Le sondage réalisé par l’Ifop a déjà fait couler beaucoup d’encre : arrivée en tête de Marine Le Pen au premier tour quel que soit le cas de figure, large victoire du candidat de droite au second tour (de 57 à 62%), mais nette défaite de François Hollande s’il arrivait à se qualifier avec 46% contre 54% à Marine Le Pen. À plus de deux ans et demi du scrutin et en dehors de toute dynamique de campagne, la tentation pourrait être grande de relativiser ces résultats, de n’y voir qu’un simple instantané, certes dégradé, de l’état de l’opinion. Pourtant, le détail de l’étude révèle des tendances lourdes extrêmement inquiétantes.
Majorité absolue du vote FN des ouvriers
C’est parmi les couches du salariat les plus populaires, ouvriers et employés, que la candidate du Front national enregistre ses meilleurs scores. En soi, il ne s’agit pas d’une nouveauté, mais l’ampleur des intentions de vote démontre que des digues ont rompu. Pour le premier tour, trois hypothèses ont été testées suivant que le candidat de l’UMP était François Fillon, Alain Juppé ou Nicolas Sarkozy. Dans tous les cas, la candidature de Marine Le Pen recueille une majorité absolue du vote des ouvriers 56%, 57% et 51%.
En ce qui concerne les employés, les intentions de vote sont légèrement plus faibles, mais se portent à un très haut niveau : 39%, 40% ou 37 suivant les hypothèses retenues. Au total, dans cette partie du salariat qui a été le cœur de l’électorat de gauche, le FN recueille de 44 à 48%. À titre de comparaison, la somme des candidats de gauche (Arthaud, Poutou, Mélenchon, Dufflot, Hollande) ne réalise que 27 à 29% des suffrages. Tous les éléments d’un décrochage extrêmement important et durable entre catégories populaires et forces de gauche, quelles qu’elles soient, semblent donc réunies.
Les meilleurs résultats du FN chez les jeunes
L’autre enseignement préoccupant de ce sondage réside dans la ventilation des votes en fonction des tranches d’âge. Avec des intentions qui oscillent entre 30 et 37% pour les 18/24 ans et entre 34 et 41% pour les 24/35 ans, c’est auprès des couches les plus jeunes que Marine Le Pen obtient ses meilleurs résultats. Là encore, l’ensemble de la gauche fait pâle figure avec 25% parmi les 18/24 ans dont 16% pour Jean-Luc Mélenchon et autour de 26% pour les 24/35 ans. Près de 75% des moins de 35 ans se positionnant pour ce sondage se prononcent donc pour un candidat de droite ou d’extrême-droite. Certes, les franges les plus jeunes de l’électorat sont aussi celles qui comptent le plus d’abstentionnistes, mais qui peut croire que ce réservoir potentiel irait d’abord aux forces de gauche dans leurs diversités ?
En France, la violence de la crise touche prioritairement la jeunesse par un double mouvement : difficulté à entrer sur le marché du travail, explosion de la précarité des situations pour celles et ceux qui disposent d’un emploi. Face à une absence de perspectives, les plus jeunes se tournent, de plus en plus, vers des solutions autoritaires du type vote Front national. À l’inverse, tout semble indiquer que le cœur de l’électorat de gauche est constitué par des couches relativement âgées du salariat, diplômées et bénéficiant d’un CDI. Symptomatiquement, François Hollande, qui n’est crédité que de 13 à 16% des voix, obtient plus de 25% parmi les 50/64 ans.
Aggravation des tendances
Les études portant sur le premier tour sont encore amplifiées par celle sur le second, avec des résultats qui font frémir. Dans l’hypothèse d’une opposition entre François Hollande et Marine Le Pen, 70% des ouvriers et 64% des employés exprimant un vote choisiraient la candidate FN. Le candidat socialiste n’obtient une majorité que dans la catégorie des professions libérales et cadres supérieurs, 62%, c’est-à-dire parmi ceux qui, peu ou prou, ne paient pas la crise. Les 18/24 ans voteraient à 61% pour Marine Le Pen et même à 63% pour les 24/35 ans.
Les résultats de ce sondage traduisent des tendances lourdes à l’œuvre depuis des années. La montée en puissance du vote FN dans la jeunesse et le monde ouvrier était déjà très importante lors de l’élection présidentielle de 2012. Mais le début calamiteux du quinquennat de François Hollande aggrave et amplifie considérablement la situation. Incapable d’apporter des réponses à la souffrance des Français, prisonnier de ses dogmes libéraux et d’une construction européenne qui nourrit la récession, englué dans des affaires à répétition, le gouvernement socialiste conduit la société droit dans le mur.
Ce tableau bien sombre doit servir d’électrochoc, car il indique l’ampleur des problèmes pour une gauche de transformation sociale. S’il faut bien sûr des réponses institutionnelles et démocratiques, il faut d’abord répondre à la crise sociale, sous peine de graves déconvenues.
Guillaume Liegard. Publié sur le site de Regards.