L’Humanité – Mardi 24 Mars, 2020
La seule usine de fabrication du médicament pour l’Hexagone, basée à côté de Lyon, a été placée en redressement judiciaire l’été dernier.
La chloroquine sauvera-t-elle le monde ? Si le débat scientifique reste entier, les potentiels ouverts par cet antipaludéen dans la lutte contre le Covid-19 jettent un coup de projecteur sur la situation d’une petite usine de la région lyonnaise, Famar, seul site de production de nivaquine agréé pour le marché français, aujourd’hui menacé de fermeture. « Les dernières interventions du ministre Olivier Véran sur les situations critiques liées aux pénuries de médicaments et au risque épidémique du Covid-19 devraient nous permettre de reconsidérer l’avenir de notre site dans le but de retrouver une indépendance sanitaire », plaide la CGT de l’usine pharmaceutique dans un communiqué. Placé en redressement judiciaire fin juin (lire notre édition du 12 juillet 2019), ce sous-traitant de Merck et Sanofi, basé à Saint-Genis-Laval (métropole de Lyon), qui emploie un peu plus de 250 salariés, n’a pour l’instant pas trouvé de repreneur. Un laboratoire libanais, Benta Pharma Industries, a visité le site début mars mais sans formuler d’offre ferme. L’audience devant le tribunal de commerce, qui devait se tenir ce mois-ci, a été ajournée. À l’heure actuelle, les administrateurs judiciaires tablent sur une poursuite d’activité jusqu’au 3 juillet.
Une unité de production jugée pas assez rentable
« Le site de Saint-Genis-Laval est à disposition pour répondre aux besoins sanitaires de milliers de patients en souffrance et ainsi satisfaire les intérêts de santé publique », souligne la CGT qui alerte depuis des mois sur l’impact sanitaire de la liquidation potentielle de ce site. Car, outre la nivaquine, l’usine produit douze médicaments d’intérêt thérapeutique majeur dont des neuropsychiatriques, un cardiovasculaire et un antidiabétique. Propriété d’Aventis jusqu’en 2004, l’établissement avait été cédé à un actionnaire grec, puis au fonds d’investissement KKR, qui a finalement décidé de se séparer de cette unité de production, jugée pas assez rentable.
« Nous n’avons aucun contact avec le ministère de la Santé. Seuls deux députés – Fabien Roussel et un député LaREM du Rhône, nous ont appelés », déplore Yannig Donius, délégué CGT de l’établissement, qui regrette également ne pas avoir de retour du corps médical. Les salariés de Famar restent donc suspendus aux résultats des essais cliniques de la chloroquine (lire notre encadré), en espérant que les pouvoirs publics réalisent l’importance stratégique de leur production.
Loan Nguyen
La chloroquine, espoir et polémiques
Initialement, la stratégie prévoyait de l’en exclure : la chloroquine sera finalement bien testée au cours d’un vaste essai clinique engagé en Europe. Lancé la semaine dernière, celui-ci doit permettre d’expérimenter plusieurs traitements sur 3 200 malades, dont 800 en France. Il y a une dizaine de jours, les autorités sanitaires avaient prévenu que la chloroquine n’en ferait pas partie, en raison de ses effets secondaires jugés trop inquiétants. Mais la polémique a grandi. Plusieurs médecins affirment constater des améliorations chez des patients à qui le médicament – initialement un antipaludéen commercialisé sous le nom de Nivaquine – a été prescrit. Leur porte-drapeau, le professeur Raoult, assure l’avoir prescrit à 24 patients avec une relative efficacité (lire entretien ici). Un échantillon trop faible pour démontrer quoi que ce soit, alerte une large part du milieu médical. Les travaux chinois sur lequel s’appuie l’infectiologue n’ont pas été relus ni évalués par d’autres scientifiques, soulignent de nombreux médecins. Il n’a, en outre, utilisé aucun placebo en miroir, afin de mesurer l’effet réel du médicament, déjà testé dans le cadre d’autres maladies infectieuses, sans succès. Les interventions parfois sans précaution du professeur Raoult sur les réseaux sociaux – entre autres une vidéo, publiée le 25 février, intitulée Coronavirus : fin de partie ! – lui valent, enfin, pas mal de remontrances de la part de ses pairs. Lesquels le disent : gare à ne pas confondre hypothèse avec certitude, au risque de créer de faux espoirs. L’essai clinique européen devrait aider à y voir plus clair. Ses résultats ne seront toutefois pas significatifs avant une quinzaine de jours.