Les résultats au premier tour des élections départementales des candidats des listes Front de gauche – Ecologistes, “Inventons”, dans la Vienne sont encourageants. Je note en particulier les bons scores des candidats de la gauche de la gauche à Poitiers, où les listes communes Front de gauche – Ecologistes ont bénéficié de la dynamique et de l’expérience initiées aux élections municipales de 2014 avec la liste « Osons ». De même les moins bons résultats des binômes Front de gauche sur Châtellerault ont souffert des stratégies à la remorque du Parti socialiste, qu’il s’agisse de celle du Parti communiste aux municipales de 2014 ou celle des écologistes à ces mêmes municipales et à ces départementales.
Au second tour, même si l’effet n’a pas pu être mesuré dans la Vienne faute de candidats qualifiés, il est également intéressant d’observer que les candidats de la gauche de la gauche, ont beaucoup mieux résisté que ceux du PS, aux candidats de la droite ou de l’extrême droite.
L’abstention, massive à gauche, est un refus politique.
Reste que le phénomène majeur de ces élections départementales 2015 est l’abstention d’un électeur sur deux au premier comme au second tour. Ce qui relativise l’importance des 25% obtenus par le FN, même s’il réussit à poursuivre son enracinement dans le pays, et qui contredit la fiction d’un tripartisme PS-UMP-FN qui s’installerait en France.
En réalité, le tripartisme n’est qu’un avatar du bipartisme et une grossière manœuvre politique menée de concert par le PS et l’UMP, pour enfermer les électeurs du premier tour dans le piège d’un prétendu front républicain qui à droite comme à gauche ne leur laisserait le choix qu’entre le concurrent dit démocrate, resté en lice et le candidat repoussoir incarné par le FN. Une théorie qui voudrait faire accroire qu’entre nuances sociales-libérales et néo-libérales il n’y aurait pas d’autre alternative que le système capitaliste. Ce qui discréditerait par avance et sans débat toute perspective sociale, écologique et démocratique, nouvelle, comme fondement possible d’un nouveau modèle politique à inventer.
Or cette posture, héritée de l’ancienne Première ministre britannique, dont sont aujourd’hui devenus adeptes nombre de dirigeants français et européens, est la source profonde de tous les mécontentements et colères contre les politiques d’austérité et d’inégalités qui aujourd’hui, faute de mouvements sociaux conséquents et de perspectives politiques claires ne trouvent à s’exprimer pour une part que dans le vote protestataire d’extrême droite et pour la moitié du corps électoral, dans l’abstention.
Mais la théorie du tripartisme n’est pas seulement une imposture politique, elle constitue aussi un déni démocratique qui ignore volontairement l’acte de résistance qu’expriment à la fois les 11% des électeurs de la gauche d’opposition et un très grand nombre des abstentionnistes.
C’est sur ces chiffres, autant que sur ceux du FN, que les analyses des responsables et commentateurs politiques devraient porter. Car l’abstention, qui est la plus forte chez les électeurs de gauche, manifeste pour beaucoup de citoyens, non pas un désintérêt pour la politique, mais l’acte inachevé d’un refus de la politique antisociale mise en œuvre indifféremment par des gouvernements de la droite ou de la gauche libérales. De même que le rejet politique qu’elle exprime, donne à voir ouvertement, la fracture qui se creuse depuis des années entre un électorat populaire et une élite politique hors sol, qui s’érige aujourd’hui en véritable aristocratie dirigeante.
Pour une stratégie à gauche capable de redonner espoir.
Il n’y a donc pas de fatalité à ce que cet électorat de mécontents se détourne des urnes ni ne se laisse aller par dépit, au vote protestataire du FN. L’espoir d’une véritable alternative sociale et écologiste à gauche ne demande qu’à grandir, si peu qu’on redonne à tous ces citoyens, la parole et la possibilité de participer à construire une alternative inédite, comme les Grecs ont eu le courage et la lucidité d’en faire le choix avec SYRIZA.
Dans ce contexte et devant l’urgence de la situation ainsi créée, élection après élection en France, les forces de la gauche de la gauche ont la responsabilité, de s’interroger pourquoi elles ne parviennent pas à mobiliser le mécontentement populaire que canalise mieux qu’elles le Front national ? Tout comme elles ont la responsabilité de proposer rapidement un espace politique nouveau où puisse se rassembler toutes les forces politiques, sociales et citoyennes qui aspirent à construire des perspectives politiques nouvelles et sont dans l’attente d’une stratégie émancipatrice de gauche, lisible et audible et donc qui s’affiche sous une seule bannière.
En ce qui le concerne le Front de gauche, il a la responsabilité particulière de poursuivre un travail de clarté politique en rupture totale avec les politiques antisociales et anti écologiques à l’œuvre depuis 2012 et dont il n’y a aucun espoir, ni aucune possibilité qu’elles ne s’infléchissent. Ce qui implique de la part de sa composante communiste le rejet définitif, à tout niveau, d’alliance avec le PS, quel que soit dans un premier temps le prix à payer sur le plan électoral pour certains élus restés prisonniers d’anciennes alliances.
Les “chantiers de l’espoir”, à condition qu’ils s’ouvrent rapidement, qu’ils soient nombreux, largement ouverts et libres de parole, peuvent aider à affirmer une telle orientation et à initier cette nouvelle construction politique qui redonne espoir à gauche, offre des perspectives aux luttes et conduisent à nouveau les abstentionnistes vers le chemin des urnes dès les prochaines élections régionales.
Christian LANNEAU – 04 avril 2015