Le Fil des communs de Clémentine Autain et Elsa Faucillon
Le « coup de poignard dans le dos » de Trump au mouvement national kurde
Publié le 14 octobre 2019 | Poster un commentaire
Dans une manifestation supplémentaire et flagrante de son caractère erratique, de son irresponsabilité politique et de sa désinvolture face aux conséquences humaines, le président américain Donald J. Trump a brusquement annoncé dans la nuit du dimanche 6 octobre, après un appel téléphonique avec le président turc Recep T. Erdogan, qu’il avait ordonné le retrait des troupes américaines stationnées dans le nord-est du pays (elles comptaient près de mille militaires). Ces troupes étaient là pour soutenir les Forces démocratiques syriennes (FSD), une coalition multiethnique dirigée par les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), dans leur lutte contre le dit Etat islamique (EI, alias ISIS).
Les Kurdes syriens et leurs alliés ont payé un lourd tribut dans ce combat, qui a fait plus de dix mille victimes. Ils ont joué un rôle déterminant dans l’endiguement et le démantèlement de l’EI sur le territoire syrien. Ils sont incontestablement les plus progressistes, sinon les seuls, de toutes les forces armées actives sur le territoire syrien, notamment en ce qui concerne le statut et le rôle des femmes. Pourtant, le gouvernement turc les a toujours qualifiés de « terroristes » en raison de leurs liens étroits avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), la principale force active sur le territoire turc où s’affirme une majorité kurde.
Le gouvernement turc, connu pour avoir fermé les yeux sur la montée en puissance de l’EI en Syrie (il est même soupçonné d’avoir facilité cette montée en puissance), considère le mouvement national kurde comme la principale menace. Il a envahi une partie du nord de la Syrie (Afrin) en 2016 pour réduire le contrôle de cette région par les YPG et l’occupe toujours. Depuis lors, il menace également d’envahir le nord-est de la Syrie (Kurdistan occidental, soit le Rojava), ce que seule la présence des troupes américaines aux côtés des Forces démocratiques syriennes l’a dissuadé de faire antérieurement.
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Il ne faut pas se méprendre sur les motivations de Donald Trump. Le président américain n’est pas un pacifiste opposé aux aventures militaires de son pays à l’étranger. Il est un fervent partisan de la guerre meurtrière menée au Yémen par la coalition dirigée par le prince héritier saoudien, son ami criminel. Et il a exprimé sa grande admiration pour la base militaire américaine en Irak, qu’il a visitée en décembre dernier, expliquant combien elle est importante pour les Etats-Unis.
Pour un homme qui a déclaré lors de sa précédente campagne présidentielle que les Etats-Unis devraient prendre le contrôle des champs pétroliers irakiens et les exploiter à leur profit, la raison en est assez claire : Trump pense que l’armée états-unienne ne devrait s’engager que dans des territoires où il existe un intérêt économique évident pour son pays (et pour ses propres intérêts, pourrait-on ajouter, sachant que cette présidence est allée le plus loin dans l’histoire des Etats-Unis en mêlant affaires privées et affaires publiques). L’Irak, le royaume saoudien et les autres monarchies pétrolières du Golfe sont de parfaits endroits pour le déploiement militaire états-uniens, à la différence des pays pauvres comme l’Afghanistan et la Syrie.
Dans une perspective véritablement anti-impérialiste fondée sur le droit des peuples à l’autodétermination, toutes les troupes impérialistes et prédatrices devraient être retirées de Syrie, qu’il s’agisse des troupes israéliennes occupant le Golan syrien depuis 1967 ou des forces plus récemment déployées par l’Iran et ses alliés régionaux, la Russie, les Etats-Unis et la Turquie, pour ne citer que les principaux protagonistes. Un retrait unilatéral des Etats-Unis assorti d’une invitation à la Turquie à intervenir, lui donnant ainsi carte blanche pour écraser le mouvement national kurde, n’a rien de progressiste ou de pacifiste : c’est tout le contraire.
Les deux leaders progressistes de l’élection présidentielle américaine de l’année prochaine ont bien compris l’enjeu et ont réagi de la même manière le 7 octobre à l’annonce de Donald Trump.
Le sénateur Bernie Sanders affirme sur Twitter : « Je crois depuis longtemps que les Etats-Unis doivent mettre fin de façon responsable à leurs interventions militaires au Moyen-Orient. Mais l’annonce soudaine de Trump de se retirer du nord de la Syrie et d’approuver l’incursion de la Turquie est extrêmement irresponsable. Elle risque d’entraîner plus de souffrance et d’instabilité. »
La sénatrice Elizabeth Warren a tweeté : « J’appuie le rapatriement de nos troupes de Syrie. Mais le retrait imprudent et imprévu du président Trump sape à la fois nos partenaires et notre sécurité. Nous avons besoin d’une stratégie pour mettre fin à ce conflit, pas d’un président qui peut être influencé par un seul coup de fil. »
Il faut mettre un terme à l’invasion meurtrière de la Syrie du nord-est par les Turcs. Les alliés de l’OTAN du gouvernement turc partagent la responsabilité de cette attaque. Ils doivent cesser leur soutien militaire à Ankara, imposer des sanctions économiques au gouvernement turc jusqu’à ce qu’il retire ses troupes de Syrie et fournir au mouvement national kurde les armes dont il a besoin pour combattre l’invasion de son territoire par la Turquie.
Gilbert Achcar
Article publié le 7 octobre 2019 sur le site du Kingston Labour Party; traduction rédaction A l’Encontre