Le Monde. L’as­sas­sin des kurdes et le compor­te­ment étrange de la police en 2021

En décembre 2021, William M. avait attaqué un campe­ment de migrants avec un sabre. Dans cette affaire, la police et le parquet semblent avoir sous-évalué la dange­ro­sité de l’agres­seur et avoir eu un biais discri­mi­na­toire envers les victimes.

Le Monde, Par Chris­tophe Ayad Publié  le 27/12/2022

Un an avant l’at­taque de la rue d’En­ghien (10e arron­dis­se­ment de Paris) du 23 décembre, William M., le tueur présumé, avait déjà commis une grave agres­sion contre des personnes d’ori­gine étran­gère à Paris. Mis en examen pour ces faits, il avait été placé en déten­tion provi­soire. Il a été remis en liberté condi­tion­nelle le 12 décembre, au terme du délai légal d’un an de déten­tion provi­soire pour les faits visés. Sa libé­ra­tion avait été assor­tie d’un contrôle judi­ciaire lui inter­di­sant de déte­nir des armes et l’obli­geant à des soins psychia­triques.

Le 8 décembre 2021, William M. s’ap­proche, tôt le matin, d’un campe­ment de migrants dans le parc de Bercy, dans le 12e arron­dis­se­ment, en se faisant passer pour un joggeur. Il dégaine ensuite un sabre en hurlant : « Mort aux migrants » et commence à tailler en pièces les tentes dans lesquelles dorment des familles. Il s’at­taque à un homme en train d’uri­ner, le bles­sant au dos et à la hanche. Puis il taillade un mineur, avant d’être cein­turé et mis hors d’état de nuire par trois autres occu­pants du campe­ment qui se servent d’une branche d’arbre pour le frap­per. William M. est légè­re­ment blessé dans la bagarre.

La police, appe­lée sur les lieux, inter­pelle toutes les personnes impliquées dans les violences, y compris les victimes. Plus éton­nant encore, quatre des cinq personnes agres­sées, sauf le mineur, sont placées en garde à vue pendant quarante-huit heures. « Après leur garde à vue, elles nous ont dit n’avoir reçu aucun soin ni avoir eu accès à un traduc­teur. Appa­rem­ment, on ne les a même pas vrai­ment inter­ro­gées », témoigne Cloé Chas­tel, l’an­cienne respon­sable de l’ac­cueil de jour de l’as­so­cia­tion Aurore, qui inter­ve­nait sur le campe­ment.

Pendant que la police demande de recueillir des témoi­gnages de l’agres­sion aux rési­dents du campe­ment, elle trans­met un dossier au parquet, qui décide de défé­rer les gardés à vue devant un juge d’ins­truc­tion pour « violences en bande orga­ni­sée ». Grâce au travail des avocats commis d’of­fice et à la réac­ti­vité des asso­cia­tions, le juge comprend un peu mieux la situa­tion et décide de relâ­cher les victimes, qui sont toute­fois placées sous le statut de témoins assis­tés.

Ce n’est pas tout : lors de la garde à vue, consta­tant que l’une des personnes agres­sées, un ressor­tis­sant maro­cain, ne dispose d’au­cun titre de séjour, les poli­ciers alertent la préfec­ture, qui délivre à son encontre une obli­ga­tion de quit­ter le terri­toire français (OQTF). Le docu­ment précise même que l’in­té­ressé s’est livré à des « violences volon­taires avec arme et en réunion », alors qu’il se défen­dait face à un homme cher­chant à le tuer avec un sabre. L’OQTF refuse au mis en cause tout « délai de départ volon­taire ».

L’his­toire ne s’ar­rête pas là. Les béné­voles des asso­cia­tions inter­ve­nant sur le campe­ment, qui abrite une soixan­taine de migrants, demandent à la police de sécu­ri­ser les lieux et décident de s’y rendre en nombre afin de rassu­rer les personnes restées sur place et passa­ble­ment trau­ma­ti­sées par l’épi­sode de la veille. « Mais, au lieu de cela, nous avons vu les BRAV [brigades de répres­sion de l’ac­tion violente moto­ri­sées] débarquer en masse pour verba­li­ser les mili­tants présents pour rassem­ble­ment non auto­risé », raconte Cloé Chas­tel. Dix-neuf mili­tants, dont huit de la seule asso­cia­tion Aurore, reçoivent une amende de 135 euros. Le lende­main, les asso­cia­tions écrivent un cour­rier de protes­ta­tion et de refus des verba­li­sa­tions. L’af­faire est restée sans suite.

(…)

Plusieurs ques­tions se posent à l’is­sue de cette affaire, qui n’a pas encore été jugée. Pourquoi a-t-elle été trai­tée avec autant de légè­reté, et avec un biais mani­fes­te­ment discri­mi­na­toire envers les victimes, par la police et par le parquet ? Les inci­dents du parc de Bercy ont davan­tage été trai­tés comme une rixe que comme une tenta­tive de meurtre. Ce qui semble témoi­gner d’une sous-évalua­tion de la dange­ro­sité de William M.

Ensuite, la quali­fi­ca­tion judi­ciaire. L’in­frac­tion rete­nue contre William M. au parc de Bercy − « violences avec arme » − étant passible d’une peine de moins de dix années de prison, l’au­teur présumé ne pouvait pas effec­tuer une déten­tion provi­soire supé­rieure à un an. Mais si la quali­fi­ca­tion de « tenta­tive d’ho­mi­cide » avait été rete­nue, William M. serait peut-être toujours en déten­tion provi­soire.

Et aussi, comment se fait-il que William M. ait réussi à se procu­rer une arme ou à la dissi­mu­ler, alors qu’il fait l’objet d’une inter­dic­tion de possé­der des armes depuis une condam­na­tion de 2017 ? (…)

Enfin, l’af­faire du parc de Bercy n’a pas valu à William M. un fichage des services de rensei­gne­ment, alors qu’il ne fait pas grand mystère de ses convic­tions supré­ma­cistes. (…)

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