À Gaza, l’aide reste entravée et les États-Unis continuent leurs pressions
(…) affirme à Mediapart Jonathan Fowler, porte-parole de l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugié·es palestinien·nes.
« Certes, poursuit-il, nous constatons une augmentation du nombre de camions autorisés à entrer, mais les procédures israéliennes qui autorisent ou interdisent l’entrée des semi-remorques sont floues et variables. L’idée d’une normalisation de la situation est trompeuse. » D’autant que l’UNRWA, principal opérateur humanitaire dans la bande de Gaza, n’a toujours pas le droit de faire entrer des cargaisons, au nom de lois ayant banni toutes ses activités votées par le parlement israélien
Le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus a renchéri lors d’une conférence de presse jeudi 23 octobre. Deux semaines après la signature du cessez-le-feu, la situation dans la bande de Gaza reste « catastrophique », la faim tord les estomacs et la famine poursuit ses ravages. L’état sanitaire de la population ne risque pas de s’améliorer, car les produits alimentaires, médicaux, de construction, n’entrent pas assez vite et pas en assez grand nombre dans le territoire martyr.
L’accord signé sous l’égide de Donald Trump, et dont il se vante tant, prévoit un minimum de 600 camions par jour. Mais seulement 200 à 300 sont effectivement autorisés à pénétrer dans la bande de Gaza par les autorités militaires israéliennes, affirme l’OMS. (…)
« Il est nécessaire de souligner que le seuil des 600 camions toujours évoqué ne permet d’atteindre que le niveau de survie, et ne permet pas à la population de vivre normalement », reprend Jonathan Fowley. En outre, il est nécessaire de comptabiliser séparément les cargaisons des agences de l’ONU et des ONG internationales et celles du secteur commercial.
Les premières sont distribuées gratuitement. Elles fournissent les cantines communautaires pour la nourriture (en aliments secs notamment), et les hôpitaux et centres de santé pour les biens médicaux. Les secondes sont vendues dans les épiceries et sur les marchés. Les Gazaoui·es ont certes retrouvé les légumes, les fruits et la viande. Mais il faut encore pouvoir les acheter.
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Quantités insuffisantes et entrées aléatoires, l’acheminement de l’aide reste tributaire de décisions opaques. À ce jour, seuls deux points de passage, Kerem Shalom dans le sud et Kissoufim au centre, sont ouverts. Celui de Rafah, à la frontière égyptienne, reste fermé… après que son ouverture a été annoncée plusieurs fois, puis reportée, puis annulée jusqu’à nouvel ordre. Résultat : des milliers de camions chargés d’aide attendent toujours le feu vert côté égyptien, et les agences de l’ONU paient des fortunes en stationnement à des entreprises égyptiennes.
Autre obstacle : de nouvelles règles instaurées par Israël, qui remettent en cause les autorisations accordées à la plupart des ONG internationales.(…)
Or, les nouveaux critères institués en mai 2025 sont inacceptables pour la plupart d’entre elles, dans la mesure où les autorisations peuvent être retoquées si les ONG en question critiquent les actions ou la politique israélienne. Les organisations doivent aussi, selon ces nouvelles règles, fournir la liste complète de leurs employés locaux.
Résultat : l’administration israélienne en charge des contrôles des cargaisons et des autorisations interdit nombre de cargaisons affrétées par les ONG internationales, obligeant celles-ci à renoncer ou à passer par les agences onusiennes comme le Programme alimentaire mondiale (PAM), l’Unicef ou l’OMS.
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« Entre le 10 et le 21 octobre 2025, 17 ONG internationales se sont vu refuser l’entrée à Gaza de cargaisons d’aide d’urgence, comprenant notamment de l’eau, de la nourriture, des tentes et des fournitures médicales. 94 % de tous les refus des autorités israéliennes ont concerné des ONG internationales », s’insurgent lesdites organisations dans un communiqué publié le 23 octobre. (…)
Pour celles qui passent entre les gouttes et pour les agences onusiennes, les cargaisons sont parfois refoulées pour cause de biens à « double usage », soit pouvant être utilisées à des fins civiles ou militaires.
« Depuis le cessez-le-feu, deux de nos camions sont entrés. Et deux ont été refusés, parce qu’il y avait des objets à double usage nous a-t-on-dit. J’ai regardé les listes, c’était surtout des trolleys pour pansements, des béquilles, un autoclave pour stériliser des objets chirurgicaux, et des lits pour nourrissons », explique Jacob Granger, coordinateur des programmes d’urgence pour Médecins sans frontières (MSF), depuis la bande de Gaza.
(…) le dernier avis de la Cour internationale de justice, rendu le 22 octobre, (…) « Puissance occupante », l’État hébreu est dans l’obligation « d’assurer la fourniture de produits essentiels » et de « ne pas entraver la fourniture de ces produits ou ses services liés à la santé publique ». La CIJ a également déclaré qu’Israël « a l’obligation d’accepter et de faciliter les programmes de secours fournis par les Nations unies et ses entités », condamnant ainsi la mise au ban de l’UNRWA, colonne vertébrale de l’aide internationale dans la bande de Gaza.
Seulement, cet avis juridique est purement consultatif. Sans surprise, il a été rejeté par le gouvernement israélien. Le présent n’est donc guère encourageant. Et l’avenir encore plus inquiétant aux yeux des professionnels de l’humanitaire.
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L’aide pourrait alors être coordonnée par le nouveau centre de coordination militaro-civil américain (CMCC) situé dans le sud d’Israël et destiné à « surveiller » le cessez-le-feu et les sites dans Gaza « sécurisés » par des mercenaires états-uniens. « Une sorte de Fondation humanitaire pour Gaza bis, s’inquiète un fonctionnaire de l’ONU. Avec les mêmes problèmes qui nous ont fait refuser de collaborer avec la GHF : l’absence d’accès indépendant et équitable pour la population, et un contrôle politique de l’aide humanitaire, cette fois non seulement par les Israéliens mais aussi par les Américains. » Le cauchemar recommencé, en pire.
Les États-Unis tiennent beaucoup à ce centre de commandement tout neuf, à leur cessez-le-feu et à leur contrôle sur l’ensemble des opérations. La ribambelle des plus hauts responsables, officiels et officieux, envoyés par Washington en Israël ces derniers jours en est la preuve.
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Tous sont venus signifier à Benyamin Nétanyahou que si Israël est leur allié, il n’est pas question que le cessez-le-feu et le plan rêvé par Donald Trump soient torpillés d’une manière ou d’une autre.
L’administration états-unienne, affirme le site Politico, a montré sa contrariété auprès d’un allié arabe, déclarant qu’« Israël est hors de contrôle ». Après la mort de deux soldats dans le sud de la bande de Gaza, les autorités israéliennes ont accusé le Hamas, qui a nié toute responsabilité. Washington a enjoint à son allié de mesurer sa réplique. Les frappes qui ont suivi ont tué plus de 40 civil·es palestinien·nes.
La contrariété s’est muée en exaspération après l’adoption, mercredi 22 octobre en première lecture par le parlement israélien, de deux projets de loi sur l’annexion formelle de la Cisjordanie.(…)
Donald Trump a donné le coup de grâce lors d’une conférence de presse à la Maison-Blanche, répondant à une journaliste : « Ne vous inquiétez pas pour la Cisjordanie. Israël ne va rien faire avec la Cisjordanie. »
Moins de deux semaines après le sommet de Charm al-Cheikh en Égypte, nous voilà déjà bien loin des airs triomphants affichés par le président des États-Unis, et sa prétention à avoir apporté la paix au Proche-Orient pour les siècles à venir.
