Les 6 mois où Alexis Tsipras a montré que le néoli­bé­ra­lisme euro­péen déteste le suffrage univer­sel et le peuple grec.

Retour sur la période d’avant le 13 juillet, jour de la signa­ture d’un accord entre Tsipras et l’UE.

La victoire élec­to­rale de Syriza, le 25 janvier 2015, doit beau­coup à Alexis Tsipras, et, bien sûr, aux mili­tantes et mili­tants de cette orga­ni­sa­tion. Cette réus­site d’un parti de la « gauche radi­cale » tient à une stra­té­gie unitaire de refus des « mémo­ran­dums » impo­sés par la Troïka, refus de l’aus­té­rité dévas­ta­trice impo­sée pendant ces longues années. Explo­sion du chômage, réduc­tions dras­tiques des salaires et des pensions de retraite, désor­ga­ni­sa­tion du système de soins, impo­si­tion d’un régime de tutelle de l’État grec furent les consé­quences des déci­sions des diri­geants de la BCE, de la Commis­sion euro­péenne et du FMI. C’est pour en finir avec cette poli­tique d’aus­té­rité, pour suivre le programme présenté lors du discours de Thes­sa­lo­nique par Tsipras, que Syriza devint le premier parti de Grèce.

Des négo­cia­tions sous menace, sous chan­tage.
Mais « dès le 5 février, la Banque centrale euro­péenne déci­dait de ne plus accep­ter, de manière colla­té­rale, les titres de dette dépo­sés auprès d’elle par les banques grecques en contre­par­tie de leur refi­nan­ce­ment. Une déci­sion poli­tique outre­pas­sant les préro­ga­tives de l’ins­ti­tu­tion de Franc­fort pour asphyxier l’État grec et contraindre Syriza à renon­cer à ses enga­ge­ments. » « Les banques grecques étaient condam­nées au régime sec des liqui­di­tés d’ur­gence déli­vrées au goutte-à-goutte via le méca­nisme ELA. Une façon de placer le couteau sous la gorge aux négo­cia­teurs grecs, avant la conclu­sion de l’ac­cord-pont du 25 février, fina­le­ment arra­ché dans la douleur. » (1) L’ac­cord du 25 février accep­tait les condi­tions des usuriers de la Troïka, ce qui fut critiqué par la gauche de Syriza.

Puis après des mois de négo­cia­tions, Tsipras face à un ulti­ma­tum de trop de ses « parte­naires » a recours à un réfé­ren­dum, le 5 juillet. Il demande au peuple s’ils acceptent ou non les exigences de la Troïka. 61% répondent non, avec des scores écra­sants dans les milieux popu­laires et dans la jeunesse.
Ensuite de nouvelles négo­cia­tions ont lieu. Les fondés de pouvoir des usuriers, notam­ment le ministre alle­mand Schäuble furieux que l’on ose orga­ni­ser un appel au peuple, furieux du résul­tat, affirment leur indif­fé­rence totale à l’ex­pres­sion du peuple grec. Les négo­cia­tions s’in­ten­si­fient : tous contre les grecs. Le 13 juillet, un accord inter­vient.
« Les propo­si­tions de l’Eu­ro­groupe sont de la folie. Cela va au-delà de la sévé­rité, vers l’en­vie de vengeance, la destruc­tion totale de la souve­rai­neté natio­nale et aucun espoir de soula­ge­ment. On peut suppo­ser que c’est conçu pour être une propo­si­tion que la Grèce ne peut pas accep­ter, mais, même ainsi, c’est une trahi­son grotesque de tout ce que le projet euro­péen était censé repré­sen­ter ». C’est ainsi que le prix Nobel d’éco­no­mie Paul Krug­man a résumé sur son blog les propo­si­tions de l’Eu­ro­groupe deve­nues un accord.

Repre­nons la période 25 janvier-13 juillet.
Comme Media­part (2) l’écrit : Tsipras «  a mis à jour par ses six mois de résis­tance et ce déchaî­ne­ment de « vengeance » comme le note ce lundi matin le quoti­dien britan­nique The Guar­dian en une, la nature de la zone euro ». « Désor­mais, l’iden­ti­fi­ca­tion entre l’euro et l’aus­té­rité est totale » , c’est à dire que la zone euro est le lieu de l’aus­té­rité sans limite. « Le compor­te­ment des diri­geants de la zone euro avant et après le réfé­ren­dum pour faire du « non » aux mesures propo­sées un « non » à l’euro le prouvent aisé­ment. La volonté expli­cite de durcir les condi­tions impo­sées à la Grèce pour rester dans la zone euro ce week-end enfonce le clou. »

Ce fut un coup d’État qui s’est mis en place depuis le 25 janvier : les « insti­tu­tions euro­péennes » ont décidé de prendre le pouvoir en Grèce, de trans­for­mer ce pays en protec­to­rat, comme ce fut quelques années aupa­ra­vant en Italie et en Irlande. Cette fois, la démons­tra­tion s’est faite comme en Euro­vi­sion quoti­dien, et ce fut une démons­tra­tion qui a duré 6 mois. 6 mois pendant lesquels Tsipras, Varou­fa­kis et leurs cama­rades rendirent compte publique­ment du dérou­le­ment des négo­cia­tions.
Chacun a alors constaté que pour les idéo­logues du néoli­bé­ra­lisme de l’ Union euro­péenne, le suffrage univer­sel est un risque qui devient incon­si­déré si les machines idéo­lo­giques à effrayer les peuples perdent de leur effi­ca­cité.
Jean-Claude Juncker, actuel président de la Commis­sion euro­péenne l’a dit : « Il ne peut y avoir un vote démo­cra­tique dans un pays qui s’ins­crive contre les trai­tés. » C’est dit : pour la Commis­sion euro­péenne le vote démo­cra­tique doit rester sans consé­quence poli­tique.
Le néoli­bé­ra­lisme a montré (une fois de plus) pendant ces 6 mois comment et à quel point il était l’en­nemi de la démo­cra­tie.

La zone euro , zone anti­dé­mo­cra­tique, les néoli­bé­raux alle­mands aux commandes.
Ce qui a été prouvé aussi pendant ces 6 mois, c’est que la zone euro « est un lieu de domi­na­tion des forts sur les faibles où le poids de ces derniers ne comptent pour rien », que « l’euro est la monnaie de la BCE qui la distri­bue sur des critères qui ne prennent pas en compte le bien-être des popu­la­tions, mais sur des critères finan­ciers dissi­mu­lant mal des objec­tifs poli­tiques » (2).
Et aussi on a vu le rôle des diri­geants de l’ Alle­magne de Merckel qui a mis fin à la fiction du couple franco-alle­mand comme moteur de l’UE, ce pour s’af­fir­mer comme seule puis­sance diri­geante, avec ses soutiens en Europe centrale (Pays baltes, Slovaquie, Pologne) et en Europe du Nord (Pays-Bas, Finlande). Le projet  fédé­ral  est de créer une zone euro plus centra­li­sée, ce qui suppose l’ex­clu­sion de ceux qui le remettent en cause .

Les néoli­bé­raux dirigent tous les PS de l’Union euro­péenne.
Ce qui a encore été vu, ces derniers jours, c’est que les diri­geants du SPD sont en accord avec ce projet, dans le détail. C’est Martin Schulz, président socia­liste du Parle­ment, qui avait été le chef de file des socia­listes euro­péens pour les élec­tions euro­péennes, qui plaide pour la mise en place « d’un gouver­ne­ment d’ex­perts à Athènes » . Le PS français soutient le gouver­ne­ment français qui a montré quelques diver­gences avec Merckel … pour se féli­ci­ter de cet accord austé­ri­taire du 13 juillet.
Au bout de 6 mois, voilà à quoi servent les « socia­listes » euro­péens : à reprendre les exigences des usuriers telles quelles, ou bien …à les approu­ver telles quelles.
Les néoli­bé­raux sont indif­fé­rents à l’ écono­mie.
Ces néoli­bé­raux, ceux de droite comme ceux des PS ont une seule phrase à la bouche : « une dette, ça se rembourse » (avec toutes les consé­quences). Que la dette soit « odieuse »telle que défi­nie par la commis­sion mise en place par la Prési­dente du Parle­ment grec (dont nous repar­le­rons dans un autre texte) ? Que ce soient les inté­rêts usuraires que la Grèce doive inter­mi­na­ble­ment rembour­ser ?. Que ses élites écono­miques préda­trices aient pillé le pays pendant des années avec un manque de discré­tion qui n’a pu échap­per à nos experts écono­miques de la Commis­sion euro­péenne ? Que le pays, ravagé par les priva­ti­sa­tions brutales et le chômage, produise de moins en moins de richesses, et que ces richesses doivent rembour­ser les inté­rêts de la dette ? Tout cela ne les soucie nulle­ment.
Ces néoli­bé­raux qui ressas­saient mettre l’éco­no­mie aux postes de commande sont appa­rus indif­fé­rents à la moindre logique écono­mique. Face à l’éco­no­miste Varou­fa­kis, ils mépri­saient ses argu­ments.
Leur action actuelle contre la Grèce est une action de police qui a une fonc­tion : ruiner un peuple qui leur a dit non.
Cepen­dant, des contra­dic­tions dans le camp des affa­meurs : dans l’UE, UE/US , FMI/UE.
Certes il existe des contra­dic­tions qui se sont faites jour. Petite contra­dic­tion entre Alle­magne-Pays-Bas / France-Italie, nous l’avons vue.
Contra­dic­tion entre les doctri­naires bornés et sadiques et des néoli­bé­raux (Jacques Delors, Pascal Lamy et Anto­nio Vito­ri­nao) qui pensent qu’il faut prendre tout de même en consi­dé­ra­tion la situa­tion géopo­li­tique de la Grèce :
 : « Il s’agit d’ap­pré­hen­der l’évo­lu­tion de la Grèce dans une pers­pec­tive géopo­li­tique, comme un problème euro­péen, et qui le demeu­rera. …. comme un État appar­te­nant à des Balkans dont l’ins­ta­bi­lité n’a guère besoin d’être encou­ra­gée, en ces temps de guerre en Ukraine et en Syrie et de défi terro­riste – sans oublier la crise migra­toire. »(3)
C’est aussi le souci de l’Ad­mi­nis­tra­tion US qui l’a fait savoir haut et fort, ce qui aura néces­sai­re­ment des consé­quences.

Daniel Tusk, le président du Conseil euro­péen, s’inquiète (4) d’une ambiance de contes­ta­tion larvée qui pour­rait annon­cer un nouveau Mai68, tant il perçoit que le mépris et l’ar­ro­gance des fondés de pouvoir des possé­dants est obscène.
Etienne Bali­bar (5) souligne une divi­sion au sein de l’exé­cu­tif   euro­péen, avec le pouvoir passé à l’Eu­ro­groupe, et surtout l’inu­ti­lité du Parle­ment euro­péen en temps de crise:
« La Commis­sion n’étant plus qu’une struc­ture de régle­men­ta­tion (proli­fé­rante) et une cour­roie de trans­mis­sion, le pouvoir de négo­cier est passé à l’Eu­ro­groupe, dont l’exis­tence ne résulte d’au­cun traité et qui donc n’obéit à aucune loi, dont le Président « élu » par ses pairs sert en fait de porte-parole au plus puis­sant et au plus influent des États membres – en l’oc­cur­rence l’Al­le­magne. »
Allons-nous vers une oppo­si­tion ouverte USA/Alle­magne, sur ces points ?

Le FMI contrai­re­ment à la direc­tion euro­péenne exige main­te­nant  un allè­ge­ment de la dette, voire un « effa­ce­ment partiel », dans un rapport publié le 14 juillet. (6)

Reste à savoir comment nous pouvons utili­ser de ces contra­dic­tions dans notre lutte contre les néoli­bé­raux. Sans doute en faisant une nouvelle campagne pour dire combien cette dette odieuse est absurde.
Il y a tant de ménages suren­det­tés qui ont à rembour­ser les inté­rêts de leurs dettes et puis les agios et puis les frais bancaires, que l’on sait que les inté­rêts des banques s’op­posent à ceux des peuples. Il faut être un sacré gogo pour aimer sa banque ; ça commence à se savoir.

6 mois : ce que les peuples ont vu et entendu.
Cette courte séquence se termine vers le 14 juillet 2015. Nous appre­nons alors que Alexis Tsipras assume la respon­sa­bi­lité d’un texte auquel il ne croit pas.  Accord que le jour­nal alle­mand Der Spie­gel nomme « cata­logue des horreurs » ; Media­part titre « reddi­tion sans condi­tion » (7).
Peu après , Yanis Varou­fa­kis déclare que « les « parte­naires » euro­péens et les créan­ciers ont-ils jamais eu l’in­ten­tion de négo­cier un accord honnête, incluant une réso­lu­tion durable du problème de la dette ? Rien n’est moins sûr ». Puis il dira son oppo­si­tion à cet accord. La prési­dente du Parle­ment grec affir­mera vite ne pas accep­ter de soute­nir cet accord. La gauche de Syriza aussi, bien sûr.
Le 14 juillet, se termine une séquence où la vérité anti­dé­mo­cra­tique des insti­tu­tions diri­geantes de l’UE a été éclai­rée crûment pendant 6 mois. Le sacri­fice d’un peuple à la façon dont That­cher sacri­fia tous les mineurs, ou comme Pino­chet assas­sina 3000 mili­tants, a été justi­fié par ceux qui gouvernent l’Union euro­péenne. A nous de le répé­ter, de le faire savoir. Les anti­ca­pi­ta­listes ont aussi à sauver la démo­cra­tie, (sa praxis, pas ce qu’elle est deve­nue), lourde tâche s’il en est.

Quant à ce qu’on peut penser de la poli­tique d’Alexis Tsipras depuis le 13 juillet, c’est une autre histoire.

Pascal Bois­sel, 21 juillet 2015

Réfé­rences :
1. RosaMous­saoui l’Hu­ma­nité, 15 juillet
2. François Bonnet, Media­part, 13 juillet et 14 juillet
3.Jacques Delors Le Monde 4 juillet
4. Le Monde du 18 juillet
5. Etienne Bali­bar, blog de Media­part, 19 juillet
6. Le Monde 15 juillet
7. Ludo­vic Lamant, 13 juillet

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