Un senti­ment d’ur­gence, de gravité, d’un possible bascu­le­ment dans le meilleur ou dans le pire

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Janvier 2015 est un mois de bascu­le­ment poli­tique : en quelques jours, deux tueries provoquent des mani­fes­ta­tions, histo­riques par l’am­pleur, tandis qu’au même moment le peuple grec est face à un choix déci­sif pour son avenir et pour celui de l’en­semble du conti­nent. Le tout dans un contexte écono­mique réces­sif et défla­tion­niste et face à une situa­tion inter­na­tio­nale marquée par l’ex­plo­sion de guerres aux portes mêmes de l’Eu­rope.

C’est bien un senti­ment d’ur­gence, de gravité, d’un possible bascu­le­ment dans le meilleur ou dans le pire, qui habite les popu­la­tions et qui nous place devant des choix cruciaux. Une alter­na­tive entre de nouvelles régres­sions sociales, écolo­giques et démo­cra­tiques ou le sursaut pour une trans­for­ma­tion globale de la société. Comment sortir de l’aus­té­rité et de poli­tiques libé­rales et dévas­ta­trices qui ont provoqué un niveau d’iné­ga­li­tés jamais atteints ? Comment éviter le piège mortel du « choc de civi­li­sa­tions » et sortir d’une logique guer­rière morti­fère tout en proté­geant les popu­la­tions d’actes barbares ? Comment refon­der une nouvelle démo­cra­tie qui ne se réduit pas à un chan­ge­ment de régime mais se confronte à l’en­semble d’un projet permet­tant de vivre ensemble ? Comment saisir dans toutes ses exigences la tran­si­tion écolo­gique alors même que se tient à Paris cette année le sommet clima­tique ? Comment enfin, conci­lier les résis­tances et l’in­ven­tion de solu­tions nouvelles permet­tant aux citoyens et aux citoyennes, aux travailleurs et travailleuses de s’ap­pro­prier les condi­tions mêmes de leur vie en société ? Quelle coali­tion nouvelle à construire à gauche pour porter un tel projet ?

Nous pouvons sortir par le haut de cette semaine drama­tique qui a frappé le pays par  l’as­sas­si­nat du comité de rédac­tion de Char­lie Hebdo, le meurtre de sang froid de poli­ciers, et l’at­ten­tat anti­sé­mite qui a causé quatre victimes supplé­men­taires, en nous appuyant sur la vita­lité démo­cra­tique expri­mée lors des mani­fes­ta­tions du 11 janvier, pour qu’elle prenne le dessus sur les logiques d’ « Union sacrée » dans la « guerre contre le terro­risme » et de choc des civi­li­sa­tions. En nous ouvrant sur celles et ceux qui n’ont pas mani­festé tout en parta­geant un socle de convic­tions démo­cra­tiques qui permet, ensemble, de rebon­dir. Cet épisode effroyable a provoqué une rupture de l’ato­nie qui domi­nait la situa­tion française, et ouvre de nouveaux débats poli­tiques. L’en­semble des maux qui déchirent la société française sont posés qui impliquent, si nous voulons être la hauteur des enjeux, une véri­table refon­da­tion démo­cra­tique de la société française. Plus de liberté, plus d’éga­lité, plus de soli­da­rité, ce qui revient à expri­mer la néces­sité d’en finir avec le chômage, la pauvreté, la préca­rité, les discri­mi­na­tions, le racisme sous toutes ses formes et la xéno­pho­bie. Face au mécon­ten­te­ment des caté­go­ries popu­laires, les classes domi­nantes cherchent à détour­ner leur colère contre les noirs, les arabes, les musul­mans, les Rroms… Il faut refu­ser ce climat délé­tère  qui s’est construit dans ce pays alimenté par les poli­tiques d’Etat, le Front Natio­nal, la droite sarko­zyste, des polé­mistes douteux, et même certaines voix à gauche qui font flam­ber, en retour, l’an­ti­sé­mi­tisme. Nous agis­sons contre tous les actes, d’où qu’ils viennent, visant les juifs.

Plus d’éga­lité implique d’en finir avec les poli­tiques de stig­ma­ti­sa­tion des classes popu­laires, des précaires, des femmes, des immi­gré-e-s, des jeunes, dans l’ac­cès à l’édu­ca­tion, au loge­ment, à l’em­ploi et à ce que la parole de chacun et chacune soit enten­due. La ques­tion des contrôles au faciès et celle des violences poli­cières doivent être centrales. Cela suppose aussi l’ou­ver­ture de la citoyen­neté à ceux et celles qui en sont privés, à commen­cer par le droit de vote et tous les droits civiques pour les résident-e-s à toutes les élec­tions. Mais égale­ment dans une logique de 6ème Répu­blique, l’ex­ten­sion des pouvoirs d’in­ter­ven­tion et de déci­sion des citoyen-enne-s et des travailleurs à toutes les échelles et dans l’en­semble de la vie sociale : dans les terri­toires comme dans les entre­prises.

Plus d’éga­lité implique d’en finir avec le chômage et la préca­rité : la réduc­tion massive du temps de travail est la réponse majeure pour l’em­ploi et le temps libéré, et plus large­ment pour l’éman­ci­pa­tion humaine. Résoudre le problème du chômage, c’est rendre plus facile l’en­semble des luttes et des mobi­li­sa­tions dans les autres domaines.

Nous visons à construire un large front anti­ra­ciste, avec les orga­ni­sa­tions et les popu­la­tions victimes de racisme, qui prenne en compte leur reven­di­ca­tions et leurs luttes spéci­fiques, qui soutienne un ensemble de reven­di­ca­tions et de chan­ge­ments en réalité insé­pa­rables de la mobi­li­sa­tion de masse pour mettre à l’ordre du jour un chan­ge­ment de poli­tique et une véri­table révo­lu­tion démo­cra­tique.

Au plan inter­na­tio­nal, enrayer la logique du « choc des civi­li­sa­tions » suppose de s’op­po­ser aux poli­tiques impé­ria­listes, respon­sables des drames que subissent les popu­la­tions, et aux menées des forces qui instru­men­ta­lisent  la reli­gion pour justi­fier leurs projets tota­li­taires. En Afrique, la poli­tique française reste déter­mi­née par la défense d’in­té­rêts néoco­lo­niaux et l’ap­pui des régimes auto­ri­taires et corrom­pus, si bien que ses inter­ven­tions mili­taires contre les forces djiha­distes ne sauraient être dura­ble­ment accep­tées par les popu­la­tions. Au Moyen Orient, une poli­tique progres­siste cohé­rente doit combi­ner le soutien à la révo­lu­tion syrienne, la soli­da­rité face à Daesh avec les forces démo­cra­tiques kurdes, syriennes et irakiennes, la soli­da­rité avec le peuple pales­ti­nien, et viser la possi­bi­lité de mise sur pied de régimes démo­cra­tiques, respec­tueux des droits des popu­la­tions dans la diver­sité de leurs croyances et opinions. Dans la lutte contre les régimes dicta­to­riaux, contre l’im­pé­ria­lisme et contre les courants poli­tiques djiha­distes, il n’y aura de véri­tables solu­tions que celles qui seront impo­sées par les peuples eux-mêmes.

La victoire de Syriza ouvre une période complè­te­ment nouvelle riche d’es­poirs : la possi­bi­lité d’agir et de débattre d’une poli­tique de rupture avec les poli­tiques  impo­sées aux peuples par la Troïka. Dimanche 25 janvier les grecs ont voté pour eux-mêmes et pour le conti­nent euro­péen. Pour la première fois, un gouver­ne­ment de rupture avec le consen­sus libé­ral l’em­porte, veut stop­per la logique de destruc­tion de la société grecque et ouvrir à l’échelle du conti­nent un débat autour d’une double exigence : – en finir avec l’aus­té­rité ; ne plus payer une dette illé­gi­time et rené­go­cier celle-ci dans le cadre de la zone euro en refu­sant que l’ad­di­tion des dettes issues des défi­cits provoqués par la défis­ca­li­sa­tion des plus riches et des entre­prises soient réglés par les peuples.

De ce point de vue la soli­da­rité avec le peuple grec et avec Syriza devient une soli­da­rité active. Il faut évidem­ment refu­ser le chan­tage et l’étran­gle­ment d’une poli­tique alter­na­tive que les diri­geants de l’UE et les marchés commencent à orga­ni­ser. Mais la soli­da­rité implique égale­ment le combat pour rompre dans tous les pays euro­péens et donc ici en France avec les poli­tiques austé­ri­taires et libé­rales. Une campagne contre la légi­ti­mité de la dette, exigeant un mora­toire sur le paie­ment et suivi d’un audit citoyen, est plus que jamais d’ac­tua­lité (emprunts toxiques des collec­ti­vi­tés locales et des hôpi­taux). Elle sera portée y compris lors des prochaines échéances élec­to­rales.

Dans le cadre du Collec­tif 3A, se déve­loppe le soutien aux mobi­li­sa­tions et des initia­tives locales sur les divers aspects de refus de la poli­tique néoli­bé­rale : refus des ferme­tures d’en­tre­prises utiles, défense de la Protec­tion sociale, déve­lop­pe­ment des services publics, augmen­ta­tion des salaires et retrai­tes… Il est possible de prépa­rer une mobi­li­sa­tion natio­nale qui ferait conver­ger et se multi­plier l’exi­gence de ne plus subir.

Au plan social, la lutte contre la loi Macron, clai­re­ment desti­née à satis­faire le patro­nat, est d’une brûlante actua­lité : exten­sion du travail du dimanche, « assou­plis­se­ment » du Code du travail, projets de priva­ti­sa­tion… Une fois de plus, les femmes seront les premières victimes de ses nombreuses dispo­si­tions rétro­grades : l’ex­ten­sion du travail du dimanche et du travail de nuit frap­pera en premier lieu les femmes massi­ve­ment présentes dans les secteurs du commerces et du tourisme. L’an­nonce de nouvelles ferme­tures de mater­ni­tés ou d’hô­pi­taux, au moment où nous fêtions les quarante ans de la loi libé­ra­li­sant l’avor­te­ment met l’ac­cent sur les luttes à mener pour un droit effec­tif à l’IVG. Plus que jamais, les luttes pour les droits des femmes, contre le retour à l’ordre moral et contre les discri­mi­na­tions de tout ordre dont elles sont victimes, sont néces­saires et indis­pen­sables.

Cela implique dès main­te­nant aussi une coor­di­na­tion rapide des mouve­ments sociaux et des forces poli­tiques euro­péennes autour d’objec­tifs communs pour défaire la troïka. Nous devons propo­ser une rencontre inter­na­tio­nale pour déter­mi­ner des exigences communes. Sans aucun doute, cela relève des respon­sa­bi­li­tés du Parti de la gauche euro­péenne mais aussi bien au-delà avec les forces qui parta­ge­ront avec nous le besoin de cette coor­di­na­tion des réflexions et des initia­tives. Nous parti­ci­pe­rons donc à toute initia­tive permet­tant une réponse à la hauteur du rejet des poli­tiques néoli­bé­rales :

– La remise en cause des « dettes publiques » illé­gi­times et des choix qui permettent de créer des emplois et un déve­lop­pe­ment pour des biens utiles écolo­gique­ment et socia­le­ment (voir les annexes déjà rédi­gés pour le texte « Un monde en bascu­le­ment »).

Une autre poli­tique à l’égard des immi­gra­tions ; cela passe par une autre poli­tique et des rela­tions diffé­rentes entre le nord et le sud de la Médi­ter­ra­née.

« Ensemble ! » sera partie prenante du FSM 2015 à Tunis : ce sera l’oc­ca­sion de parti­ci­per aux échanges et aux rencontres alter­mon­dia­listes avec l’en­semble des forces impliquées dans les mouve­ments sociaux, les mobi­li­sa­tions citoyennes et les proces­sus révo­lu­tion­naires dans le monde ; ce sera l’oc­ca­sion de favo­ri­ser la concer­ta­tion inter­na­tio­nale et de renfor­cer les campagnes de soli­da­rité.

Une exten­sion à l’Espagne par une victoire de Pode­mos serait évidem­ment une étape supplé­men­taire dans la modi­fi­ca­tion du rapport de force.

Une modi­fi­ca­tion du rapport de force qui implique de défi­nir une stra­té­gie du chan­ge­ment maitrisé par les acteurs eux-mêmes : plus de démo­cra­tie, de contrôle, d’ap­pro­pria­tion sociale dans une logique où doivent se combi­ner, en inven­tant des solu­tions nouvelles, l’exi­gence de l’éga­lité réelle et la néces­saire tran­si­tion écolo­gique. A l’op­posé des modèles produc­ti­vistes qui pros­pèrent toujours comme l’a montré l’an­nonce par Ségo­lène Royal d’une possible relance du nucléaire dans ce pays. 2015 est aussi l’an­née du chan­ge­ment clima­tique et donc des mobi­li­sa­tions pour impo­ser un modèle alter­na­tif.

Avec d’autres forces du mouve­ment social et des forces poli­tiques, Ensemble a œuvré à lancer un proces­sus de discus­sion afin de construire une alter­na­tive globale : les chan­tiers de l’es­poir. Plus que jamais une telle démarche répond aux urgences de la situa­tion : la néces­sité face aux dangers réac­tion­naires, face à un gouver­ne­ment ouver­te­ment social-libé­ral qui main­tient son agenda (la loi Macron), de déga­ger un espace permet­tant de construire une force alter­na­tive sur les plans sociaux, démo­cra­tiques et écolo­giques.

Nos inves­tis­se­ments mili­tants sont indis­so­ciables si nous voulons construire le rapport de forces : mobi­li­sa­tions pour des exigences d’une rupture avec la poli­tique néoli­bé­rale ; débats et initia­tives des chan­tiers d’es­poir ; front uni anti­ra­ciste et initia­tives anti-guer­re… Notre mouve­ment doit égale­ment être porteur d’un travail spéci­fique contre la dyna­mique du Front Natio­nal et la progres­sion de ses idées.

Les éléments saillants de ce mois de janvier modi­fient les condi­tions de l’ac­tion et du débat poli­tique mais certai­ne­ment une réalité s’im­pose : nous avons besoin en France, adapté aux réali­tés poli­tiques du pays, d’un front social et poli­tique qui soit l’équi­valent de Syryza et de Pode­mos, une force de parti­ci­pa­tion citoyenne qui crée les condi­tions d’une poli­tique de rupture.

Comment en ce mois de janvier 2015 ne pas en sentir l’im­pé­rieuse néces­sité ?

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