Le débat sur le référendum d’initiative citoyenne (RIC), confidentiel il y a encore peu, a émergé au premier plan des questions soulevées par le mouvement des Gilets jaunes, comme concrétisation d’une volonté de contrôle populaire et de démocratie directe. La revendication du RIC est même devenue un élément fédérateur de ce mouvement. Faut-il y voir un gadget qui détourne le mouvement de la revendication sociale ? Faut-il le considérer comme un instrument faussement démocratique et dangereux ? Où à l’inverse, constitue-t-il une opportunité à saisir pour revivifier la vie démocratique ?
La droite de tradition bonapartiste est pour le référendum, à la condition qu’il soit un instrument entre les mains du pouvoir afin de le légitimer ou de le relégitimer. Le référendum plébiscitaire est un scrutin entièrement organisé par le pouvoir en place qui en détermine tout le déroulement : la question posée, l’organisation du débat et le déroulement du scrutin. Cela lui donne, bien évidemment, un avantage souvent décisif.
Dans cette conception, il n’existe, évidemment, aucune place pour une initiative citoyenne ou populaire.
Plus récemment, les libéraux l’ont introduit dans l’entreprise pour contourner les organisations syndicales qui refusent de signer des accords collectifs régressifs. Là encore, point de place pour une initiative salariée : un référendum ne peut être initié qu’à la suite d’un accord signé par l’employeur et des syndicats minoritaires. Il est donc, de fait, conditionné à l’accord du chef d’entreprise qui a « la main » sur la formulation de la question posée, l’organisation du débat et le déroulement du scrutin.
A gauche, l’histoire plébiscitaire des référendums en France suscite, très logiquement, de fortes réticences, même s’il existe des exemples où ils se sont retournés contre leurs instigateurs.
Ce n’est pas là le seul motif de réticence : l’on peut voir, dans le référendum, même s’il était d’initiative populaire, le risque d’un vote d’émotion qui pourrait se révéler destructeur pour les libertés fondamentales (les questions de la peine de mort ou du mariage pour tous reviennent très souvent), s’il n’était pas assorti de modalités pratiques qui puissent garantir un réel débat citoyen.
Pourtant, dans une vie politique que le pouvoir veut circonscrire au seul moment de l’élection présidentielle, le RIC peut devenir un moment de respiration démocratique dans la longue apnée du quinquennat, avec deux objectifs : mieux contrôler le pouvoir et imposer une délibération populaire.
Le RIC peut constituer un réel progrès démocratique, sous certaines conditions.
Si l’initiative populaire peut amoindrir le risque plébiscitaire, elle ne peut à elle-seule l’écarter complètement. Contre ce risque, le référendum d’initiative citoyenne pourrait devenir une procédure habituelle où l’on ne vote pas pour ou contre les initiateurs (parti, personnalité, ou autre) mais pour ou contre une proposition.
Pour éviter les votes d’émotion ou les votes régressifs, il convient également de l’assortir de mécanismes qui garantissent sa légitimité (nombre de signataires, règles de scrutin) la qualité du débat (et notamment sa durée) et prévoir des niveaux de délibération intermédiaires.
Il faut, enfin, régler les rapports du référendum avec des normes universellement reconnues telles que les libertés fondamentales, les droits démocratiques et plus globalement les droits humains pour prévenir toute « dictature » de la majorité sur la ou les minorités et toute régression des droits fondamentaux.
Même assorti de ces précautions, le référendum ne pourra cependant constituer une solution miracle à tous les problèmes démocratiques qui demandent une profonde réforme des institutions, ni à tous les problèmes économiques et sociaux qui nécessitent, au-delà de telle ou telle mesure ponctuelle, la mise en place d’une logique en rupture avec le néolibéralisme.
Mais il peut contribuer à revivifier en profondeur la vie démocratique, que la constitution de la cinquième République, plus particulièrement depuis l’instauration du quinquennat, veut circonscrire à l’élection présidentielle. S’il permet d’édicter des normes contraignantes, à différents échelons territoriaux, il pourra relancer l’intérêt pour la politique, multiplier les occasions de débattre et faire reculer l’abstention.
C’est cela, sans doute, que le pouvoir voudra éviter. S’il cède sur cette revendication, il voudra le faire en la dénaturant et en vidant le RIC de son potentiel émancipateur. Il insistera, à cette fin, sur son caractère « dangereux » alors même qu’il décide de régressions démocratiques, comme le montre la transposition de l’essentiel des mesures de l’état d’urgence dans le droit commun ou son projet actuel de limiter le droit de manifester.
A l’inverse, nous devons appuyer le RIC comme outil de création de règles contraignantes et non comme un simple outil de consultation, tout en nous montrant très exigeants sur les mécanismes d’auto-contrôle qui doivent l’accompagner.