Le Monde. 5 avril. Ghazal Golshiri. La guerre « sans limite d’Is­raël

Dans la bande de Gaza, les huma­ni­taires impuis­sants face à la guerre « sans limite » d’Is­raël

Plus de 1 200 Pales­ti­niens ont été tués depuis la reprise des bombar­de­ments israé­liens le 18 mars. L’Etat hébreu prive l’en­clave de toute aide depuis plus d’un mois. Les vivres viennent à manquer et le système de santé a de nouveau été pris pour cible. 
Par Ghazal Golshiri et Clothilde Mraffko

Chaque jour, Basel Alaila marche des kilo­mètres dans les rues défon­cées de Gaza pour récu­pé­rer un ou deux gallons d’eau. Elle est salée, tout juste potable. Pendant quelques semaines, au début de l’an­née, le Pales­ti­nien de 36 ans, père de deux garçons et d’une fillette née pendant la guerre, a cru qu’il repre­nait un peu le contrôle sur sa vie. La trêve, entrée en vigueur le 19 janvier, a été suivie par l’en­trée massive de l’aide huma­ni­taire. Fruits, légumes, volailles ont réap­paru sur les étals des marchés et les prix ont chuté. Mais, depuis le 2 mars, Israël a tout stoppé. Seules sont encore auto­ri­sées des évacua­tions médi­cales.

Jamais l’en­clave pales­ti­nienne n’a vécu un si long siège. Le 27 mars, la Cour suprême israé­lienne a rejeté une requête qui visait à contraindre le gouver­ne­ment à auto­ri­ser l’en­trée et la distri­bu­tion d’aide à Gaza, accor­dant ainsi un blanc-seing à Benya­min Néta­nya­hou et à son armée pour affa­mer la popu­la­tion gazaouie« Nous manquons de tout – nour­ri­ture, eau, soins médi­caux. Nous sommes de nouveau réduits à rien », écrit Basel Alaila au Monde. Israël inter­dit aux jour­na­listes étran­gers d’ac­cé­der à la bande de Gaza depuis le 7-Octobre. Son armée a bruta­le­ment repris les bombar­de­ments le 18 mars, rompant la trêve. En deux semaines, plus de 1 200 Pales­ti­niens ont été tués.

Le 1er avril, le Programme alimen­taire mondial (PAM) a annoncé que les vingt-cinq boulan­ge­ries qu’il soutient dans l’en­clave, dont certaines opéraient vingt-deux heures sur vingt-quatre pendant le cessez-le-feu, fermaient, faute de farine et de carbu­rant. Dans les deux prochaines semaines, l’or­ga­ni­sa­tion onusienne va se concen­trer sur la distri­bu­tion de repas chauds avant l’épui­se­ment des stocks, espé­rant nour­rir 500 000 personnes par jour. Faute de gaz dispo­nible, les cuisines collec­tives utilisent des palettes en bois pour la cuis­son.

Pendant la trêve, les Nations unies ont pu faire rentrer quelque 78 000 tonnes d’aide, selon Antoine Renard, le direc­teur du PAM en Pales­tine, sorti de la bande de Gaza le 30 mars. Trois points de passage suffi­saient, remarque-t-il, tant l’en­clave est petite. (…)

Les habi­tants ont pu accu­mu­ler quelques vivres pendant la trêve, mais la situa­tion est exsangue. Plus de 280 000 personnes ont à nouveau été dépla­cées dans la bande de Gaza ces deux dernières semaines, selon l’ONU. Rares sont ceux qui ont pu empor­ter leurs sacs de farine dans leur fuite. Or la dévas­ta­tion israé­lienne a rendu l’en­clave tota­le­ment dépen­dante de l’aide huma­ni­taire. (…) Les semences sont inter­dites, consi­dé­rées par l’ar­mée israé­lienne à « double usage », pouvant être utili­sées à des fins mili­taires.

« Ces actes inhu­mains et illé­gaux indiquent clai­re­ment qu’Is­raël pour­suit sa poli­tique consis­tant à impo­ser déli­bé­ré­ment aux Pales­ti­nien·­ne·s à Gaza des condi­tions d’exis­tence conçues pour entraî­ner leur destruc­tion physique – ce qu’in­ter­dit la Conven­tion sur le géno­cide », a dénoncé, le 10 mars dans un commu­niqué, Erika Guevara-Rosas, direc­trice géné­rale du plai­doyer à Amnesty inter­na­tio­nal, après qu’Is­raël a coupé la seule ligne d’élec­tri­cité encore reliée à la bande de Gaza, qui alimen­tait la prin­ci­pale usine de dessa­le­ment d’eau.

Le 18 mars, les bombar­de­ments israé­liens ont rompu la trêve dans un bain de sang – plus de 400 personnes ont été tuées en quelques heures. L’hô­pi­tal Nasser, le plus grand encore en acti­vité dans l’en­clave pales­ti­nienne avec une capa­cité de 450 lits, a reçu 220 patients. « Quatre-vingt-neuf sont morts, a rapporté au Monde le méde­cin améri­cain Feroze Sidhwa, présent sur les lieux du 6 mars au 1er avril avec l’or­ga­ni­sa­tion huma­ni­taire MedG­lo­bal.(…)

« Les bles­sures sont prin­ci­pa­le­ment des brûlures, causées par des éclats d’obus, ainsi que des ampu­ta­tions, décrit une méde­cin urgen­tiste, qui travaille dans le centre de la bande de Gaza et préfère rester anonyme. Les victimes sont majo­ri­tai­re­ment des femmes et de jeunes enfants, avec des bles­sures très graves. Les frappes aériennes ciblent les habi­ta­tions, entraî­nant soit la mort, soit des bles­sures complexes et sévères, comme des hémor­ra­gies internes. Il n’y a pratique­ment pas de cas modé­rés ou légers. »

Lorsque Feroze Sidhwa a quitté l’hô­pi­tal Nasser le 1er avril, l’éta­blis­se­ment était « à peine opéra­tion­nel »« Le service de chirur­gie pour hommes, avec ses vingt-cinq lits, avait été complè­te­ment détruit », rapporte-t-il. Dans la nuit du 23 au 24 mars, un missile israé­lien a ciblé le deuxième étage de l’éta­blis­se­ment, tuant un membre du bureau poli­tique du Hamas, Ismaïl Barhoum, qui était soigné après le bombar­de­ment de son domi­cile à Khan Younès. Feroze Sidhwa a échappé de peu à la mort ; l’un de ses patients âgé de 16 ans a été tué dans l’ex­plo­sion. « Son corps a été déchiqueté. Il devait quit­ter l’hô­pi­tal le lende­main », rapporte le méde­cin améri­cain.

(…) En deux semaines, des tirs d’ar­tille­rie autour de locaux des Nations unies ont tué un employé de l’ONU, des hôpi­taux ont été bombar­dés, des agents muni­ci­paux sont morts dans des camions four­nis par des huma­ni­taires, des entre­pôts ont été endom­ma­gés par des frappes, a énuméré, le 2 avril, en confé­rence de presse Jona­than Whit­tall, le direc­teur du bureau des affaires huma­ni­taires de l’ONU (OCHA) dans les terri­toires pales­ti­niens occu­pés, quali­fiant la situa­tion dans l’en­clave de «  guerre sans limites ».

« En tant qu’hu­ma­ni­taires, nous ne pouvons pas accep­ter que les civils pales­ti­niens soient déshu­ma­ni­sés au point d’être perçus comme ne méri­tant pas de survivre [et que] la survie des gens dépende d’un système d’aide lui-même pris pour cible », a-t-il alerté. L’aide, a-t-il souli­gné, ne peut compen­ser les échecs poli­tiques dans la bande de Gaza. Selon l’ONU, 409 travailleurs huma­ni­taires ont été tués depuis le 7-Octobre. Depuis le 18 mars, Israël n’a pas repris le système de coor­di­na­tion des dépla­ce­ments des huma­ni­taires. Par le passé, les routes conve­nues à l’avance se sont plusieurs fois trans­for­mées en piège mortel.

(…)Les massacres, les priva­tions et les dépla­ce­ments ont épuisé la popu­la­tion gazaouie. Plus de 50 600 Pales­ti­niens ont été tués depuis le 7-Octobre et aucun accord de cessez-le-feu ne semble sur la table. (…)

Ghazal Golshiri et Clothilde Mraffko(Jéru­sa­lem, corres­pon­dance)

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