Quelques remarques immédiates sur le résultat des élections en Corse. Cela nécessiterait une analyse plus fouillée, surtout pour des lecteurs et lectrices peu informé-es de la situation territoriale. A voir plus tard, s’il y a des questions. Il ne s’agit bien sûr que d’une position personnelle qui ne saurait engager que moi (et quelques autres en Corse sans doute mais à qui je n’ai pas demandé leur avis!). Donc une espèce de tribune libre soumise à la question, comme on disait du temps de l’inquisition. Maintenant on dit texte martyr. C’est religieusement plus valorisant.
1. Une surprise pour tout le monde, y compris pour les nationalistes. Quoique… Quelques signes pouvaient laisser présager un tel résultat, mais comme toujours sans obligation. Et comme souvent, plus facile à dire après-coup. Parmi ces signes, une municipalité, Bastia, deuxième ville de Corse et préfecture de Haute Corse, passée aux mains de de Gilles Simeoni lors des dernières municipales. Ville « tenue » depuis des lustres par le clan Zuccarelli, PRG, dont Emile fut un fugace ministre des Postes sous je ne sais plus quel gouvernement de gauche. Et une montée surprenante des voies nationalistes lors des municipales dans certains villages. Le tout sur un fond de participation inconnue dans le reste du territoire français : plus de 60% de votants.
2. Un sentiment national fort qui s’est maintenu contre vents et marées, malgré toutes les aventures du mouvement national. Ce sentiment prend racine dans la réalité d’une domination symbolique et pratique contre la communuté historique corse. Doublée d’une stigmatisation et d’un racisme anti-corse latent qui ne demande qu’à s’exprimer à l’occasion. Oui, je sais. Employer le terme « communauté » ne serait pas très politiquement correct par les temps qui courent. Sauf quand on se drape dans le drapeau de la « communauté nationale de France », n’est-il pas ?
3. Une situation de frustration face à la politique économique laissant sur le carreau bien des corses. Le tout doublé de la certitude chez beaucoup qu’il n’y a rien à attendre de l’Etat français. Ce qui est une réalité. Sans parler d’un discours français pour le moins condécendant, voire insultant contre le peuple corse, nié dans ses droits. Sauf au moment des élections évidemment pour rabattre des voix, ce à quoi le clan dans toutes ses variétés de « gauche « (?) comme de droite donnait volontiers la main (et les urnes). Chassez le naturel, il revient au galop dans la bouche des politiciens français, les « terroristes » auraient pris le pouvoir ! C’est une bien bonne arme que cette notion de « terrorisme ».
4. Donc avec une désaffection vis à vis de ce qui s’appelle la gauche. Au moins aussi importante qu’en France. Trop liée aux pratiques clanistes.
5. Le PC. Il gérait le Territoire avec le PRG, la force la plus forte dans la « gauche ». Pour avoir refusé toute alliance avec d’autres forces à gauche le PC est parti seul. Son score signe un déclin certain, sinon final. Mais suffisant pour fusionner avec le PRG, ce qui était le but de la manoeuvre. Il a ainsi sauvé 2 sièges dans la débâcle.
6. Le PRG lui-même intégrait dans sa liste un candidat affairiste de droite notoire. Ce qui n’aide pas à la clarification, il faut admettre.
6. Le PS n’a jamais vraiment été réellement implanté dans l’île.
7. A gauche de gauche. Le PC a refusé l’alliance que leur proposait A Manca Alternativa, membre d’Ensemble!, avec les Verts. Résultat, A Manca Alternativa ne s’est pas présenté.
8. Dans le Mouvement national. A gauche, il existe une formation politique A Manca, antérieure à l’orga d’Ensemble! et dont plusieurs membres sont issus d’une orga qui fut liée politiquement à la LCR. Finalement, ne trouvant pas de partenaires pour défendre à la fois le droit du peuple corse à s’autodéterminer et pour un programme d’urgence dans ce cadre, il appelait au boycott. Ce qui en Corse ne marche que très rarement. Les nationalistes en ont fait les frais au début.
9. L’extrême droite. Depuis quelques scrutins, elle progrese. Bien moins qu’en France, mais quand même. Et elle s’exprime abondamment sur les réseaux sociaux. Sur la question nationale corse, elle apparaît divisée. Le discours traditionnel du FN était hors de France point de salut et haro sur les terroristes séparatistes. Aujourd’hui, une partie du mouvement se coule dans le discours nationaliste et se font les défenseurs du peuple corse pour cibler les envahisseurs. Arabes naturellement. Cette « révision » est m^me soutenue par des responsables FN français. Certains militants s’intégrant même comme membres de tel ou tel parti nationaliste.
Globalement les directions nationalistes sont anti FN pour de vrai. Mais une approche raciste existe en Corse comme en France. Et le profil défendu par certains nationalistes d’une maîtrise nécessaire de l’immigration donne du grain à moudre à ces tentations racistes. On peut poser l’hypothèse que des voix d’extrême droite se soient portées sur les nationalistes au 2ème tour.
10. Le vote nationaliste est clairement ici un vote interclassiste et un vote d’affirmation des droits du peuple corse, y compris dans ses versions contradictoires, faute d’une offre crédible à gauche capable de défendre un programme de défense des besoins sociaux des classes populaires ET des droits démocratiques du peuple corse à s’autogérer collectivement. Ceux-ci ont réussi à attirer des électeurs qui votaient traditionnellment PRG ou à droite (celle-ci partant divisée par ailleurs), sur la base de la défense des intérêts d’entrepreneurs corses, voire de spéculateurs notoires.
11. Et maintenant, que vont-il faire ? Deux défis sont devant eux. Le leader indépendantiste devenu président de l’Assemblée territoriale, minoritaire dans la coalition nationaliste, a clairement déclaré que la question de l’indépendance n’était pas à l’ordre du jour
Comment négocier avec l’Etat français les droits politiques, sociaux, culturels du peuple corse. La revendication de la coofficiallité de la langue et son apprentisage obligatoire par exemple. Quand on voit que le gouvernement recule devant une signature, bien étriquée d’ailleurs, de la Charte des langues dites minoritaires (pour qui et qui en décide ?), on mesure la difficulté.
Et que dire de la lutte contre la spéculation foncière, fondée sur un tout tourisme de luxe, qui ne permet pas aux insulaires de trouver à se loger à des prix abordables, à la défense du littoral, à la lutte contre le travail précaire et sous déclaré, etc… Et contre le racisme, naturellement.
C’est maintenant l’heure de vérité. Y compris pour les forces de l’émancipation en Corse. Tout le problème. Encore qu’il n’est pas inutile de rappeler ce que disait Marx à propos de l’Irlande : à savoir que le mouvement ouvrier anglais devait défendre bec et ongles les revendications nationales du peuple irlandais. Vaste question ! Quand on a entendu les propos de Mélenchon à Bastia, on n’est pas sorti de l’auberge.
Daniel Desmé