Une analyse d’un camarade d’Ensemble! national :
Le débat actuellement mené au sein de notre mouvement ne doit pas esquiver deux questions difficiles et décisives inscrites dans la situation :
° Quelle analyse du pouvoir incarné par Macron ?
° Quelle analyse de l’état présent de la gauche ?
Le pouvoir Macron
La victoire de Macron a été permise par une vague de renouvellement politique, laquelle a écarté une grande partie de la classe politique, ses partis principaux et leur personnel. Dans le même temps c’est un retour (et une exaltation) des principes originels de la Vème république, ceux du bonapartisme. Avec l’affirmation d’une synthèse inédite entre ultralibéralisme et autoritarisme.
Comme le caractérise Jacques Julliard, un pouvoir qui est « l’épitomé des classes dominantes », lequel suppose la neutralisation politique des classes dominées… Équilibre qui suppose le charisme du pouvoir personnel. C’est donc un pouvoir fort qui est en place, outillé pour mettre en œuvre une politique anti-sociale d’une grande brutalité.
Ses fragilités sont également certaines, mais demandent à être précisément repérées et cernées. On peut avancer l’hypothèse qu’elles sont la face cachée de ce qui a fait le succès de Macron : la transgression du clivage gauche/droite. Celle-ci ayant permis sa réussite, son affaiblissement devrait résulter du retour de la gauche. La question ouverte étant : quelle gauche pour ce retour ?
Une telle appréciation va à l’inverse de l’orientation que semble vouloir porter FI. Cela dans le prolongement de sa campagne présidentielle, et en fonction de l’illusion qu’une victoire historique a été manquée à quelques centaines de milliers de voix près. D’où la perspective d’une confrontation au « populisme centriste » de Macron, lequel n’aurait gagné que de peu, sinon par accident, et donc appelé à ne pas pouvoir durer. Le recours devant se présenter, à plus ou moins court terme, sous la forme d’une concurrence entre deux « populismes durs », l’un au nationalisme très marqué à droite et substantiellement xénophobe, l’autre au nationalisme progressiste à fort contenu social.
Il convient de s’interroger sur ce que peut être le devenir du FN, aujourd’hui en prise avec des difficultés auxquelles il faut s’intéresser de près, qui demeure une force majeure dans la société. Ainsi qu’aux contradictions et évolutions importantes de la droite.
Quel état des gauches ?
Une lecture possible de l’état des gauches est de considérer le succès de Mélenchon/FI comme éclipsant la crise générale de la gauche et de ses diverses composantes. Un PS effondré, EELV dispersé, un PC condamné au naufrage final… Un mouvement syndical et plus généralement un mouvement social travaillé par ses propres contradictions et dans l’incapacité de peser de manière autonome sur le champ politique… L’heure aurait donc sonné de l’hégémonie de FI, moins sur une gauche dont la notion est récusée de ce côté, que sur « l’opposition progressiste » à Macron.
On évite ainsi une question difficile : pour quelle part la montée de FI est-elle le résultat de l’effet mécanique de l’affaiblissement des différentes force de gauche ? Et dans quelle mesure celle-là compense-t-elle, ou non, celui-ci ?
Une situation en dynamique
Les deux questions se combinent dangereusement : si FI a la main sur le combat contre un pouvoir fragile, l’avenir est assez radieux. Si c’est une gauche en miettes qui doit se confronter à un pouvoir fort, le tableau prend une coloration différente.
Pour sa part, Macron a engagé une restructuration profonde du champ politique : d’une part, un puissant « bloc central » (« et de droite et de gauche »), d’autre part, deux délimitations sur la droite et sur la gauche, pour donner une fonctionnalité aux oppositions reconnues (et à l’avenir confortées par la « dose de proportionnelle » promise), obéissant à deux registres « extrémistes » en miroir, et cantonnées à un rôle protestataire qui les écarte durablement de toute perspective gouvernementale…
Sauf à décréter que ces questions sont hors de saison, on s’inquiétera de la réduction du champ de vision à la seule FI. Ce qui est une façon de répondre, sans analyse ni débat, à ces même questions.
Complémentaire de cette approche, le fait de souligner la nécessité, imposée par la fin du Front de gauche, de redéfinir le projet d’Ensemble, sans avancer ne serait-ce que partiellement ni éléments de bilan critique, ni propositions pour l’avenir. Et en revanche en alimentant ce qu’il faut bien caractériser comme un dénigrement systématique d’Ensemble. Ainsi l’EAN se voit dans le même temps dénoncée comme illégitime et taxée d’abus de pouvoir, mais également accusée d’inefficacité dans le rôle de direction qui devrait être le sien. Le soutien acquis à Mélenchon est critiqué comme ayant été trop tardif, trop faible, quitte à oublier les importantes divergences existant au sein du mouvement et surtout le fait que le candidat récusait toute participation autonome à sa campagne. Et, au final, faute de bénéfice politique réel, on conclut à « l’inutilité » avérée d’Ensemble !
A croire qu’est juste politiquement ce « qui marche », ce qui échoue devant être jugé erroné en son principe (ainsi de la volonté de réaliser l’unité !)…
L’accumulation de tels jugements sans autre forme de procès fait litière de tout ce qui a été accompli au cours des dernières années, à coups d’efforts militants et d’intervention politique. En particulier le rassemblement démocratique de diverses traditions et de plusieurs courants historiques de la gauche radicale. Il est vrai qu’aujourd’hui les notions de tradition, de pluralisme, de rassemblement peuvent être jugées obsolètes…
Ensemble démonétisé d’une part, FI sur valorisée de l’autre : pourquoi perdre temps et énergie à étudier la situation, alors qu’un choix s’impose avec la force de l’évidence ?
Cela au prix de facilités grosses de déconvenues futures. Ainsi on postule que hors FI rien ne mérite attention et intérêt. Quant à la fidélité à nos « fondamentaux », elle est présentée comme garantie par la perspective d’un « courant anticapitaliste » au sein de FI. Est-ce possible ? Comment ? Selon quelles modalités ? On verra le temps venu…
A contre courant du climat ainsi instauré, évoquons une hypothèse : face à la crise politique et à celle du mouvement ouvrier, si FI, plutôt qu’une solution en était un produit, voire un facteur aggravant ? Précisons que lorsqu’on évoque ici « FI », ce n’est pas comme mouvement militant et d’opinion, mais comme courant politique impulsé et dirigé par un groupe politique fortement identifié par son histoire, ses positions, le rôle de son dirigeant principal.
Ce courant politique par son projet hégémoniste, se méthodes autoritaires, nombre de ses positions dans le domaine de la démocratie et de l’internationalisme, risque fort de jouer un rôle de blocage par rapport à ce qui constitue un objectif décisif : la réaffirmation d’une gauche de classe.
Une réponse définitive à une telle question n’est pas aujourd’hui disponible. Mais si on accepte de la poser, il en résulte une autre : l’engagement dans FI de tel ou tel courant, ou morceau de courant, loin d’être pour lui la promesse d’un rebond et d’une dynamique, pourrait au contraire s’avérer être le signe d’un nouveau recul, voire d’une désagrégation.
Ce qui risque d’arriver, l’histoire du mouvement ouvrier en témoigne, lorsqu’on confond situation d’offensive et situation de défensive, phase de construction et moment de déconstruction…
Invitation supplémentaire à ne pas renoncer à l’étude et au débat de ce qu’est cette étrange situation dans laquelle nous nous trouvons présentement. Que certains voient grosse de succès, mais dont on peut penser qu’elle est lourde de graves menaces.
10/07/17
Francis Sitel