[suite de l’épisode 3]
Quand tu cries « Police partout, justice nulle part » j’ai parfois l’impression d’entendre à la place un constat que je partage « police partout » mais aussi un souhait que je ne partage pas « gouvernement nulle part ». Il me semble que ta critique de l’État commence par la police et finit … par la police. Pour toi l’État ne se résume qu’à ça ? Qu’à une force de répression ?
C’est bien léger, surtout – ça me fait sourire à chaque fois – quand tu le fais parfois au milieu de cortèges de fonctionnaires.
Car c’est bien une question épineuse que celle de l’État. D’ailleurs ma tradition historique (le marxisme révolutionnaire, pour aller vite) n’est pas bien au clair là-dessus : État socialiste ? État révolutionnaire ? Démocratique ? État social ? Dépérissement de l’État ? Tout ça est bien flou. Et ton affirmation « mort à l’État », excuse-moi, n’est pas moins nébuleuse.
Ce flou fait que ton affrontement théorisé avec les forces de répression de l’État, excuse-moi du peu, me semble indolore pour le gouvernement ou le capitalisme. La police joue le plus souvent au chat et à la souris avec toi et tu lui permets de sortir de l’ennui qui est son lot quotidien.
Et puis, par quel tour de passe passe en arrives-tu à penser que la répression policière est un gage d’efficacité anticapitaliste ? Plus ils tapent, plus tu as raison ? Donner à la police (ou à l’État) ce rôle d’arbitre est un raisonnement qui me semble bizarre.
D’autant que le défi physique, s’il fait couler l’adrénaline et surgir la fraternité du combat (fraternité mais pas sororité, tu remarques), peut se retrouver dans n’importe quel conflit, du plus stupide au plus justifié. Laisse moi te dire que les z’héros ne m’émeuvent pas, la geste héroïque n’est qu’un discours qui nous berce plus ou moins de ses illusions, ce qui est agréable souvent mais qui ne peut servir de guide au milieu du gué de la réalité.
Mais ce qui me dérange le plus ce n’est pas l’illégalité : à certaines périodes de notre histoire, dans certaines situations, il a bien fallu. Ce n’est pas la violence, même remarque. Ce qui me dérange c’est ton indifférence aux décisions collectives, ton dédain de l’approbation du plus grand nombre, ton élitisme individuel contre le collectif et le légitime.
Quand tu apparais soudain à la fin d’une manif à Poitiers, cagoulé, prêt au combat, alors que les participant-es n’ont pas décidé de cet affrontement, je ne te suis pas. Quand on décide collectivement d’occuper les voies SNCF, cela, oui, a une légitimité. Ne vois-tu pas la différence ?
En 2009 à Poitiers des tautaus venus des quatre coins du pays ont chargé la police pour protester contre la prison de Vivonne. Poursuivis par les forces de l’ordre armés de flashball ils se sont réfugiés dans la foule des spectateurs et spectatrices qui assistaient au festival des « Expressifs ». Ce samedi 10 octobre 2009 ces actes de violence n’ont rien changé ni au système capitaliste, ni au sort des prisonniers. Ils étaient dangereux pour la population et ils avaient envoyé en prison trois jeunes sans responsabilité dans l’affaire. Justice nulle part ? Certes. Mais ils avaient pris pour les tautaus. Irresponsables ! Et puis, franchement, est-ce que quand on n’a pas choisi de s’affronter à la police, a-t-on pour autant une gueule de paysage, une gueule d’anonymes, de blaireaux, de moutons ? Oui ?
Ben si tu penses que oui, c’est ça mon problème avec toi. Moi je cherche la légitimité du nombre, je milite pour un projet universaliste, qui améliore la vie du plus grand nombre. Et je maintiens contre vents et marées qu’il y a de la fin dans les moyens qu’on utilise.
J’arrête-là car il faut bien arrêter quelque part. Je continuerai à dénoncer la répression économique, sociale, politique, médiatique et policière contre le mouvement ouvrier en marche. Veux-tu en faire partie ?
Enfin mille excuses pour t’avoir traité de « Tautau le z’héros » : parfois on se laisse emporter juste pour faire un mot d’esprit…