemple enjolivé de la Suède
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
- Une remise en cause hâtive du confinement
Ce que dit le documentaire
Le film remet en question l’ensemble des mesures sanitaires prises en France et ailleurs pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Notamment dans cet extrait où il est question de chiffres, graphique à l’appui :INFOGRAPHIE LE MONDE
« Ces courbes appartiennent à l’Insee. Elles correspondent au nombre de morts total en 2018, 2019 et 2020 de mars à septembre. Le virus a donc particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe. »
POURQUOI C’EST FAUX
La première période de confinement en France a débuté le 17 mars. Et il est vrai que le nombre de décès à l’hôpital a augmenté dans les trois semaines qui ont suivi, pour atteindre son niveau le plus élevé.
Mais il est simpliste d’en conclure que le confinement n’aurait eu aucune utilité sur la propagation du virus. En effet, les conséquences d’une telle mesure ne peuvent être immédiates. Les patients qui décèdent à l’hôpital à une date donnée ont été contaminés en moyenne entre trois et quatre semaines plus tôt. Le « pic » de mortalité observé du 15 mars au 15 avril correspond donc à la circulation du virus très active avant la mi-mars, que le confinement avait justement vocation à arrêter. Des études ont d’ailleurs estimé que le nombre réel de cas de Covid-19 en France au mois de mars était des dizaines de fois supérieur au nombre de cas confirmés par les tests réalisés en faible nombre à l’époque.
Le taux de reproduction du virus dans la population (c’est-à-dire le nombre d’individus qu’une personne infectée contamine) a drastiquement baissé pendant le confinement du printemps, passant d’environ 3 à 0,7, selon les spécialistes. Si l’on peut critiquer les effets du confinement sur l’économie et la société, voire interroger sa part exacte dans la décrue de l’épidémie au printemps, les affirmations de Hold-up en la matière sont bien éloignées des faits.
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur la chloroquine et le SRAS
Ce que dit le documentaire
La controverse sur le recours à l’hydroxychloroquine est l’un des éléments centraux de Hold-up. Le documentaire défend la thèse selon laquelle il existerait un « acharnement » contre le protocole de Didier Raoult, pourtant jugé efficace par plusieurs intervenants comme Christian Perronne ou Philippe Douste-Blazy. Parmi les responsables désignés de cette cabale supposée, destinée à favoriser l’industrie pharmaceutique, figurent des médecins français, comme Karine Lacombe, mais aussi l’Américain Anthony Fauci.
Ce dernier est un expert en maladies infectieuses et le pilier de la « task force » mise en place par le gouvernement américain pour lutter contre le Covid-19. Dans le documentaire, il est accusé d’avoir changé son fusil d’épaule sur l’hydroxychloroquine : « Hier, il faisait la promotion de l’hydroxychloroquine dans une épidémie similaire. Aujourd’hui, il la combat. Pour quelles raisons ? »
POURQUOI C’EST INFONDÉ
Aux Etats-Unis, Anthony Fauci a été la cible de multiples théories complotistes, dès lors qu’il a, depuis le mois de mars, publiquement questionné l’efficacité de la chloroquine et de son dérivé, l’hydroxychloroquine, contre le Covid-19. L’idée selon laquelle il aurait, à cette occasion, défendu une ligne inverse à celle qui était la sienne, lors l’épidémie de SRAS, a circulé sur les réseaux sociaux anglophones, avant d’être reprise en France.
D’où vient cette rumeur ? Plusieurs sites de vérification américains ont repéré au printemps des publications virales affirmant que l’immunologue américain défendait l’efficacité de la chloroquine et l’hydroxychloroquine depuis 2005. Selon eux, des internautes ont déterré une étude de 2005 qui suggère que la chloroquine est « un puissant inhibiteur de l’infection et de la propagation » du SARS-CoV, responsable de l’épidémie de SRAS qui a sévi essentiellement en Chine entre 2002 et 2004.
Cette étude a été publiée par une revue scientifique, The Virology Journal, puis indexée par la Bibliothèque nationale de médecine des Instituts nationaux de la santé aux Etats-Unis. Anthony Fauci est directeur depuis 1984 de l’un d’entre eux : l’Institut national des allergies et maladies infectieuses. A ce titre, il n’aurait pas pu ignorer cette publication scientifique, et connaissait donc les effets bénéfiques de la chloroquine sur les coronavirus, selon la rumeur.
Or, cette présentation des faits est inexacte. D’une part, l’étude en question explique que la chloroquine a des propriétés antivirales dans le cadre de tests in vitro, à l’aide de cellules en culture. Mais l’expérience n’a pas été menée sur des malades du SRAS, elle ne prouve donc pas l’efficacité de la molécule sur les humains, comme l’a rappelé l’un des coauteurs de cette étude, interrogé en août par l’Agence France-Presse (AFP). D’autre part, le Virology Journal est une revue qui appartient à l’éditeur britannique scientifique BioMed Central. Elle n’a aucun lien avec les institutions gouvernementales sanitaires américaines ou avec le docteur Fauci, qui n’a lui-même pas pris position sur le sujet, à l’époque, à notre connaissance.
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
Ce que dit le documentaire
Le 22 mai, la revue scientifique The Lancet publiait une étude soulignant des effets délétères de la prise d’hydroxychloroquine chez les patients hospitalisés pour Covid-19. Mais cette publication a été rétractée le 4 juin, le journal jugeant que les données utilisées étaient sujettes à caution. L’affaire, rebaptisée « Lancetgate », a durablement entaché l’image de la revue.
Dans Hold-up, le médecin Christian Perronne va beaucoup plus loin. Selon lui, cette étude scientifique a eu des conséquences sanitaires désastreuses en dissuadant les médecins de prescrire l’hydroxychloroquine un peu partout dans le monde, notamment en Suisse et dans d’autres pays européens, en Asie et en Amérique. Après la publication, « on a vu un pic de mortalité pendant deux-trois semaines qui était l’effet Lancet, puisque les gens avaient arrêté de prescrire », affirme le professeur Perronne, qui assure aussi que la rétractation de l’article aurait permis de faire repartir la mortalité à la baisse.
POURQUOI C’EST FAUX
Compte tenu du délai entre la contamination et un éventuel décès, cela revient à étudier s’il y a pu avoir un pic de mortalité très ponctuel dans certains pays au cours du mois de juin. Or, aucun pic de mortalité n’a pu être observé entre fin mai et fin juin dans les pays comme la France, l’Italie, l’Espagne ou la Suisse, comme l’affirme Christian Perronne.
Quant aux pays plus durement touchés par l’épidémie à cette période, comme le Brésil ou le Chili, on n’y constate pas pour autant de pic de mortalité limité à quelques semaines qui pourrait suggérer un lien avec un arrêt de l’utilisation de tel ou tel traitement. Au niveau mondial, le nombre de morts était d’environ 4 000 par jour en moyenne en juin, contre environ 5 000 en mai et en juillet.
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
Ce que dit le documentaire
Pour évoquer le sort de « nos anciens, interdits d’hospitalisation pendant le confinement », corrélé au « nombre de morts a[yant] explosé dans les Ehpad », le documentaire tend le micro au pharmacien Serge Rader. Pour lui, l’autorisation par le gouvernement de la vente en pharmacie du médicament sédatif Rivotril est la porte ouverte à une légalisation de l’euthanasie des personnes âgées : « Non seulement on ne les a pas amenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement alors qu’ils étaient déjà en détresse respiratoire. »Le pharmacien Serge Rader, dans le film documentaire « Hold-up ». CAPTURE D’ÉCRAN HOLD UP
POURQUOI C’EST FAUX
Cette accusation a déjà été portée auparavant par Serge Rader. Il n’est pas le seul : le député UDI Meyer Habib avait dénoncé sur son compte Twitter ce « permis légal d’euthanasier en France », une allégation qui avait été reprise en nombre sur les réseaux sociaux.
Pourquoi une telle polémique ? Le gouvernement a adopté un décret le 28 mars donnant droit aux pharmacies d’officine de dispenser sous « forme injectable » le Rivotril aux patients atteints du Covid-19 ou susceptibles de l’être. L’objectif est « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation, ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise », expliquait la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF).
Cette facilité de prescription s’est donc justifiée par la volonté d’améliorer le confort d’un malade en fin de vie, hors du cadre hospitalier. Il ne s’agissait pas d’une injection létale, d’une euthanasie.
Cet amalgame a été dénoncé par Olivier Véran, qui a pointé des accusations « honteuses » début novembre : « On ne pouvait plus utiliser les médicaments de confort de fin de vie pour des gens qui allaient mourir, a expliqué le ministre de la santé. Il y avait deux options : ou on laissait les gens mourir d’agonie dans les Ehpad (…), ou on les accompagnait pour les soulager avec un autre médicament qu’est le Rivotril, conforme aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. »
- L’exemple enjolivé de la Suède
Ce que dit le documentaire
Le cas spécifique de la Suède, qui a adopté une stratégie sanitaire atypique, est régulièrement cité dans le documentaire comme la preuve que le Covid-19 ne serait, finalement, pas très dangereux. C’est notamment ce qu’affirme Michael Levitt, lauréat en 2013 du prix Nobel de chimie :
« Ce que nous n’avons pas compris je pense, c’est que le coronavirus ne se développait pas très rapidement. D’une certaine manière, la Suède a décidé à la mi-mars de ne pas intervenir. (…) Il est devenu assez clair début avril qu’ils avaient pris la bonne décision. C’était une merveilleuse expérience. »
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
Contrairement à bon nombre de pays, la Suède n’a pas édicté de mesure contraignante de confinement de la population. Mais le pays n’a pas adopté pour autant une posture de laisser-faire total vis-à-vis de l’épidémie. Simplement, beaucoup de mesures qui étaient des obligations ailleurs (par exemple, en matière de distanciation physique ou de limitation des rassemblements) s’y sont déclinées sous forme de recommandations, en misant sur le sens des responsabilités de la population.
Avec quelle efficacité ? Difficile, à ce stade, d’en juger. Mais, rapporté à la population du pays, le bilan humain de l’épidémie n’est pas négligeable : il est de 600 morts pour un million d’habitants au 12 novembre, ce qui est, certes, un peu moins que la France (635), mais beaucoup plus que chez les voisins finlandais (66) et norvégien (53). Le tableau est donc, en tout cas, bien moins idyllique que ne l’indique le documentaire.Lire aussi Covid-19 : la Suède, le Danemark et la Finlande ont-ils une « recette » pour mieux lutter contre l’épidémie ?
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
Ce que dit le documentaire
Parmi les preuves des supposées dérives de la lutte contre l’épidémie, le documentaire affirme que « ce virus va jusqu’à faire construire des futurs camps d’internement au Canada ». Suit alors l’extrait d’une intervention du député canadien Randy Hillier, un membre du parlement provincial de l’Ontario sur le sujet : « Où ces camps seront-ils construits ? Combien de personnes seront-elles détenues ? Et pour quelles raisons ces personnes seraient-elles gardées dans des camps d’isolement ? »
POURQUOI C’EST FAUX
L’intervention de Randy Hillier au parlement provincial a eu lieu le 7 octobre. D’après Radio Canada International, sa remarque portait au départ sur les « centres », qui sont généralement des chambres d’hôtel mises à disposition des personnes qui entrent sur le territoire canadien et n’ont pas d’autre endroit où effectuer leur isolement obligatoire de quatorze jours à leur arrivée sur le territoire. M. Hillier a alors demandé si les citoyens canadiens « devraient se préparer à des camps d’internement ».
Mais contrairement à ce que suggère ce parlementaire, le gouvernement canadien ne porte aucun projet de créer des « camps d’internement » de Canadiens. Le premier ministre, Justin Trudeau, y a lui-même répondu, dénonçant une campagne de « désinformation ».
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
Ce que dit le documentaire
Autre thèse avancée par le documentaire : un cercle d’initiés aurait eu connaissance de l’existence du coronavirus SARS-CoV-2 bien avant 2019. Jean-Bernard Fourtillan, un ancien professeur de chimie thérapeutique (par ailleurs mis en cause dans une affaire d’essais cliniques douteux), assure qu’il a récemment « découvert que l’on avait pris un brevet sur les tests pour détecter la maladie Covid-19 le 13 octobre 2015. Donc ils connaissaient le virus… » Le supposé brevet apparaît alors à l’image, comme une preuve de son affirmation.Ce document, montré dans le documentaire « Hold-up », est censé prouver qu’un brevet destiné à diagnostiquer le Covid-19 avait déjà vu le jour en 2015. CAPTURE D’ECRAN HOLD UP
POURQUOI C’EST FAUX
Le brevet évoqué dans le documentaire existe bel et bien, mais son origine et ses finalités ont été déformées par M. Fourtillan.
Il s’agit au départ d’un brevet déposé par Richard A. Rothschild aux Etats-Unis le 13 octobre 2015, lequel est consultable ici. Il y est question de systèmes d’analyses de données biométriques. A cette date, on n’y trouve aucune référence au Covid-19 ou à un coronavirus.
En revanche, M. Rothschild a formulé, depuis, plusieurs ajouts à ce brevet, comme l’y autorise le système américain de propriété intellectuelle. La dernière en date remonte au 17 mai 2020, et est intitulée « System and Method for Testing for COVID-19 ». Il y a donc bien, cette fois, un lien avec la pandémie actuelle, mais largement ultérieur aux prémices de celles-ci.
Si la rumeur a prospéré, c’est en fait à cause d’une confusion, involontaire ou pas, dans les dates mentionnées sur le brevet. La « Prioriteitsdatum » (date de priorité) mise en exergue dans le documentaire, qui est bien le 13 octobre 2015, est en fait la date de dépôt du brevet initial. La date de dépôt de la version actualisée du brevet est, elle, visible sous la mention « filing date » : il s’agit du 17 mai 2020.
(…)
Quid du pluralisme dans Hold-up, où toutes les personnes tiennent, à peu de chose près, le même discours ? « Il n’y avait absolument aucune intention, aucun calcul de notre part. On a donné la parole à des gens qui avaient besoin d’une tribune, justifie-t-il. On n’avait jamais imaginé l’impact que pourrait avoir ce film, ça nous dépasse un petit peu. »
Pour financer ce projet, les trois hommes ont choisi le crowdfunding. A raison : leur objectif de 20 000 euros sur la plateforme Ulule a été atteint en quatre jours et le projet a finalement été financé à 914 % (un peu plus de 182 970 euros collectés, auxquels il faut ajouter plus de 100 000 euros sur Tipeee pour le seul mois de novembre). Lancée fin août, la campagne de crowdfunding a été largement partagée sur Facebook. Hold-up a ainsi remporté un succès bien plus important que leur précédent projet qui avait récolté… moins de 400 euros sur un objectif de 30 000.
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Libération
Dix contre-vérités véhiculées par « Hold-up »
L’équipe « CheckNews » de « Libération » a passé au crible, minute par minute, les affirmations des nombreux intervenants du documentaire.
L’idée générale du documentaire Hold-up, selon laquelle la pandémie servirait un dessein caché (et assez fumeux) des autorités, ne relève pas de la critique factuelle. Le propre des discours conspirationnistes, ne s’appuyant sur aucun élément tangible, étant qu’il échappe au fact-checking. Pour autant, tout au long de ses deux heures quarante-trois, le docu distille, dans la bouche de ses nombreux intervenants, quantité d’informations erronées, trompeuses, qui, elles, peuvent être aisément infirmées. Florilège non exhaustif.
1. L’OMS ne préconise pas le port du masque pour le grand public (à 5 min)
« La France n’applique pas les recommandations de l’OMS. L’OMS ne dit pas que tout le monde doit mettre un masque », affirme Astrid Stuckelberger, « docteure en médecine et professeure universitaire ». Les recommandations, dont la dernière version date du 20 octobre, sont pourtant claires : « Si le Covid-19 se propage dans votre communauté, protégez-vous en prenant quelques précautions simples, comme maintenir une distance physique avec autrui, porter un masque, bien ventiler les pièces […]. Considérez le port du masque comme normal lorsque vous êtes avec d’autres personnes. » Et de préconiser le port du masque en tissu en population générale, et le masque chirurgical pour les personnes à risque, ainsi qu’en cas de symptômes évocateurs de la maladie. En juin, l’OMS conseillait déjà aux autorités « d’encourager le port du masque par le grand public dans des situations et lieux particuliers, dans le cadre d’une approche globale de lutte contre la transmission du Sars-CoV-2 ».
2. Le confinement n’a servi à rien (à 8 min)
C’est une des thèses martelées tout au long du documentaire : le confinement, en plus d’être liberticide, est inutile sur le plan sanitaire. Les auteurs en ont la preuve, courbe de mortalité de l’Insee à l’appui : « Le virus a particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe », note la voix off. C’est effectivement après l’entrée en vigueur du confinement (le 17 mars) que le pic de mortalité est apparu. Ce qui, sauf à ne pas comprendre la dynamique d’une épidémie, ne prouve pas que le confinement n’a servi à rien. Car les décès interviennent, en moyenne, trois semaines après la contamination. Il est donc logique que le pic du nombre de morts, apparu à la fin de la première semaine d’avril, ait eu lieu trois semaines après l’instauration du confinement, qui correspondait, lui, au pic des contaminations.
3. La Suède n’a pas confiné et compte beaucoup moins de morts que nous (à 10 min)
« Quant à la Suède, qui n’a pas confiné, les chiffres parlent d’eux-mêmes », explique la voix off, soucieuse de souligner, en termes de décès, la différence entre la France et ce pays scandinave. Et de montrer une infographie selon laquelle la Suède a connu un pic à 111 morts au printemps, tandis que la France affichait un sommet à 1 438 morts le 15 avril. Problème : le « pic français » du 15 avril n’a pas grand sens. Ce jour-là, les données incluent le bilan quotidien des morts à l’hôpital (514), mais aussi et surtout celui des Ehpad (924 morts), qui n’est, lui, remonté que tous les trois ou quatre jours, et qui représente donc plusieurs jours de décès cumulés. Ainsi, les chiffres, pris en moyenne sur sept jours, afin de lisser les soubresauts statistiques propres à chaque pays, montrent un pic suédois de 99 morts le 16 avril, tandis que l’Hexagone connaît le sien, avec 974 morts, le 9 avril.
A LIRE AUSSIQue sait-on du documentaire « Hold-up », qui dénonce une « manipulation » mondiale sur le Covid-19 ?
Rapporté à la taille de chaque population, cela donne un pic de 97 morts pour 100 000 habitants en Suède, contre 145 morts pour 100 000 habitants en France. Soit un pic 1,5 fois plus important pour la France par rapport à la Suède, contre 13 fois plus important dans le documentaire. Et encore, le pic Français, à ce moment-là, est gonflé par la remontée tardive des décès dans les Ehpad, qui ne sera mise en place que début avril. Car sur toute la première vague, et pas seulement au moment du pic, la Suède comptait, en cumulé, davantage de morts que la France : au 18 juin, elle enregistrait ainsi 494 morts par million d’habitants, contre 442 par million d’habitants pour la France.
Par ailleurs, dire que la Suède n’a pas confiné, c’est aller un peu vite en besogne. Certes, le pays n’a pas connu de confinement strict comme la plupart des pays européens. Mais sa population a d’elle-même réduit, sur « recommandations » du gouvernement, une grande partie de ses interactions sociales. Par ailleurs, lors de la première vague, les lycées et facs ont été fermés et les rassemblements de plus de 50 personnes, tout comme les visites dans les maisons de retraite, étaient interdits.
4. La « délation rémunérée » des médecins (à 38 min)
Les médecins ont été incités financièrement à signaler les cas contacts de leurs patients, affirme le documentaire. Une « délation rémunérée », dénonce la voix off. Pour illustrer le propos : une capture d’écran d’un article de CheckNews. Détail cocasse, ce dernier expliquait le contraire. En effet, si cette piste a été un temps évoquée, elle a vite été abandonnée. Et notre article était ainsi titré : « Finalement, les médecins ne bénéficieront pas d’une prime au signalement des cas contacts ». Ce qui témoigne, de la part des auteurs, d’une grossière manipulation.
5. L’OMS interdit les autopsies (à 39 min)
Le documentaire s’interroge sur la possibilité d’une évaluation fiable du nombre de morts du Covid-19. L’endocrinologue et gynécologue Violaine Guérin l’affirme : « Il faut réaliser qu’on a interdit les autopsies. » Pour quelle raison, interroge l’intervieweur ? « Instruction de l’OMS, etc. » Une allégation là encore mensongère. L’OMS n’interdit pas les autopsies, puisqu’elle en précisait dès mars les modalités : « Les procédures de sécurité appliquées aux personnes décédées infectées par le virus du Covid-19 doivent être compatibles avec celles utilisées pour n’importe quelle autopsie de personne décédée de maladie respiratoire aiguë. Si une personne est morte pendant la période de contagiosité du virus du Covid-19 […] des mesures de protection respiratoire supplémentaires seront nécessaires pendant les actes générant des aérosols. » Il est simplement précisé que « s’il est pris la décision d’autopsier un corps présumé ou confirmé infecté par le virus du Covid-19, les établissements de santé doivent vérifier que des mesures de sécurité sont en place pour protéger les personnes qui pratiqueront l’autopsie ».
6. On nous prévoyait 500 000 morts au Royaume-Uni (à 57 min)
Surfant sur l’idée que les autorités ont voulu générer la peur, l’infectiologue Christian Perronne raille « le plus grand canular » de l’épidémie : la projection, par Neil Ferguson, de 500 000 morts au Royaume Uni. Les modélisations de l’épidémiologiste star de l’Imperial College of London ont bien pesé dans les décisions des Etats européens (y compris en France) de prendre des mesures sévères pour endiguer l’épidémie. Mais l’argument selon lequel la projection s’est révélée fausse parce que le Royaume-Uni n’a pas connu l’hécatombe annoncée est absurde. La modélisation entendait évaluer le risque encouru si aucune mesure n’était prise contre l’épidémie. Certes, on ne saura jamais ce qu’il serait advenu si le confinement n’avait pas été décrété. Mais c’est pour éviter qu’il y ait 500 000 morts qu’il a été décidé.
7. Laurent Toubiana a prédit la fin de l’épidémie (à 1 h 12)
« J’ai pu donner le moment où l’épidémie allait atteindre son pic, j’ai pu donner aussi le moment où elle allait atteindre la fin. Je l’ai écrit, et je n’ai pas lu cela dans une boule de cristal : je l’ai déduit de mes connaissances de la maladie », fanfaronne l’épidémiologiste Laurent Toubiana. Dans un texte écrit le 11 mars, le chercheur de l’Inserm explique : « Il est très possible d’espérer que l’épidémie atteigne son pic en Europe avant la fin mars, et avec une fin de l’épidémie vers la fin avril 2020. » Si le pic de l’épidémie, en France par exemple, a bien été atteint début avril, la « fin », elle, se fait encore attendre… Mercredi, et pour ne parler que des décès, l’Hexagone connaissait 385 morts dus au Covid (en moyenne sur sept jours), soit 74 % du pic de la première vague (514 morts le 8 avril). Toubiana se targue donc d’avoir prédit la fin d’une épidémie… qui n’est pas finie.
8. Avec le Rivotril, l’Etat a organisé l’euthanasie des seniors (à 1 h 14)
C’est Serge Rader, pharmacien et figure du mouvement antivaccin, qui l’affirme, à propos des personnes âgées en Ehpad : « On leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé, pour les achever complètement. » L’affirmation fait écho à une intox largement relayée depuis des mois, selon laquelle l’Etat aurait organisé l’euthanasie des personnes âgées en autorisant par décret l’utilisation du Rivotril, un sédatif utilisé en soins palliatifs. Un décret a bien été publié fin mars, pour faciliter la dispensation de la molécule. Mais il ne visait pas à rendre possible l’euthanasie – illégale – mais à pallier la pénurie de midazolam, une autre molécule pour laquelle les hôpitaux craignaient une érosion des stocks, utilisée pour endormir les patients en réanimation, mais aussi en soins palliatifs, pour adoucir la fin de vie des malades.
A LIRE AUSSILa promotion du film assurée par France Soir
9. L’Institut Pasteur a créé le virus (à 1 h 52)
Jean-Bernard Fourtillan, connu pour avoir récemment mené un essai clinique sauvage sur plus de 350 malades de Parkinson et Alzheimer (et proche du docteur Henri Joyeux, figure du mouvement antivaccin), affirme, lui, que le Sars-CoV-1, puis le Sars-CoV-2, ont été créés en insérant une « séquence d’ADN de la malaria » dans un virus peu dangereux. Le responsable ? L’institut Pasteur, qui aurait déposé un brevet vieux de quinze ans sur le sujet. Problème : ces brevets sont des documents publics, qui comportent par exemple des descriptions de séquences d’un coronavirus de 2002 (responsable du Sras) et des premières pistes pour trouver un vaccin. Quoi qu’il en soit, « on n’invente pas un virus », comme l’explique Olivier Schwartz, directeur de l’unité virus et immunité de l’Institut Pasteur, ajoutant qu’il existe des centaines, voire des milliers de brevets de ce genre chaque année. Le 2 novembre, le tribunal correctionnel de Senlis a d’ailleurs condamné pour diffamation un homme qui avait diffusé les mêmes accusations contre l’Institut Pasteur. Il a écopé d’une amende de 5 000 euros avec sursis et 1 euro de dommages et intérêts.
10. Les tests Covid existaient déjà en 2015 (à 1 h 52)
Dans la même veine que ces vrais-faux brevets, est reprise l’idée selon laquelle des tests PCR détectant le virus existaient bien avant l’apparition de la maladie. Au moins depuis 2015, enchaîne l’intervenant, en brandissant des images issues d’une base de données de la Banque mondiale, censées montrer que des « tests Covid » ont été vendus avant cette année. En réalité, pour aider les pays à avoir une idée globale des stocks et échanges des produits en tension pendant la crise, comme les réactifs utilisés dans les tests, les codes de ces biens commerciaux ont été mis à jour pour être regroupés sur une même page de la banque mondiale et intitulés Covid-19. Et ce sont des produits commercialisés depuis des années qui se sont retrouvés sous cette appellation. La rumeur a pris tellement d’ampleur, à l’automne, que la Banque mondiale a dû modifier en urgence ses pages pour faire apparaître ces produits sous le nom « tests médicaux » et non plus « test Covid ». Cette fois, Jean-Bernard Fourtillan en rajoute une couche puisqu’il parle de « brevet sur les tests pour détecter le Covid » déposé en 2015. Comme l’ont expliqué nos confrères d’AFP Factuel il y a quelques semaines, il s’agit d’un brevet sur les techniques d’analyse de données biométriques mis à jour en 2020 permettant d’utiliser ces techniques dans le cadre du Covid, comme le permet la réglementation américaine.
La suite et fin du documentaire se perd entre le transhumanisme, la 5G, ou l’avènement prochain d’un gouvernement mondial à la faveur de la pandémie (dont on parle de moins en moins). Les trois derniers quarts d’heure ne semblent même plus prétendre reposer sur des faits, rendant sans objet l’examen factuel des propos tenus
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Le Monde
Covid-19 : les contre-vérités de « Hold-up », documentaire à succès qui prétend dévoiler la face cachée de l’épidémie
Le film, diffusé en ligne depuis mercredi, promet de raconter l’histoire secrète de l’épidémie due au coronavirus. En réalité, il s’affranchit des faits à de multiples reprises. Inventaire.
Par Adrien Sénécat et Assma Maad Les Décodeurs Le Monde
Le Covid-19 ne serait guère plus qu’une « grippette », les mesures sanitaires prises depuis le printemps n’auraient aucun sens et les citoyens du monde entier se seraient fait berner par une élite corrompue. Voilà, à gros traits, ce que prétend dévoiler le documentaire Hold-up, retour sur un chaos (disponible en version payante en ligne depuis mercredi 11 novembre), réalisé par Pierre Barnérias. Très attendu, il a recueilli plusieurs centaines de milliers d’euros de financement participatif, sa bande-annonce a déjà été vue plus de 400 000 fois sur YouTube et il est très largement partagé sur les réseaux sociaux.
Pendant un peu plus de deux heures quarante, les auteurs prétendent raconter l’histoire secrète du Covid-19. Une ribambelle d’invités y défile, dont certains noms prestigieux comme l’ancien ministre de la santé français Philippe Douste-Blazy, qui a, cependant, pris ses distances avec le contenu du film.
Ce récit prospère sur plusieurs controverses bien réelles autour de la pandémie, comme les interrogations sur l’origine du virus, qui n’est toujours pas tranchée et les discours fluctuants des autorités sanitaires sur l’utilité du port du masque. Mais loin d’approfondir ces débats, Hold-up multiplie les affirmations approximatives, voire complètement fausses. Nous en avons sélectionné sept exemples.
- Une remise en cause hâtive du confinement
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur l’hydroxychloroquine et le SRAS
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
- L’exemple enjolivé de la Suède
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
- Une remise en cause hâtive du confinement
Ce que dit le documentaire
Le film remet en question l’ensemble des mesures sanitaires prises en France et ailleurs pour lutter contre l’épidémie de Covid-19. Notamment dans cet extrait où il est question de chiffres, graphique à l’appui :INFOGRAPHIE LE MONDE
« Ces courbes appartiennent à l’Insee. Elles correspondent au nombre de morts total en 2018, 2019 et 2020 de mars à septembre. Le virus a donc particulièrement sévi du 15 mars au 15 avril, période où nous étions tous confinés grâce à une mesure historique censée ne pas faire apparaître cette courbe. »
POURQUOI C’EST FAUX
La première période de confinement en France a débuté le 17 mars. Et il est vrai que le nombre de décès à l’hôpital a augmenté dans les trois semaines qui ont suivi, pour atteindre son niveau le plus élevé.
Mais il est simpliste d’en conclure que le confinement n’aurait eu aucune utilité sur la propagation du virus. En effet, les conséquences d’une telle mesure ne peuvent être immédiates. Les patients qui décèdent à l’hôpital à une date donnée ont été contaminés en moyenne entre trois et quatre semaines plus tôt. Le « pic » de mortalité observé du 15 mars au 15 avril correspond donc à la circulation du virus très active avant la mi-mars, que le confinement avait justement vocation à arrêter. Des études ont d’ailleurs estimé que le nombre réel de cas de Covid-19 en France au mois de mars était des dizaines de fois supérieur au nombre de cas confirmés par les tests réalisés en faible nombre à l’époque.
Le taux de reproduction du virus dans la population (c’est-à-dire le nombre d’individus qu’une personne infectée contamine) a drastiquement baissé pendant le confinement du printemps, passant d’environ 3 à 0,7, selon les spécialistes. Si l’on peut critiquer les effets du confinement sur l’économie et la société, voire interroger sa part exacte dans la décrue de l’épidémie au printemps, les affirmations de Hold-up en la matière sont bien éloignées des faits.
- L’accusation infondée contre le docteur Fauci sur la chloroquine et le SRAS
Ce que dit le documentaire
La controverse sur le recours à l’hydroxychloroquine est l’un des éléments centraux de Hold-up. Le documentaire défend la thèse selon laquelle il existerait un « acharnement » contre le protocole de Didier Raoult, pourtant jugé efficace par plusieurs intervenants comme Christian Perronne ou Philippe Douste-Blazy. Parmi les responsables désignés de cette cabale supposée, destinée à favoriser l’industrie pharmaceutique, figurent des médecins français, comme Karine Lacombe, mais aussi l’Américain Anthony Fauci.
Ce dernier est un expert en maladies infectieuses et le pilier de la « task force » mise en place par le gouvernement américain pour lutter contre le Covid-19. Dans le documentaire, il est accusé d’avoir changé son fusil d’épaule sur l’hydroxychloroquine : « Hier, il faisait la promotion de l’hydroxychloroquine dans une épidémie similaire. Aujourd’hui, il la combat. Pour quelles raisons ? »
POURQUOI C’EST INFONDÉ
Aux Etats-Unis, Anthony Fauci a été la cible de multiples théories complotistes, dès lors qu’il a, depuis le mois de mars, publiquement questionné l’efficacité de la chloroquine et de son dérivé, l’hydroxychloroquine, contre le Covid-19. L’idée selon laquelle il aurait, à cette occasion, défendu une ligne inverse à celle qui était la sienne, lors l’épidémie de SRAS, a circulé sur les réseaux sociaux anglophones, avant d’être reprise en France.
D’où vient cette rumeur ? Plusieurs sites de vérification américains ont repéré au printemps des publications virales affirmant que l’immunologue américain défendait l’efficacité de la chloroquine et l’hydroxychloroquine depuis 2005. Selon eux, des internautes ont déterré une étude de 2005 qui suggère que la chloroquine est « un puissant inhibiteur de l’infection et de la propagation » du SARS-CoV, responsable de l’épidémie de SRAS qui a sévi essentiellement en Chine entre 2002 et 2004.
Cette étude a été publiée par une revue scientifique, The Virology Journal, puis indexée par la Bibliothèque nationale de médecine des Instituts nationaux de la santé aux Etats-Unis. Anthony Fauci est directeur depuis 1984 de l’un d’entre eux : l’Institut national des allergies et maladies infectieuses. A ce titre, il n’aurait pas pu ignorer cette publication scientifique, et connaissait donc les effets bénéfiques de la chloroquine sur les coronavirus, selon la rumeur.
Or, cette présentation des faits est inexacte. D’une part, l’étude en question explique que la chloroquine a des propriétés antivirales dans le cadre de tests in vitro, à l’aide de cellules en culture. Mais l’expérience n’a pas été menée sur des malades du SRAS, elle ne prouve donc pas l’efficacité de la molécule sur les humains, comme l’a rappelé l’un des coauteurs de cette étude, interrogé en août par l’Agence France-Presse (AFP). D’autre part, le Virology Journal est une revue qui appartient à l’éditeur britannique scientifique BioMed Central. Elle n’a aucun lien avec les institutions gouvernementales sanitaires américaines ou avec le docteur Fauci, qui n’a lui-même pas pris position sur le sujet, à l’époque, à notre connaissance.
- Un imaginaire pic de mortalité après le « Lancetgate »
Ce que dit le documentaire
Le 22 mai, la revue scientifique The Lancet publiait une étude soulignant des effets délétères de la prise d’hydroxychloroquine chez les patients hospitalisés pour Covid-19. Mais cette publication a été rétractée le 4 juin, le journal jugeant que les données utilisées étaient sujettes à caution. L’affaire, rebaptisée « Lancetgate », a durablement entaché l’image de la revue.
Dans Hold-up, le médecin Christian Perronne va beaucoup plus loin. Selon lui, cette étude scientifique a eu des conséquences sanitaires désastreuses en dissuadant les médecins de prescrire l’hydroxychloroquine un peu partout dans le monde, notamment en Suisse et dans d’autres pays européens, en Asie et en Amérique. Après la publication, « on a vu un pic de mortalité pendant deux-trois semaines qui était l’effet Lancet, puisque les gens avaient arrêté de prescrire », affirme le professeur Perronne, qui assure aussi que la rétractation de l’article aurait permis de faire repartir la mortalité à la baisse.
POURQUOI C’EST FAUX
Compte tenu du délai entre la contamination et un éventuel décès, cela revient à étudier s’il y a pu avoir un pic de mortalité très ponctuel dans certains pays au cours du mois de juin. Or, aucun pic de mortalité n’a pu être observé entre fin mai et fin juin dans les pays comme la France, l’Italie, l’Espagne ou la Suisse, comme l’affirme Christian Perronne.
Quant aux pays plus durement touchés par l’épidémie à cette période, comme le Brésil ou le Chili, on n’y constate pas pour autant de pic de mortalité limité à quelques semaines qui pourrait suggérer un lien avec un arrêt de l’utilisation de tel ou tel traitement. Au niveau mondial, le nombre de morts était d’environ 4 000 par jour en moyenne en juin, contre environ 5 000 en mai et en juillet.
- L’intox du Rivotril et de l’euthanasie des personnes âgées
Ce que dit le documentaire
Pour évoquer le sort de « nos anciens, interdits d’hospitalisation pendant le confinement », corrélé au « nombre de morts a[yant] explosé dans les Ehpad », le documentaire tend le micro au pharmacien Serge Rader. Pour lui, l’autorisation par le gouvernement de la vente en pharmacie du médicament sédatif Rivotril est la porte ouverte à une légalisation de l’euthanasie des personnes âgées : « Non seulement on ne les a pas amenés en réanimation, mais on leur a préparé la seringue de Rivotril avec un arrêté à la clé pour les achever complètement alors qu’ils étaient déjà en détresse respiratoire. »Le pharmacien Serge Rader, dans le film documentaire « Hold-up ». CAPTURE D’ÉCRAN HOLD UP
POURQUOI C’EST FAUX
Cette accusation a déjà été portée auparavant par Serge Rader. Il n’est pas le seul : le député UDI Meyer Habib avait dénoncé sur son compte Twitter ce « permis légal d’euthanasier en France », une allégation qui avait été reprise en nombre sur les réseaux sociaux.
Pourquoi une telle polémique ? Le gouvernement a adopté un décret le 28 mars donnant droit aux pharmacies d’officine de dispenser sous « forme injectable » le Rivotril aux patients atteints du Covid-19 ou susceptibles de l’être. L’objectif est « la prise en charge palliative des patients confrontés à un état asphyxique et ne pouvant être admis en réanimation, ou pour lesquels une décision de limitation de traitements actifs a été prise », expliquait la Fédération des pharmaciens d’officine (FSPF).
Cette facilité de prescription s’est donc justifiée par la volonté d’améliorer le confort d’un malade en fin de vie, hors du cadre hospitalier. Il ne s’agissait pas d’une injection létale, d’une euthanasie.
Cet amalgame a été dénoncé par Olivier Véran, qui a pointé des accusations « honteuses » début novembre : « On ne pouvait plus utiliser les médicaments de confort de fin de vie pour des gens qui allaient mourir, a expliqué le ministre de la santé. Il y avait deux options : ou on laissait les gens mourir d’agonie dans les Ehpad (…), ou on les accompagnait pour les soulager avec un autre médicament qu’est le Rivotril, conforme aux recommandations de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs. »
- L’exemple enjolivé de la Suède
Ce que dit le documentaire
Le cas spécifique de la Suède, qui a adopté une stratégie sanitaire atypique, est régulièrement cité dans le documentaire comme la preuve que le Covid-19 ne serait, finalement, pas très dangereux. C’est notamment ce qu’affirme Michael Levitt, lauréat en 2013 du prix Nobel de chimie :
« Ce que nous n’avons pas compris je pense, c’est que le coronavirus ne se développait pas très rapidement. D’une certaine manière, la Suède a décidé à la mi-mars de ne pas intervenir. (…) Il est devenu assez clair début avril qu’ils avaient pris la bonne décision. C’était une merveilleuse expérience. »
POURQUOI C’EST PLUS COMPLIQUÉ
Contrairement à bon nombre de pays, la Suède n’a pas édicté de mesure contraignante de confinement de la population. Mais le pays n’a pas adopté pour autant une posture de laisser-faire total vis-à-vis de l’épidémie. Simplement, beaucoup de mesures qui étaient des obligations ailleurs (par exemple, en matière de distanciation physique ou de limitation des rassemblements) s’y sont déclinées sous forme de recommandations, en misant sur le sens des responsabilités de la population.
Avec quelle efficacité ? Difficile, à ce stade, d’en juger. Mais, rapporté à la population du pays, le bilan humain de l’épidémie n’est pas négligeable : il est de 600 morts pour un million d’habitants au 12 novembre, ce qui est, certes, un peu moins que la France (635), mais beaucoup plus que chez les voisins finlandais (66) et norvégien (53). Le tableau est donc, en tout cas, bien moins idyllique que ne l’indique le documentaire.Lire aussi Covid-19 : la Suède, le Danemark et la Finlande ont-ils une « recette » pour mieux lutter contre l’épidémie ?
- Une fausse information sur des « camps d’internement » Covid au Canada
Ce que dit le documentaire
Parmi les preuves des supposées dérives de la lutte contre l’épidémie, le documentaire affirme que « ce virus va jusqu’à faire construire des futurs camps d’internement au Canada ». Suit alors l’extrait d’une intervention du député canadien Randy Hillier, un membre du parlement provincial de l’Ontario sur le sujet : « Où ces camps seront-ils construits ? Combien de personnes seront-elles détenues ? Et pour quelles raisons ces personnes seraient-elles gardées dans des camps d’isolement ? »
POURQUOI C’EST FAUX
L’intervention de Randy Hillier au parlement provincial a eu lieu le 7 octobre. D’après Radio Canada International, sa remarque portait au départ sur les « centres », qui sont généralement des chambres d’hôtel mises à disposition des personnes qui entrent sur le territoire canadien et n’ont pas d’autre endroit où effectuer leur isolement obligatoire de quatorze jours à leur arrivée sur le territoire. M. Hillier a alors demandé si les citoyens canadiens « devraient se préparer à des camps d’internement ».
Mais contrairement à ce que suggère ce parlementaire, le gouvernement canadien ne porte aucun projet de créer des « camps d’internement » de Canadiens. Le premier ministre, Justin Trudeau, y a lui-même répondu, dénonçant une campagne de « désinformation ».
- Un prétendu test pour détecter le Covid-19 dès 2015
Ce que dit le documentaire
Autre thèse avancée par le documentaire : un cercle d’initiés aurait eu connaissance de l’existence du coronavirus SARS-CoV-2 bien avant 2019. Jean-Bernard Fourtillan, un ancien professeur de chimie thérapeutique (par ailleurs mis en cause dans une affaire d’essais cliniques douteux), assure qu’il a récemment « découvert que l’on avait pris un brevet sur les tests pour détecter la maladie Covid-19 le 13 octobre 2015. Donc ils connaissaient le virus… » Le supposé brevet apparaît alors à l’image, comme une preuve de son affirmation.Ce document, montré dans le documentaire « Hold-up », est censé prouver qu’un brevet destiné à diagnostiquer le Covid-19 avait déjà vu le jour en 2015. CAPTURE D’ECRAN HOLD UP
POURQUOI C’EST FAUX
Le brevet évoqué dans le documentaire existe bel et bien, mais son origine et ses finalités ont été déformées par M. Fourtillan.
Il s’agit au départ d’un brevet déposé par Richard A. Rothschild aux Etats-Unis le 13 octobre 2015, lequel est consultable ici. Il y est question de systèmes d’analyses de données biométriques. A cette date, on n’y trouve aucune référence au Covid-19 ou à un coronavirus.
En revanche, M. Rothschild a formulé, depuis, plusieurs ajouts à ce brevet, comme l’y autorise le système américain de propriété intellectuelle. La dernière en date remonte au 17 mai 2020, et est intitulée « System and Method for Testing for COVID-19 ». Il y a donc bien, cette fois, un lien avec la pandémie actuelle, mais largement ultérieur aux prémices de celles-ci.
Si la rumeur a prospéré, c’est en fait à cause d’une confusion, involontaire ou pas, dans les dates mentionnées sur le brevet. La « Prioriteitsdatum » (date de priorité) mise en exergue dans le documentaire, qui est bien le 13 octobre 2015, est en fait la date de dépôt du brevet initial. La date de dépôt de la version actualisée du brevet est, elle, visible sous la mention « filing date » : il s’agit du 17 mai 2020.
Merci d’avoir fait ce travail de compilation d’articles de presse .
Ce jour Lucie DELAPORTE publie deux articles : »Hold -Up parodie d’investigation « et « les Qanon et l’extrème droite en embuscade »qui mettent en lumière de façon très claire et argumentée ce qui ce joue derrière ce type de documentaire.A lire absolument.