Mélenchon, le pour, le contre, et le pour…
Malgré nos doutes et les contre-arguments, c’est donc tout de même ce fragile principe de réalité qui nous guidera dans l’isoloir.
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L ’Ecclésiaste nous a enseigné qu’il y a un temps pour tout. Un pour vivre et un pour mourir. Il y a donc aussi un temps pour débattre et un autre pour décider. Nous voilà entrés dans ce moment sacré où l’on tire le rideau de l’isoloir sur nos débats pour accomplir un acte civique longuement muri. Sauf que, cette fois, tout n’est pas aussi simple. La querelle des arguments entre gens de bonne foi se prolonge. Les doutes ont la vie dure. C’est que la gauche a été incapable de construire une alternative qui fasse consensus. La faute à qui ? Redisons-le inlassablement, la faute d’abord à une sociale-démocratie de tous les reniements, celle du triste tandem Hollande-Valls. La faute aussi, mais très secondairement, à Jean-Luc Mélenchon, lui qui avait toutes les cartes en main au soir du premier tour de 2017. Et dans cette hiérarchie négative, personne n’est complètement innocent, pas même Yannick Jadot, qui a sans doute cru son heure arrivée après les municipales. Si bien que nous en sommes réduits aujourd’hui à faire, avec Mélenchon, la part entre la séduction d’un talent maintes fois démontré, le travail admirable de ses équipes, et une obstination hégémonique mortifère. Pour nous débarrasser de nos doutes, il faudrait, en plus, passer par pertes et profits ses faiblesses pour Poutine, en Syrie et même en Ukraine, « ce pays qui a tant de mal à en être un », comme il disait naguère. Au lendemain du massacre de Boutcha, on ne peut s’empêcher de repenser aux attaques chimiques sur La Ghouta, dans la banlieue de Damas, dont Mélenchon avait fait mine de douter, jusqu’à suggérer que ce pouvait être un coup des Américains et des rebelles, pour finalement trouver normal le veto russe à toute enquête. L’exact discours de Poutine. Ce qui fait parfois du candidat insoumis un étrange homme de gauche.
Devant tant d’injonctions contradictoires, on a cru trouver le Graal avec la fameuse formule du « vote utile ». Ce vote utile de premier degré, c’est évidemment Mélenchon. Le candidat insoumis est de loin le mieux placé à gauche. Les sondages le donnent une dizaine de points devant Yannick Jadot. Il est le seul à pouvoir concurrencer une Marine Le Pen faussement « dédiabolisée » par le néo-pétainiste Zemmour. Mais ce vote utile premier degré pose autant de questions qu’il en résout. Malin, Mélenchon l’a d’ailleurs rapidement déconseillé à ses amis, lui préférant le « vote efficace ». Utile à qui ? Utile à quoi ? S’il s’agit de borner notre horizon au 10 avril, l’affaire est entendue. Mais qu’en est-il au-delà ? À moins que le candidat insoumis remporte le jackpot au second tour, il faudra bien poser des bases nouvelles pour reconstruire une gauche unie. L’utilité peut donc se mesurer à la capacité de chacun à rassembler. Mélenchon saurait-il réussir ce qu’il n’a pas su ni voulu faire au lendemain de la présidentielle de 2017 ? Le passé ne plaide pas en sa faveur. La perspective de repartir pour une nouvelle foire d’empoigne de cinq ans n’est guère encourageante.
En attendant, cette campagne a fini par tourner à l’avantage de l’insoumis. Après avoir failli se jouer sur la question ukrainienne, elle se jouera sur le pouvoir d’achat. La résistance des Ukrainiens ayant inscrit le conflit dans la durée, et le poison inodore de l’habitude ayant commencé à anesthésier les cœurs, c’est moins la guerre que ses conséquences économiques et sociales qui occupent ces derniers jours. Elles sont venues dramatiser un thème du pouvoir d’achat que nous imposait déjà la politique libérale d’Emmanuel Macron. C’est la raison principale de la progression de Marine Le Pen et de Jean-Luc Mélenchon. La première s’est emparée de cette question par pur opportunisme, réussissant à faire oublier ses obsessions xénophobes. Le second, au contraire, occupe là son terrain naturel, celui de la justice sociale. Son programme est le plus abouti et le plus convaincant. Sans compter qu’avec la complicité involontaire de Macron, il a pu faire de l’âge de la retraite un marqueur entre politiques libérales et sociales.
Et puis, il y a cette affaire McKinsey, ce cabinet noir qui inspire nos lois sans jamais paraître. Toute la « start-up nation » s’étale devant nous, menaçant la démocratie. Pour en découdre sur ces questions, il faut donc commencer par éliminer Marine Le Pen. Le principe de réalité nous invite donc à voter Mélenchon. Encore faut-il croire en sa remontée au niveau de la candidate du Rassemblement national. Si l’on refuse ce pari, même le principe de réalité ne tient plus. C’est alors le vote de conviction en faveur de Jadot ou de Poutou, ce Don Quichotte des luttes sociales, ou de Roussel, qui retrouve des couleurs. N’y a-t-il pas urgence, pour l’avenir, à installer le parti écologiste au cœur de notre vie politique ? L’écologie aura d’ailleurs été la grande victime d’une campagne écrasée par trois thèmes tour à tour exclusifs : l’identitaire, la guerre, et le pouvoir d’achat. L’écologie, qui avait pourtant sur ces sujets des réponses transversales, aura été inaudible, enfouie sous des déferlements médiatiques, tantôt scandaleux (Zemmour), tantôt inévitables (l’Ukraine). C’est l’une des raisons de la forte abstention programmée des jeunes. Malgré nos doutes et les contre-arguments, c’est donc tout de même ce fragile principe de réalité qui nous guidera dans l’isoloir à voter Mélenchon. Mais, profil bas ! Dans un moment politique aussi complexe, nous pouvons donner un avis, mais nous n’avons pas vocation à être prescripteurs. Nos lectrices et lecteurs sont majeurs et…vaccinés.