La Ligue des droits de lhomme. Un texte sur et contre l’an­ti­sé­mi­tisme.

La LDH dans la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme

Contri­bu­tion de la LDH aux Assises de lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme (2024)

Née de la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme et l’ar­bi­traire de la raison d’Etat, la LDH (Ligue des droits de l’Homme), a toujours veillé à dénon­cer ce qui cédait à cette idéo­lo­gie haineuse et meur­trière, d’où que cela vienne, et à inscrire plei­ne­ment ce combat dans le cadre géné­ral de son enga­ge­ment pour les valeurs que porte la Répu­blique.(…)

Le fait que les premiers ministres succes­sifs, Gabriel Attal et Michel Barnier aient, tous deux, refusé dans les faits de rece­voir le dernier rapport annuel de la Commis­sion natio­nale consul­ta­tive des droits de l’Homme (CNCDH) de lutte contre le racisme, l’an­ti­sé­mi­tisme et la xéno­pho­bie a envoyé un mauvais message, que la LDH déplore. Cet évite­ment, sans précé­dent, n’a en effet pas contri­bué à clari­fier, aux yeux de l’opi­nion publique, l’en­ga­ge­ment de l’exé­cu­tif dans un contexte natio­nal, euro­péen et mondial inquié­tant.

L’aug­men­ta­tion de mani­fes­ta­tions anti­sé­mites s’ins­crit dans une montée plus globale de la haine de l’Autre, dont le juif est histo­rique­ment l’une des figures para­dig­ma­tiques. La LDH y a réagi dès ses premières mani­fes­ta­tions – rappe­lons, pour mémoire, les polé­miques créées autour de Dieu­donné, que la LDH a fait condam­ner pour néga­tion­nisme – et a toujours répondu présente lorsqu’il s’est agi de faire front contre l’an­ti­sé­mi­tisme sous toutes ses formes, et contre les entre­pre­neurs en haines iden­ti­taires qui en favo­risent l’émer­gence et en bana­lisent les expres­sions.

Le paysage poli­tique français – mais ce n’est hélas pas une exclu­si­vité de la France – est en effet de plus en plus dessiné par des person­na­li­tés, des partis et des médias qui, chacun à leur façon, remettent en cause la notion même d’éga­lité des indi­vi­dus entre eux et le carac­tère univer­sel que doit avoir l’ac­cès aux droits fonda­men­taux qui , entre autres, l’édu­ca­tion, la santé, le loge­ment. La reven­di­ca­tion d’une « préfé­rence natio­nale » en est une des expres­sions les plus connue. Elle chemine logique­ment aux côtés de la notion de « grand rempla­ce­ment ». Toutes deux œuvrent, non sans succès, dans le débat public, légi­ti­mant une dési­gna­tion de boucs émis­saires pour tous les maux dans la société, exoné­rant toute autre cause des diffi­cul­tés vécues par les gens. Les succès élec­to­raux du Rassem­ble­ment natio­nal, les alliances de fait avec une large partie de la droite, la multi­pli­ca­tion sans fin de textes de lois visant les « sans-papiers » et l’es­ca­lade sécu­ri­taire, verbale et réelle, parti­cipent d’une même volonté de rame­ner l’iden­tité des gens à des « races », des reli­gions et de stig­ma­ti­ser l’al­té­rité ainsi défi­nie…

C’est ainsi qu’on a vu ces dernières années pros­pé­rer une résur­gence d’un anti­sé­mi­tisme parfois ouvert, parfois sour­nois, toujours viru­lent. Les éloges de la « poli­tique juive » auto­ri­taire de Napo­léon Ier, du « sauve­tage des juifs » par le maré­chal Pétain, la stig­ma­ti­sa­tion du choix de lieux de sépul­tures en Israël des enfants de l’école Ozar ont accom­pa­gné une lita­nie tragique de meurtres et d’at­ten­tats.

Cette utili­sa­tion poli­tique et média­tique des problé­ma­tiques iden­ti­taires, instru­men­ta­li­sée dans le débat public, contri­bue large­ment à nour­rir une grille de lecture racia­liste d’une société qui serait d’abord compo­sée de commu­nau­tés, réifiées et oppo­sées. De même, est affir­mée une « iden­tité française » aux fron­tières cultu­relles et mentales figées qui postule l’ex­clu­sion hors de la commu­nauté natio­nale de celui ou de celle qui ne rempli­rait pas tous les critères. Rien de tel pour nour­rir haine et affir­ma­tions réci­proque­ment exclu­sives. Les juifs n’y échappent pas, à qui les anti­sé­mites conti­nuent, avec constance, de repro­cher une soi-disant « double allé­geance ».

Dans ce contexte, l’in­cur­sion terro­riste des forces armées du Hamas en Israël, le 7 octobre 2024, la prise d’otages et la riposte effroyable des offen­sives israé­liennes menées contre les popu­la­tions de Gaza, de Cisjor­da­nie, du Liban consti­tuent un véri­table bascu­le­ment, une réelle rupture qui désa­grège profon­dé­ment les valeurs que nos socié­tés affirment porter.

Cette montée en horreur d’un conflit long et déses­pé­rant s’est accom­pa­gnée en France d’une confu­sion totale et toxique entre critique légi­time de la poli­tique d’un Etat et haine du juif, entre volonté légi­time d’un Etat pales­ti­nien et remise en cause diver­se­ment expri­mée de la légi­ti­mité d’Is­raël. Cette confu­sion a large­ment favo­risé deux proces­sus qui s’ali­mentent l’un l’autre de façon perverse. D’un côté, la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme est instru­men­ta­li­sée en amal­ga­mant la défense des droits des Pales­ti­niens à une apolo­gie du terro­risme. De l’autre côté, on a une critique de l’Etat d’Is­raël amal­ga­mant des reven­di­ca­tions appuyées sur le respect du droit inter­na­tio­nal et des propos visant en toute géné­ra­lité « les juifs » et non le gouver­ne­ment israé­lien.

Cette confu­sion entre la poli­tique d’un Etat dirigé par l’ex­trême droite et une iden­tité juive essen­tia­li­sée, mondia­li­sée, appa­rait dans les faits comme la conver­gence para­doxale de deux visions : celle de l’ex­trême droite et celles d’an­ti­sé­mites.

Il est préoc­cu­pant, dans ce contexte complexe et tendu, lourd d’af­fron­te­ments et de périls, que des forces poli­tiques de gauche, se récla­mant du progrès social et de la libé­ra­tion humaine, ne soient pas insen­sibles à ces approches lour­de­ment ambigües et le traduisent sous des formes parfois clai­re­ment anti­sé­mites. Il est tout aussi préoc­cu­pant de voir les droites extrêmes se draper dans la défense « des juifs », alors qu’ils défendent d’abord une extrême droite en action, pour alimen­ter à domi­cile une xéno­pho­bie lour­de­ment anti-arabe. L’usage par les uns et les autres de symboles et de compa­rai­sons histo­riques décon­tex­tua­li­sées, délo­ca­li­sées ont pour effet prin­ci­pal de rela­ti­vi­ser les horreurs d’hier et celles d’aujourd’­hui.

Comment sortir de ce cercle vicieux, faire face à l’an­ti­sé­mi­tisme et le faire recu­ler ?

Il est bien évidem­ment néces­saire de prendre la juste mesure du phéno­mène et de mener en continu le travail d’éclai­rage des respon­sa­bi­li­tés des uns et des autres dans le débat public. Au-delà, pour­tant, force est de recon­naître dans la perma­nence et la crois­sance de l’an­ti­sé­mi­tisme une dimen­sion d’échec collec­tif. Alors, comment « révo­lu­tion­ner » la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme ? Comment penser des pistes qui permettent de dépas­ser les limites de ce que nous disons pour combattre l’an­ti­sé­mi­tisme, sachant que dans un domaine aussi complexe et global, il n’y aura pas de pana­cée.

Dans cet esprit, la LDH formule quelques réflexions qu’elle soumet à la réflexion des Etats géné­raux.

  • Il faut rompre avec un encla­ve­ment de la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme. Cette lutte est un « en soi » qui ne peut pas se mener de façon décon­nec­tée de toutes les compo­santes de la lutte contre tous les racismes. Si chaque racisme a son histoire propre, si ce qui alimente chacun à un moment donné est diffé­rent, tous s’en­ra­cinent au même terreau : combattre l’un en admet­tant ou oubliant les autres est au mieux, un jeu de dupes et au pire, alimente le racisme.
  • La mise en concur­rence des luttes contre les racismes, en parti­cu­lier celle qui prévaut le plus entre la lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme et celle contre l’is­la­mo­pho­bie doit être ferme­ment combat­tue. Non, il n’est pas vrai que dans ce pays ceux qui luttent contre l’an­ti­sé­mi­tisme soient isla­mo­phobes et qu’in­ver­se­ment, ceux qui luttent contre l’is­la­mo­pho­bie soient anti­sé­mites. Nous devons combattre la racia­li­sa­tion de l’an­ti­ra­cisme.

Si nous ne croyons pas à une résur­gence du nazisme « à l’iden­tique », nous consta­tons néan­moins que la symbo­lique nazie n’est plus un tabou et que son utili­sa­tion qui se veut subver­sive se déve­loppe. La lutte contre l’an­ti­sé­mi­tisme exige de combattre à la racine la bana­li­sa­tion des idées d’ex­trême droite qui n’est jamais anodine. Or, aujourd’­hui, des grou­pus­cules d’ex­trême droite, fréquem­ment néo-nazis, pros­pèrent dans notre pays. Ils ne sont pas une simple version « extré­miste » d’une extrême droite « mains­tream », mais contri­buent acti­ve­ment à la bana­li­sa­tion du racisme de cette dernière. Un ancien élu d’ex­trême droite n’a pas hésité à faire un salut nazi lors d’une réunion publique orga­ni­sée par la LDH. Des saluts nazis ont égale­ment été effec­tués lors de simu­la­tion de Parle­ment à l’uni­ver­sité, démon­trant l’af­fi­chage de plus en plus reven­diqué d’adhé­sion à une poli­tique meur­trière.

Sauf à sombrer dans un mora­lisme impuis­sant, cet enga­ge­ment contre l’an­ti­sé­mi­tisme devrait s’ac­com­pa­gner en perma­nence d’un rappel à ces fonda­men­taux de la Répu­blique que sont l’éga­lité, la frater­nité et la laïcité, garante de la liberté de conscience, afin qu’ils ne soient pas enfer­més dans la grille de lecture des iden­ti­tés et de leur concur­rence.

  • Nous préco­ni­sons un vrai travail d’édu­ca­tion qui ne repose pas exclu­si­ve­ment sur l’en­sei­gne­ment de la destruc­tion des juifs d’Eu­rope comme nous le déve­lop­pons dans les points suivants. Comme pour le racisme, il faut former les agents au sein des insti­tu­tions comme la justice, la police, les services publics en géné­ral.
  • Il faut travailler à l’échelle des terri­toires car l’an­ti­sé­mi­tisme n’est pas un phéno­mène spéci­fique­ment urbain ou péri-urbain
  • L’his­toire des juifs, leurs cultures, leurs apports en France mais aussi dans le monde, ne devraient pas être ramené, comme c’est trop souvent le cas, à la seule irrup­tion drama­tique de la Shoah ou à des mani­fes­ta­tions ciné­ma­to­gra­phiques plus ou moins « comiques ». L’en­sei­gne­ment des résis­tances et des luttes menées par des person­na­li­tés et des commu­nau­tés juives pour leur liberté et leur dignité permet­trait de rompre avec une domi­nante marty­ro­lo­gique et son double inversé en variante héroïque.
  • L’an­ti­sé­mi­tisme lui-même devrait être non seule­ment condamné, mais surtout étudié, dissé­qué, replacé dans ses contextes et dési­gné comme une menace contre les juifs, certes, mais au-delà d’eux, contre la liberté, l’éga­lité et la frater­nité, s’as­si­mi­lant par là-même aux autres racismes.
  • Il faut enfin rompre avec tout ce qui alimente l’idée que les juifs auraient à rendre compte de la poli­tique des diri­geants de l’Etat d’Is­raël. Un Etat doit pouvoir être critiqué, voire boycotté, libre­ment, sans que cela soulève de procès, au propre comme au figuré. Car à prétendre de façon indis­cri­mi­née que tout acte de soli­da­rité avec les droits du peuple pales­ti­nien serait de l’an­ti­sé­mi­tisme, on conforte l’équa­tion selon laquelle « les juifs » seraient coupables des crimes commis par « l’Etat d’Is­raël ».

En défi­ni­tive, notre propo­si­tion tient en quelques mots : privi­lé­gier l’his­toire à la mémoire, étudier des proces­sus – non pas seule­ment leur abou­tis­se­ment – et confron­ter les réali­tés histo­riques et contem­po­raines plutôt que de les segmen­ter dans des récits cloi­son­nés. Enfin, travailler à resser­rer la fenêtre d’Over­ton sur cet enjeu, singu­liè­re­ment en poin­tant du doigt les acteurs poli­tiques et média­tiques, réseaux compris, qui de façon directe ou indi­recte « font poli­tique » avec l’an­ti­sé­mi­tisme.

Paris, le 4 avril 2025

 

 

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