Nous étions très nombreuses et nombreux, sans doute entre 6 et 7000, ce 29 octobre pour nous opposer à l’idée même de méga-bassines, et notamment à la construction de celle prévue sur le site de Sainte Soline (79).
Ces méga-bassines sont d’immenses trous (16 hectares pour celle-ci, soit l’équivalent de 22 terrains de football) recouverts de bâches imperméables, entourés de digues de 10m de haut, ayant pour objet de constituer des réservoirs de centaines de milliers de m3 (aux alentours de 700 000 m3 pour Sainte Soline) pour arroser les champs de quelques irrigant-es (12 pour ce site) l’été. La bassine se remplit par la captation directe des eaux de pluies tombant sur la surface bâchée mais aussi et surtout en pompant dans les nappes phréatiques. Celles-ci souffrant déjà des périodes de plus en plus fréquentes de sécheresse, sont empêchées de se régénérer et risquent de ne plus permettre l’accès à l’eau de la population.
Pour tout-es les opposant-es, il s’agit bien de l’accaparement d’un bien commun, financé à 70% par de l’argent public (Agence de l’eau, Région, Etat, Europe), au bénéfice de quelques intérêts privés.
Toutes et tous dénoncent aussi la possibilité donnée ainsi aux grands exploitant-es d’arroser leurs cultures dont beaucoup de maïs et de légumes destinés à l’exportation et à la grande distribution, reportant d’autant l’absolue nécessité de rompre avec le modèle agro-industriel socialement et écologiquement dépassé.
La confédération Paysanne ainsi que les Soulèvements de la Terre et les collectifs Bassines Non Merci ! 79 et 86 organisent, depuis plus de 5 ans, l’opposition à ces grands projets, dans les instances de décision, dans la rue et sur les sites de construction. Celle-ci s’est concrétisée par des mobilisation de plus en plus importantes, celle des 25, 26 et 27 mars « Pour un printemps maraichin » avait par exemple déjà permis à environ 5000 personnes de manifester.
Depuis plusieurs mois, il a été décidé que chaque nouveau chantier qui démarrerait serait l’objet d’une mobilisation sur site 3 semaines après. Aussi, quand les premiers signes d’une activité sur le site de Sainte Soline ont été remarqués tout début octobre, l’appel à la manifestation « pas une bassine de plus » les 29 et 30 octobre, a largement été relayé par toutes les associations, organisations syndicales et partis politiques directement impliquées ou soutenant la démarche.
La mise à disposition de son champ par Philippe B. lui-même ancien irrigant converti à l’urgence de changer de modèle, a permis l’installation des premiers chapiteaux et tentes du camp de base trois jours avant le 29.
Les interdictions de la préfète des Deux-Sèvres de manifester et de circuler pour les voitures et les vélos des non riverains dans la zone étendue à neuf communes autour du chantier, ont été contestées en vain par le biais d’une procédure en référé déposé par la CGT et Solidaires qui appelaient à la manifestation. Elles ont aussi été dénoncées dans une tribune signée par 200 élu-es, syndicalistes, avocat-es et publiée sur le site du journal Libération le 27 octobre. https://bassinesnonmerci.fr/index.php/2022/09/19/tract-dinformation/
Mais, cette tentative d’intimidation n’a pas entamé la détermination des participant-es, convaincu-es de la légitimité de leur mobilisation, et alors que 1700 agent-es des forces de l’ordre et au moins 4 hélicoptères avaient été dépéché-es pour empêcher d’approcher du site de construction de la méga-bassine, la manifestation s’est élancée peu après 14h, en 3 cortèges distincts.
Objectif : rejoindre le champ dit des Terres Rouges, à environ deux km du camp et investir le chantier de construction qui avait été vidé de ses machines en prévision de la mobilisation. L’organisation en trois cortèges distincts nous a permis de jouer à 1,2,3 bassine ! au son de batucadas et de cornemuse. Elle a surtout obligé les forces de l’ordre à se disperser sur les trois fronts et à permettre ainsi des passages plus faciles à chaque cortège.
Après les premières marches d’approche à travers champs, les rencontre de chacun des trois cortèges avec les cordons de gendarmes se sont faites d’abord par un nombre impressionnant de grenades de gaz lacrymogène lancées, très en amont du chantier en direction des manifestant-es pour les empêcher d’avancer plus. Guidées par les hélicos qui tournaient au-dessus des têtes, se repositionnant sans cesse pour tenter d’empêcher l’avancée de chaque cortège, les forces de l’ordre se sont montrées particulièrement agressives. Outre les gaz lacrymogènes, ont été dénombrées des tirs de grenades de désencerclement et de LBD. Lorsqu’il y a eu contacts, ils ont été violents. Au moins 55 camarades ont été blessé-es, 5 gravement, dont plusieurs au visage et à la tête. 4 étaient toujours hospitalisé-es aujourd’hui, 30 octobre, un transféré à Paris pour être opéré. Présente dans la manifestation avec d’autres député-es de la NUPES et Philippe Poutou, la députée de la 1ère circonscription de la Vienne, Lisa Belluco, très identifiable par le port de son écharpe de députée, a été molestée. Une très grande tension donc, dont le gouvernement, ses représentant-es et les forces de l’ordre sont entièrement responsables, les organisateurs, organisatrices et groupes plus mobiles de manifestant-es, ayant pris soin des participant-es de tous âges et agi à chaque instant pour sécuriser les cortèges.
Mais… après plus d’une heure trente de progression, la bassine est prise !
Les grilles entourant le chantier sont tombées et plusieurs centaines puis milliers de personnes se retrouvent d’abord au sommet de la digue entourant la future bassine puis en contrebas, sur la surface de la bassine elle-même. Pendant une dizaine de minute, l’émotion liée à la réussite de cette action collective et à la conviction d’agir pour l’intérêt général, est palpable pour celles et ceux qui sont parvenu-es jusque-là (un puis deux des trois cortèges). Bref répit avant une évacuation des lieux qui a été un autre moment de forte tension, les forces de l’ordre pressant les manifestant-es contre une haie qu’il était difficile de traverser rapidement à plusieurs milliers. L’occasion, bien sûr saisie, d’arroser copieusement de tirs de grenades lacrymogènes et de désencerclement celles et ceux qui se trouvaient là, coincé-es.
Les manifestant-es ont été poursuivi-es par les jets de grenades jusqu’à loin dans le champ voisin, les forces de l’ordre prenant ensuite position sur les deux flans du chantier attaqués. Quelques centaines de mètres plus loin, le rassemblement des trois cortèges permet à chacun-e de se reposer, de faire redescendre le stress intense qui a accompagné pendant près de deux heures cette manifestation. Le retour au camp se fait dans le calme, les premières nouvelles des blessé-es et interpellations arrivent. Depuis c’est la consternation : soutien total et solidarité aux victimes de cet appareil de répression qui pour protéger les intérêts privés de quelques un-es ont mis en œuvre un déploiement de forces complètement disproportionné.
La guerre de l’eau a commencé.
Valérie Soumaille, le 30 10 2022
Dans les Deux-Sèvres, la mobilisation contre les mégabassines atteint ses objectifs malgré son interdiction… et les lacrymogènes
Plusieurs milliers de personnes et de nombreux élus ont manifesté, samedi 29 octobre, à Sainte-Soline, contre le plus gros projet en cours de mégabassine, pour dénoncer l’accaparement de l’eau par l’agro-industrie. À l’appel de 150 organisations, le rassemblement, qui dure depuis plusieurs jours, a été le théâtre de tensions avec les forces de l’ordre.
Sainte-Soline (Deux-Sèvres).– Il est 15 h 15 ce samedi 29 octobre quand plus de deux cents personnes avancent pacifiquement au milieu de l’immense cratère de Sainte-Soline. Après avoir marché au pas de course depuis le camp de base, à deux kilomètres de là, déjoué plusieurs barrages de police et traversé des nuages lacrymogènes, dérouté les forces de l’ordre par la progression de trois cortèges distincts à travers champs, une partie de la foule manifestante a atteint son but : pénétrer à l’intérieur du chantier très protégé de la dernière mégabassine en cours d’aménagement dans les Deux-Sèvres.
(..)cette mégabassine est la plus grosse jamais construite dans les Deux-Sèvres. Un mur de gaz lacrymogènes chasse toutefois la foule au bout de quelques minutes.
Qu’à cela ne tienne, la manifestation est une réussite aux yeux de celles et ceux qui l’ont organisée : 7 000 personnes selon leurs estimations ont pris part à la marche et ont réussi à s’approcher des grilles du chantier. Et ce malgré l’interdiction du rassemblement par la préfecture, le blocage des routes alentour depuis le matin et une mobilisation impressionnante des forces de l’ordre : quelque 1 600 gendarmes et policiers étaient mobilisés, tandis que trois hélicoptères et des drones survolaient la manifestation.
Malins, des activistes avaient commencé à installer le camp dès le début de la semaine et se trouvaient sur place avant que les accès ne soient bloqués. Chapiteaux, barnums, toilettes sèches… et des centaines de tentes ont poussé en quelques jours. La mobilisation se poursuit tout au long du week-end avec des concerts, une « assemblée des luttes », des balades archéologiques et naturalistes… et de nouvelles actions.
« On voulait quelque chose de festif, un moment sympathique à partager ensemble », précisait en amont du rassemblement Léna Lazare des Soulèvements de la Terre – l’un des collectifs, avec Bassines non merci et environ 150 autres organisations, à l’origine de la mobilisation.
Quatrième moment de la mobilisation antibassine après celle de Mauzé-sur-le-Mignon en septembre 2021, celle de Cramchaban en novembre, puis celle d’Épannes en mars – toutes trois dans le marais poitevin – la marche de Sainte-Soline, à une cinquantaine de kilomètres au sud-ouest de Poitiers, avait pour but d’arrêter le prochain chantier qui démarrerait dans la région. Avec pour demande un moratoire sur la construction de ces équipements destinés à alimenter en eau une poignée d’agriculteurs. Il faut dire qu’entre-temps, un été de sécheresse record a posé avec une nouvelle urgence la question d’une gestion équitable de l’eau et ne fait que conforter les activistes dans leur combat.
« On lutte contre un projet d’accaparement d’eau, explique Mélissa Gingreau, l’une des porte-paroles de Bassines non merci. On s’oppose à la construction de seize mégabassines dans les Deux-Sèvres. Mais si on ne veut pas qu’elles se construisent ici, on veut surtout qu’elles ne se fassent pas ailleurs. Car il s’agit d’une privatisation de l’eau au profit d’une minorité de gens. »
La bassine de Sainte-Soline est destinée à l’usage de douze exploitants agricoles. Avec son tee-shirt « L’eau est un commun. Protégeons-là, partageons-là », le porte-parole de la Confédération paysanne, Nicolas Girod, défend l’idée qu’une autre agriculture est possible, qui stocke naturellement l’eau dans les sols. « Les mégabassines, ce sont des outils de l’agro-industrie qui font disparaître paysannes et paysans, tout comme les fermes-usines, les produits de synthèse, les OGM… Pomper une eau qui a réussi à s’infiltrer dans les sols est un non-sens écologique. Ce qu’il faut, c’est sortir des pratiques de monocultures intensives et retrouver des sols qui ne soient plus stériles. »
Philippe Beguin, l’agriculteur qui a prêté le terrain pour le campement militant, a précisément fait ce chemin quand, il y a quelques années, il s’est fâché avec les concepteurs d’une autre mégabassine du secteur. « Ils ne répondaient pas précisément à mes questions. Or moi j’avais fait mes calculs, j’avais vu qu’avec les charges d’emprunt liées à cet équipement, on ne gagnerait pas plus d’argent en faisant du maïs irrigué qu’en faisant du blé en culture sèche », raconte-t-il à Mediapart.
Il a fini par claquer la porte, remettant en cause le système dans lequel il était. « Je ne suis pas fier de ce que je faisais… Mais les paysans, on a été tellement formatés ! Beaucoup de mes voisins critiquent mon retournement, mais j’observe qu’avec la médiatisation du combat contre les mégabassines, certains changent aussi d’avis. »
Aujourd’hui, Philippe a mis l’une de ses parcelles en jachère, car elle se trouve, entre mai et septembre, sur la zone de nidification d’un oiseau migrateur : l’outarde canepetière. Et là où il faisait du maïs et du tournesol irrigués, il fait désormais pousser du blé et du millet blanc destiné à l’alimentation d’oiseaux. Il a conservé un peu de tournesol et de maïs, mais « seulement là où il y a les bonnes terres profondes, sans irrigation, quitte à faire la moitié du rendement », dit-il.
C’est bien à cette « agriculture de qualité », et non pas à « une agriculture destructrice de la faune et de la flore », qu’il faut parvenir, estime Lisa Belluco, députée EELV (Europe Ecologie Les Verts) de la 1re circonscription de la Vienne – circonscription voisine de celle de Sainte-Soline avec laquelle elle partage le même bassin versant. « Dans le secteur, ce sont 31 mégabassines que la préfecture veut faire passer. Si nous gagnons ici, nous gagnerons pour les autres projets. Si l’on prend en compte tous les usagers de l’eau, on voit bien que ce système ne peut pas fonctionner dans un contexte de changement climatique. »
Comme elle, Manon Meunier, élue LFI (La France insoumise) à l’Assemblée nationale sur la Haute-Vienne, est venue manifester pour, dit-elle, « faire bifurquer l’agriculture ». « Il faut investir dans la transition agroécologique, dans une agriculture intensive en emploi. »
Lors de son intervention en juillet dernier devant la commission Développement durable et aménagement du erritoire de l’Assemblée nationale, la climatologue coprésidente du Giec Valérie Masson-Delmotte ne disait pas autre chose. « Ces simples politiques de substitution et de bassines ne seront pas à l’échelle par rapport aux besoins, indiquait la scientifique. […] Là, on peut être dans des cas de mal-adaptation parce que l’on créerait du stockage et […] on accentuerait le niveau de réduction des nappes. Il faut aussi se projeter sur ce que nécessiterait une adaptation à l’échelle d’ici à 2050, et là on se rend compte qu’on aura besoin de toute manière de changement dans les systèmes de production pour réduire les besoins d’irrigation, et pour parvenir du coup à un meilleur équilibre avec le climat tel qu’il évolue. »
Dans les rangs militants, au-delà des organisations et des syndicats – des députés européens, le NPA (Nouveau parti anticapitaliste), la CGT et Solidaires sont également présents – on trouve aussi des gens des environs, secoués par l’« éco-anxiété », choqués par l’impasse dans laquelle nous conduit l’agro-industrie.
(…)
Au cours de la marche vers la mégabassine, cible de nombreuses bombes lacrymogènes lancées dans les airs par les forces de police, de bombes assourdissantes, de grenades de désencerclement et de tirs de LBD planait la mort de Rémi Fraisse sous un tir de grenade, il y a précisément huit ans au cours de la contestation du barrage de Sivens. Hier, 50 personnes ont été blessées dans le cortège, parmi lesquelles cinq sont hospitalisées, indique la coordination de Bassines non merci. La police, de son côté, fait état de 62 blessés.
Cette mobilisation grandissante et rejointe par de nombreux politiques finira-t-elle par être entendue ? Pour l’heure, le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, présidé par le socialiste Alain Rousset, continue de soutenir le modèle des mégabassines, qui bénéficie d’importants financements publics.
Quelques heures avant le début de la marche, Christophe Béchu, le ministre de la transition écologique, enfonçait le clou, avançant que les bassines étaient une solution face à la sécheresse. « On a la moitié des départements de France encore en situation de sécheresse. L’agriculture est en première ligne, et il nous faut des alternatives pour continuer à nourrir les Français », déclarait-il samedi matin sur France Inter.