5 réflexions sur « Pour une juste représentation des genres dans les textes en français »
Pour le coup, ce guide pragmatique et efficace règle la question, puisque l’on peut lire dès la première page : L’insertion d’une note explicative (p. ex. : Dans cette brochure, le masculin est utilisé au sens neutre pour alléger le texte.) n’est pas une solution acceptable, puisqu’elle relègue les femmes au second rang. Il faut, pour la même raison, éviter les formes tronquées, comme les client-e-s, client/e/s ou les client(e)s, qui nuisent de surcroît à la lisibilité. »
La contrepartie du rejet des solutions typographiques de facilité (avec des capitales, tirets, points, etc. à la mode dans les textes militants et qui ne « fonctionnent » qu’à l’écrit ou alors avec force geste à l’oral) est de penser son texte, d’avoir le soucis du sens des mots et des articulations. Qui s’en plaindra ? Évidemment, cela peut apparaître paradoxalement comme une façon d’éluder la question 😉
En lisant ce guide, je me pose une grave question sur les motivations et les finalités de ces prescriptions.
N’est-on pas en train de cautionner ou de créer un autre esprit de « politiquement correct » ou de novlangue par ces prescriptions, appauvrissant le langage ?
En tant que militants politiques nous souffront déjà d’un usage de formulations tordues, qui sont au fond pas si différentes du langage d’entreprise ou d’un cahier des charges techniques d’études d’ingénierie. Combien de fois parlons-nous de PMR, aux lieux d’handicapés ? Combien d’occurence de l’affreuse expression « mis en oeuvre » dans nos tracts politiques, et d’autres formulations affreuses. Combien de fois nous parlons de « mobilité », « gouvernance », termes du langage d’entreprise, alors que nous pourrions parler de « transport », qui a aussi un sens poétique, et de « démocratie » qui est bien plus politique.
Ainsi quand je voie que ce guide que vous relayez nous incite à ne plus dire « les employés et employées », et de remplacer ce mot par « le personnel », et que l’ensemble du guide est rempli de consignes du même acabit, je me dis que ce petit « livre vert » n’a rien à faire dans une organisation politique de gauche radicale, qui se doit de redonner des lettres de noblesses au discours politique, par une reconquête de la qualité littéraire. Il aurait plutôt sa place dans une administration régalienne, ou dans le cabinet d’un juriste, ou d’un patron.
Enfin, et je me ferai l’avocat du diable par mes deux derniers arguments.
Tout d’abord, je m’étonne du « deux poids deux mesures » entre la féminisation des textes et la francisation des termes. Beaucoup d’aficionados de la féminisation intégrale des textes, sont étrangement beaucoup plus complaisant par l’invasion de termes anglais (enfin davantage issus du globish que de la langue de Shakespeare) tels que « mailing », « newsletter », « co-working », « gender studies », « queer », etc…, alors que les mots « listes de diffusion », « lettre d’information », « travail partagé », « études de genre », existent en français.
J’attends donc que vous relayez également toute documentation pédagogique, invitant à franciser les textes, et les communiqués des associations de gauche de défense de la langue française.
Et deuxièmement, il faut relativiser le poids du langage dans le comportement politique des gens. Le persan est une langue non genrée, ce qui n’a pas empêché des gouvernements iraniens, qui parlent donc une langue non sexiste tous les jours, de mener des politiques patriarcales et machistes.
« N’est-on pas en train de cautionner ou de créer un autre esprit de « politiquement correct » ou de novlangue par ces prescriptions, appauvrissant le langage ? » demande Thomas…
Contrairement à Thomas, je pense qu’une meilleure prise en compte de la mixité par le langage, ce n’est pas de l’ordre du politiquement correct, ni de l’anecdotique. Le combat pour l’égalité des sexes passe aussi par une évolution de la langue.
Selon Bourdieu, le discours «ordonne» symboliquement le monde. Il permet d’intérioriser, d’accepter, de légitimer les relations de pouvoir, de structurer notre perception de la réalité. Si le langage est « la forme symbolique des relations de pouvoir », il peut, par conséquent, représenter et organiser la hiérarchie entre les sexes. Ce qui signifie en d’autres termes que notre façon de parler ou d’écrire contribue, de manière inconsciente et probablement non intentionnelle, à maintenir les différentes formes de discrimination envers les femmes.
Le langage est politique. Faire évoluer la langue, orale et écrite, par l’usage, c’est politique. Selon nos choix d’expression et de rédaction, le langage concourt à l’invisibilité ou au contraire à une meilleure visibilité des femmes et de leur rôle dans la société. Il peut contribuer à faire évoluer les mentalités. Le masculin n’est pas neutre ; pris comme générique, il dissimule les femmes, et même les conforte dans la subordination sociale.
Réjouissons-nous ! Ce n’est pas inéluctable ! Cet androcentrisme linguistique est un construit historique et social, donc peut être déconstruit. Le mot « autrice » féminin d’auteur heurte aujourd’hui nos oreilles… mais il était courant jusqu’au XVIIème siècle. (pour la petite histoire, il a disparu en même temps qu’apparaissait le mot traductrice (d’auteur homme bien sûr)). Autre exemple : la règle d’accord qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. Nous ne poserons pas la question des conséquences qu’une telle maxime enseignée à tant de générations d’écolières et d’écoliers a pu avoir sur leur représentation du monde et des rapports sociaux de sexe. Mais seulement celle-ci : Est-il normal de dire « dans cet accident, 50 femmes et un chien sont morts ? » Cette règle n’a pas toujours été : il a existé une règle de majorité qui fait que le féminin peut aussi « l’emporter ». Le Grévisse fourmille d’exemples de ce genre, où de grands auteurs ont utilisé des accords de proximité ou quantitatifs, par exemple Racine au XVIIe siècle : « Ces trois jours et ces trois nuits entières » (Athalie, I, 2).
« Ainsi quand je vois que ce guide que vous relayez nous incite à ne plus dire « les employés et employées », et de remplacer ce mot par « le personnel », et que l’ensemble du guide est rempli de consignes du même acabit, je me dis que ce petit « livre vert » n’a rien à faire dans une organisation politique de gauche radicale, qui se doit de redonner des lettres de noblesses au discours politique, par une reconquête de la qualité littéraire. Il aurait plutôt sa place dans une administration régalienne, ou dans le cabinet d’un juriste, ou d’un patron. » écrit encore Thomas
Une fois que l’on a pris conscience de l’intérêt de féminiser nos textes, discours politiques, reste la question du comment. Les principes sont différents s’il s’agit de l’écrit ou de l’oral.
Ainsi, pour un nom dont la prononciation ne change pas à l’oral, entre féminin et masculin, par exemple « employés et employées » nous pouvons utiliser à l’écrit, « employéEs », « employé-e-s », « employé.e.s » ou « employé-es » (on évitera « employé(e)s » qui met les femmes entre parenthèses.) Aucun de ces procédés n’est officiellement préconisé, on est plutôt sur des choix militants. A l’oral, utiliser le mot collectif neutre « le personnel » permet de ne pas rendre inaudible les femmes du cœur du discours…
Quand le nom change à l’oral entre féminin et masculin, par exemple « militantes et militants », nous pouvons utiliser à l’écrit le procédé décrit précédemment (« militantEs », « militant-e-s », « militant.e.s » ou « militant-es ») ou choisir d’écrire les deux formes en toutes lettres « les militantes et militants »
A l’oral, un discours égalitaire nommera le féminin ET le masculin, ou pour alléger la forme au profit du fond, effacera le genre par l’utilisation là aussi d’un mot collectif. On dira par exemple les électrices et les électeurs, ou on pourra employer « l’électorat ». « Formateurs et formatrices » ou « équipe de formation ».
Tout ceci ressemble donc moins à de la novlangue, qu’à une attention visant à donner une visibilité à rien moins que la moitié de l’humanité…
Enfin, Thomas se fait effectivement l’avocat du diable quand il vise à mettre sur le même plan la féminisation des textes et la francisation des termes. Et au diable, moi je lui tire la queue ! Si je suis aussi pour utiliser le moins possible d’anglicismes, l’enjeu politique et social n’est quand même pas tout à fait le même, à mon avis…
Quant au dernier argument de Thomas « il faut relativiser le poids du langage dans le comportement politique des gens » il me semble être en contradiction avec ce que nous dénonçons toutes et tous : la pensée unique libérale énoncée par la grande majorité des médias qui amène la population à se comporter comme si on ne pouvait faire autrement… Par ailleurs, cet argument est le premier avancé par ceux (et moins celles, même si elles existent) qui souhaitent que surtout rien ne change !
Enfin, Thomas peut-il imaginer les conséquences que pourrait avoir un texte comme celui-ci :
« Désormais, l’idée même de service public est en péril : le souci de la rentabilité a remplacé celui de l’intérêt général.
Les usagères deviennent des « clientes », les personnelles des variables d’ajustement.
Les services publics sont de plus en plus éloignés des besoins des usagères et gérés en dépit de l’intérêt général.
Les élues, les citoyennes, les usagères, les personnelles sont de plus en plus écartées des décisions.
Pour créer une économie solidaire et durable et mettre l’humaine au cœur de notre société, il est nécessaire de nous mobiliser, de converger afin de créer un rapport de force qui nous soit favorable.
C’est ce que nous voulons commencer le 16 mai, ensemble, citoyennes, usagères, élues, personnelles, militantes :
L’objectif est de réfléchir aux alternatives à la politique d’austérité actuelle et de trouver les modalités pour permettre la création dans tous les départements de collectifs de défense, de développement et de démocratisation des services publics, base nécessaire pour le lancement d’assises pour la refondation des services publics. »
L’utilisation du seul féminin ne changerait-elle pas la perception du monde, et donc le comportement des gens ?
1- Je ne conteste pas le fait de féminiser les textes, bien que je ne bondisse pas non plus de rage devant un texte non féminisé. Le langage est un processus lent. Laissons le temps aux gens (au passage un nom féminin au pluriel, bien plus joli que le mot « personnel »). Ce que je conteste, c’est cette petite brochure institutionnelle que vous relayez, donc cette manière là de féminiser. Je suis donc d’accord pourquoi pas, avec l’idée de faire emporter le féminin sur le masculin dans l’exemple du commentaire de Valérie. Cela me choque moins que votre guide canadien.
2- Le langage vient des traditions, des pratiques, des mœurs, etc… Le verlan ou l’argot ont cela d’intéressant qu’ils sont été fabriqué petit à petit sans trop de règles rigides. Ce n’est pas aux ministères d’édicter les règles de langage. Quoi de fondamentalement différent entre ce guide canadien, et la réforme de l’orthographe de 1990 ?
D’accord, on a désormais le droit de dire ognon, peut -être que dans cent ans tout le monde écrira ce mot comme ça. Mais pour avoir été éduqué avant la mise en place totale de cette réforme, laissez-moi écrire oignon, jusqu’à ma mort !
3- Cependant Je persiste aussi sur le caractère fondamentalement réducteur des prescriptions de votre guide.
Par exemple celle-ci : remplacer La police a engagé une chasse à l’homme contre les manifestants. par La police s’est lancée à la poursuite des manifestants. C’est de la langue de bois : on supprime un propos imagé, pour le remplacer par quelque chose de froid et impersonnel. C’est un bel euphémisme qui ne contredit pas le pouvoir, mais au contraire lui permet justement d’adoucir dans cette phrase les agissements de la police, et légitimer la force policière.
Je veux bien des conseils pour féminiser les textes, mais à condition qu’ils viennent des littéraires et des militant.e.s, par par les bureaucrates, qui appauvrissent le langage pour le rendre administratif.
Par contre je suis pas d’accord sur
1- « l’enjeu politique et social n’est quand même pas tout à fait le même, » entre l’anglicisation et la féminisation.
Pourtant, le choix de mots anglais est décidé dans le secret de réunions de publicitaires, ou par exemple quand Christine Lagarde rédige des circulaires ministérielles en anglais. Et il ne s’agit pas d’anglais littéraire de 80 000 mots, mais de simple english de 1000 mots. En revanche, le fait que nombres de gens utilisent un langage masculinisé, n’est pas sciemment orchestré par un pouvoir capitaliste phallocrate, contrairement à l’anglicisation. C’est juste le poids d’une tradition et des usages en vigueur, qui à l’instar de la religion finiront par tomber. Donc en effet, en tant que militant, j’ai choisi ma priorité entre les anglicismes, et les textes non fémininés.
2- Citer Bourdieu dans ce contexte ne m’inspire pas confiance. Bourdieu le diplômé au collège de France a délégitimé la culture « classique » et cautionné la culture de masse capitaliste, et d’une certaine manière il a voulu priver les petites gens de la culture classique dont il a eu le privilège de bénéficier, lui. Culture classique qui lui a donné un langage et une légitimité d’intellectuel pour sortir des propos intéressant mais aussi des âneries.
amies, amis,
Valérie est une très bonne pilote (ne pas dire pilotesse!) de la réflexion sur la féminisation des mots.
Le malheur est que notre langue est machiste en plus d’être bi-sexuée, et le vocabulaire est souvent en retard sur la féminisation des professions et des activités.
Le français doit donc évoluer, se moderniser, mais il est vivant, il peut le faire. Quant à la langue française, elle est si belle qu’ elle peut tout se permettre sauf des contorsions orthographiques à base de E, de ., de -, de (), qui rendent les textes imprononçables. Une langue est d’abord faite pour être parlée.
Il faut, chaque fois que nécessaire prendre le temps de parler aux dames et aux messieurs, sans les traiter de « gens »…
Mais tout ça ne nous dit pas pourquoi « féminin » est masculin!
Pour le coup, ce guide pragmatique et efficace règle la question, puisque l’on peut lire dès la première page :
L’insertion d’une note explicative (p. ex. : Dans cette brochure, le masculin est utilisé au sens neutre pour alléger le texte.) n’est
pas une solution acceptable, puisqu’elle relègue les femmes au second rang. Il faut, pour la même raison, éviter les formes tronquées, comme les client-e-s, client/e/s ou les client(e)s, qui nuisent de surcroît à la lisibilité. »
Les Suisses ont la même approche http://www.bk.admin.ch/dokumentation/sprachen/04908/05037/index.html
La contrepartie du rejet des solutions typographiques de facilité (avec des capitales, tirets, points, etc. à la mode dans les textes militants et qui ne « fonctionnent » qu’à l’écrit ou alors avec force geste à l’oral) est de penser son texte, d’avoir le soucis du sens des mots et des articulations. Qui s’en plaindra ? Évidemment, cela peut apparaître paradoxalement comme une façon d’éluder la question 😉
Chers camarades.
En lisant ce guide, je me pose une grave question sur les motivations et les finalités de ces prescriptions.
N’est-on pas en train de cautionner ou de créer un autre esprit de « politiquement correct » ou de novlangue par ces prescriptions, appauvrissant le langage ?
En tant que militants politiques nous souffront déjà d’un usage de formulations tordues, qui sont au fond pas si différentes du langage d’entreprise ou d’un cahier des charges techniques d’études d’ingénierie. Combien de fois parlons-nous de PMR, aux lieux d’handicapés ? Combien d’occurence de l’affreuse expression « mis en oeuvre » dans nos tracts politiques, et d’autres formulations affreuses. Combien de fois nous parlons de « mobilité », « gouvernance », termes du langage d’entreprise, alors que nous pourrions parler de « transport », qui a aussi un sens poétique, et de « démocratie » qui est bien plus politique.
Ainsi quand je voie que ce guide que vous relayez nous incite à ne plus dire « les employés et employées », et de remplacer ce mot par « le personnel », et que l’ensemble du guide est rempli de consignes du même acabit, je me dis que ce petit « livre vert » n’a rien à faire dans une organisation politique de gauche radicale, qui se doit de redonner des lettres de noblesses au discours politique, par une reconquête de la qualité littéraire. Il aurait plutôt sa place dans une administration régalienne, ou dans le cabinet d’un juriste, ou d’un patron.
Enfin, et je me ferai l’avocat du diable par mes deux derniers arguments.
Tout d’abord, je m’étonne du « deux poids deux mesures » entre la féminisation des textes et la francisation des termes. Beaucoup d’aficionados de la féminisation intégrale des textes, sont étrangement beaucoup plus complaisant par l’invasion de termes anglais (enfin davantage issus du globish que de la langue de Shakespeare) tels que « mailing », « newsletter », « co-working », « gender studies », « queer », etc…, alors que les mots « listes de diffusion », « lettre d’information », « travail partagé », « études de genre », existent en français.
J’attends donc que vous relayez également toute documentation pédagogique, invitant à franciser les textes, et les communiqués des associations de gauche de défense de la langue française.
Et deuxièmement, il faut relativiser le poids du langage dans le comportement politique des gens. Le persan est une langue non genrée, ce qui n’a pas empêché des gouvernements iraniens, qui parlent donc une langue non sexiste tous les jours, de mener des politiques patriarcales et machistes.
Sincères salutations.
Pour la rédaction égalitaire
« N’est-on pas en train de cautionner ou de créer un autre esprit de « politiquement correct » ou de novlangue par ces prescriptions, appauvrissant le langage ? » demande Thomas…
Contrairement à Thomas, je pense qu’une meilleure prise en compte de la mixité par le langage, ce n’est pas de l’ordre du politiquement correct, ni de l’anecdotique. Le combat pour l’égalité des sexes passe aussi par une évolution de la langue.
Selon Bourdieu, le discours «ordonne» symboliquement le monde. Il permet d’intérioriser, d’accepter, de légitimer les relations de pouvoir, de structurer notre perception de la réalité. Si le langage est « la forme symbolique des relations de pouvoir », il peut, par conséquent, représenter et organiser la hiérarchie entre les sexes. Ce qui signifie en d’autres termes que notre façon de parler ou d’écrire contribue, de manière inconsciente et probablement non intentionnelle, à maintenir les différentes formes de discrimination envers les femmes.
Le langage est politique. Faire évoluer la langue, orale et écrite, par l’usage, c’est politique. Selon nos choix d’expression et de rédaction, le langage concourt à l’invisibilité ou au contraire à une meilleure visibilité des femmes et de leur rôle dans la société. Il peut contribuer à faire évoluer les mentalités. Le masculin n’est pas neutre ; pris comme générique, il dissimule les femmes, et même les conforte dans la subordination sociale.
Réjouissons-nous ! Ce n’est pas inéluctable ! Cet androcentrisme linguistique est un construit historique et social, donc peut être déconstruit. Le mot « autrice » féminin d’auteur heurte aujourd’hui nos oreilles… mais il était courant jusqu’au XVIIème siècle. (pour la petite histoire, il a disparu en même temps qu’apparaissait le mot traductrice (d’auteur homme bien sûr)). Autre exemple : la règle d’accord qui veut que le masculin l’emporte sur le féminin. Nous ne poserons pas la question des conséquences qu’une telle maxime enseignée à tant de générations d’écolières et d’écoliers a pu avoir sur leur représentation du monde et des rapports sociaux de sexe. Mais seulement celle-ci : Est-il normal de dire « dans cet accident, 50 femmes et un chien sont morts ? » Cette règle n’a pas toujours été : il a existé une règle de majorité qui fait que le féminin peut aussi « l’emporter ». Le Grévisse fourmille d’exemples de ce genre, où de grands auteurs ont utilisé des accords de proximité ou quantitatifs, par exemple Racine au XVIIe siècle : « Ces trois jours et ces trois nuits entières » (Athalie, I, 2).
« Ainsi quand je vois que ce guide que vous relayez nous incite à ne plus dire « les employés et employées », et de remplacer ce mot par « le personnel », et que l’ensemble du guide est rempli de consignes du même acabit, je me dis que ce petit « livre vert » n’a rien à faire dans une organisation politique de gauche radicale, qui se doit de redonner des lettres de noblesses au discours politique, par une reconquête de la qualité littéraire. Il aurait plutôt sa place dans une administration régalienne, ou dans le cabinet d’un juriste, ou d’un patron. » écrit encore Thomas
Une fois que l’on a pris conscience de l’intérêt de féminiser nos textes, discours politiques, reste la question du comment. Les principes sont différents s’il s’agit de l’écrit ou de l’oral.
Ainsi, pour un nom dont la prononciation ne change pas à l’oral, entre féminin et masculin, par exemple « employés et employées » nous pouvons utiliser à l’écrit, « employéEs », « employé-e-s », « employé.e.s » ou « employé-es » (on évitera « employé(e)s » qui met les femmes entre parenthèses.) Aucun de ces procédés n’est officiellement préconisé, on est plutôt sur des choix militants. A l’oral, utiliser le mot collectif neutre « le personnel » permet de ne pas rendre inaudible les femmes du cœur du discours…
Quand le nom change à l’oral entre féminin et masculin, par exemple « militantes et militants », nous pouvons utiliser à l’écrit le procédé décrit précédemment (« militantEs », « militant-e-s », « militant.e.s » ou « militant-es ») ou choisir d’écrire les deux formes en toutes lettres « les militantes et militants »
A l’oral, un discours égalitaire nommera le féminin ET le masculin, ou pour alléger la forme au profit du fond, effacera le genre par l’utilisation là aussi d’un mot collectif. On dira par exemple les électrices et les électeurs, ou on pourra employer « l’électorat ». « Formateurs et formatrices » ou « équipe de formation ».
Tout ceci ressemble donc moins à de la novlangue, qu’à une attention visant à donner une visibilité à rien moins que la moitié de l’humanité…
Enfin, Thomas se fait effectivement l’avocat du diable quand il vise à mettre sur le même plan la féminisation des textes et la francisation des termes. Et au diable, moi je lui tire la queue ! Si je suis aussi pour utiliser le moins possible d’anglicismes, l’enjeu politique et social n’est quand même pas tout à fait le même, à mon avis…
Quant au dernier argument de Thomas « il faut relativiser le poids du langage dans le comportement politique des gens » il me semble être en contradiction avec ce que nous dénonçons toutes et tous : la pensée unique libérale énoncée par la grande majorité des médias qui amène la population à se comporter comme si on ne pouvait faire autrement… Par ailleurs, cet argument est le premier avancé par ceux (et moins celles, même si elles existent) qui souhaitent que surtout rien ne change !
Enfin, Thomas peut-il imaginer les conséquences que pourrait avoir un texte comme celui-ci :
« Désormais, l’idée même de service public est en péril : le souci de la rentabilité a remplacé celui de l’intérêt général.
Les usagères deviennent des « clientes », les personnelles des variables d’ajustement.
Les services publics sont de plus en plus éloignés des besoins des usagères et gérés en dépit de l’intérêt général.
Les élues, les citoyennes, les usagères, les personnelles sont de plus en plus écartées des décisions.
Pour créer une économie solidaire et durable et mettre l’humaine au cœur de notre société, il est nécessaire de nous mobiliser, de converger afin de créer un rapport de force qui nous soit favorable.
C’est ce que nous voulons commencer le 16 mai, ensemble, citoyennes, usagères, élues, personnelles, militantes :
L’objectif est de réfléchir aux alternatives à la politique d’austérité actuelle et de trouver les modalités pour permettre la création dans tous les départements de collectifs de défense, de développement et de démocratisation des services publics, base nécessaire pour le lancement d’assises pour la refondation des services publics. »
L’utilisation du seul féminin ne changerait-elle pas la perception du monde, et donc le comportement des gens ?
Valérie Soumaille
Nous nous sommes mal compris.
1- Je ne conteste pas le fait de féminiser les textes, bien que je ne bondisse pas non plus de rage devant un texte non féminisé. Le langage est un processus lent. Laissons le temps aux gens (au passage un nom féminin au pluriel, bien plus joli que le mot « personnel »). Ce que je conteste, c’est cette petite brochure institutionnelle que vous relayez, donc cette manière là de féminiser. Je suis donc d’accord pourquoi pas, avec l’idée de faire emporter le féminin sur le masculin dans l’exemple du commentaire de Valérie. Cela me choque moins que votre guide canadien.
2- Le langage vient des traditions, des pratiques, des mœurs, etc… Le verlan ou l’argot ont cela d’intéressant qu’ils sont été fabriqué petit à petit sans trop de règles rigides. Ce n’est pas aux ministères d’édicter les règles de langage. Quoi de fondamentalement différent entre ce guide canadien, et la réforme de l’orthographe de 1990 ?
D’accord, on a désormais le droit de dire ognon, peut -être que dans cent ans tout le monde écrira ce mot comme ça. Mais pour avoir été éduqué avant la mise en place totale de cette réforme, laissez-moi écrire oignon, jusqu’à ma mort !
3- Cependant Je persiste aussi sur le caractère fondamentalement réducteur des prescriptions de votre guide.
Par exemple celle-ci : remplacer La police a engagé une chasse à l’homme contre les manifestants. par La police s’est lancée à la poursuite des manifestants. C’est de la langue de bois : on supprime un propos imagé, pour le remplacer par quelque chose de froid et impersonnel. C’est un bel euphémisme qui ne contredit pas le pouvoir, mais au contraire lui permet justement d’adoucir dans cette phrase les agissements de la police, et légitimer la force policière.
Je veux bien des conseils pour féminiser les textes, mais à condition qu’ils viennent des littéraires et des militant.e.s, par par les bureaucrates, qui appauvrissent le langage pour le rendre administratif.
Par contre je suis pas d’accord sur
1- « l’enjeu politique et social n’est quand même pas tout à fait le même, » entre l’anglicisation et la féminisation.
Pourtant, le choix de mots anglais est décidé dans le secret de réunions de publicitaires, ou par exemple quand Christine Lagarde rédige des circulaires ministérielles en anglais. Et il ne s’agit pas d’anglais littéraire de 80 000 mots, mais de simple english de 1000 mots. En revanche, le fait que nombres de gens utilisent un langage masculinisé, n’est pas sciemment orchestré par un pouvoir capitaliste phallocrate, contrairement à l’anglicisation. C’est juste le poids d’une tradition et des usages en vigueur, qui à l’instar de la religion finiront par tomber. Donc en effet, en tant que militant, j’ai choisi ma priorité entre les anglicismes, et les textes non fémininés.
2- Citer Bourdieu dans ce contexte ne m’inspire pas confiance. Bourdieu le diplômé au collège de France a délégitimé la culture « classique » et cautionné la culture de masse capitaliste, et d’une certaine manière il a voulu priver les petites gens de la culture classique dont il a eu le privilège de bénéficier, lui. Culture classique qui lui a donné un langage et une légitimité d’intellectuel pour sortir des propos intéressant mais aussi des âneries.
amies, amis,
Valérie est une très bonne pilote (ne pas dire pilotesse!) de la réflexion sur la féminisation des mots.
Le malheur est que notre langue est machiste en plus d’être bi-sexuée, et le vocabulaire est souvent en retard sur la féminisation des professions et des activités.
Le français doit donc évoluer, se moderniser, mais il est vivant, il peut le faire. Quant à la langue française, elle est si belle qu’ elle peut tout se permettre sauf des contorsions orthographiques à base de E, de ., de -, de (), qui rendent les textes imprononçables. Une langue est d’abord faite pour être parlée.
Il faut, chaque fois que nécessaire prendre le temps de parler aux dames et aux messieurs, sans les traiter de « gens »…
Mais tout ça ne nous dit pas pourquoi « féminin » est masculin!
Jacques T