5 décembre 2025

La Cimade. « Ce qui se joue autour des ques­tions migra­toires se trans­forme en une gigan­tesque faillite morale et démo­cra­tique pour nos socié­tés »

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« Ce qui se joue autour des ques­tions migra­toires se trans­forme en une gigan­tesque faillite morale et démo­cra­tique pour nos socié­tés »

9 octobre 2025

Fané­lie Carrey-Conte et Monique Guyot-Berni, secré­taire géné­rale et prési­dente de La Cimade, alertent, dans une tribune au « Monde », sur le cynisme et la dureté des poli­tiques d’im­mi­gra­tion occi­den­tales. Elles insistent sur l’ur­gence de mettre un coup d’ar­rêt à cette « esca­lade de déshu­ma­ni­sa­tion ».

Face à l’ac­cé­lé­ra­tion des souf­frances et des maltrai­tances impo­sées ces derniers mois aux personnes migrantes et à la déshu­ma­ni­sa­tion crois­sante à laquelle elles doivent faire face, on ne peut qu’être pris de vertige. Dans le monde de Donald Trump, il n’y a plus de limite lorsqu’il s’agit de donner corps à l’ob­ses­sion anti-migrants, à l’ima­gi­naire du « nous » contre « eux », bien pratique pour détour­ner les regards de l’opi­nion d’autres enjeux poli­tiques et sociaux et accom­pa­gner une dérive vers l’au­to­ri­ta­risme. Nombreuses en sont les illus­tra­tions : moyens décu­plés alloués à la police de l’ICE [Immi­gra­tion and Customs Enfor­ce­ment] pour l’or­ga­ni­sa­tion sans précé­dent d’une traque aux personnes migrantes ; arres­ta­tions arbi­traires et souvent illé­gales, jusqu’aux portes des tribu­naux ; limo­geage de juges défen­seurs des droits fonda­men­taux… Toutes ces déci­sions sont sous-tendues par un cynisme inhu­main, quand on se vante en riant d’en­fer­mer des personnes migrantes dans un « Alca­traz des alli­ga­tors », ou qu’une vidéo gouver­ne­men­tale offi­cielle reprend les codes des jeux vidéo pour popu­la­ri­ser des chasses à l’hom­me…

Mesure-t-on réel­le­ment ce que notre monde est en train de deve­nir ? Réalise-t- on à quel point ce qui se joue aujourd’­hui autour des ques­tions migra­toires se trans­forme pour nos socié­tés en une gigan­tesque faillite morale et démo­cra­tique ?

L’exemple améri­cain accé­lère des tendances déjà visibles depuis plusieurs années en Europe. Chaque mois est l’oc­ca­sion de nouvelles annonces venant durcir les condi­tions d’ac­cueil et de trai­te­ment de celles et ceux qui n’ont jamais autant été consi­dé­rés et trai­tés comme des indé­si­rables. Les débats euro­péens pour faci­li­ter encore davan­tage les expul­sions forcées, y compris vers des pays où les personnes risquent leur vie ; la suspen­sion du regrou­pe­ment fami­lial en Alle­magne et en Autriche, au mépris du droit au respect de la vie privée et fami­liale ; les multiples entraves et agres­sions contre les bateaux huma­ni­taires mobi­li­sés pour sauver des vies en Médi­ter­ra­née sont autant de marques de déshon­neur pour l’Union euro­péenne.

Polé­miques alimen­tées

Aujourd’­hui, on évoque publique­ment des propo­si­tions prônées par des partis d’ex­trême droite : instau­ra­tion de la préfé­rence natio­nale soute­nue par Reform UK au Royaume-Uni, dépor­ta­tions massives et « remi­gra­tion » défen­dues par l’AfD en Alle­ma­gne… Le tout sur fond de démons­tra­tions de force des semeurs de haine, avec, par exemple, les glaçantes mani­fes­ta­tions anti-immi­gra­tion qui se sont tenues à Londres et à La Haye ces dernières semaines.

Il n’y a guère de doute : tout cela va conti­nuer à s’ac­cé­lé­rer. Acti­vistes, médias et poli­tiques de l’in­ter­na­tio­nale réac­tion­naire, à coups de polé­miques alimen­tées, de peurs agitées, de séquences de commu­ni­ca­tion bien orches­trées, ne vont pas cesser de mettre au cœur du débat public les ques­tions migra­toires. Ils vont conti­nuer à poin­ter les dangers présu­més d’un « grand rempla­ce­ment » qui mena­ce­rait notre civi­li­sa­tion, en appe­lant à un durcis­se­ment toujours crois­sant des poli­tiques migra­toires. Cela fonc­tionne : nombre de gouver­ne­ments en Europe semblent inca­pables d’ima­gi­ner une autre réac­tion que celle de se justi­fier en montrant qu’eux aussi agissent face à cette préten­due menace migra­toire. Jusqu’où cela ira-t-il ?

En France, on connaît les nombreux durcis­se­ments inter­ve­nus ces dernières années en matière de poli­tiques migra­toires et de restric­tions des droits des personnes étran­gères. Ministre de l’In­té­rieur, Bruno Retailleau s’est maintes fois montré aligné sur les influences trum­pistes, à coups de remises en cause de plus en plus assu­mées de l’Etat de droit et de stig­ma­ti­sa­tion conti­nue des personnes migrantes. En France, on consi­dère désor­mais le Rassem­ble­ment natio­nal, parti d’ex­trême droite dont la propo­si­tion phare n’est rien de moins qu’un réfé­ren­dum sur l’im­mi­gra­tion pour instau­rer la préfé­rence natio­nale, comme un parti « respec­table », bana­lisé et légi­timé dans le jeu répu­bli­cain.

Se réveiller enfin

On peut, bien sûr, débattre des orien­ta­tions en matière de poli­tiques migra­toires. Avoir des nuances avec celles et ceux qui, comme notre asso­cia­tion, prônent un profond chan­ge­ment de para­digme, une autre vision du monde qui ferait des migra­tions une chance pour notre avenir collec­tif et du droit à la migra­tion un nouveau pilier du monde de demain. Mais l’ur­gence du moment n’est même plus celle de la discus­sion autour des propo­si­tions pouvant être expri­mées par diffé­rentes sensi­bi­li­tés dans le cadre d’un débat démo­cra­tique sur les migra­tions.

L’ur­gence est de mettre un coup d’ar­rêt à cette esca­lade de la déshu­ma­ni­sa­tion, de la remise en cause des droits fonda­men­taux et de l’Etat de droit. L’ur­gence est de se réveiller enfin quand le débat public en vient à bana­li­ser à ce point des propo­si­tions mettant à mal notre capa­cité à construire pour l’ave­nir un monde en commun.

Restera-t-il au futur gouver­ne­ment et au président de la Répu­blique, qui aimait tant se réfé­rer à l’éthique de Paul Ricoeur (1913–2005), la capa­cité de prendre conscience de la gravité des bascu­le­ments en cours et de tour­ner enfin le dos à la fuite en avant de la stig­ma­ti­sa­tion et de la répres­sion ? Il est à craindre que, dans les discus­sions futures entre les diffé­rentes forces poli­tiques, des trac­ta­tions ne se fassent au prix d’une instru­men­ta­li­sa­tion des personnes migrantes, et n’aillent vers un durcis­se­ment supplé­men­taire des poli­tiques de non-accueil. De nombreux périls nous attendent si l’in­fluence des forces réac­tion­naires devait conti­nuer à s’ac­croître. La mobi­li­sa­tion de toutes celles et ceux qui sont atta­chés à la démo­cra­tie, à l’idée d’hu­ma­nité commune, au respect de la dignité de chacun est plus néces­saire que jamais. Nous ne pouvons faillir aujourd’­hui, nous sommes à l’heure où personne ne peut manquer à l’ap­pel de cette néces­saire résis­tance.

Fané­lie Carrey-Conte est la secré­taire géné­rale de l’as­so­cia­tion La Cimade ; Monique Guyot-Berni est la prési­dente de l’as­so­cia­tion La Cimade.

Pour lire tribune au Monde c’est ici 

Auteur: Service commu­ni­ca­tion

 

 

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