Certes Marine Le Pen et son Rassemblement National sont xénophobes versant raciste accentué. Cela suffirait à en faire un danger public, même si l’outrance d’un Zemmour a tendance à faire oublier l’ADN du mouvement post-fasciste. A tort, puisque si Marine Le Pen a accepté de se caler sur des amis comme le Hongrois Orban l’amenant à tempérer un peu les diatribes anti-européennes tout en exhalant un souverainisme mortifère, elle n’a pas bougé d’un millimètre sur ses sujets de prédilection : l’immigration cause de tous les maux, dont une insécurité présentée comme galopante et la ruine de notre belle civilisation née de ses racines chrétiennes remontant à Clovis.
Mais parallèlement une petite musique laisse entendre que, à part ces aspects détestables, elle se serait convertie au « social ». Avec un détournement de la formule du candidat de l’Union populaire lancée à Marseille, Le Pen ce serait du Mélenchon mais versant raciste. Il n’en est rien, d’aucun point de vue !
Pour saisir cela il faut accepter de se détourner des formules qui claquent et de se rendre aux contenus.
Pouvoir d’achat ? En augmentation promet-elle. Mais pas par l’augmentation des salaires évidemment. Et déjà pas celui du SMIC, puisque ça reviendrait à faire peser une « charge insupportable » sur le patronat. Il ne s’agit pas là d’une sollicitude pour le petit patronat, puisqu’alors on pourrait imaginer un mécanisme de péréquation assis sur les super profits des plus grandes entreprises. Non, pas ça mais « rendre 200 euros mensuels ». Comment ? Mais en coupant les insupportables charges liées à l’immigration. On sait bien que l’alter vérité vaudra toujours plus dans ces milieux que les faits précis. Dont celui-ci : d’après l’OCDE, en France, les contributions et impôts apportés par les étrangers forment non « une charge » mais un solde positif de 1,2%…
Essence ? Etant donné l’acuité des dépenses énergétiques, le RN propose bien de baisser la TVA sur les énergies fossiles à 5.5%. Sauf qu’une telle mesure vaudrait pour les foyers aisés tout aussi bien, ce qui renvoie au débat plus général sur la fiscalité abordé ci-après.
Chômage ? Haro sur la réforme Macron, dont on dit, à juste titre, que ça revient à considérer les chômeurs comme responsables de leur situation. Mais alors ? Réduction de temps de travail avec embauches correspondantes ? Emplois publics et privés produits, par exemple, par la bifurcation écologique ? Que non ! L’immigration vous dis-je ! Qui vole le travail des français. Et qui se soigne sur leur dos, d’où la proposition de supprimer l’Aide Médicale d’Etat (AME), dont tous les spécialistes sans exception dénoncent, au-delà de la simple humanité, si elle avait lieu, les effets délétères sur la santé de l’ensemble de la population.
Retraite ? Là quand même ? 60 ans et 40 annuités, ça parle non ? Autant en emporte le vent, la promesse n’a même pas tenu le temps de la campagne. Marine Le Pen y a purement et simplement renoncé (sauf pour les carrières – rares – débutées avant 20 ans). Pour le reste, vogue la galère lancée par les réformes libérales des gouvernements successifs. Mais il suffit que les gogos retiennent ce qui avait été dit il y 6 mois à peine n’est-ce pas ?
Santé ? Voilà une question brûlante s’il en est. Pas pour le RN qui n’a pas dit un mot ces dernières années sur les suppressions de lits à l’Hôpital. Depuis les promesses pleuvent. Revalorisation salariale (sans jamais chiffrer, ni préciser les mécanismes – point d’indice ou primes par exemple), recrutements (combien ?). Et avec son lot de démagogie puisque l’essentiel de ce recrutement en personnels soignants serait assuré par une diminution de 20% du personnel non soignant, le même discours méprisant que les macronistes. Evidemment, rien sur la suppression du processus mortifère de la tarification à l’acte, sur les relations avec l’hôpital privé, etc. Et… un moratoire sur la fermeture des lits (un minimum quand même), qui, comme tout moratoire, devra avoir une fin n’est-ce pas ?
Fiscalité ? Les choses commencent bien puisque le RN dit vouloir rétablir l’ISF. Mais un autre ISF, dont seraient exonérés les patrimoines immobiliers, une part importante de l’immobilisation des fortunes. De plus aucune précision sur la nature des produits financiers qui seraient taxés, et pas plus sur le taux d’imposition. L’impôt sur le revenu, dont on connait le mécanisme de protection des plus riches finement élaboré au cours des ans, serait maintenu dans sa forme actuelle. Avec quand même une révolution : l’exemption de cet impôt pour les moins de 30 ans. Outre que la grande majorité ne paye pas d’impôt à cet âge vu la faiblesse des revenus, quelle logique peut justifier que les très rares qui gagneraient 4000 euros mensuels soient hors impôt ? Evidemment, le cœur du système qui fait reposer les rentrées de l’Etat sur la taxation indirecte n’est pas touché. Or elle est par nature injuste, une TVA sur une baguette de pain ne dépendant pas du revenu de l’acheteur. Et, d’après La Tribune, « Marine Le Pen veut réduire les délais entre deux donations à 10 ans et les étendre aux grands-parents. Elle propose aussi d’exonérer de droits de succession les biens immobiliers jusqu’à 300.000 euros “pour favoriser l’enracinement et la transmission”. Autrement dit les très hauts héritages continueront à « vivre de leur naissance ». Il faut dire que la famille Le Pen en connaît un rayon sur ces histoires d’héritage fabuleux !!
Droit syndical ? Enfin une question trop souvent négligée. Le RN est, viscéralement, demeuré anti syndical, comme l’était le FN. L’idéal demeure le corporatisme mussollinien, bien représenté par les cousins italiens de La Lega ou des Fratelli d’Italia. Avec une mesure clé, la fin du monopole des syndicats représentatifs pour ouvrir la porte au syndicalisme « maison ».
Du Mélenchon plus le racisme ? Non, le racisme oui, mais évidemment totalement opposé à Mélenchon sur tous les aspects sociaux. Quelques fois d’une bonne tradition fasciste que Macron n’a pas. Mais la plupart du temps du même tonneau que lui et tous les libéraux. Comme l’a dit Jean-Luc Mélenchon à son meeting de Marseille, Le Pen, c’est le programme économique de Macron plus le mépris de race. Nous avons une bonne occasion de l’écarter en votant pour le candidat de l’Union Populaire le 10 avril, ne la ratons pas !
Samy Johsua
« Contre l’extrême-droite se mobiliser encore et toujours »
Tribune parue dans Libération du 31 mars
Nous en sommes là… Des identitaires, néofascistes et autres nostalgiques de l’Action française tuent en pleine rue. Malgré la dangerosité de son projet, l’extrême droite est banalisée ; on la voit se hisser dans les sondages comme s’il n’y avait là rien de grave. La surenchère sur ses sujets, pratiquée dans un large arc de droite, y contribue sans la moindre once de dignité. Bien que plusieurs fois condamné pour incitation à la haine religieuse et raciale, bien qu’accusé de harcèlement et de violences faites à des femmes, un candidat entend briguer la présidence comme si de rien n’était. Ce personnage au programme fascisant a été tout entier construit par des médias, à commencer par l’empire Bolloré – mais tant d’autres l’ont relayé d’abondance. Dans une émission de télévision, on le voit à présent devant des enfants déverser ses visées de « remigration ». Et voilà ce thème aux potentialités criminelles, en compagnie du « grand remplacement », son jumeau mortifère, circulant de média en média entre un bulletin météo et une annonce publicitaire.
La candidate de l’ex-FN, de son côté, avance ses pions impudemment. Rien ne saurait masquer la gravité de son programme : elle aura beau faire mine d’arrondir les angles sur la forme. Ce n’est pas le moindre danger dans la situation : voir une Marine Le Pen se faire passer pour modérée. En cela, elle se trouve bien aidée par un gouvernement qui non seulement reprend ses idées mais veut faire croire qu’elle serait « trop molle » sur certains terrains, comme l’a martelé Gérald Darmanin. Il évoquait là ses fétiches préférés, l’islam et l’immigration, réactivant la fable de l’ennemi intérieur pour mieux détourner l’attention. Mais derrière cette pratique de boucs émissaires, il y a des femmes, des hommes et des enfants qui connaissent le racisme, la violence sociale, les discriminations et la misère. Nous ne nous habituerons jamais à voir des réfugiés mourir sans aucune aide ; des tentes lacérées ; des personnes traitées avec la dernière infamie ; la solidarité criminalisée. L’histoire fera honte à cette barbarie. Un véritable tapis rouge a été déployé pour ces idées de haine ; elles trouvent partout table ouverte. L’intolérable est devenu acceptable, discutable, débattable – une opinion comme une autre. Or, ces discours ne sont pas que des mots, ils agissent, ils légitiment la ratonnade, la noyade et le meurtre : ils tuent.
Jamais nous ne céderons à la résignation
Nous savons que si l’extrême droite gagne des suffrages, c’est à proportion de la souffrance sociale, du désarroi et du désespoir causés par un système dont les pratiques exploiteuses et les crises destructrices conduisent au chômage, à la précarité, à la pauvreté et au ressentiment sur lequel elle joue cyniquement. Nous savons aussi que des décennies de reculs et de destruction des droits, par des gouvernements quels qu’ils soient et par-delà les alternances, ont ruiné bien des espérances. Un pouvoir de plus en plus autoritaire gouverne par la répression et les violences policières – cette police elle-même largement tournée vers la droite extrême. Le saccage du vivant par le productivisme capitaliste et le dérèglement climatique à l’ampleur désormais insensée exacerberont les tensions liées aux migrations qui s’ensuivront et, en réaction, la possibilité du fascisme. En cette matière, le péril est immense : il frappe à la porte et peut entrer bien plus vite qu’on le croit. Nous savons enfin que la réponse tient dans un tout autre programme, un projet désirable de justice sociale, d’émancipation et de démocratie véritable. Nos ripostes et nos initiatives ne sauraient être seulement réactives : se mobiliser pleinement contre l’extrême droite, c’est d’abord œuvrer pour un projet qui donne à espérer et nous rassemble bien davantage qu’elle imagine nous diviser.
Comme en d’autres temps sombres, nous sommes à la croisée des chemins. C’est pourquoi nous saluons l’organisation d’une manifestation contre l’extrême droite le 3 avril, à laquelle appellent de nombreux collectifs, associations, syndicats et organisations. Car si nous en sommes là, jamais nous ne l’accepterons et jamais nous ne céderons à la résignation. Face à l’extrême droite, soyons nombreuses et nombreux dans les rues pour le rappeler.
Parmi les signataires :
Raphaël Arnault (porte-parole de la Jeune Garde antifasciste), Angeline Barth (Confédération CGT), Amal Bentounsi (Urgence Notre Police Assassine), Olivier Besancenot (porte-parole du NPA), Kamel Brahmi (secrétaire général de l’union départementale CGT 93), Saïd Bouamama (sociologue et militant Front uni des immigrations et des quartiers populaires), Patrick Chamoiseau (écrivain), Eric Coquerel (député La France insoumise), Annick Coupé (porte-parole d’Attac), Lisa Derradji (porte-parole de la Coordination féministe), Claire Dujardin (présidente du Syndicat des avocats de France), Simon Duteil (co-délégué général de l’Union syndicale Solidaires), Didier Epsztajn (animateur du blog « Entre les lignes entre les mots »), Jean-Paul Gautier (historien, spécialiste des extrêmes droites), François Gèze (éditeur), Samuel Hayat (politiste), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Mathilde Lacoste (porte-parole de la Coordination féministe), Annie Lahmer (conseillère régionale écologiste et militante féministe), Valérie Lesage (secrétaire générale de l’Union Régionale CGT d’Île de France), Célia Levy (membre de la coordination #NousToutes), Arya Meroni (porte-parole de la Coordination féministe), Mathieu Mollard (rédacteur en chef de Street Press), Thomas Portes (président de l’Observatoire contre l’extrême droite), Philippe Poutou (porte-parole du NPA), Mina Rigal (membre de la coordination #NousToutes),