5 décembre 2025

Media­part. Extraits. Sainte Soline. La cruauté des gendarmes et de leurs chefs docu­men­tée, prou­vée.

https://www.media­part.fr/jour­nal/france/051125/faut-leur-tirer-dans-la-gueule-la-mani­fes­ta­tion-de-sainte-soline-vue-par-les-gendarmes

 

Media­part et « Libé­ra­tion » révèlent des images inédites du 25 mars 2023, filmées par les camé­ras-piétons des gendarmes. Elles montrent des consignes prohi­bées et dange­reuses données par la hiérar­chie, un voca­bu­laire guer­rier et une trou­blante satis­fac­tion de bles­ser « l’ad­ver­saire ».

Camille Polloni et Laura Wojcik

Deux ans et demi après la mani­fes­ta­tion contre les méga­bas­sines qui avait fait des dizaines de bles­sé·es à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) le 25 mars 2023, Media­part et Libé­ra­tion ont eu accès à plus de quatre-vingt-quatre heures d’images tour­nées par les gendarmes ce jour-là, prin­ci­pa­le­ment via les camé­ras-piétons qu’ils portaient sur la poitrine.

Ces images ont été saisies par l’Ins­pec­tion géné­rale de la gendar­me­rie natio­nale (IGGN) dans le cadre d’une enquête préli­mi­naire pour violence par personne dépo­si­taire de l’au­to­rité publique et non-assis­tance à personne en danger ouverte par le parquet de Rennes, compé­tent en matière mili­taire, et désor­mais en voie d’achè­ve­ment.

Le but de la procé­dure était de retrou­ver les tireurs qui ont fait quatre bles­sés graves parmi les mani­fes­tant·es. En défi­ni­tive, aucun n’a été iden­ti­fié. Mais Media­part et Libé­ra­tion ont récu­péré un maté­riel excep­tion­nel pour comprendre, de l’in­té­rieur, l’état d’es­prit des gendarmes, leurs actes et les propos échan­gés dans leurs rangs. 

Ces images révèlent des consignes de la hiérar­chie norma­le­ment inter­dites, car dange­reuses. Et une appa­rente cruauté de certains gendarmes, qui semblent tirer sans discer­ne­ment : ils se réjouissent à de nombreuses reprises de bles­ser lour­de­ment des mani­fes­tant·es. À la vue de ces images, l’IGGN aurait pu signa­ler au parquet ces poten­tielles infrac­tions : elle n’en a rien fait. 

Les fonc­tion­naires sont conscients d’être filmés, puisqu’ils mettent eux-mêmes en route leur caméra quand ils le jugent utile. Il leur arrive toute­fois d’ou­blier que la caméra tourne ou de déclen­cher invo­lon­tai­re­ment l’en­re­gis­tre­ment. 

Sur ces images, on voit de nombreux tirs tendus de grenades lacry­mo­gènes et explo­sives, ce qui est formel­le­ment inter­dit. Compte tenu de la dange­ro­sité de ces muni­tions si elles touchent quelqu’un à pleine vitesse, les règles d’uti­li­sa­tion du lance-grenades prévoient exclu­si­ve­ment des tirs en cloche, le canon devant être posi­tionné à 45 degrés et surtout pas à l’ho­ri­zon­tale.

Ces tirs tendus ne relèvent pas d’ini­tia­tives isolées : dans plus de la moitié des esca­drons étudiés, des gradés ordonnent à leurs subor­don­nés de procé­der ainsi. 

Ces vidéos montrent aussi des dizaines de commen­taires parti­cu­liè­re­ment dépla­cés et d’in­sultes visant les mani­fes­tants, trai­tés de « fils de pute », d’« encu­lés », de « pue-la-pisse ». Des gendarmes se vantent d’avoir touché des mani­fes­tants « en pleine tête » ou « dans les couilles », se réjouissent de « leur faire mal » et vont jusqu’à dire qu’il faudrait « les tuer ».

L’avo­cate Chloé Chalot, qui défend les inté­rêts des quatre bles­sé·es graves ayant déposé plainte, regrette que tout n’ait pas été consi­gné sur procès-verbal par l’IGGN. Elle réclame « un nouveau travail de retrans­crip­tion, beau­coup plus exhaus­tif », et note que « les enquê­teurs n’ont pas confronté les gendarmes en cause aux compor­te­ments consta­tés et propos tenus, malgré la gravité et les consé­quences de ceux-ci ».

En effet, les camé­ras-piétons des gendarmes n’ont été exploi­tées qu’a­près les audi­tions de leurs chefs d’es­ca­dron. Aucun gendarme n’a été inter­rogé sur le contenu des images.

(…)

La mani­fes­ta­tion du 25 mars 2023, orga­ni­sée par Les Soulè­ve­ments de la Terre, le collec­tif Bassines non merci et la Confé­dé­ra­tion paysanne, avait été inter­dite par la préfec­ture des Deux-Sèvres, qui crai­gnait notam­ment « une intru­sion et l’im­plan­ta­tion d’une ZAD [zone à défendre – ndlr]  » sur le site de la bassine (décla­rée illé­gale depuis). (…)

Le jour dit, un dispo­si­tif excep­tion­nel de main­tien de l’ordre, comp­tant près de 3 000 agents, est mis en place. Une quin­zaine d’es­ca­drons de gendarmes mobiles sont répar­tis tout autour de la réserve SEV 15 pour empê­cher son inva­sion par trois cortèges conver­gents : le bleu, le jaune et le rose. Sont aussi déployés deux canons à eau, deux véhi­cules blin­dés et vingt quads du pelo­ton moto­risé d’in­ter­ven­tion et d’in­ter­pel­la­tion (PM2I) de la Garde répu­bli­caine, ulté­rieu­re­ment blan­chis par une enquête admi­nis­tra­tive malgré leurs tirs de LBD en mouve­ment.

« Pourquoi ne pas avoir laissé les mani­fes­tants accé­der symbo­lique­ment à la bassine comme ils l’ont demandé ? », ont demandé les enquê­teurs de l’IGGN à la préfète, pour qui une telle option était exclue : « Ils ont reconnu que ce ne serait pas que symbo­lique. […] Il m’ap­par­te­nait d’as­su­rer la sécu­rité des biens. […] Leur volonté était aussi de s’en prendre aux forces de l’ordre. »

« À l’ar­ri­vée vers la réserve de Sainte-Soline, […] les trois cortèges se situaient dans le péri­mètre inter­dit à la mani­fes­ta­tion », ajoute la préfète. Du point de vue légal, cet « attrou­pe­ment » peut être dispersé par la force après somma­tions. Des somma­tions ont bien été effec­tuées, mais l’IGGN estime qu’elles sont restées « inau­dibles » pour les mani­fes­tant·es.

Avec l’au­to­ri­sa­tion de la préfète, le PM2I tire ses premières grenades lacry­mo­gènes vers 12 h 35 pour disper­ser le cortège bleu, qui s’ap­proche de la bassine. Puis il vise, « vrai­sem­bla­ble­ment par erreur », le cortège rose, comme l’a déjà montré le maga­zine « Complé­ment d’enquête ».

Alors que les cortèges commencent à se mêler, les mani­fes­tant·es semblent vouloir « encer­cler » la bassine (et donc les gendarmes posi­tion­nés devant). La préfète auto­rise alors l’em­ploi de la force sur l’en­semble des cortèges. « Les tirs de grenades lacry­mo­gènes s’in­ten­si­fient, à un rythme très soutenu, et ne cesse­ront quasi­ment plus », note l’IGGN, qui observe que « la zone est noyée de fumées lacry­mo­gènes » dès 13 heures.

Aux alen­tours de 13 h 15, « les affron­te­ments les plus violents de la jour­née » commencent et durent presque trois quarts d’heure. Les gendarmes reçoivent des pierres, des cock­tails Molo­tov et des feux d’ar­ti­fice, tandis que quatre véhi­cules de gendar­me­rie sont incen­diés. Des mani­fes­tant·es essaient de péné­trer dans la SEV 15 en faisant tomber les grillages qui entourent le site.

« Accu­lés », les gendarmes tirent sans arrêt. « La plupart des grenades CM6, MP7 ou GM2L atter­rissent dans les premiers rangs des black blocs, et parfois au-delà, parmi les mani­fes­tants restés en retrait en spec­ta­teurs », constate l’IGGN. Les gaz lacry­mo­gènes finissent par « noyer » la « zone des bles­sés », qui s’est créée spon­ta­né­ment sur un chemin légè­re­ment en retrait.

Les affron­te­ments se calment vers 14 heures et reprennent briè­ve­ment une heure plus tard, quand un méde­cin de la gendar­me­rie s’ap­proche de Serge D., très griè­ve­ment blessé, pour le secou­rir. De 15 h 30 à 16 h 30, les mani­fes­tant·es quittent le site.

Sur la jour­née, notent les enquê­teurs, la gendar­me­rie « fait état de la consom­ma­tion de 5 015 grenades lacry­mo­gènes (2 783 CM6, 857 MP7, 1 375 GM2L), de 89 grenades de désen­cer­cle­ment GENL, de 40 grenades assour­dis­santes ASSR et 81 muni­tions de LBD 40  ». Quarante-cinq gendarmes sont décla­rés bles­sés, tandis que les mani­fes­tant·es dénombrent envi­ron deux cents bles­sé·es dans leurs rangs.

(…)

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