Media­part. 4 juillet. Clothilde Mraffko. « À Gaza, dans le silence inter­na­tio­nal, le carnage conti­nue »

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À Gaza, dans le silence inter­na­tio­nal, le carnage conti­nue

En une semaine, 630 Pales­ti­niens ont été tués dans l’en­clave, sous des bombar­de­ments ou en tentant d’ac­cé­der à de l’aide huma­ni­taire. Dans l’at­tente d’un cessez-le-feu que Donald Trump souhai­te­rait conclure entre l’État hébreu et le Hamas, la popu­la­tion survit dans à peine 15 % du terri­toire. 

Depuis son exil aux États-Unis, le poète gazaoui Mosab Abu Toha tient une chro­nique docu­men­tée de la guerre géno­ci­daire que subit son peuple, publiant chaque jour des images insou­te­nables sur les réseaux sociaux. Le 2 juillet, sur X, il les a accom­pa­gnées d’un mot d’ex­cuse adressé aux sien·nes.

«  Chaque jour, écrit-il, j’ai l’im­pres­sion de déshu­ma­ni­ser [les membres de] mon propre peuple lorsque je partage des vidéos et des photos d’eux : brûlés au point d’être mécon­nais­sables, leurs corps déchique­tés, déchi­rés en morceaux ou en deux, déca­pi­tés, ampu­tés. Je les expose dans leurs moments les plus brutaux et les plus indignes, espé­rant que le monde se déci­dera enfin à agir. Mais cela n’a jamais été le cas. Et j’ai l’im­pres­sion que cela ne se produira jamais, pas de notre vivant. »

Depuis le 7-Octobre, plus de 57 000 Pales­ti­nien·nes ont été tué·es à Gaza, selon les chiffres du minis­tère de la santé local. Ces données sont jugées fiables par l’ONU. Elles sont proba­ble­ment sous-esti­mées : des milliers de corps sont encore prison­niers des décombres. Le 16 mai dernier, l’ar­mée israé­lienne a lancé une nouvelle opéra­tion mili­taire, bapti­sée « Chariots de Gédéon », inten­si­fiant son offen­sive dans l’en­clave pales­ti­nienne. « Cette nuit, on a tué près de cent personnes de Gaza et tout le monde s’en fiche », se vantait le député supré­ma­ciste juif israé­lien Zvi Succot à la télé­vi­sion israé­lienne le même jour.

Rien que sur cette dernière semaine, du 25 juin au 2 juillet, au moins 630 Pales­ti­nien·nes ont été tué·es – soit près de 90 morts par jour.

L’un des bombar­de­ments les plus meur­triers a touché le café Al-Baqa, dans la ville de Gaza, le lundi 30 juin. L’éta­blis­se­ment, ouvert sur les vagues de la Médi­ter­ra­née, est un lieu prisé. (…) La zone n’était pas sous ordre d’éva­cua­tion de l’ar­mée israé­lienne et il n’y a eu aucun aver­tis­se­ment avant le bombar­de­ment. Selon un bilan du Bureau des affaires huma­ni­taires de l’ONU (Ocha), au moins 33 Pales­ti­niens ont été tués et des dizaines d’autres bles­sés, certains dans un état critique. « Des corps ont été proje­tés dans plusieurs endroits du café. On se serait crus le jour du Juge­ment dernier  », rapporte Yaqoub al-Baqa, encore choqué. Le Pales­ti­nien de 35 ans et quatre autres ont été « un peu proté­gés par un [renfon­ce­ment en] béton » et lui-même s’en est sorti indemne.

Le photojour­na­liste Ismaïl Abou Hatab, 34 ans, a été tué, ainsi que l’ar­tiste Amina, connue sous le nom de Frans al-Salmi. Les deux étaient amis. La dernière publi­ca­tion de la jeune femme sur Insta­gram était un dessin d’Abou Hatab, publié le 13 mai dernier. Une autre jour­na­liste, Bayan Abusul­tan, a émergé des ruines du café, photo­gra­phiée le visage ensan­glanté et les cheveux ébou­rif­fés. Depuis le 7-Octobre, selon le Comité pour la protec­tion des jour­na­listes, au moins 177 jour­na­listes, travailleurs et travailleuses des médias pales­ti­niens ont été tué·es. 

(…) Les mili­taires savaient donc que le café était très fréquenté au moment de l’at­taque. (…) « L’uti­li­sa­tion d’une telle arme dans un café mani­fes­te­ment bondé risque de consti­tuer une attaque illé­gale, dispro­por­tion­née ou indis­cri­mi­née, et devrait être exami­née comme un crime de guerre  », s’est alarmé Gerry Simp­son, direc­teur adjoint de la divi­sion « crises, conflits et arme­ment » au sein de l’ONG de défense des droits humains Human Rights Watch, auprès du Guar­dian.

Succes­sion de tueries

Un massacre en chasse un autre. Le 27 juin, en début de soirée, un bombar­de­ment israé­lien avait déjà ense­veli une dizaine de tentes dans un immense cratère, à l’est de la ville de Gaza – 14 Pales­ti­nien·nes sont morts, dont une famille de dix personnes. Le 29 juin, au moins 17 Gazaoui·es, dont douze membres d’une même famille, ont été tué·es et des dizaines d’autres bles­sé·es dans un bombar­de­ment à Jaba­liya, dans le nord de Gaza. Le 1er juillet, 23 personnes de la famille Abu Samra ont été tuées dans un bombar­de­ment dans le sud de la ville de Gaza.

Le 2 juillet, le direc­teur de l’hô­pi­tal indo­né­sien, le docteur Marwan al-Sultan, a été tué avec plusieurs membres de sa famille, chez lui. Il était l’un des deux derniers cardio­logues encore présents dans le nord de l’en­clave, et son hôpi­tal avait été la cible d’une attaque israé­lienne mi-mai. Une école a aussi été bombar­dée le 3 juillet dans le nord de Gaza – la défense civile pales­ti­nienne a annoncé 15 morts.

Quand la mort ne tombe pas du ciel, elle fauche celles et ceux qui tentent de récu­pé­rer un peu de nour­ri­ture. Depuis le 27 mai et l’ou­ver­ture de points de distri­bu­tion d’aide de l’obs­cure offi­cine bapti­sée la Gaza Huma­ni­ta­rian Foun­da­tion (GHF), 652 Pales­ti­nien·nes ont été tué·es à proxi­mité de ses centres et plus de 4 500 autres bles­sé·es. Israël veut rempla­cer l’ONU et les ONG inter­na­tio­nales dans la gestion de la distri­bu­tion de la nour­ri­ture à Gaza – offi­ciel­le­ment pour empê­cher que l’aide soit récu­pé­rée par le Hamas.

En réalité, les auto­ri­tés israé­liennes entendent ainsi renfor­cer leur contrôle sur les Gazaoui·es en super­vi­sant elles-mêmes la nour­ri­ture et les autres biens qui entrent dans l’en­clave. L’ONG Amnesty Inter­na­tio­nal les accuse d’uti­li­ser la faim « comme arme de guerre contre les Pales­ti­niens dans la bande de Gaza occu­pée et [d’]impo­ser déli­bé­ré­ment des condi­tions de vie calcu­lées pour entraî­ner leur destruc­tion physique dans le cadre de [leur] géno­cide en cours  ».

Le 27 mai, le quoti­dien israé­lien Haaretz a publié des témoi­gnages de soldats israé­liens dans l’en­clave, confir­mant les accu­sa­tions des Pales­ti­niens depuis des semaines. L’ar­mée israé­lienne avait admis des tirs de somma­tion aux alen­tours des centres de distri­bu­tion de la GHF. Les mili­taires qui se sont confiés au jour­nal israé­lien disent avoir reçu l’ordre de tirer sur une foule désar­mée, ce que nie ferme­ment le porte-parole de l’ar­mée contacté par Media­part.(…)

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Les mili­taires ne sont appa­rem­ment pas les seuls à tirer sur la foule pales­ti­nienne. Les agents char­gés de la sécu­rité des sites de la GHF sont souvent peu quali­fiés, « lour­de­ment armés, et semblaient avoir carte blanche pour faire ce qu’ils voulaient », laissent entendre deux contrac­tuels améri­cains qui se sont confiés à l’agence de presse Asso­cia­ted Press.(…)

« Peu importe qui tire, balaie Bushra Khalidi, de l’ONG Oxfam. Ce nouveau méca­nisme a créé un chaos complet. » Quand l’aide n’est pas distri­buée via ce système mili­ta­risé qui est en réalité un piège mortel, elle est récu­pé­rée par des civils affa­més et des groupes armés, sans forcé­ment atteindre celles et ceux qui en ont le plus besoin. Les béné­fi­ciaires pales­ti­nien·nes sont humi­lié·es, forcé·es d’em­prun­ter des routes dési­gnées comme zones mili­taires dange­reuses, de nuit, pour tenter de mettre la main sur un kilo de farine et de sucre. Les agents de sécu­rité et les mili­taires les traitent comme de poten­tielles menaces.

L’ONU et les ONG inter­na­tio­nales savent pour­tant faire : à Gaza, l’Unrwa dispose de quelque quatre cents points de distri­bu­tion (contre quatre pour la GHF). Le 26 juin, le Programme alimen­taire mondial (PAM), avec des orga­ni­sa­tions locales, a donné de la farine – l’opé­ra­tion s’est dérou­lée sans heurts. Le 2 juillet, 215 ONG ont signé  une péti­tion exigeant la fin du siège de l’en­clave et la restau­ra­tion du système d’aide coor­donné par l’ONU.

Les Gazaoui·es qui survivent sont coin­cé·es dans un espace toujours plus exigu. Selon l’Ocha, plus de 714 000 personnes, soit un tiers de la popu­la­tion, ont été dépla­cées de force depuis la reprise des bombar­de­ments israé­liens le 18 mars dernier. Rien qu’entre le 25 juin et le 2 juillet, l’ar­mée a émis trois ordres de dépla­ce­ment pour des parties de Khan Younès, dans le sud, Deir el-Balah au centre, et le nord de Gaza, couvrant 14,4 kilo­mètres carrés.

Aujourd’­hui, 85 % de la bande de Gaza est inac­ces­sible aux Pales­ti­nien·nes, soit parce qu’il s’agit d’une zone mili­taire israé­lienne, soit parce que la zone est sous le coup d’un ordre de dépla­ce­ment de l’ar­mée.

Les Gazaoui·es sont à nouveau tendu·es vers l’es­poir qu’un accord de cessez-le-feu soit trouvé. (…)

 

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