Comment une coalition politique peut-elle vivre sans matériel frappé de son logo, sans initiatives communes ni volonté de structuration locale ? Dans l’ombre des chef·fes des partis membres du Nouveau Front populaire (NFP), des « facilitateurs » de l’union se posent amèrement ces questions depuis plusieurs semaines. (…)
Depuis, tous les voyants de l’unité sont éteints. Le renoncement de Lucie Castets à être la candidate du NFP à l’élection législative partielle en Isère, annoncé le 18 octobre à l’AFP, est symptomatique de cette panne. L’ex-candidate de l’alliance pour Matignon souhaitait siéger dans le groupe « le plus représentatif de la diversité et de l’union de la gauche » – comprendre le groupe écologiste –, alors que cette circonscription était réservée à La France insoumise (LFI). Impossible pour le mouvement de Jean-Luc Mélenchon.
Alors que le NFP se voulait annonciateur d’un saut qualitatif par rapport à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), il a donc lui aussi tout d’un cartel de partis qui peinent à se dépasser. « Il n’y a toujours pas d’intergroupe du NFP à l’Assemblée nationale, ce qui n’est pas un signe très positif, car à l’époque de la Nupes, l’intergroupe était un fer de lance de l’union », regrette Julien Layan, coordinateur national des Jeunes Génération·s et « unioniste » indéfectible. (…)
Un duel de leadership entre LFI et le PS
Désormais les agendas de chacun·e s’imposent, peu à peu, à l’agenda commun. Avant même 2027, qui détermine tout, LFI ne veut pas passer son tour pour les municipales de 2026 et part avec des ambitions nouvelles, notamment dans les métropoles et villes moyennes – le député insoumis David Guiraud est déjà candidat à Roubaix (Nord). Une partie des troupes du PS compte pour sa part sur son prochain congrès, en 2025, pour rompre avec LFI et construire une offre « sociale-écologiste », qui risque de finir en avatar du hollandisme. Certains écologistes, comme Yannick Jadot, voient cette recomposition d’un bon œil. (…)
Le constat est donc largement partagé : le soufflé NFP s’est dégonflé et les batailles de courants internes au PS empiètent de plus en plus sur le terrain de l’union. « C’est le retour des socialistes qui pensent pouvoir devenir hégémoniques, sans comprendre que le peuple de gauche était passé à autre chose », souffle le sénateur écologiste Thomas Dossus, qui était sur la photo de famille le soir de la formation du NFP.
« Les gens n’attendent plus qu’un parti prenne l’ascendant sur l’autre, il n’y a plus d’hégémonie à gauche : soit on discute tous ensemble, soit on laisse l’extrême droite gouverner avec la droite », poursuit-il, regrettant que le sentiment d’urgence des mois de juin et juillet ait si vite été oublié.
Le NFP ne se fracture certes pas encore complètement, car les parlementaires s’attendent à ce que des législatives anticipées soient à nouveau provoquées et ils ont intérêt à rester unis pour ne pas être balayés. Mais la coalition reste à l’état embryonnaire, comme un accord minimal qui ne parvient pas à grandir, faute de réellement s’ouvrir à la société civile qu’elle a tant louée durant la campagne.
L’accélération du temps politique
Preuve en est la relative absence de Lucie Castets. Celle-ci a réussi à se faire une place à la présentation des propositions budgétaires du NFP, mais difficilement. La laisser occuper trop d’espace reviendrait à sceller l’union, ce que certain·es ne souhaitent pas. « Si le gouvernement tombe, il faudra avoir de nouveau une discussion, je suis prête à honorer l’engagement que j’ai pris le 23 juillet. Si les circonstances évoluent, elles évoluent », concédait-elle récemment sur le plateau de Mediapart.
« Si on veut gouverner, il ne faut surtout pas soustraire [des forces politiques] », ajoutait-elle, inquiète, si ce n’est fataliste. Malgré tout, la haute fonctionnaire continue de multiplier les apparitions – elle participait encore, vendredi, à un meeting avec des député·es du NFP à Limay (Yvelines), en dépit de son renoncement à être candidate à Grenoble (Isère) qui risque de refroidir ses relations avec les Insoumis.
Dans les interstices entre le PS et LFI, un petit regroupement se veut le ciment du NFP, autour de L’Après (le mouvement des « purgés » de LFI), Génération·s et Picardie debout. À la tête des Écologistes, Marine Tondelier tient aussi cette ligne unitaire. Mais leur aptitude à réduire les turbulences à gauche est bien maigre.
Quant à François Ruffin, que beaucoup imaginaient en rassembleur et potentiel candidat commun de la gauche, il a perdu des plumes depuis qu’il a quitté LFI – d’autant plus qu’il n’a pas profité de sa journée de rentrée à Flixecourt (Somme) pour jeter les bases d’un nouveau parti, ce que certains attendaient.
Alors, entre l’aile hollandiste du PS qui reprend des forces et la conviction des cadres insoumis que Jean-Luc Mélenchon est le seul candidat crédible pour 2027, toutes les conditions sont réunies pour que le NFP explose au sommet. « Ma crainte, c’est qu’on en revienne progressivement aux deux gauches irréconciliables. On est dans le retour de ce qu’on a connu en 2022 en pire, avec le risque réel que le RN l’emporte en 2027 », analyse sombrement Alain Coulombel, membre du bureau exécutif des Écologistes.
Pour le député Alexis Corbière, ex-LFI qui siège désormais avec les Écologistes, il y a même une probabilité pour que le calendrier de la présidentielle soit avancé : « Macron peut craquer et partir plus tôt que prévu, ce n’est pas un scénario fou. Est-ce qu’on réfléchit à cette accélération ou est-ce un impensé ? », questionne-t-il, en espérant ouvrir un débat sur le mode de désignation d’une candidature commune. Alors que le temps politique s’accélère, le NFP est comme tétanisé. Pourtant, toutes et tous le disent : « Il sera trop tard si on attend six mois avant 2027. »