Chaque jour, des millions de salarié.es de secteurs non essentiels sont contraint.es d’aller au travail au risque de contracter et de propager le virus. Muriel Pénicaud et le gouvernement multiplient les pressions en ce sens, sapant ainsi l’efficacité du confinement. Nous, responsables syndicaux et associatifs, chercheur.es et citoyen.nes, lui disons : ça suffit !
par Philippe Martinez (CGT), Nicolas Girod (Confédération Paysanne), Eric Beynel (Union syndicale Solidaires), Aurélie Trouvé (Attac), Khaled Gaiji (Amis de la Terre France), Annie Thébaud-Mony (Association Henri Pézerat), Pierre Khalfa (Fondation Copernic), Thomas Coutrot (économiste, Ateliers travail et démocratie), Pascale Molinier (psychologue, Ateliers travail et démocratie) et 150 autres signataires (liste ci-après).
Madame la ministre du Travail,
Depuis le début de l’épidémie votre gouvernement envoie aux travailleurs des messages contradictoires : « restez chez vous à tout prix », « allez travailler pour le pays ».
Alors bien sûr, les professions de santé et du care, les caissières, les éboueurs, les agriculteurs, les chauffeurs routiers et d’autres professions vitales en ce moment pour le pays se mobilisent tous les jours, malgré l’ahurissante pénurie de moyens de protection et de dépistage dont vous, votre gouvernement et les précédents serez comptables. Elles luttent pour la vie, au péril de la leur, et il faudra aussi s’en souvenir.
Mais pourquoi vous-même et les grands dirigeants d’entreprises, installés dans des bureaux spacieux et sans connaître le travail réel des salariés, vous arrogez-vous le droit de décider que des millions d’ouvrier.es et d’employé.es doivent se rendre chaque jour à leur travail, alors que celui-ci pourrait sans dommage vital être suspendu le temps de l’épidémie ? Prenant souvent les transports en commun, retrouvant leurs collègues dans des camions, des vestiaires ou des locaux étroits ou sur des chantiers à l’hygiène précaire, devant éduquer les clients à la distanciation sociale et les pacifier, comment ne sauraient-ils pas qu’ils et elles peuvent à tout instant risquer de contracter ou de transmettre le Covid 19, ajoutant l’angoisse aux ravages de la propagation ?
Les petits patrons du BTP souhaitaient arrêter leurs chantiers pour ne pas mettre en danger leur vie et celle de leurs ouvriers ni propager l’épidémie : vous avez osé les traiter de « défaitistes ». Vos services ont publié une circulaire dissuadant les salarié.es d’exercer leur droit de retrait, au motif que le respect individuel des gestes barrières serait une garantie suffisante. Si tel était le cas, pourquoi confiner 3 milliards d’humains ?
Vous piétinez d’ailleurs ainsi les principes essentiels de la prévention des risques professionnels qui donnent la priorité aux mesures organisationnelles et collectives. Vous décidez par ordonnance que ces salarié.es devront travailler jusqu’à 60 h par semaine si leur employeur le décide. Vous refusez le droit au chômage partiel à des entreprises qui ne produisent rien d’indispensable à court terme et voudraient s’arrêter pour respecter le confinement.
Madame la ministre, nous n’hésitons pas à le dire : votre politique du travail à tout prix est criminelle. En sacrifiant des vies humaines à la « raison » économique, vos décisions réduisent fortement l’ampleur et donc l’efficacité du confinement. Elles provoqueront inévitablement des morts qui auraient pu être évitées et qui pourraient se compter par milliers. Il apparaît que pour vous et le système capitaliste que vous servez, le profit et la croissance sont plus importants que la vie, parfois contre l’avis-même de nombreux chefs d’entreprise.
Nous soutenons les élu.es du personnel et les salarié.es qui partout dans le pays, comme à Amazon, PSA, General Electric, ou chez des sous-traitants plus que jamais invisibles, débattent pour décider si leur activité est essentielle au pays. Si elles et ils jugent que c’est le cas, il faut que les moyens de protection et de prévention disponibles leur soient prioritairement affectés. Sinon, c’est pour le bien commun qu’elles et ils ont toute légitimité à exercer leur droit d’alerte et/ou leur droit de retrait face à un danger grave et imminent pour elles-mêmes et la santé publique. Il en va de la lutte contre l’épidémie et du plus élémentaire droit de chacun à la sécurité.
Suite à de nombreuses grèves d’ouvrier.es refusant d’être sacrifié.es dans la guerre économique, le gouvernement italien a publié une liste d’activités essentielles et autorisé tous les autres secteurs à interrompre le travail. Il est temps de mettre un terme à votre politique irresponsable, et d’élaborer une telle liste des activités à arrêter immédiatement, en concertation avec les syndicats et en respectant la volonté et les droits sociaux des salarié.es. Le choc actuel nous apprend beaucoup de choses, et en particulier l’urgence d’engager immédiatement la discussion sur l’utilité sociale, sanitaire et écologique de notre travail. Après l’épidémie, nous saurons prolonger et élargir ce débat. Même si vous ne le voulez pas.