Quand Paris exfil­trait le gouver­ne­ment géno­ci­daire rwan­dais

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Publié le 2 avril 2021 (rédigé le 23 mars 2021) – Raphaël Dori­dant

À la mi-juillet 1994, une grande partie du gouver­ne­ment qui a enca­dré le géno­cide des Tutsis se réfu­gie dans la partie du Rwanda contrô­lée par les troupes françaises de l’opé­ra­tion Turquoise. Paris encou­rage alors les auto­ri­tés géno­ci­daires à fuir au Zaïre et s’op­pose à leur arres­ta­tion ou à leur mise en rési­dence surveillée pour­tant préco­ni­sées par le repré­sen­tant du Quai d’Or­say sur place et envi­sa­gées à l’ONU.

À la mi-juillet 1994, la déroute des Forces armées rwan­daises (FAR) est totale face aux troupes du Front Patrio­tique Rwan­dais (FPR), le mouve­ment poli­tico-mili­taire essen­tiel­le­ment tutsi dirigé par Paul Kagame. Au fur et à mesure de son avan­cée, le FPR met fin au géno­cide perpé­tré depuis le 6 avril 1994 contre les Tutsis du Rwanda par le Gouver­ne­ment inté­ri­maire rwan­dais (GIR), une grande partie des Forces armées rwan­daises (FAR), les milices extré­mistes hutues et une frac­tion de la popu­la­tion hutue. Face à la défaite immi­nente, la majeure partie du gouver­ne­ment géno­ci­daire se réfu­gie entre le 14 et le 18 juillet 1994 dans la zone huma­ni­taire sûre (ZHS) proté­gée par les soldats français de l’opé­ra­tion Turquoise (22 juin – 22 août 1994).

Ce gouver­ne­ment avait été formé entre le 7 et le 9 avril 1994, à la suite de l’as­sas­si­nat, le 6 avril, du président Juvé­nal Habya­ri­mana, puis du meurtre, le lende­main, de la plupart des respon­sables poli­tiques démo­crates, en très grande majo­rité hutus, qui auraient dû assu­rer la tran­si­tion insti­tu­tion­nelle. Cons­ti­tué à l’am­bas­sade de France, avec l’aval de l’am­bas­sa­deur Jean-Michel Marlaud, le GIR respec­tait, à en croire ce diplo­mate, les accords d’Aru­sha, dont l’ac­cord final signé en août 1993 prévoyait un partage du pouvoir entre la mouvance prési­den­tielle, les partis de l’op­po­si­tion démo­cra­tique et le FPR. Ce gouver­ne­ment était en réalité composé d’ex­tré­mistes hutus, ce qu’il n’a pas tardé à prou­ver.

Un gouver­ne­ment géno­ci­daire

Ses premières déci­sions, à la mi-avril, consistent en effet à rempla­cer le chef d’état-major des FAR, jugé trop modéré, afin de neutra­li­ser les offi­ciers oppo­sés au géno­cide des Tutsis. Les préfets et les bourg­mestres hostiles à l’ex­ter­mi­na­tion de leurs conci­toyens tutsis sont par ailleurs desti­tués, certains tués. Le président par inté­rim, Théo­dore Sindi­kub­wabo, et le premier ministre Jean Kambanda, accom­pa­gnés de plusieurs ministres, se rendent dans les préfec­tures du Sud pour appe­ler la popu­la­tion hutue à massa­crer. Cela n’em­pêche pas le ministre des affaires étran­gères du GIR, Jérôme Bica­mum­paka, et son direc­teur des affaires poli­tiques, l’idéo­logue extré­miste Jean-Bosco Barayag­wiza, d’être reçus à Paris, le 27 avril 1994, par le premier ministre Édouard Balla­dur, le ministre des affaires étran­gères Alain Juppé, et le conseiller « Afrique » du président Mitter­rand, Bruno Delaye.

Les massacres de Tutsis, large­ment coor­don­nés par le GIR, suscitent début mai les premières réac­tions inter­na­tio­nales, et, après avoir parlé à Bruxelles, le 15 mai, de « géno­cide », Alain Juppé reprend le mot à l’As­sem­blée natio­nale, le 18 mai, en préci­sant que « les troupes gouver­ne­men­tales rwan­daises se sont livrées à l’éli­mi­na­tion systé­ma­tique de la popu­la­tion tutsie [1] ». Pour­tant, quand le président Sindi­kub­wabo écrit à François Mitter­rand, le 22 mai, pour deman­der une fois encore le soutien français, à un moment où la défaite mili­taire se profile face au FPR [2], Paris ne l’écon­duit pas, mais lance l’opé­ra­tion mili­taro-huma­ni­taire Turquoise, qui débute le 22 juin 1994 dans la partie du Rwanda encore tenue par le GIR. Forte de près de 3 000 soldats aux ordres du géné­ral Jean-Claude Lafour­cade, la force Turquoise va progres­si­ve­ment s’ins­tal­ler au sud-ouest du Rwanda et créer début juillet, une « zone huma­ni­taire sûre » desti­née à faire barrage à l’avan­cée du FPR. La zone huma­ni­taire sûre proté­gée par Turquoise recouvre la moitié sud de la préfec­ture de Kibuye, ainsi que la tota­lité de celles de Gikon­goro et Cyan­gugu.


Après la prise de Kigali par le FPR, le 4 juillet 1994, la guerre appa­raît clai­re­ment perdue pour le GIR. L’at­ti­tude de Paris se modi­fie alors à son égard. Désor­mais dési­gné comme « les auto­ri­tés de Gise­nyi », la ville du nord-ouest où il s’est replié, le GIR appa­raît devenu bien embar­ras­sant, d’au­tant plus que les États-Unis annoncent, le 5 juillet, leur inten­tion prochaine de ne plus le recon­naître [3]. Le 6 juillet, l’am­bas­sa­deur Yannick Gérard, présent au Rwanda auprès de la Force Turquoise, préco­nise de « prendre publique­ment et nette­ment nos distances », ajou­tant assez cynique­ment : « Leur seule utilité rési­dait dans la faci­li­ta­tion qu’ils pouvaient appor­ter au bon dérou­le­ment de l’opé­ra­tion Turquoise. Ils cher­che­ront désor­mais à nous compliquer la tâche [4] ». Pour le Quai d’Or­say, désor­mais « le véri­table inter­lo­cu­teur côté gouver­ne­men­tal est mili­taire [5] ».

Le sort du gouver­ne­ment géno­ci­daire devient une préoc­cu­pa­tion crois­sante pour les Français au fur et à mesure que le FPR s’em­pare du nord-ouest du Rwanda et se rapproche de Gise­nyi. Le 11 juillet, le géné­ral Lafour­cade annonce à la presse que « les ministres du gouver­ne­ment inté­ri­maire rwan­dais […] seraient le cas échéant accueillis dans la “zone huma­ni­taire sûre”. […] Si le gouver­ne­ment s’en­fuit dans la zone opéra­tion­nelle, les soldats français les accueille­raient comme de simples réfu­giés  ». Il ajoute qu’«  il serait du ressort d’une enquête inter­na­tio­nale de déter­mi­ner qui est respon­sable des massacres commis au Rwanda [6] ».

Paris sous pres­sion pour arrê­ter le GIR

Les membres du gouver­ne­ment inté­ri­maire peuvent-ils vrai­ment être consi­dé­rés comme de « simples réfu­giés », comme le dit le géné­ral Lafour­cade, alors que l’Or­ga­ni­sa­tion des Nations-Unies (ONU), long­temps réti­cente à regar­der en face la situa­tion au Rwanda, la quali­fie main­te­nant de « géno­cide » ? Le repré­sen­tant de la France aux Nations-Unies, Jean-Bernard Méri­mée, a lui-même prononcé le mot, le 22 juin, lors de l’adop­tion de la réso­lu­tion 929 du Conseil de sécu­rité auto­ri­sant l’opé­ra­tion Turquoise. Et le 28 juin, le rappor­teur spécial de la Commis­sion des Droits de l’Homme de l’ONU, René Degni-Ségui, recon­naît le géno­cide des Tutsis [7]. La créa­tion d’une commis­sion d’enquête sur les massacres est prévue.

Le 7 juillet, quelques jours avant les propos du géné­ral Lafour­cade, la demande a d’ailleurs été expri­mée à l’ONU que les forces françaises «  inter­viennent direc­te­ment pour l’ar­res­ta­tion et la déten­tion des auteurs des massacres », ce qui, pour le Quai d’Or­say, ne relève pas du mandat reçu par la France. Cepen­dant, le minis­tère des affaires étran­gères s’est dit disposé à « faci­li­ter la tâche de ceux qui en seront char­gés », c’est-à-dire à ses yeux « des poli­ciers rele­vant de la MINUAR [8] ». Le 8 juillet, le FPR a demandé au président du Conseil de sécu­rité de l’ONU «  une décla­ra­tion sur le concept de zone huma­ni­taire sûre  », où, selon lui, « les forces et les mili­ciens s’y trou­vant devraient être désar­més et les respon­sables des massacres appré­hen­dés [9] ». Le Quai d’Or­say a pour sa part demandé l’en­voi rapide d’enquê­teurs de l’ONU au Rwanda [10].

Le 11 juillet, le premier ministre Édouard Balla­dur et son ministre des affaires étran­gères, Alain Juppé, se rendent à New-York où ils affirment devant les Nations-Unies «  la volonté de la France que les coupables des massacres soient iden­ti­fiés et punis [11] ». Le 12 juillet, le Quai d’Or­say est en posses­sion d’une liste des « person­na­li­tés accu­sées par le FPR d’être respon­sables des massacres  ». En tête y figurent « tous les ministres du gouver­ne­ment inté­ri­maire [12] ». Le souhait de Balla­dur que soient iden­ti­fiés les respon­sables du géno­cide est donc exaucé. Le même jour, le géné­ral Roméo Dallaire, comman­dant la MINUAR, écrit à Paul Kagame pour lui trans­mettre un message du géné­ral Lafour­cade dans lequel le comman­dant de l’opé­ra­tion Turquoise assure le chef du FPR que «  les éléments mili­taires pro-gouver­ne­men­taux ne seraient pas auto­ri­sés à quit­ter la zone [huma­ni­taire sûre] et seraient confi­nés dans leurs garni­sons avec leurs armes [13] ». Le 13 juillet, le FPR adresse une lettre aux membres du Conseil de sécu­rité pour contes­ter la présence française au Rwanda et deman­der «  l’ar­res­ta­tion et la déten­tion des person­na­li­tés du « gouver­ne­ment inté­ri­maire » et des forces armées ainsi que le désar­me­ment et la déten­tion des soldats et mili­ciens [14] ». Une réunion du Conseil de sécu­rité est prévue le 14 juillet, à la demande de la Russie, pour « discu­ter de la juri­dic­tion devant laquelle les respon­sables des massacres seront traduits [15] ». Les Nations-Unies se préparent donc à juger les auteurs du géno­cide.

« Pas ques­tion de châtier les auteurs hutus du géno­cide »

C’est dans ce contexte que le FPR s’em­pare, le 14 juillet de la ville de Ruhen­geri, toute proche de Gise­nyi, ce qui entraine le départ des premiers membres du GIR vers la zone Turquoise. La veille, le géné­ral Lafour­cade a retrans­mis aux comman­dants des grou­pe­ments Nord et Sud de Turquoise les instruc­tions qui lui sont parve­nues de Paris : « A priori, sauf menaces directes sur les popu­la­tions, nous n’avons pas à arrê­ter ni à séques­trer personne [16] ». Lafour­cade est averti le 14 juillet au soir de l’ar­ri­vée du président Sindi­kub­wabo et de quatre ministres à Cyan­gugu, dans la ZHS. Il signale en effet, dans un « Point de situa­tion du 14 juillet soir » :« Le problème le plus déli­cat à résoudre reste celui du Gouver­ne­ment Inté­ri­maire. J’ap­prends ce soir qu’une partie de ce dernier s’est réfu­gié à Cyan­gugu (dont le Président). Je cherche à préci­ser l’in­for­ma­tion. Il est regret­table que cette situa­tion, sensible, et qui avait fait l’objet de demande de conduite à tenir de ma part et de l’Am­bas­sa­deur [Yannick Gérard], n’ait pas été prise en compte à temps par notre diplo­ma­tie. J’at­tends désor­mais les ordres, mais la Force Turquoise aura un problème de plus à résoudre [17]. »

Les cinq membres du « gouver­ne­ment de Gise­nyi » arri­vés dans la zone huma­ni­taire sûre sont iden­ti­fiés dans l’ « annexe situa­tion » du point de situa­tion de l’état-major des armées concer­nant Turquoise daté du 15 juillet : « le Président et les ministres de l’En­sei­gne­ment supé­rieur, de la Fonc­tion publique, de la Jeunesse et de l’Agri­cul­ture se sont réfu­giés hier Cyan­gugu ; ce soir, ils auraient été rejoints par le Premier Ministre et le Ministre de la Défense. » [18] Le Centre opéra­tion­nel inter­ar­mées (COIA) envoie par ailleurs ces infor­ma­tions à Domi­nique de Ville­pin, alors direc­teur de cabi­net d’Alain Juppé, en ajou­tant : « le conseil des ministres [du GIR] se réunira à Cyan­gugu le 15 soir [19] ».

Ce 15 juillet 1994, la pres­sion sur les auto­ri­tés françaises est maxi­male. D’une part, le secré­taire d’État Warren Chris­to­pher fait infor­mer Paris que les États-Unis vont annon­cer qu’ils ne recon­naissent plus le gouver­ne­ment inté­ri­maire rwan­dais. Washing­ton se fonde sur le rapport du 28 juin 1994 du rappor­teur spécial de la Commis­sion des Droits de l’homme des Nations Unies selon lequel ce gouver­ne­ment a soutenu les massacres qu’il quali­fie de géno­cide [20]. Le même jour, la Maison Blanche décide de fermer l’am­bas­sade du Rwanda à Washing­ton : «  Nous ne pouvons auto­ri­ser les repré­sen­tants d’un régime qui soutient des massacres géno­ci­daires à rester sur notre sol », déclare le président Bill Clin­ton. La Maison Blanche ajoute que les Rwan­dais respon­sables des tueries géno­ci­daires ou d’autre crimes contre l’hu­ma­nité doivent être traduits en justice [21].

Mais le vrai danger provient du FPR, qui menace de péné­trer dans la zone Turquoise pour arrê­ter les membres du GIR. Selon l’AFP, c’est en réac­tion à cette décla­ra­tion de Kagame qu’un commu­niqué du Quai d’Or­say est publié disant que les auto­ri­tés françaises « ne tolé­re­ront aucune acti­vité poli­tique ou mili­taire dans la zone sûre [22] ».

Sous couvert de ce commu­niqué visant à éviter une confron­ta­tion directe avec le FPR qui ruine­rait la fiction du carac­tère huma­ni­taire de Turquoise, se déroule, en coulisse, un bras de fer oppo­sant, au sein de l’exé­cu­tif, le premier ministre Édouard Balla­dur et le président Mitter­rand. Édouard Balla­dur en expliquera la raison en 1998 : « Il n’était pas ques­tion à ses yeux [ceux du président Mitter­rand] de châtier les auteurs hutus du géno­cide et il n’était pas ques­tion aux miens de permettre à ceux-ci d’al­ler se mettre à l’abri au Zaïre [23] ». La possi­bi­lité de remettre les auteurs du géno­cide aux Nations Unies a bel et bien été discu­tée, comme l’in­dique une note du Quai d’Or­say du 15 juillet 1994. À propos de l’at­ti­tude à adop­ter à l’égard « des person­na­li­tés poli­tiques de Gise­nyi, dont la quasi tota­lité est jugée respon­sable des massacres », cette note indique qu’ «  il n’existe pas de dispo­si­tion prévoyant leur arres­ta­tion et leur juge­ment  », mais ces person­na­li­tés ont été aver­ties que «  leur présence dans la zone n’était pas souhai­tée ». Si elles y rentrent, « nous leur avons fait dire que nous serions amenés à les mettre en rési­dence surveillée jusqu’à remise aux Nations Unies [24] » .

Le 15 juillet en fin de mati­née a lieu à Mati­gnon une réunion de crise consa­crée au Rwanda, prési­dée par le premier ministre Édouard Balla­dur. Y assistent entre autres les prin­ci­paux ministres concer­nés, Alain Juppé (affaires étran­gères), François Léotard (défense), Michel Rous­sin (coopé­ra­tion), leurs conseillers, ainsi que des conseillers de l’Ely­sée (le géné­ral Ques­not, chef de l’état-major parti­cu­lier, et Bruno Delaye, conseiller « Afrique » de Mitter­rand) [25]. Le sort du GIR y a été visi­ble­ment discuté. Les archives de l’Ély­sée conservent en effet une dépêche Reuters publiée dans l’après-midi. Un para­graphe y est signalé. Il reprend les décla­ra­tions d’une « source auto­ri­sée » à Paris à propos des ministres du GIR : « S’ils viennent à nous et que nous en sommes infor­més, nous les inter­ne­rons. Il est hors de ques­tion qu’ils pour­suivent leurs acti­vi­tés dans notre zone ». En marge figure cette anno­ta­tion signée Hubert Védrine, à l’époque secré­taire géné­ral de l’Ély­sée : «  Lecture du Président : ce n’est pas ce qui a été dit chez le Premier Ministre [26] ».

L’ordre donné par le cabi­net d’Alain Juppé

L’is­sue de l’af­fron­te­ment entre Balla­dur et Mitter­rand a reflété la pratique consti­tu­tion­nelle de la Ve Répu­blique, qui fait de la poli­tique étran­gère, et en parti­cu­lier afri­caine, le domaine réservé du président. Même si l’am­bas­sa­deur Gérard avait clai­re­ment préco­nisé dans la jour­née du 15 juillet « une mise en rési­dence surveillée des inté­res­sés à défaut d’une arres­ta­tion [27]] », en souli­gnant : « Puisque nous consi­dé­rons que leur présence n’est pas souhai­table dans la zone huma­ni­taire sûre et dans la mesure où nous savons que les auto­ri­tés portent une lourde respon­sa­bi­lité dans le géno­cide, nous n’avons pas d’autre choix, quelles que soient les diffi­cul­tés, que de les arrê­ter ou de les mettre immé­dia­te­ment en rési­dence surveillée, en atten­dant que les instances judi­ciaires inter­na­tio­nales compé­tentes se prononcent sur leur cas [28]] », ce n’est pas la solu­tion rete­nue à Paris.

Le 15 juillet 1994, à 18 h 22, un conseiller d’Alain Juppé, Bernard Emié, envoie à Gérard un télé­gramme diplo­ma­tique, avec un message à trans­mettre aux membres du GIR réfu­giés à Cyan­gugu. Le cabi­net d’Alain Juppé lui demande de «  trans­mettre à ces auto­ri­tés notre souhait qu’elles quittent la zone huma­ni­taire sûre. Vous souli­gne­rez que la commu­nauté inter­na­tio­nale et en parti­cu­lier les Nations Unies devraient très prochai­ne­ment déter­mi­ner la conduite à suivre à l’égard de ces soi-disantes auto­ri­tés [29] » Paris fait donc clai­re­ment pres­sion sur les ministres du GIR pour qu’ils quittent la zone Turquoise, en agitant la menace impli­cite d’une demande d’ar­res­ta­tion par l’ONU qui pour­rait être adres­sée de manière immi­nente aux auto­ri­tés françaises. Le cabi­net de Juppé ajoute à l’at­ten­tion de Gérard : « Le dépar­te­ment ne souhaite pas que vous vous rendiez à Cyan­gugu pour rencon­trer les auto­ri­tés de Gise­nyi qui s’y seraient réfu­giées pour trans­mettre notre message alors même que la commu­nauté inter­na­tio­nale à New-York est en train de défi­nir l’at­ti­tude à adop­ter à leur égard. Vous pouvez en revanche utili­ser tous les canaux indi­rects, et notam­ment vos contacts afri­cains, en ne vous expo­sant pas direc­te­ment […] [30]  ».

L’am­bas­sa­deur Yannick Gérard se rebiffe contre l’ordre qui lui est donné. Il écrit à Paris : « Notre posi­tion est désor­mais publique et parfai­te­ment claire. Je ne vois plus la néces­sité d’al­ler mettre en garde indi­rec­te­ment les personnes visées. Diverses décla­ra­tions appa­rem­ment de sources auto­ri­sées françaises laissent entendre que ces membres du « gouver­ne­ment inté­ri­maire » sont en rési­dence surveillée. Certains jour­na­listes, ici, déduisent de notre commu­niqué du 15 juillet (« D’ores et déjà elle saisit les Nations unies et se tient prête à appor­ter son concours à toute déci­sion des Nations unies les concer­nant ») que nous nous oppo­se­rions donc à présent à leur fuite éven­tuelle de la Zone huma­ni­taire sûre. Je vous serais recon­nais­sant de bien vouloir m’in­diquer si cette inter­pré­ta­tion est la bonne. Pour ma part, je persiste à penser que ces membres du gouver­ne­ment inté­ri­maire sont bien parmi les prin­ci­paux respon­sables du géno­cide et que notre devoir, à présent, est de ne pas les lais­ser s’égailler dans la nature. Cette opinion, bien sûr n’en­gage que moi, mais je souhai­te­rais compte tenu de la mission dont le Dépar­te­ment m’a chargé, qu’elle soit bien enre­gis­trée au dossier de cette affaire [31] ».

Mais Paris choi­sit d’igno­rer les argu­ments de Gérard [32]. Comme le prouve une note non signée trou­vée aux archives diplo­ma­tiques et révé­lée par la commis­sion Duclert, il s’agit pour les auto­ri­tés françaises de faire partir le gouver­ne­ment géno­ci­daire au plus vite, avant que le nouveau pouvoir à Kigali ne demande son arres­ta­tion : « Si, comme il est probable, certains membres du gouver­ne­ment sont déjà présents dans la zone, il est souhai­table de les en faire partir dans les plus brefs délais : leur présence ne sera pas long­temps cachée ; nous n’au­rons pas la possi­bi­lité de les remettre aux Nations Unies, qui n’ont à ce stade créé qu’une commis­sion d’enquête sur le géno­cide, sans pouvoir de contrainte de type poli­cier. Nous risquons aussi, dès la forma­tion d’un nouveau gouver­ne­ment par le FPR, d’être invi­tés à remettre les inté­res­sés aux nouvelles auto­ri­tés. Mieux vaut préve­nir ce risque en faisant partir les inté­res­sés, ce qui dissua­dera aussi les autres de rejoindre la zone sûre [33] ».

Cet ordre du Quai d’Or­say de faire partir le GIR au Zaïre, en toute discré­tion et sans compro­mettre Paris, a vrai­sem­bla­ble­ment satis­fait l’état-major des armées. Dans un point de situa­tion concer­nant l’opé­ra­tion Turquoise daté du 15 juillet, le géné­ral Raymond Germa­nos, sous chef d’état-major chargé des opéra­tions, jugeait en effet « souhai­table que des contacts diplo­ma­tiques soient pris pour que ces auto­ri­tés quittent la ZHS [34] ».

Dans cette soirée du 15 juillet, à l’heure où le cabi­net d’Alain Juppé donne ses instruc­tions à l’am­bas­sa­deur Gérard, plusieurs ministres du GIR sont déjà présents à Cyan­gugu autour du président Sindi­kub­wabo. Le lende­main, le premier ministre Jean Kambanda et le ministre de la défense les rejoignent, ainsi que la plupart des ministres [35]. Depuis Goma où il se trouve avec trois de ses collègues, le ministre du travail du GIR informe en effet que « le reste du gouver­ne­ment est parti à Cyan­gugu avec le président de la Répu­blique [et qu’il] restera à Cyan­gugu et y entre­pren­dra des acti­vi­tés poli­tiques [36] ».

Le prétexte de l’ab­sence de mandat de l’ONU pour arrê­ter le GIR

Une course de vitesse est enga­gée pour les auto­ri­tés françaises. En effet, le 15 juillet dans l’après-midi, le repré­sen­tant de la France à l’ONU a informé le Conseil de sécu­rité que « [l]a présence du “président” du “gouver­ne­ment inté­ri­maire” du Rwanda et de quatre de ses “ministres” a été consta­tée à Cyan­gugu dans la Zone huma­ni­taire sûre du sud-ouest du Rwanda. Les auto­ri­tés françaises ont fait savoir offi­ciel­le­ment qu’elles ne tolé­re­ront aucune acti­vité poli­tique ou mili­taire dans cette zone sûre, dont la voca­tion est stric­te­ment huma­ni­taire, et qu’elles pren­dront toutes dispo­si­tions pour faire respec­ter les règles appli­cables dans cette zone ». Il a précisé : « Les auto­ri­tés françaises se tiennent prêtes à appor­ter leur concours à toute déci­sion du Conseil de sécu­rité concer­nant les personnes en cause. Elles sont à la dispo­si­tion des Nations unies pour exami­ner avec elles les déci­sions auxquelles elles pour­raient souhai­ter que la France apporte son concours [37] ».

Le 16 juillet, 13 membres du GIR sur 19 se trouvent à Cyan­gugu. Il importe donc de gagner du temps vis-à-vis de l’ONU, en s’abri­tant derrière le mandat donné par la Réso­lu­tion 929 du Conseil de sécu­rité. Celle-ci n’au­to­rise ni n’in­ter­dit l’ar­res­ta­tion des géno­ci­daires : elle n’en parle pas. Large­ment rédi­gée par la France qui s’est portée volon­taire pour monter l’opé­ra­tion Turquoise sous couvert des Nations Unies, la réso­lu­tion exclut seule­ment toute action d’in­ter­po­si­tion [38]. Mais la France n’était-elle pas tenue d’agir pour arrê­ter les auteurs d’un géno­cide, en vertu de la Conven­tion de 1948 pour la préven­tion et la répres­sion du crime de géno­cide qu’elle a signée ? Elle n’avait en tout cas pas attendu l’au­to­ri­sa­tion du Conseil de sécu­rité pour mettre en place, début juillet, la zone huma­ni­taire sûre, dans le but de stop­per l’avan­cée du FPR : elle avait bel et bien pris les devants et mis l’ONU devant le fait accom­pli.

Paris ne fait pas preuve de la même audace concer­nant l’ar­res­ta­tion du gouver­ne­ment du géno­cide. Domi­nique de Ville­pin avait déjà estimé le 13 juillet : « Il faut refi­ler le bébé à d’autres [39] ». Le 16 juillet, le direc­teur des Nations Unies et des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales du Quai d’Or­say, Hubert Colin de Verdière, consi­dère que « [s]i des arres­ta­tions au niveau en ques­tion devaient être opérées, il revien­drait à des forces rele­vant direc­te­ment du secré­ta­riat géné­ral des Nations Unies d’y procé­der [40] ». Il rappelle à Yannick Gérard que l’ar­res­ta­tion des personnes suspec­tées d’être respon­sables du géno­cide ne relève pas du mandat de la France : « Nous sommes comme nous l’avons répété hier, prêts à appor­ter notre concours aux déci­sions que pren­draient les Nations unies à l’égard de ces personnes. Mais, notre mandat ne nous auto­rise pas à les arrê­ter de notre propre auto­rité et il n’est pas envi­sa­geable que nous ayons à le faire [41] ».

La France rejette l’élar­gis­se­ment de son mandat proposé par les États-Unis

«  Quoi qu’il en soit, estime le rapport de la commis­sion Duclert, le carac­tère restric­tif du mandat confié par les Nations unies semble en réalité très bien conve­nir à la France, puisqu’elle repousse la propo­si­tion améri­caine de l’élar­gir afin d’au­to­ri­ser les forces Turquoise à se saisir des respon­sables présu­més du géno­cide. [42] » Le 16 juillet au matin, le Quai d’Or­say est en effet informé par le repré­sen­tant de la France à l’ONU que « nos collègues améri­cains nous ont fait savoir à l’is­sue du conseil qu’ils seraient prêts à nous soute­nir dans l’adop­tion d’une réso­lu­tion élar­gis­sant le mandat de la force multi­na­tio­nale pour lui permettre l’ar­res­ta­tion et la déten­tion des crimi­nels [43] ». Hubert Colin de Verdière signale immé­dia­te­ment à Yannick Gérard l’op­po­si­tion du minis­tère des affaires étran­gères : « La sugges­tion de diplo­mates améri­cains qu’une réso­lu­tion du Conseil de sécu­rité élar­gisse à cette fin le mandat des forces Turquoise ne nous paraît pas méri­ter d’être explo­rée [44] ». Selon le Quai d’Or­say, « [n]ous ne pouvons […] pas nous trans­for­mer en poli­ciers dans notre zone. Nous ne sommes pas favo­rables à l’ex­ten­sion de notre mandat à l’ar­res­ta­tion des respon­sables des massacres [45] ». Cette posi­tion est parta­gée le 18 juillet par le premier ministre Édouard Balla­dur qui « exclut que nos forces effec­tuent un travail de police dans la zone huma­ni­taire pour livrer des crimi­nels présu­més au FPR [46] ».

Mais Washing­ton est bien décidé à obte­nir un mandat pour l’ar­res­ta­tion des auteurs du géno­cide. Ce même 18 juillet en effet, l’am­bas­sa­deur de France à Washing­ton informe que « l’ad­mi­nis­tra­tion améri­caine nous a indiqué qu’elle travaillait à un projet de réso­lu­tion des Nations unies appe­lant à la déten­tion des personnes que l’on pour­rait raison­na­ble­ment consi­dé­rer comme impliquées dans la respon­sa­bi­lité des massacres, au Rwanda mais aussi dans les pays voisins [47] ». Le lende­main, la repré­sen­ta­tion française à l’ONU signale l’in­sis­tance des États-Unis pour l’adop­tion d’une telle réso­lu­tion [48].

À l’évi­dence, comme le note le cher­cheur Jacques Morel, « le Conseil de sécu­rité aurait approuvé les arres­ta­tions si la France les avait opérées [49] ». La déci­sion prise par Mitter­rand, appuyé par Alain Juppé, malgré l’op­po­si­tion de l’am­bas­sa­deur Gérard et la molle résis­tance du premier ministre Balla­dur, n’a pas été de « déte­nir et d’ar­rê­ter » le GIR mais au contraire de l’in­ci­ter et de l’ai­der à fuir au Zaïre.

L’ex­fil­tra­tion du gouver­ne­ment géno­ci­daire

Le 16 juillet 1994, selon ses dires [50] , le lieu­te­nant-colo­nel Hogard, comman­dant du secteur Sud de Turquoise, rencontre à Cyan­gugu le président Sindi­kub­wabo et le ministre des affaires étran­gères du GIR. Il donne 48 heures à ce gouver­ne­ment pour passer au Zaïre, et lui inter­dit toute émis­sion de radio depuis la ZHS, inter­dic­tion que le GIR ne respec­tera pas. Paral­lè­le­ment, Hogard prend contact avec le comman­dant mili­taire zaïrois, le colo­nel Opango, afin que ce dernier ouvre la fron­tière pour accueillir le GIR. Ce que Képi Blanc, la revue de la Légion étran­gère, résume de manière lapi­daire : «  l’EMT [état-major tactique du lieu­te­nant colo­nel Hogard] provoque et orga­nise l’éva­cua­tion au Zaïre du gouver­ne­ment de tran­si­tion rwan­dais [51] ». Hogard expliquera en 2006 : « Provoqué, certai­ne­ment. Orga­nisé, dans la mesure où j’ai été voir mon homo­logue zaïrois pour leur dire de les accep­ter chez eux [52] ». Paris laisse donc la possi­bi­lité au gouver­ne­ment du géno­cide « de se replier vers le Zaïre avec le reste des FAR et leur arme­ment afin d’y pour­suivre la résis­tance hutue au nouveau régime mis en place à Kigali [le gouver­ne­ment multi­par­tite dominé par le FPR]  », selon les termes de la Direc­tion du rensei­gne­ment mili­taire (DRM) français [53].

Le 17 juillet, la cellule de crise inter­mi­nis­té­rielle consa­crée au Rwanda s’inquiète des décla­ra­tions publiques du GIR annonçant qu’il reste­rait au Rwanda pour y mener une action poli­tique, alors qu’ils se sont enga­gés à partir pour le Zaïre dans les 48 heures. L’ac­cent est mis sur l’ur­gence de ce départ : « La diffi­culté est que, si le nouveau gouver­ne­ment est formé à Kigali, l’une de ses premières demandes pour­rait être la remise des membres du « gouver­ne­ment inté­ri­maire ». Il est très impor­tant que celui-ci ait déjà quitté notre zone à ce moment car, dans le cas inverse, nous ne pour­rons justi­fier de ne pas les arrê­ter ou de les lais­ser fuir. L’at­ten­tion du ministre de la Défense est forte­ment atti­rée sur l’im­por­tance de pous­ser le « gouver­ne­ment inté­ri­maire » à quit­ter la zone au plus vite [54] ». Il ne fait pas de doute que le géné­ral Lafour­cade et le lieu­te­nant-colo­nel Hogard aient reçu des instruc­tions en ce sens.

Le 17 juillet au soir, le président Sindi­kub­wabo, son chef de cabi­net, son chef du proto­cole et sa famille quittent Cyan­gugu en convoi routier en direc­tion du Zaïre. La plupart des membres du gouver­ne­ment l’ac­com­pagnent [55]. Ils fran­chissent la rivière Rusizi qui marque la fron­tière entre le Rwanda et le Zaïre. Un témoin oculaire raconte : « J’ai vu la radio et le gouver­ne­ment passer au Zaïre en prenant le pont Rusizi 2. Le pont Rusizi 1 était submergé de monde qui fuyait au Zaïre et se faisait dépouiller par les mili­taires zaïrois. Donc le gouver­ne­ment et la radio sont passés par Rusizi 2. Le véhi­cule qui trans­por­tait la radio est tombé dans le fossé. Les gens ont aidé à déga­ger le véhi­cule. Dans le convoi, il y avait un motard de la gendar­me­rie, un véhi­cule de l’Orin­for [Office rwan­dais d’in­for­ma­tion], le véhi­cule avec la radio, des pick-up avec des soldats. Il y avait des véhi­cules mili­taires rwan­dais et des véhi­cules mili­taires français dans le convoi [56] ». Il s’agit bien d’une exfil­tra­tion. Pour leur part, le premier ministre Kambanda et le ministre de la défense Bizi­mana quittent Cyan­gugu le lende­main dans un héli­co­ptère de l’ar­mée rwan­daise pour se rendre à Bukavu, la ville zaïroise fron­ta­lière située de l’autre côté de la rivière Rusizi [57].

Au total, le président Sindi­kub­wabo et 12 membres du GIR sont passés par Cyan­gugu. Sindi­kub­wabo et deux ministres sont décé­dés avant que la justice ne puisse s’in­té­res­ser à leurs cas. Deux autres ont été acquit­tés par le TPIR, deux ont été condam­nés en première instance puis acquit­tés en appel, et six ont été défi­ni­ti­ve­ment condam­nés. Parmi eux, le premier ministre Jean Kambanda [58].

Le 19 juillet 1994, une fois le gouver­ne­ment géno­ci­daire en sécu­rité au Zaïre, le repré­sen­tant de la France à l’ONU suggère au repré­sen­tant du GIR qui siège au Conseil de sécu­rité depuis le 9 avril de quit­ter son siège, ce qu’il accepte bien volon­tiers [59]. Aura donc perduré jusqu’à la dernière limite un soutien poli­tique constant des auto­ri­tés françaises au gouver­ne­ment du géno­cide, depuis sa consti­tu­tion à l’am­bas­sade de France à Kigali en avril 1994 jusqu’à son exfil­tra­tion au Zaïre en juillet.

À l’abri dans la ZHS, les FAR tardent à passer au Zaïre

Ce 19 juillet, à Bukavu, le premier ministre Kambanda et le ministre de la défense du GIR sont convoqués par le comman­dant mili­taire zaïrois du Sud-Kivu, le colo­nel Opango. Celui-ci leur fait part de sa lassi­tude d’at­tendre le passage de la fron­tière zaïroise par les unités des Forces armées rwan­daises « qui s’étaient repliées à l’abri de la Turquoise [60] ».

Ce n’est pas la première fois que les FAR utilisent la zone Turquoise comme refuge face au FPR. Dès la créa­tion de la zone huma­ni­taire sûre, plusieurs unités des FAR sont présentes dans le secteur contrôlé par les troupes françaises : un bataillon le 4 juillet, plusieurs unités autour de Gikon­goro le 5 juillet, trois bataillons le 7 juillet (auxquels s’ajoutent quatre autres bataillons en limite externe de la zone), plusieurs bataillons et compa­gnies le 11 juillet. Le 13 juillet, des unités des FAR se replient vers Kibuye [61]. En outre, des « mouve­ments FAR », signa­lés sur une carte de la Direc­tion géné­rale de la sécu­rité exté­rieure (DGSE) le 15 juillet, partent de la ZHS et se dirigent vers le front  [62], ce qui laisse penser que la ZHS sert aussi de base arrière à des unités des FAR qui s’y replient avant de retour­ner au combat, une viola­tion claire du statut de la zone.

Le 17 juillet, le point de situa­tion de l’état-major des armées concer­nant Turquoise indique que, suite à un accro­chage avec le FPR, «  le comman­dant du secteur [FAR] a ordonné à ses unités de se replier à quelques kilo­mètres à l’in­té­rieur de la ZHS [63] ». Le 18 juillet, le mouve­ment s’am­pli­fie, comme le note l’état-major des armées : « Trois bataillons des forces armées, deux bataillons de gendar­me­rie, ainsi que la compa­gnie terri­to­riale de Nyanza, se regroupent en effet à Mabanza, Ruga­bano et Kibuye, c’est-à-dire à l’in­té­rieur même de la zone huma­ni­taire sûre. […] Par ailleurs, le colo­nel Muniye­ra­gambo [nouveau comman­dant opéra­tion­nel des FAR] compte faire recu­ler ses troupes suffi­sam­ment loin pour éviter que le FPR ne tire sur des objec­tifs situés à l’in­té­rieur de la zone huma­ni­taire sûre. » [64] Il s’agit là à n’en pas douter d’une inter­po­si­tion des forces françaises, pour­tant expli­ci­te­ment inter­dite par le mandat reçu de l’ONU. On comprend mieux pourquoi les FAR repliées dans le secteur de Cyan­gugu ne sont pas pres­sées de quit­ter le Rwanda.

Escor­tés par des mili­taires zaïrois, le premier ministre du GIR et son ministre de la défense retournent donc à Cyan­gugu pour trans­mettre au comman­dant des FAR le message du colo­nel Opango. « Sous la menace de ferme­ture, le colo­nel Muso­nera a fait fran­chir la fron­tière zaïroise à une troupe de près de 6 000 hommes [65] ». C’est donc une frac­tion notable des FAR, de l’ordre du quart des effec­tifs, qui fuit à travers la ZHS. Certaines unités sont désar­mées par les mili­taires français, tandis que d’autres passent avec leurs armes – « 4 bataillons [des FAR] passe­ront et 6 autres seront désar­més [66] » –, en parti­cu­lier à la faveur de la nuit [67].

Les FAR désar­mées ne le sont souvent que pour la forme, car des instruc­tions sont données de les réar­mer ensuite : selon le jour­na­liste Patrick de Saint-Exupéry, un haut fonc­tion­naire habi­lité à lire les archives de l’Ély­sée y a relevé qu’« au cours de l’opé­ra­tion Turquoise, ordre avait été donné de réar­mer les Hutus qui fran­chis­saient la fron­tière  ». Cet ordre a suscité des protes­ta­tions de la part de soldats de l’opé­ra­tion Turquoise, puisqu’« il y avait plusieurs docu­ments sur des cas de “droit de retrait” que des mili­taires auraient fait valoir pour ne pas obéir aux ordres. Il y avait aussi un docu­ment disant que les mili­taires sur place ne compre­naient pas cet ordre et ne souhai­taient pas l’ap­pliquer  ». Sur l’un de ces docu­ments, le haut fonc­tion­naire dit avoir «  vu une note dans la marge disant qu’il fallait s’en tenir aux direc­tives fixées, donc réar­mer les Hutus… L’au­teur de cette note était Hubert Védrine  » [68].

Par ailleurs, le capi­taine Ancel rapporte qu’a­près la mi-juillet, sur l’aé­ro­port de Cyan­gugu, il a reçu l’ordre de détour­ner l’at­ten­tion de jour­na­listes pendant qu’un convoi d’une dizaine de camions porte-conte­neurs char­gés d’armes passe derrière eux à desti­na­tion des FAR qui à cette date sont réfu­giées au Zaïre [69]. Lorsqu’An­cel en témoigne publique­ment en 2014, la gêne du géné­ral Grégoire de Saint-Quen­tin, ancien du Rwanda comme lui, lui laisse penser qu’il ne s’agis­sait pas d’armes confisquées aux FAR, mais bien de nouvelles armes qu’on leur livrait  [70].

La zone Turquoise reste dans les semaines suivantes très accueillantes aux FAR puisqu’une fiche de la DGSE du 11 août 1994, « large­ment diffu­sée auprès de l’Ély­sée et du gouver­ne­ment » selon le rapport de la commis­sion Duclert, signale que « la majeure partie de l’ex-Garde prési­den­tielle (GP) serait réfu­giée dans la Zone huma­ni­taire sûre (ZHS) [71] ». La Garde prési­den­tielle, les assas­sins dont la DGSE disait début mai qu’il fallait condam­ner les agis­se­ments publique­ment et sans appel… [72]

Paris protège les droits de la défen­se… des géno­ci­daires

Quelles que soient les oppo­si­tions mani­fes­tées au sein du gouver­ne­ment, du Quai d’Or­say ou de l’ar­mée, l’Ely­sée n’a pas l’in­ten­tion de lâcher ses alliés, même s’ils ont commis un géno­cide. Il y va de l’in­fluence de « la France » en Afrique, de la crédi­bi­lité de la « parole de la France » vis-à-vis des autres poten­tats du pré carré afri­cain. Une fois les auteurs du géno­cide au Zaïre, les auto­ri­tés françaises conti­nuent, le 5 août, à s’op­po­ser au souhait de Washing­ton qui insiste « pour que « les États dispo­sant de forces dans la région », c’est-à-dire la France et les Nations unies, soient char­gés d’ar­rê­ter les suspects afin d’évi­ter « que des respon­sables impor­tants des massacres [dispa­raissent] dans la nature » ». La commis­sion Duclert note que « la réti­cence de la France prend la forme d’une protec­tion des droits de la défense qui concerne aussi toute arres­ta­tion réali­sée par la MINUAR [73] »

Un télé­gramme diplo­ma­tique dresse une liste d’ar­gu­ties qui montrent la mauvaise volonté de Paris : « À qui seraient remis les suspects, étant entendu que les auto­ri­tés rwan­daises auraient de bons argu­ments à faire valoir au soutien de leur compé­tence pour les pour­suivre et compte tenu des décla­ra­tions récentes des auto­ri­tés de Kigali sur la nature des procès à venir ? De quelles garan­ties serait assor­tie la déten­tion qui, en prin­cipe, ne devrait pas pouvoir se prolon­ger au-delà de quelques jours en dehors d’un contrôle judi­ciaire ? Qui appré­cie­rait, et selon quels critères, le carac­tère raison­nable des soupçons portant sur tel ou tel ? Que ferait-on des personnes déte­nues si la créa­tion du tribu­nal chargé de les juger tardait à entrer dans les faits ? Qui déter­mi­ne­rait les condi­tions de la déten­tion en l’ab­sence de règles de procé­dure appli­cables devant la nouvelle juri­dic­tion ? Les forces de la MINUAR s’ac­quit­te­raient-elles volon­tiers d’une telle mission ? [74] » Le 10 août 1994, les États-Unis tentent à nouveau de convaincre la France, sans plus de succès, de « s’as­su­rer de la personne de crimi­nels qui risquaient de deve­nir inces­sam­ment introu­vables [75] ».

La première étape vers la « Guerre mondiale afri­caine [76] »

Avec l’aide de la France, les géno­ci­daires déchus se réfu­gient au Zaïre, par Bukavu et surtout par Goma, deux villes zaïroises où se trouvent respec­ti­ve­ment l’état-major des forces spéciales de Turquoise et celui du géné­ral Lafour­cade. Ils entrainent avec eux plus d’un million de Rwan­dais hutus, qu’ils utilisent comme bouclier humain. Quand le Rwanda brisé par le géno­cide des Tutsis est privé de tout, large­ment aban­donné dans un premier temps par les bailleurs inter­na­tio­naux influen­cés par la France, les respon­sables du géno­cide emportent dans leur fuite l’ar­me­ment, l’argent de la banque natio­nale du Rwanda, les radios, le maté­riel de l’ad­mi­nis­tra­tion et des entre­prises publiques. Ils s’ins­tallent dans des camps au Zaïre, dans la région du Kivu, aux fron­tières du Rwanda. Non contentes d’avoir permis à ces géno­ci­daires d’échap­per à la justice inter­na­tio­nale, les auto­ri­tés françaises main­tiennent leur alliance avec eux après la fin du géno­cide en leur four­nis­sant de la nour­ri­ture, des armes, un entraî­ne­ment mili­taire. Les auteurs du géno­cide préparent, avec le soutien français, la reconquête du Rwanda et multi­plient les incur­sions dans ce pays. À l’été 1996, un rapport de l’ONU indique que 50 000 hommes se préparent à prendre le pays en tenaille depuis le Zaïre et la Tanza­nie [77].

Le 4 juillet 1996, lors de son allo­cu­tion commé­mo­rant la fin du géno­cide, le vice-président et ministre de la défense rwan­dais, Paul Kagame, aver­tit ceux qui sèment l’in­sé­cu­rité au Rwanda qu’au besoin il ira les cher­cher là où ils se trouvent [78]. Au début du mois d’août 1996, Kagame se rend à Washing­ton où il rencontre des respon­sables du Dépar­te­ment d’État à qui il explique que les camps de réfu­giés doivent être déman­te­lés, et que si l’ONU ne fait rien, quelqu’un devra s’oc­cu­per du problème [79] A l’au­tomne 1996 éclate la première guerre du Congo.

Comme l’écrivent en 2000 les auteurs d’un rapport de l’Or­ga­ni­sa­tion de l’unité afri­caine sur le géno­cide des Tutsis : « On peut diffi­ci­le­ment sous-esti­mer les consé­quences de la poli­tique française. La fuite des géno­ci­daires au Zaïre engen­dra, ce qui était presque inévi­table, une nouvelle étape plus complexe de la tragé­die rwan­daise et la trans­forma en un conflit qui embrasa rapi­de­ment toute l’Afrique centrale  [80]«  La poli­tique menée par un petit cercle de diri­geants français rassem­blés autour de François Mitter­rand, une poli­tique profon­dé­ment inscrite dans la França­frique, a donc permis le double désastre du géno­cide des Tutsis, puis de la « guerre mondiale afri­caine  ».

Les bobards du lieu­te­nant-colo­nel Hogard

Invité le 17 février 2021, avec François Graner, de l’émis­sion « Débat du jour » sur Radio France Inter­na­tio­nale (RFI), l’an­cien comman­dant du grou­pe­ment Sud de l’opé­ra­tion Turquoise, Jacques Hogard a répété une fois encore la version de la fuite du gouver­ne­ment géno­ci­daire au Zaïre à laquelle il s’ac­croche depuis 1994 : «  Le 16 juillet [1994], ce que je peux vous dire, c’est que je découvre l’ar­ri­vée dans Cyan­gugu de digni­taires du régime, c’est évident, du régime géno­ci­daire, dont on ne sait pas encore exac­te­ment… dont on ne sait pas encore les respon­sa­bi­li­tés des uns et des autres, mais peu importe. […] J’ap­prends l’af­faire par mon offi­cier de rensei­gne­ment qui me prévient aussi­tôt, et je lui demande de préci­ser ce rensei­gne­ment pour savoir qui il y a parmi ces personnes indé­si­rables qui débarquent tout d’un coup, alors que je n’avais pas de mise en alerte parti­cu­lière à ce moment-là. J’en rends compte évidem­ment au géné­ral Lafour­cade, qui me dit avoir demandé à Paris des consignes fermes et claires. Nous n’avons pas ces consignes, et moi je lui dis de ma propre initia­tive, je lui dis : « Mon géné­ral, en tout cas, ce qui me paraît évident, c’est que ces gens-là ne doivent pas rester dans la zone huma­ni­taire sûre, qui n’est pas un refuge, qui n’est pas une oppor­tu­nité facile pour ces gens-là. Il est hors de ques­tion qu’ils restent. » Et donc je lui dis : « Je vais les voir et je vais voir ce qu’ils veulent ». Je suis allé voir à ce moment-là, avec une équipe de comman­dos para­chu­tistes du 2ème REP, mon ancien régi­ment, je suis allé voir les person­na­li­tés en ques­tion. Je suis tombé, effec­ti­ve­ment, sur Théo­dore Sindi­kub­wabo, dont on appren­dra après les respon­sa­bi­li­tés dans le géno­cide, et son ministre des affaires étran­gères, Jérôme Bica­mum­paka, qui, arrêté quelque temps plus tard, sera fina­le­ment absous, élargi par le Tribu­nal pénal inter­na­tio­nal. Je discute avec ces gens-là et ils me disent : « Nous voulons partir. Aidez-nous à partir. Four­nis­sez-nous des avions. Nous parti­rons au moins jusqu’à Bangui, ou sinon vers l’Eu­rope. Aidez-nous. » Je dis : « Évidem­ment, il est hors de ques­tion de vous aider, et non seule­ment il est hors de ques­tion de vous aider, mais vous n’avez pas à rester ici ». Donc à ce moment-là j’ai pris la déci­sion de moi-même de leur dire de partir instan­ta­né­ment. »

Jacques Hogard prétend donc avoir décou­vert par hasard, le 16 juillet 1994, la présence à Cyan­gugu de membres du gouver­ne­ment inté­ri­maire rwan­dais (GIR) dont son supé­rieur le géné­ral Lafour­cade avait pour­tant signalé l’ar­ri­vée dès le 14 juillet au soir dans un message adressé à Paris…

Hogard avait les moyens d’ar­rê­ter le GIR

Sur RFI, Jacques Hogard laisse échap­per une infor­ma­tion essen­tielle : les mili­taires français étaient capables de procé­der à l’ar­res­ta­tion du président et des ministres du gouver­ne­ment géno­ci­daire. Il s’en défend dans un premier temps, expliquant qu’il n’avait qu’une tren­taine de légion­naires sous ses ordres : «  Je peux vous dire que dans la situa­tion dans laquelle j’étais, avec les moyens que j’avais, en évaluant la situa­tion, je n’ai pas imaginé une minute que j’al­lais me saisir par la force de ces gens-là. Ils étaient accom­pa­gnés d’une centaine de gardes armés ». Mais il enchaine immé­dia­te­ment en signi­fiant clai­re­ment que les gardes prési­den­tiels rwan­dais n’avaient aucune chance face à ses légion­naires : « […] j’au­rais évidem­ment déclen­ché un bain de sang. Je ne sais pas s’il en aurait beau­coup survécu de leur part. Je sais que moi, j’au­rais eu quelques bles­sés, quelques tués. Ça fait partie du métier, bien sûr ».

Selon Guillaume Ancel, alors capi­taine d’ar­tille­rie affecté à Cyan­gugu auprès du lieu­te­nant-colo­nel Hogard, celui-ci «  dispo­sait d’au moins deux compa­gnies de combat affec­tées à son grou­pe­ment (150 légion­naires chacune) et aurait pu être renforcé d’équipes des forces spéciales (le colo­nel Rosier dispo­sait d’une centaine d’hommes) ou du grou­pe­ment Nord, qui dispo­sait même de blin­dés légers. Il pouvait bloquer le poste fron­tière de Rusizi que le grou­pe­ment contrô­lait et même deman­der un appui aérien dont j’étais un offi­cier de guidage [81]. ». Outre ses 300 légion­naires, le lieu­te­nant-colo­nel Hogard pouvait en effet comp­ter sur des renforts venant de Bukavu, où se trou­vait l’état-major des forces spéciales de Turquoise, sous les ordres du colo­nel Jacques Rosier. Plus de quatre cents mili­taires français au total : on comprend mieux pourquoi, sur RFI, Jacques Hogard ne doute à aucun moment qu’il aurait pu neutra­li­ser la centaine de gardes prési­den­tiels escor­tant le gouver­ne­ment géno­ci­daire. S’il ne l’a pas fait, c’est unique­ment parce qu’il n’avait pas reçu l’ordre d’ arrê­ter ce dernier.

Porter le chapeau à la place des poli­tiques

La ques­tion qui se pose est de savoir pourquoi, encore aujourd’­hui, contre toute évidence depuis que le télé­gramme de Bernard Emié à Yannick Gérard a été rendu public par Média­part, Jacques Hogard conti­nue de soute­nir qu’il a pris l’ini­tia­tive de dire aux membres du GIR de quit­ter la zone huma­ni­taire sûre.

A l’époque, il paraît avoir été ébranlé par l’ordre reçu. D’après le témoi­gnage de Guillaume Ancel, le soir du 18 juillet 1994, le lieu­te­nant-colo­nel Hogard vient s’as­seoir à côté de lui. « D’un air las, avec une voix étran­ge­ment basse, un peu comme s’il se parlait à lui-même, le comman­dant du grou­pe­ment sud me dit son trouble. Je pense d’abord qu’il s’agit de l’in­ci­dent avec les forces spéciales ou l’ac­cro­chage des troupes de marine, mais je comprends rapi­de­ment que le sujet est autre : il a dû accueillir aujourd’­hui encore des membres du gouver­ne­ment rwan­dais en déroute, qui utilisent la zone huma­ni­taire sûre pour proté­ger leur fuite vers le Zaïre. Certes, il est convaincu que ce n’est pas notre rôle de rendre justice, mais escor­ter poli­ment des déci­deurs qui ont de terribles respon­sa­bi­li­tés dans les massacres et « du sang jusqu’au cou », le tour­mente. Il aurait pu les arrê­ter, il aurait même pu les neutra­li­ser, mais ses ordres ne lui lais­saient pas le choix. Il sait qu’il en verra d’autres, cepen­dant il ne peut s’em­pê­cher de se ques­tion­ner sur cette mission et sur ces crimi­nels que nous proté­geons de fait. Je crois qu’il a déjà peur qu’un jour on ne le lui reproche [82]  ».

Sur RFI, Jacques Hogard a contesté ce récit de Guillaume Ancel. Pourquoi persiste-t-il à vouloir porter le chapeau à la place des respon­sables poli­tiques pari­siens qui lui ont donné l’ordre d’in­ci­ter le gouver­ne­ment du géno­cide à fuir au Zaïre ? Cedant arma togae, dit l’adage romain : « l’épée le cède à la toge ». Autre­ment dit, le pouvoir civil prévaut sur la force mili­taire, a fortiori dans un pays qui se dit démo­cra­tique, comme la France. Dans ces condi­tions, l’ar­mée n’a pas à couvrir les poli­tiques. C’est pour­tant ce que font Jean-Claude Lafour­cade et Jacques Hogard. Pour quelles raisons les mili­taires qui s’ex­priment sur l’ac­tion de la France au Rwanda sont-ils, à de rares excep­tions près [83], des offi­ciers qui disent défendre l’hon­neur de l’ar­mée à leurs yeux injus­te­ment sali par celles et ceux qui demandent à bon droit des comptes aux poli­tiques ?

L’hon­neur de l’ar­mée française

On ne peut s’em­pê­cher de penser que les mili­taires qui ont fait honneur au drapeau français sont non pas ceux qui ont obéi à des ordres iniques, mais ceux qui ont pris des risques pour porter secours à des Tutsis mena­cés de mort, terrés dans leurs cachettes. Ceux qui, à Bise­sero, ont pris l’ini­tia­tive de déclen­cher le sauve­tage de centaines de Tutsis en cours d’ex­ter­mi­na­tion, alors que leur situa­tion était connue d’une hiérar­chie mili­taire restée indif­fé­rente à leur sort, tant sur place qu’à Paris. Ceux qui ont protesté, allant jusqu’à faire valoir leur droit de retrait, quand l’ordre leur a été donné de réar­mer les auteurs du géno­cide une fois ces derniers passés au Zaïre. Ces soldats qu’aujourd’­hui encore, le gouver­ne­ment et l’état-major des armées ne mentionnent jamais.

[1] Rwanda – Réponse du ministre des Affaires étran­gères, M. Alain Juppé, à une ques­tion d’ac­tua­lité à l’As­sem­blée natio­nale.

[2http://fran­ce­ge­no­ci­de­tutsi.org/Sindi­kub­wa­boMit­ter­rand22­mai1994.pdf

[3] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S Rwanda, Opéra­tion Turquoise. Créa­tion de la zone huma­ni­taire sûre, 5 juillet 1994.

[4] TD Kigali, Objet : Rwanda. Quelques commen­taires sur les ques­tions en cours, 6 juillet 1994.

[5] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda, Situa­tion sur le terrain, 7 juillet 1994.

[6] Lafour­cade – Nous accueille­rons les ministres hutus, Reuters, 11 juillet 1994.

[7] René Degni-Ségui, 1er rapport du 28 juin 1994, ONU, A/49/508, S/1994/1157, 3 octobre 1994 ; Commis­sion des Droits de l’homme de l’ONU, E/CN.4/1995/7.

[8] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda, Situa­tion sur le terrain, 7 juillet 1994.

[9] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda : Réunion du 8 juillet 1994.

[10] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda – Réunion du 11 juillet 1994 [annexe 9.E.11, p. 452].

[11] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda : réunion du 12 juillet 1994.

[12Note du minis­tère des affaires étran­gères, 12 juillet 1994, Person­na­li­tés accu­sées par le FPR d’être respon­sables des massacres.

[13] United Nations, UNAMIR, Roméo A. Dallaire to Paul Kagame, Subject : Message from Gene­ral Lafour­cade.

[14] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda – Réunion du 13 juillet 1994 [annexe 9.E.13, p. 454].

[15] Minis­tère des affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda – Réunion du 13 juillet 1994 [annexe 9.E.13, p. 454].

[16] Confi­den­tiel Défense. Moda­li­tés d’exé­cu­tion dans la ZHS, 13 juillet 1994 n° 764/PCIAT/CEM. Cité par Bernard Lugan, François Mitter­rand, l’ar­mée française et le Rwanda, Éditions du Rocher, 2005, p. 248.

[17] Opéra­tion Turquoise Le géné­ral, Goma le 14 juillet 94, N° 16/PCIAT/CAB.

[18] Etat-major des armées, Fiche – Objet : Opéra­tion Turquoise – Point de situa­tion du 15 juillet 1994 N° 273/DEF/EMA/COIA/CCR/CD.

[19] Fax pour le minis­tère des Affaires étran­gères, à l’at­ten­tion de M. de Ville­pin : liste des membres du gouver­ne­ment inté­ri­maire actuel­le­ment à Cyan­gugu, état-major des armées, N° 276/DEF/EMA/COIA/CCR, 15 juillet 1994.

[20] Warren Chris­to­pher, To AM Embassy Paris : Non-Recog­ni­tion of Inte­rim Govern­ment of Rwanda, US DOS, July 15, 1994.

[21] Warren Chris­to­pher, To AM Embassy Paris : Non-Recog­ni­tion of Inte­rim Govern­ment of Rwanda, US DOS, July 15, 1994.

[22] « The foreign minis­try comments came after the mili­tary chief-of-staff of the victo­rious rebel Rwan­dan Patrio­tic Front (RPF), Paul Kagame, said he was prepa­red to enter the French-decla­red zone to catch fleeing govern­ment members. “If neces­sary, we will enter the safety zone. The French cannot stop our progress, they can only slow us down,” he added. » in France warns against poli­ti­cal, mili­tary acti­vity in safety zone, AFP, 15 juillet 1994.

[23Lettre à Bernard Debré, 9 juin 1998.

[24] Minis­tère des Affaires étran­gères, Direc­tion des Affaires afri­caines et malgaches, N° 1963/DAM, 15 juillet 1994. Cf. MIP, Enquête sur la tragé­die rwan­daise 1990–1994 [Tome II, Annexes, p. 457].

[25] Le Géné­ral, Chef de l’État-major parti­cu­lier, Note à l’at­ten­tion de Monsieur le Président de la Répu­blique, Objet : Rwanda – Réunion à Mati­gnon vendredi 15 juillet à 11 h 15, 15 juillet 1994.Le Secré­taire géné­ral de la Prési­dence de la Répu­blique, Note pour le Président de la Répu­blique, 15 juillet 1994.

[26http://fran­ce­ge­no­ci­de­tutsi.org/Reuter15juillet1994.pdf

[27] [Yannick Gérard, TD Kigali, 15 juillet 1994, Refuge des auto­ri­tés de Gise­nyi en zone huma­ni­taire sûre annexe 9.D.9, p. 418

[28] [Yannick Gérard, TD Kigali, 15 juillet 1994, Refuge du Gouver­ne­ment inté­ri­maire à Cyan­gugu annexe 9.D.10, p. 419

[29] Rwanda : Paris a laissé partir les géno­ci­daires en 1994 (télé­gramme offi­ciel) », 14 févr. 2021, Media­part.fr.

[30] « Rwanda : Paris a laissé partir les géno­ci­daires en 1994 (télé­gramme offi­ciel) », 14 févr. 2021, Media­part.fr

[31] ADIPLO, 202000018ACXXX, TD Kigali 471, 16 juillet 1994.

[32] ADIPLO, 3727TOPO/3321, TD Diplo­ma­tie 20740,16 juillet 1994.

[33] ADIPLO, 3727TOPO/3320, note non signée, 15 juillet 1994.

[34] Etat-major des armées, Fiche, Objet : Opéra­tion Turquoise – Point de situa­tion du 15 juillet 1994 N° 273/DEF/EMA/COIA/CCR/CD.

[35] Pierre Duclos, Marcel Desaul­nier, Inter­ro­ga­toire de Jean Kambanda – Cassette # 76,TPIR, 22 mai 1998, p. 1.

[36] Joseph Gouala, « Le gouver­ne­ment inté­ri­maire restera à Cyan­gugu, selon un de ses membres (Correc­tion) », AFP, 16 juillet 1994..

[37] ADIPLO, 789SUP/15, Lettre de Hervé Ladsous à Jamsheed Marker, président du Conseil de sécu­rité, 15 juillet 1994.

[38Réso­lu­tion 929 (1994)

[39] ADIPLO, 643COOP/18, cellule de crise du 13 juillet 1994.

[40] ADIPLO, 3727TOPO/3321, TD Diplo­ma­tie 20740,16 juillet 1994.

[41] ADIPLO, 3727TOPO/3317, TD Diplo­ma­tie 20740,16 juillet 1994, Colin de Verdière.

[42] Commis­sion de recherches sur les archives françaises rela­tives au Rwanda et au géno­cide des Tutsis, La France, le Rwanda et le géno­cide des Tutsi (1990–1994), rapport remis au président de la Répu­blique le 26 mars 2021, p. 634–635.

[43] AN/PR-BD, AG(5)4/BD/62 dossier 1, TD DFRA New York 3463, 16 juillet 1994.

[44] ADIPLO, 3727TOPO/3321, TD Diplo­ma­tie 20740,16 juillet 1994.

[45] AN, Fonds PM Balla­dur, 19970446/1, Note à l’at­ten­tion du PM. CR de la cellule de crise du 16 juillet 1994.

[46] AN/PR-BD, AG/5(4)/BD/62, Note de Bruno Delaye et du géné­ral Ques­not au président de la Répu­blique, 18 juillet 1994.

[47] ADIPLO, 3727TOPO/3318, TD Washing­ton 2042, 18 juillet 1994.

[48] ADIPLO, 3727TOPO/3313, TD DFRA New York 3505, 19 juillet 1994.

[49Jacques Morel « Le Gouver­ne­ment inté­ri­maire rwan­dais dans la zone huma­ni­taire Turquoise », 20 juin 2020, p. 17. On lira avec profit l’en­semble de cet article.

[50] Une incer­ti­tude subsiste sur la date exacte. En effet, dans son point de situa­tion du 17 juillet au soir, le géné­ral Lafour­cade note : « Dans la mati­née, il a été signi­fié aux membres du Gouver­ne­ment inté­ri­maire qui se trouve à Cyan­gugu de quit­ter la ZHS le plus vite possible. Ils devraient avoir rejoint le Zaïre avec leur famille cette nuit » (Jean-Claude Lafour­cade, Point de situa­tion du dimanche 17 juillet soir, 17 juillet 1994, N° 93/PCIAT/CAB). De même le premier ministre Jean Kambanda déclare-t-il en 1998 aux enquê­teurs du Tribu­nal pénal inter­na­tio­nal pour le Rwanda (TPIR) : « Le 17 juillet, le président Sindi­kub­wabo nous a réunis pour nous infor­mer qu’un émis­saire de Turquoise l’avait informé que nous étions indé­si­rables. » (Pierre Duclos, Marcel Desaul­nier, Inter­ro­ga­toire de Jean Kambanda – Cassette # 76, TPIR, 22 mai 1998.

[51] « La légion au Ruanda : Un supplé­ment de huit pages sur l’opé­ra­tion Turquoise », Képi blanc. La vie de la Légion Étran­gère, n° 549, octobre 1994, (encart déta­chable entre les pages 32 et 33), p. 6.

[52Libre Jour­nal, émis­sion de Roger Sabou­reau, Radio Cour­toi­sie, 20 février 2006, 74ème minute.

[53] Note quoti­dienne de situa­tion du 18 juillet 1994, DRM N° 2424/DEF/DRM/SDE/SITU/CD, 18 juillet 1994.

[54] AN, Fonds PM, cabi­net d’Édouard Balla­dur, 20030273/04, Note pour le Premier ministre, compte rendu de la Cellule de crise du 17 juillet, 17 juillet 1994

[55] Etat-major des armées, Fiche, Objet : Opéra­tion Turquoise – Point de situa­tion du 18 juillet 1994 N° 284/DEF/EMA/COIA/CCR/CD.

[56] Entre­tien avec Raphaël Dori­dant, Cyan­gugu, 31 juillet 2012.

[57] Pierre Duclos, Marcel Desaul­nier, Inter­ro­ga­toire de Jean Kambanda – Cassette # 76,TPIR, 22 mai 1998, p.2.

[58] Cliquer sur le docu­ment pour le tableau des membres du GIR réfu­giés dans la ZHS.

[59] Minis­tère des Affaires étran­gères, Direc­tion des affaires afri­caines et malgaches, Note, A/S : Rwanda, réunion du 19 juillet 1994 [annexe 9.E.16, p. 462] https://www.assem­blee-natio­nale.fr/dossiers/rwanda/anex9e20.pdf

[60] Pierre Duclos, Marcel Desaul­nier, Inter­ro­ga­toire de Jean Kambanda – Cassette # 76,TPIR, 22 mai 1998, p. 2.

[61] DGSE, cartes de situa­tion quoti­dienne « Rwanda – ouest » des 04, 05, 07, 11 et 13 juillet 1994, in Fiche parti­cu­lière N° 63/DR/O « Rwanda. Suivi carto­gra­phique quoti­dien 24 juin au 13 juillet 1994 », 15 juillet 1994.

[62] DGSE, Fiche parti­cu­lière N° 63/DR/O « Rwanda. Suivi carto­gra­phique quoti­dien », 15 juillet 1994.

[63] Etat-major des armées, Fiche, Objet : Opéra­tion Turquoise – Point de situa­tion du 17 juillet 1994 N° 281/DEF/EMA/COIA/CCR/CD, Annexe situa­tion.

[64] Etat-major des armées, Fiche, Objet : Opéra­tion Turquoise – Point de situa­tion du 18 juillet 1994 N° 284/DEF/EMA/COIA/CCR/CD Annexe situa­tion.

[65] Pierre Duclos, Marcel Desaul­nier, Inter­ro­ga­toire de Jean Kambanda – Cassette # 76, TPIR, 22 mai 1998, p. 2.

[66] Clément Hous­sin, « Mana­ge­ment d’opé­ra­tions complexes. Rwanda. Turquoise », 20 avril 2014, publié sur le blog Chous­sin.Word­press.com, aujourd’­hui fermé.

[67] Entre­tien de François Graner avec un mili­taire anonyme.

[68] Patrick de Saint-Exupéry, « Réar­mez-les ! », XXI, no 39, été 2017, p. 64.

[69] Guillaume Ancel, Rwanda, la fin du silence. Témoi­gnage d’un offi­cier français, Les Belles Lettres, 2018, p. 98–100.

[70Ibid., p. 207.

[71] DGSE/Diffu­sion, Fiche parti­cu­lière n°19229/N du 11 août 1994

[72] DGSE, fiche du 4 mai 1994, citée par Pierre Conesa in « Évalua­tion poli­tico-mili­taire de la crise du Rwanda », note de la délé­ga­tion aux affaires stra­té­giques, minis­tère de la défense, 24 février 1995.

[73] Commis­sion de recherches sur les archives françaises rela­tives au Rwanda et au géno­cide des Tutsis, La France, le Rwanda et le géno­cide des Tutsi (1990–1994), rapport remis au président de la Répu­blique le 26 mars 2021, p. 637.

[74] ADIPLO, 789SUP/15, TD DFRA New York 3796, 5 août 1994.

[75] ADIPLO, 2092INVA/234, TD DFRA New York 3858, 10 août 1994.

[76] Gérard Prunier, Afri­ca’s World War. Congo, the Rwan­dan Geno­cide, and the Making of a Conti­nen­tal Catas­tro­phy, Oxford Univer­sity Press, 2009.

[77] Nations Unies, Conseil de sécu­rité, Troi­sième rapport de la Commis­sion inter­na­tio­nale d’enquête (Rwanda), § 94 et 95. Le rapport a été rédigé entre juillet et octobre 1996, mais publié seule­ment le 24 décembre 1997, en raison de la guerre au Congo.

[78] Jean-Paul Kimo­nyo, Rwanda demain ! Une longue marche vers la trans­for­ma­tion, Karthala, 2017, p. 172.

[79] Paul Kagame, entre­tien avec John Pomfret, « Rwan­dans Led Revolt In Congo », Washing­ton Post, 9 juillet 1997. A l’au­tomne 1996 éclate la première guerre du Congo.

[80OUA, Rwanda, le géno­cide qu’on aurait pu stop­per, 29 mai 2000, § 15.85.

[81] Cour­riel du 23 mars 2021

[82] Guillaume Ancel, Rwanda, la fin du silence. Témoi­gnage d’un offi­cier français, Les Belles Lettres, 2018, p. 102–103.

[83] Thierry Prun­gnaud, Guillaume Ancel, le géné­ral Jean Varret notam­ment.

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