Un jour­na­liste « embas­tillé »

Un article de « Fil des communs » (Clémen­tine Autain et Elsa Faucillon), sur la répres­sion et la liberté de la presse aujourd’­hui:

« Quelle sinistre pièce s’est jouée ce week-end au théâtre des Bouffes du Nord dans le XVIIIème arron­dis­se­ment. Le chef de l’Etat, qui assis­tait à une pièce ce samedi, s’est fait vive­ment chahuté par quelques mani­fes­tant.e.s réuni.e.s pour l’oc­ca­sion. Ces bougres ont fait irrup­tion dans le hall de l’éta­blis­se­ment en chan­tant allé­gre­ment, leur donnant l’oc­ca­sion de rencon­trer l’ap­pré­ciable saveur du gaz lacry­mo­gène et le contact revi­go­rant de la matraque, à leur sortie. Dans cette ambiance désor­mais habi­tuelle pour chaque mani­fes­ta­tion, la liberté de la presse y a aussi pris un coup. 

« Heureu­se­ment, sa majesté n’a pas eu besoin d’être exfil­trée nous-a-t-on rassuré le soir même. Ce doux parfum de janvier 1793 ne nous inquié­tait pour­tant pas outre mesure. Mais, et puisqu’il fallait trou­ver un respon­sable à cet odieux crime de lèse-majesté, c’est natu­rel­le­ment sur le jour­na­liste Taha Bouhafs que s’est portée l’op­tion la plus répres­sive. Le jeune homme, connu pour avoir filmé Benalla dans ses basses oeuvres, a encore écopé d’une garde à vue pour avoir tweeté la présence du président au théâtre. Il repor­tait égale­ment l’en­vie des mili­tants présents aux abords du théâtre de commu­niquer leur petit désa­gré­ment avec le pouvoir. Un autre compte anonyme avait annoncé la présence de Jupi­ter quelques minutes aupa­ra­vant. 

« Résul­tat, une priva­tion de liberté de plus de 24h où le jour­na­liste a été placé de commis­sa­riat en commis­sa­riat, empê­ché de voir son avocat comme la loi l’exige, avant d’être déféré devant un juge pour « parti­ci­pa­tion à un grou­pe­ment formé en vue de commettre des violences ou des dégra­da­tions » et « orga­ni­sa­tion d’une mani­fes­ta­tion non décla­rée ». Le juge d’ins­truc­tion n’a heureu­se­ment pas suivi l’avis déli­rant du parquet, un peu trop pressé d’in­car­ner une justice aux ordres. Cette même “justice” qui avait dans la période condamné des centaines de gilets jaunes pour des faits simi­laires. Faut-il embas­tiller Taha Bouhafs ? L’im­per­ti­nent jour­na­liste à Là-bas si j’y suis, doit-il conti­nuer de travailler en toute impu­nité ? Voilà l’ab­sur­dité où en est réduite une société rongée par la pulsion auto­ri­taire du néoli­bé­ra­lisme. 

« Tour à tour bles­sés, inter­pel­lés voire crimi­na­li­sés les jour­na­listes qui ne mangent pas dans la main du pouvoir ont ces derniers temps vécu le même sort que les récal­ci­trant.e.s de tout bord qui osent titiller la patience de son altesse. Dans ce marasme démo­cra­tique, la girouette poli­tique Aurore Bergé, dépu­tée macro­niste, s’est même permise de condam­ner le “mili­tant” Taha Bouhafs, niant sa qualité profes­sion­nelle de jour­na­liste. Vassa­li­sés ou embas­tillés, l’ave­nir des jour­na­listes en France a un goût de passé.

Paul Elek 

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