Des extraits d’un article remarquable de Reflets.info.
https://reflets.info/articles/les-blesses-eborgnes-par-les-forces-de-l-ordre-ne-le-sont-pas-par-accident
Le LBD 40 doit être retiré de la liste des armes de maintien de l’ordre
Selon le décompte partiel du collectif « Désarmons-les », douze personnes ont perdu un œil dans la répression du mouvement des gilets jaunes. Quatre ont perdu une main. Les tirs de balles en caoutchouc avec les LBD 40 ne sont pas, contrairement à ce qu’affirme la police, imprécis. Enquête.
Derrière les chiffres froids des blessés, il y a des êtres humains, des souffrances, des séquelles qui resteront à vie. Franck, par exemple, a vingt ans. Le premier décembre 2018, il parlait avec sa mère au téléphone pour la rassurer alors que les manifestants étaient nassés autour de la place de l’Étoile. Il est soudain frappé au visage par un projectile tiré par un LBD40 (lanceur de balles de calibre 40 mm), la nouvelle arme à la mode pour le maintien de l’ordre. Au cours des manifestations parisiennes couvertes par Reflets, nous avons pu constater la présence massive de cette arme dans les mains des forces de l’ordre engagées. Comme s’il était désormais impossible de contenir une manifestation sans cette arme. Qu’il s’agisse de policiers en civil ou de policiers en tenue, tous les groupes croisés disposent de ces lanceurs de balles en caoutchouc. Le LBD 40 a remplacé le « Flash Ball« . Il est plus puissant (il porte plus loin) et il est plus précis.
« On voulait marcher symboliquement mais les lacrymogènes tombaient en pluie. On ne pouvait pas fuir, nous étions encerclés », explique Franck d’une voix posée. A terre, après avoir été percuté par un tir de LBD 40, un CRS lui appose une couverture de survie et, contrairement aux devoirs du fonctionnaire de police, celui-ci s’éloigne. Ce sont deux gilets jaunes qui vont le prendre en charge, appeler sa mère et les pompiers. Franck est l’une des douze personnes éborgnées depuis le mois de novembre, selon le décompte partiel du site Desarmons.net. Quatre personnes ont perdu une main dans l’explosion de grenades.https://reflets.info/articles/les-blesses-eborgnes-par-les-forces-de-l-ordre-ne-le-sont-pas-par-accident
Rarement un mouvement social aura été réprimé aussi violemment. « Le bilan dépasse tout ce que l’on a pu connaître en métropole depuis Mai 68, lorsque le niveau de violence et l’armement des manifestants étaient autrement plus élevés, et le niveau de protection des policiers, au regard de ce qu’il est aujourd’hui, tout simplement ridicule« , expliquait le chercheur Fabien Jobard dans un entretien au Monde le 20 décembre dernier.
Comment peut-on intellectuellement justifier des mutilations à vie ?
Dans le même temps, le donneur d’ordre des forces de l’ordre, c’est à dire le pouvoir exécutif, multiplie les appels au calme de la part des manifestants et martèlent que le président Emmanuel Macron a répondu très largement à leurs demandes. Dans les faits, c’est faux, mais cela conforte l’idée selon laquelle les manifestants qui continueraient de manifester n’auraient pas de raison valable de le faire. A tel point que des membres du gouvernement ont employé le terme « factieux » pour les désigner. Difficile pourtant de voir dans les cohortes de parents, de mamies et de papys qui défilent dans les rues de Paris, de dangereux factieux… Est-ce à dire qu’une fois qualifiés de « factieux », le gouvernement trouve intellectuellement acceptable de mutiler à vie des citoyens ?
Steven, vingt ans comme Franck, était à la manifestation parisienne le 8 décembre. Il en est revenu avec une fracture ouverte à la main, une autre au tibia.
« On était encerclés. Je m’étais pris la tête avec des casseurs. Au début, j’ai cru que c’était eux. Mais non. J’ai pris une balle de LBD 40 dans le tibia et des coups de matraque sur la main. J’ai perdu connaissance et je me suis réveillé à l’hôpital », confie-t-il. https://reflets.info/articles/les-blesses-eborgnes-par-les-forces-de-l-ordre-ne-le-sont-pas-par-accidentLe tir de LBD a provoqué une fracture ouverte du tibia – D.R. (…)
Créer un sentiment de peur et de sidération ?
L’effet recherché par la répression violente qui s’est abattue sur les gilets jaunes est sans doute de les épouvanter pour que le nombre de manifestants baisse. Le résultat est toutefois inverse. Tous les blessés interrogés par Reflets affirment que leur détermination est renforcée.
Jim venait pour sa par de l’île d’Oléron, avec sa femme, pour participer à la manifestation du 8 décembre à Bordeaux. « On ne connaissait pas la ville. On a essayé de partir par les petites rues mais les policiers en civil bloquaient et nous tiraient dessus. J’ai voulu protéger ma femme, indique-t-il. Après… Je ne me souviens plus de rien ». Il a été victime d’un tir de LBD 40 au visage et a perdu un œil tandis que l’autre a perdu en acuité. « On m’a fait une piqûre d’adrénaline. Je me rends compte que j’ai failli y passer. Je me suis réveillé le dimanche. J’ai 15 fractures au visage et désormais, j’ai une plaque en titane sur le côté droit ». (…)
La France fait cavalier seul en Europe dans ses méthodes de répression des manifestations. Tandis que dans certains pays, la police privilégie le dialogue pour obtenir une désescalade de la violence, la France sur-arme ses policiers et provoque parfois l’affrontement.
Au cours de chacune des manifestation que nous avons suivies depuis le 8 décembre, le processus se répète : les manifestants marchent dans le calme. Soudain, les forces de l’ordre organisent une nasse. Enferment les manifestants dans un périmètre restreint pendant une demi-heure ou une heure. La tension monte, les forces de l’ordre tirent des gaz lacrymogènes, la tension monte encore d’un cran, les affrontements deviennent plus violents, la police riposte avec des grenades de désencerclement et des tirs de LBD 40. (…)
En effet, comme l’a relevé un internaute, les LBD 40 sont tous équipés d’un viseur électronique (holographique) de la société EOTech, réglés et scellés. Selon le fabriquant, il est très compliqué de rater sa cible avec un tel viseur. Selon un document de formation à l’usage des LBD mis en ligne par Taranis, « le viseur électronique permet des tirs réflexe précis et rapides ou des tirs ajustés par mauvaises conditions de visibilité ». (…)
Au cours des dernières manifestations, nous avons pu constater que les tirs de LBD ne se font pas dans les jambes ou le torse, mais toujours à hauteur de visage ou au mieux, de plexus. « Tant que la décision de tirer n’est pas prise, le LBD de 40 mm est maintenu en « position de contact » – pointée en direction de la menace, l’axe du canon sous l’horizontale, l’index le long du pontet, sans contact avec la détente. » indique la doctrine. Un oubli ? (…)
Marie a eu plus de chance. Elle n’a pas été blessée. Mais elle fait partie des nombreuses personnes arrêtées « préventivement », avant même d’avoir vu le début d’une manifestation. (…)
Les interpellations « préventives » sur la base d’un texte un peu flou voté sous Nicolas Sarkozy, ont été l’une des méthodes utilisées pour faire baisser le nombre de manifestants lors des différentes manifestations.
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