Dans la bande de Gaza, les humanitaires impuissants face à la guerre « sans limite » d’Israël
Chaque jour, Basel Alaila marche des kilomètres dans les rues défoncées de Gaza pour récupérer un ou deux gallons d’eau. Elle est salée, tout juste potable. Pendant quelques semaines, au début de l’année, le Palestinien de 36 ans, père de deux garçons et d’une fillette née pendant la guerre, a cru qu’il reprenait un peu le contrôle sur sa vie. La trêve, entrée en vigueur le 19 janvier, a été suivie par l’entrée massive de l’aide humanitaire. Fruits, légumes, volailles ont réapparu sur les étals des marchés et les prix ont chuté. Mais, depuis le 2 mars, Israël a tout stoppé. Seules sont encore autorisées des évacuations médicales.
Jamais l’enclave palestinienne n’a vécu un si long siège. Le 27 mars, la Cour suprême israélienne a rejeté une requête qui visait à contraindre le gouvernement à autoriser l’entrée et la distribution d’aide à Gaza, accordant ainsi un blanc-seing à Benyamin Nétanyahou et à son armée pour affamer la population gazaouie. « Nous manquons de tout – nourriture, eau, soins médicaux. Nous sommes de nouveau réduits à rien », écrit Basel Alaila au Monde. Israël interdit aux journalistes étrangers d’accéder à la bande de Gaza depuis le 7-Octobre. Son armée a brutalement repris les bombardements le 18 mars, rompant la trêve. En deux semaines, plus de 1 200 Palestiniens ont été tués.
Le 1er avril, le Programme alimentaire mondial (PAM) a annoncé que les vingt-cinq boulangeries qu’il soutient dans l’enclave, dont certaines opéraient vingt-deux heures sur vingt-quatre pendant le cessez-le-feu, fermaient, faute de farine et de carburant. Dans les deux prochaines semaines, l’organisation onusienne va se concentrer sur la distribution de repas chauds avant l’épuisement des stocks, espérant nourrir 500 000 personnes par jour. Faute de gaz disponible, les cuisines collectives utilisent des palettes en bois pour la cuisson.
Pendant la trêve, les Nations unies ont pu faire rentrer quelque 78 000 tonnes d’aide, selon Antoine Renard, le directeur du PAM en Palestine, sorti de la bande de Gaza le 30 mars. Trois points de passage suffisaient, remarque-t-il, tant l’enclave est petite. (…)
Les habitants ont pu accumuler quelques vivres pendant la trêve, mais la situation est exsangue. Plus de 280 000 personnes ont à nouveau été déplacées dans la bande de Gaza ces deux dernières semaines, selon l’ONU. Rares sont ceux qui ont pu emporter leurs sacs de farine dans leur fuite. Or la dévastation israélienne a rendu l’enclave totalement dépendante de l’aide humanitaire. (…) Les semences sont interdites, considérées par l’armée israélienne à « double usage », pouvant être utilisées à des fins militaires.
« Ces actes inhumains et illégaux indiquent clairement qu’Israël poursuit sa politique consistant à imposer délibérément aux Palestinien·ne·s à Gaza des conditions d’existence conçues pour entraîner leur destruction physique – ce qu’interdit la Convention sur le génocide », a dénoncé, le 10 mars dans un communiqué, Erika Guevara-Rosas, directrice générale du plaidoyer à Amnesty international, après qu’Israël a coupé la seule ligne d’électricité encore reliée à la bande de Gaza, qui alimentait la principale usine de dessalement d’eau.
Le 18 mars, les bombardements israéliens ont rompu la trêve dans un bain de sang – plus de 400 personnes ont été tuées en quelques heures. L’hôpital Nasser, le plus grand encore en activité dans l’enclave palestinienne avec une capacité de 450 lits, a reçu 220 patients. « Quatre-vingt-neuf sont morts, a rapporté au Monde le médecin américain Feroze Sidhwa, présent sur les lieux du 6 mars au 1er avril avec l’organisation humanitaire MedGlobal.(…)
« Les blessures sont principalement des brûlures, causées par des éclats d’obus, ainsi que des amputations, décrit une médecin urgentiste, qui travaille dans le centre de la bande de Gaza et préfère rester anonyme. Les victimes sont majoritairement des femmes et de jeunes enfants, avec des blessures très graves. Les frappes aériennes ciblent les habitations, entraînant soit la mort, soit des blessures complexes et sévères, comme des hémorragies internes. Il n’y a pratiquement pas de cas modérés ou légers. »
Lorsque Feroze Sidhwa a quitté l’hôpital Nasser le 1er avril, l’établissement était « à peine opérationnel ». « Le service de chirurgie pour hommes, avec ses vingt-cinq lits, avait été complètement détruit », rapporte-t-il. Dans la nuit du 23 au 24 mars, un missile israélien a ciblé le deuxième étage de l’établissement, tuant un membre du bureau politique du Hamas, Ismaïl Barhoum, qui était soigné après le bombardement de son domicile à Khan Younès. Feroze Sidhwa a échappé de peu à la mort ; l’un de ses patients âgé de 16 ans a été tué dans l’explosion. « Son corps a été déchiqueté. Il devait quitter l’hôpital le lendemain », rapporte le médecin américain.
(…) En deux semaines, des tirs d’artillerie autour de locaux des Nations unies ont tué un employé de l’ONU, des hôpitaux ont été bombardés, des agents municipaux sont morts dans des camions fournis par des humanitaires, des entrepôts ont été endommagés par des frappes, a énuméré, le 2 avril, en conférence de presse Jonathan Whittall, le directeur du bureau des affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) dans les territoires palestiniens occupés, qualifiant la situation dans l’enclave de « guerre sans limites ».
« En tant qu’humanitaires, nous ne pouvons pas accepter que les civils palestiniens soient déshumanisés au point d’être perçus comme ne méritant pas de survivre [et que] la survie des gens dépende d’un système d’aide lui-même pris pour cible », a-t-il alerté. L’aide, a-t-il souligné, ne peut compenser les échecs politiques dans la bande de Gaza. Selon l’ONU, 409 travailleurs humanitaires ont été tués depuis le 7-Octobre. Depuis le 18 mars, Israël n’a pas repris le système de coordination des déplacements des humanitaires. Par le passé, les routes convenues à l’avance se sont plusieurs fois transformées en piège mortel.
(…)Les massacres, les privations et les déplacements ont épuisé la population gazaouie. Plus de 50 600 Palestiniens ont été tués depuis le 7-Octobre et aucun accord de cessez-le-feu ne semble sur la table. (…)