Dans une interview à Mediapart, Eric Hazan, éditeur aux engagements libertaires, a cru bon de dire à propos des fascistes dans la rue que les ennemis fascistes de ses ennemis néolibéraux étaient un peu ses amis. Ce qui est misérablement stupide.
Le Monde a ouvert ses colonnes à des réponses à ce propos le 18 décembre. Parmi ces réponses, voici des extraits de celle de François Cusset. Si la menace fasciste est décrite présente, ce n’est qu’en s’appuyant sur des articles de presse que cela s’appuie; le combat antifasciste au sein des classes populaires mérite plus de précision.
C’est cependant une contribution au débat.
P. B., 29–12–2018
« Le chantage électoral à la peste brune rend impossible le chan… https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/15/le-chantage-ele…
18/12/2018
« La menace fasciste n’est plus un fantasme, ni un cauchemar paranoïaque. C’est, partout, une réalité quotidienne, dont bourdonnent à nos oreilles mille bruits inquiétants : les actions violentes de groupes s’affichant désormais au grand jour, comme le Bloc identitaire ; les migrants tabassés ou refoulés par des patriotes musclés, de Calais à la frontière italienne ; les doctrines des « Français d’abord » ou du « grand remplacement », détaillées dorénavant dans une partie de la presse généraliste ; le score du Front national aux présidentielles, qui a quasiment doublé de 2002 à 2017 ; mais aussi, au cœur de nos Etats dits « de droit », un double virage néolibéral et autoritaire qui sous-tend des lois d’exception, une violence policière inédite ou encore une islamophobie réglementaire (si l’on admet que la loi de 2004 restreignant le port de signes religieux vise d’abord les musulmans) ; et, au-delà de nos frontières, les victoires électorales de candidats ostensiblement racistes et antidémocratiques, du Brésil à la Hongrie.
Ce sont des bruits aussi, avérés mais disparates, choquants mais très marginaux, qui ont dès le début bruni l’image de la mobilisation des « gilets jaunes » et inquiété à juste titre : voile islamique arraché à une conductrice ou insultes homophobes sur des ronds-points bloqués, présence, discrète mais attestée, dans les rassemblements de slogans ultranationalistes ou de sigles fascisants. Des signes, dans les deux cas (au cœur de l’époque comme du mouvement de contestation actuel), dont on se gardera d’inférer des conclusions hâtives, en assimilant par exemple cette fin des années 2010 au
début des années 1930.
(…) se figer dans la peur du diable, ne plus bouger de crainte qu’il ne nous mange, c’est lui faire crédit d’un pouvoir qu’il n’a pas, ou pas encore
– comme le rappellent ces formules dignes d’un conte pour enfants qui, appliquées à l’extrême droite, nous ont trop souvent désarmés face à elle, substituant au combat politique et rationnel la frayeur et la lâcheté, qui surajoutent nos fictions à celles des chemises brunes.
Fureur et impatience mêlées
(…)
L’énergie tenace, fureur et impatience mêlées, qui incite à revenir dans la rue chaque samedi n’est pas encore une énergie politiquement définie, fascisante ou gauchisante – c’est l’énergie de celles et ceux qui font corps commun contre la menace, elle aucunement idéologique, de la matraque, du Flash-Ball et de l’arrestation.
La seconde raison, déjà plus politique, est précisément tactique : (…) plus on sera divers, nombreux, incompatibles, moins ce peuple-là ressemblera au peuple uni, pur, monochrome, de la régénération nationale.
Enfin, une raison historique : si le renvoi dos à dos, inacceptable, des deux extrêmes politiques, et le chantage électoral chaque fois reconduit à la peste brune (à laquelle n’importe qui est toujours préférable) rendent impossible depuis des décennies le changement social et politique en France, tout ce qui pourra nous sortir de ce faux dilemme, et de cette torpeur historique, pourrait être bon à prendre. Il faut y aller, en tout cas, y piétiner, s’y montrer, y discuter et cesser de jouer à se faire peur.
François Cusset est l’auteur du « Déchaînement du monde. Logique nouvelle de la violence » (La Découverte, 240 pages, 20 €)
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