« Le 25 janvier 2015, le peuple grec a pris une décision courageuse. Il a osé contester la voie à sens unique de l’austérité rigoureuse du Mémorandum afin de revendiquer un nouvel accord. Un nouvel accord qui permette à la Grèce de retrouver le chemin de la croissance dans l’euro avec un programme économique viable et sans renouveler les erreurs du passé.
Ces erreurs ont été payées cher par le peuple grec. En cinq ans, le chômage a grimpé à 28 % (60 % pour les jeunes) et le revenu moyen a diminué de 40 %, tandis que la Grèce, conformément aux statistiques d’Eurostat, est devenue l’Etat de l’Union européenne (UE) ayant l’indicateur d’inégalité sociale le plus élevé.
Pis encore, malgré les coups durs qui ont été portés au tissu social, ce programme n’a pas réussi à redonner à l’économie grecque sa compétitivité. La dette publique a flambé de 124 % à 180 % du PIB. L’économie grecque, malgré les grands sacrifices de son peuple, est toujours piégée dans un climat d’incertitude continue engendrée par les objectifs non réalisables de la doctrine de l’équilibre financier qui l’astreignent à rester dans un cercle vicieux d’austérité et de récession.
Mettre fin au cercle vicieux
Le principal but du nouveau gouvernement grec au cours des quatre derniers mois est de mettre fin à ce cercle vicieux et à cette incertitude. (…)
Aujourd’hui, l’Europe est en mesure de prendre des décisions qui déclencheront une forte reprise de l’économie grecque et européenne en mettant fin aux scénarios d’un Grexit. (…)
Un autre élément d’une importance toute aussi grande de nos propositions est l’engagement à accroître les recettes publiques par le biais de la redistribution des charges à partir des citoyens à revenus moyens et faibles vers ceux qui ont des revenus élevés et qui jusqu’à présent s’abstiennent de payer leur part pour affronter la crise, étant donné que dans mon pays ils étaient protégés très efficacement tant par l’élite politique que par la troïka qui « fermait les yeux ».
D’ailleurs, dès le premier jour, le nouveau gouvernement a montré ses intentions et sa résolution par l’introduction d’une mesure législative pour faire face à la fraude des transactions triangulaires en intensifiant les contrôles douaniers et fiscaux afin de limiter considérablement la contrebande et l’évasion fiscale. Parallèlement, pour la première fois après de nombreuses années, les dettes des propriétaires des médias leur ont été imputées par l’État grec.
Le changement de climat dans le pays est clair. Il est également prouvé par le fait que les tribunaux accélèrent le traitement des dossiers pour que les jugements soient rendus dans des délais plus brefs lors d’affaires liées à la grande évasion fiscale. En d’autres termes, les oligarques qui étaient habitués à être protégés par le système politique ont toutes les raisons de perdre leur sommeil.
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Nous avons déposé des propositions concrètes pour des mesures qui conduiront à une augmentation supplémentaire des recettes (contribution exceptionnelle sur les bénéfices très élevés, taxe sur les paris électroniques, intensification des contrôles des grands déposants – fraudeurs, mesures pour le recouvrement des créances arrivées à échéance en faveur de l’Etat, taxe spéciale sur les produits de luxe, appel d’offres pour les concessions de radiotélévision – qui ont été oubliées, comme par hasard, par la troïka (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) pendant cinq ans, etc.).
Ces mesures visent à augmenter les recettes publiques tout en évitant par ailleurs de contribuer à la récession puisqu’elles ne diminuent pas davantage la demande effective et n’imposent pas de nouvelles charges aux faibles et moyens revenus.
Nous nous sommes mis d’accord pour mettre en œuvre une grande réforme du système de sécurité sociale avec l’unification des caisses d’assurance sociale, la suppression de dispositions autorisant à tort l’octroi de retraites anticipées,en augmentant de cette façon l’âge réel de la retraite.
Nous devons tenir compte du fait que les pertes des caisses d’assurance sociale, qui ont conduit au problème de leur viabilité à moyen terme sont principalement dues à des choix politiques dont la grande responsabilité incombe à la fois aux précédents gouvernements grecs et, surtout, à la troïka (la diminution des fonds de réserve des caisses de 25 milliards en raison du « Private sector involvement » en 2012 et surtout le taux de chômage très élevé, dû presque exclusivement au programme d’austérité extrême appliquée en Grèce depuis 2010).
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Rétablir les conventions collectives et ne plus toucher aux retraites
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En ce qui concerne le second point, celui des retraites, la position du gouvernement grec est absolument documentée et logique. La diminution cumulée des retraites en Grèce pendant les années du Mémorandum est de 20 % à 48 % : actuellement 44,5 % des retraités reçoivent une retraite inférieure au seuil de pauvreté relative et selon les données de l’Eurostat, 23,1 % des retraités vivent dans des conditions de risque de pauvreté et d’exclusion sociale.
Il est donc manifeste que cette situation qui résulte de la politique du Mémorandum ne peut être tolérée ni pour la Grèce ni pour aucun autre pays civilisé.
Il faut donc dire les choses comme elles sont : si nous ne sommes pas encore arrivés à un accord avec nos partenaires, ce n’est pas à cause de notre intransigeance ni à cause des positions incompréhensibles du côté grec. Cela serait plutôt à cause de l’obsession de certains représentants institutionnels qui insistent sur des solutions déraisonnables en se montrant indifférents à l’égard du résultat démocratique des récentes élections législatives en Grèce et de la reconnaissance publique par les institutions européennes et internationales qui se disent prêtes à faire preuve de flexibilité pour respecter le verdict des urnes.
Pourquoi cette obsession ? Une explication facile serait de dire qu’elle résulterait de l’intention de certains représentants institutionnels de couvrir l’échec de leur programme et d’obtenir une auto-confirmation de quelque genre. On ne peut pas d’ailleurs oublier la déclaration publique du FMI il y a quelques années par laquelle il a reconnu s’être trompé sur les effets dévastateurs des multiplicateurs des coupes budgétaires imposées à la Grèce.
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Les deux stratégies opposées de l’Europe
J’arrive à la conclusion que la question grecque ne concerne pas exclusivement la Grèce, mais se trouve au centre d’un conflit entre deux stratégies opposées sur l’avenir de l’intégration européenne.
La première vise l’approfondissement de l’intégration européenne dans un contexte d’égalité et de solidarité entre ses peuples et ses citoyens. Ceux qui soutiennent cette stratégie ont comme point de départ le fait qu’il est inadmissible de forcer le nouveau gouvernement grec d’appliquer les mêmes politiques que les cabinets sortants qui ont d’ailleurs totalement échoué. Sinon, nous serions obligés de supprimer les élections dans tous les pays qui sont soumis à un programme d’austérité. Nous serions aussi obligés d’accepter que les premiers ministres et les gouvernements seraient imposés par les institutions européennes et internationales et les citoyens seraient privés de leur droit de vote jusqu’à l’achèvement du programme. Ils sont conscients que cela serait l’équivalent de l’abolition de la démocratie en Europe et le début d’une rupture inadmissible au sein de l’UE. Enfin tout cela aboutirait à la naissance d’un monstre technocratique et à l’éloignement de l’Europe de ses valeurs fondatrices.
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Puis il expose la deuxième stratégie dans l’UE, qu est celle qui est en fait actuellement appliquée et qui a pour nom néolibéralisme.
« Mais le problème fondamental est que cette deuxième stratégie comporte des grands risques et ceux qui la soutiennent ne semblent pas en tenir compte. Cette deuxième stratégie risque d’être le début de la fin puisqu’elle transforme la zone euro d’union monétaire en simple zone de taux d’échange. Mais en plus, elle inaugure un processus d’incertitude économique et politique qui pourrait aussi transformer de fond en comble les équilibres économiques et politiques dans l’ensemble du monde occidental.
Aujourd’hui, l’Europe se trouve à la croisée des chemins. Après des concessions importantes du gouvernement grec, la décision repose, non plus sur les institutions qui, à l’exception de la Commission Européenne, ne sont pas élues et qui ne rendent pas des comptes aux peuples, mais se trouvent entre les mains des leaders de l’Europe.
Quelle stratégie pourrait l’emporter ? Celle du réalisme pour l’Europe de la solidarité, de l’égalité et de la démocratie ou bien celle de la rupture et finalement de la division ?
Si certains pensent ou veulent bien croire que la décision que nous attendons ne concernera que la Grèce, ils se trompent. Je les renvoie au chef-d’oeuvre d’Ernest Hemingway « Pour qui sonne le glas ? »
Source :Le Monde