Retraite, le bascu­le­ment ?

Un article de Pierre Khalfa, lisible aussi sur le site natio­nal d’En­semble!

Pierre Khalfa est mili­tant d’En­semble! et un des respon­sables de la Fonda­tion Coper­nic.

Ce gouver­ne­ment veut détruire le service public ferro­viaire et en même temps le système de retraite par répar­ti­tion et sa furie destruc­trice ne s’ar­rête pas là…

« Depuis des décen­nies, les réformes, ou plutôt les contre-réformes, des retraites s’en­chainent, la première datant de 1993 avec Edouard Balla­dur à la manœuvre. L’objec­tif réel, non affi­ché évidem­ment, est de faire bais­ser le niveau des pensions. Face à l’aug­men­ta­tion du nombre de retrai­tés et au défi­cit prévu des caisses de retraites, et alors que l’em­ploi et l’ac­ti­vité écono­mique étaient en berne, il s’agis­sait ainsi d’évi­ter toute augmen­ta­tion de coti­sa­tions sociales qui aurait pu remettre en cause le partage de la richesse produite entre salaires et profits. Pour cela, les gouver­ne­ments succes­sifs ont agi sur les diffé­rents para­mètres du système : allon­ge­ment de la durée de coti­sa­tion, report de l’âge légal de départ en retraite à 62 ans, modi­fi­ca­tion du mode de calcul de la pension, etc. On parle à ce propos de « réformes para­mé­triques ». Malgré des mouve­ments sociaux très impor­tants, elles se sont appliquées. Le défi­cit des caisses de retraites a été contenu au prix d’une baisse inéluc­table du niveau des pensions, baisse qui touchera les géné­ra­tions futures de façon d’au­tant plus impor­tante.

Emma­nuel Macron veut aller beau­coup loin. Finies les réformes para­mé­triques, il s’agit ni plus ni moins de mettre à bas le système actuel pour le rempla­cer par un système par points. Un système de ce type est déjà en vigueur dans les régimes complé­men­taires des sala­rié·es du privé, l’Arrco et l’Agirc. Il s’agi­rait de le géné­ra­li­ser et d’uni­for­mi­ser les régimes actuels pour créer un seul système de retraite. Les sala­rié·es accu­mulent, en coti­sant pendant leur vie active, des points dont le prix d’achat est fixé chaque année à un niveau permet­tant que la caisse de retraite soit équi­li­brée, les pres­ta­tions versées devant corres­pondre aux coti­sa­tions reçues. Comme le nombre de retrai­té·es augmente année après année plus rapi­de­ment que celui des actifs, et que les recettes ne suivent pas, car le patro­nat refuse toute augmen­ta­tion de coti­sa­tion, les pensions versées baissent. Peut s’y ajou­ter, en cas de ralen­tis­se­ment écono­mique voire de réces­sion, une moindre rentrée de coti­sa­tions sociales qui aggrave encore le problème. Il suffit alors que la caisse de retraite décide de bais­ser la valeur des points accu­mu­lés par les sala­riés qui sert au calcul de la pension (dite valeur de service).

Le bilan de l’Arcco et de l’Agirc est d’ailleurs éloquent : en 19 ans, de 1990 à 2009, le taux de rempla­ce­ment des pensions complé­men­taires, c’est-à-dire le rapport entre la pension et le salaire, a baissé de plus de 30 % dans chacun des régimes, c’est-à-dire une baisse encore plus sévère que dans le régime géné­ral. Il s’agit donc d’un système dit à « coti­sa­tions défi­nies » : la coti­sa­tion est connue, mais pas le montant de la future pension puisque cette dernière dépen­dra essen­tiel­le­ment de la valeur de service du point au moment du départ en retraite.

Dans une inter­view donnée au Pari­sien le 30 mai 2018, le haut-commis­saire à la réforme des retraites, Jean-Paul Dele­voye, chargé par le gouver­ne­ment de pilo­ter le projet, confirme cette analyse. Il indique ainsi que « la réforme se fera en enve­loppe constante ». Si on comprend bien ce qu’il nous dit, l’objec­tif dans l’ave­nir ne serait même pas de main­te­nir la part actuelle des retraites dans le PIB (14 %) mais en fait de la faire bais­ser : le PIB augmen­tant, vouloir main­te­nir simple­ment constant le volume des retraites revient à faire bais­ser sa part dans le PIB. Il s’agi­rait d’un recul social consi­dé­rable. Au-delà, dans un système par points, l’enjeu poli­tique majeur, celui de la répar­ti­tion de la richesse produite entre person­nels actifs et retrai­tés, et derrière ce dernier, celui du partage de la valeur ajou­tée entre masse sala­riale (salaires directs et coti­sa­tions sociales) et profit, dispa­rait. Il est remplacé par un simple ajus­te­ment soi-disant tech­nique, notam­ment la fixa­tion de la valeur du point d’achat et de service.

Dans un tel système, l’âge légal de départ à la retraite devient secon­daire même s’il demeure. Comme l’ex­plique Jean-Paul Dele­voye : « Dans un système à points, la notion de durée dispa­raît. C’est votre nombre de points qui vous permet un arbi­trage person­nel : j’ai assez de points, ma retraite me paraît suffi­sante, donc je pars. A l’in­verse, je n’ai pas assez de points, je reste ». Ce qu’il ne dit pas c’est que ce choix sera profon­dé­ment inéga­li­taire. En effet, les personnes bien payées et qui auront eu un emploi stable tout le long de leur vie active, auront les moyens de partir plus tôt. Ceux ou celles (car ce sont le plus souvent des femmes) qui auront été à temps partiel dans des emplois sous-payés devront conti­nuer à travailler, s’ils le peuvent, pour avoir une retraite un tant soit peu décente.

Cela n’em­pêche pas Jean-Paul Dele­voye de justi­fier ce projet par la recherche de plus d’éga­lité. Ainsi nous dit-il « Aujourd’­hui, si vous avez un parcours dans la fonc­tion publique ou dans le privé, vous n’avez pas la même retraite. Cela concourt à un senti­ment d’iné­ga­li­tés profondes dans la société française ». La compa­rai­son entre le secteur privé et public est mise en avant. Or, comme l’a montré le Conseil d’orien­ta­tion des retraites, si les règles sont diffé­rentes entre le public et le privé, les taux de rempla­ce­ment sont voisins. Le montant diffé­rent entre la retraite moyenne d’un sala­rié du public et du privé s’ex­plique surtout par le fait que les fonc­tion­naires ont en moyenne une quali­fi­ca­tion, et donc une rému­né­ra­tion, supé­rieure aux person­nels du secteur privé. Le calcul de la pension du régime géné­ral du privé prend en compte les 25 meilleures années de salaire, or les carrières du privé ne sont pas linéai­re­ment ascen­dantes comme celles des fonc­tion­naires. Les person­nels les moins quali­fiés, victimes de la préca­rité, ont des carrières hachées, avec des périodes à temps partiel et des années à très bas salaires, ce qui a évidem­ment des consé­quences sur le montant de leur pension. Passer à un régime par points ne résou­dra pas ce problème.

De plus, si Jean-Paul Dele­voye affirme vouloir conso­li­der les pres­ta­tions de soli­da­rité exis­tantes actuel­le­ment, qui repré­sentent 20 % du volume des retraites (60 milliards d’eu­ros), comme par exemple les droits fami­liaux, la majo­ra­tion pour enfants, les périodes d’in­va­li­dité, les séquences de chômage, les minima de pension ou la pension de réver­sion, il envi­sage de les sortir du futur régime de retraite pour les faire finan­cer par l’im­pôt. Quand on se souvient que dans le même temps, des ministres envi­sagent sérieu­se­ment de bais­ser les aides sociales, on comprend assez vite qu’une fois finan­cées par le budget de l’Etat, elles risquent fort d’être remises en cause…

Enfin, le gouver­ne­ment veut favo­ri­ser la capi­ta­li­sa­tion pour les hauts reve­nus (120 000 euros annuels). Si la forme précise que cela pren­drait n’est, semble-t-il, pas encore tran­chée, l’in­sis­tance mise sur ce point entre en réson­nance avec une illu­sion que porte le système par points, celle que la retraite serait une épargne pendant la vie active que l’on retrou­ve­rait au moment du départ en retraite. Or, les retraites versées à l’ins­tant t sont toujours, et quel que soit le système, répar­ti­tion ou capi­ta­li­sa­tion, une part de la richesse créée à l’ins­tant t. On ne finance jamais sa propre retraite, mais celle de la géné­ra­tion qui part en retraite. Si, pour une raison ou une autre, par exemple une crise finan­cière, la richesse créée n’est pas au rendez-vous, tout système de retraite aura des diffi­cul­tés.

La supé­rio­rité de la répar­ti­tion sur la capi­ta­li­sa­tion tient à deux aspects. Le premier tient aux crises finan­cières qui, sous le capi­ta­lisme néoli­bé­ral, tendent à se multi­plier, pouvant ruiner d’un seul coup les épar­gnants. Jouer sa retraite en Bourse est un pari aléa­toire. Le second renvoie au carac­tère poli­tique de la répar­ti­tion. L’ave­nir d’un système de répar­ti­tion fait l’objet d’un débat poli­tique sur la ques­tion de l’aug­men­ta­tion de la part de la richesse produite consa­crée aux retrai­té·es : faut-il augmen­ter les coti­sa­tions ou l’âge de départ, faut-il garan­tir la parité de niveau de vie entre la retraite et la vie active ou au contraire s’ac­com­mo­der d’une baisse lors de la retraite, etc. ? A chaque fois, il s’agit d’un débat poli­tique qui doit être, en théo­rie, tran­ché démo­cra­tique­ment. Or un système par points, qui reste formel­le­ment un système par répar­ti­tion, évacue ce débat poli­tique par une gestion quasi auto­ma­tique en jouant simple­ment sur la valeur des points. En ce sens, il intro­duit dans la répar­ti­tion la logique de la capi­ta­li­sa­tion. Une raison de plus de le combattre.

Pierre Khalfa

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