http://www.regards.fr/web/article/respect-du-droit-de-decider-pour-le-peuple-catalan
En basculant dans la répression du mouvement indépendantiste catalan, l’Espagne d’un PP réactionnaire et d’un PSOE pusillanime entre dans une grave de régime.
L’État espagnol a peu de choses à voir avec l’État français. La question nationale y est bien présente et depuis bien longtemps. La Catalogne, le Pays basque, la Galice ont une langue, une culture, le franquisme a bien essayé d’interdire et d’éradiquer leur langue, de les « espagnoliser », mais sans y parvenir. La transition, à la suite de la mort du dictateur Franco, a établi un régime des autonomies, mais n’a pas réglé la question. C’est d’ailleurs ce régime issu de la transition qui est en crise dans l’Espagne d’aujourd’hui.
Du catalanisme culturel à l’indépendantisme
En 2006, la Catalogne se dote d’un nouveau statut d’autonomie. Ce statut sera adopté après négociation aux parlements espagnol et catalan, il sera même validé par un referendum catalan. Malgré cette double approbation, le Parti populaire (droite) engage un recours juridique au Tribunal constitutionnel. Pour celui-ci, le nouveau statut est non conforme à la constitution espagnole en raison de la référence à une nation, à une justice autonome et à la fiscalité. Le nouveau statut est, en conséquence, vidé de son contenu et de son sens.
Le 10 Juillet 2010, une manifestation d’un million de personnes défile avec pour mot d’ordre « Nous sommes une nation, nous décidons » C’est le début d’un nouveau cycle de mobilisation. C’est aussi une rupture avec le parti de l’époque de la bourgeoisie catalane, Convergencia i Unio. Ce parti, tout comme le PNV basque, a servi de supplétif, depuis la Transition, aux gouvernements du PP ou du PSOE. Pour quelques avantages, il permettait le passage de certaines lois ou du budget. Il en va de même avec ERC, parti historique, qui est une sorte de formation social-démocratie catalane.
Ces deux partis de masse et de gouvernement comprennent alors que le PP ferme définitivement la porte à toute évolution. D’un catalanisme culturel et autonomiste, ils passent à l’indépendantisme. Cela s’accompagne aussi d’un discours sur les mesures d’austérité – mises en place en Catalogne comme imposées par Madrid à la Generalitat (gouvernement catalan).
Trois camps constitués
Le 1er octobre 2017, un nouveau référendum est convoqué. La question posée est celle-ci : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une République ? » 80% des Catalans sont favorables à un referendum sur le « droit à décider », ce qui ne veut pas dire que 80% sont pour l’indépendance.
Dès l’annonce du référendum, du côté des partis trois camps se constituent :
les indépendantistes du gouvernement catalan (PDCat et ERC) et la CUP ;
les défenseurs du referendum négocié et avec garanties comme en Écosse – nous trouvons là Podemos et le parti d’Ada Colau, maire de Barcelone ;
les défenseurs de l’Espagne avec le PP, Ciudadanos et le PSOE.
Les deux premiers vont se retrouver à différents moments. Ainsi, au Parlement catalan, les partis indépendantistes voteront la motion soutenant le referendum négocié. Mais les deux acteurs principaux de l’affrontement à venir vont être le gouvernement du Parti Populaire et les partis indépendantistes.
Le Parti populaire a refusé totalement d’entendre le peuple catalan. Il a déclaré le referendum illégal et porté au Tribunal constitutionnel toutes les décisions du Parlement ou du gouvernement catalan. Si, pour le PP, il y a en héritage l’Espagne indivisible de Franco, nous ne devons pas oublier le roi parmi les puissants pouvoirs locaux. La revendication catalane est républicaine, c’est à dire sans le roi ! La royauté est un des piliers de la transition et perdre la Catalogne est impensable pour elle.
Marginalisation des solutions de compromis
Pourtant, des possibilités de discussion et d’évolution de la constitution peuvent exister, tout en sachant qu’elles constitueront une rupture avec le transition et la royauté. Dans un pays comme l’Espagne, où cohabitent plusieurs pays et plusieurs langues, pourquoi ne pas envisager un État fédéral ou une confédération ? Pourquoi tout simplement ne pas accorder aux Catalans les mêmes droits qu’aux Basques ? Le gouvernement basque prélève l’impôt et ensuite reverse un quota à Madrid ; en Catalogne, c’est l’État espagnol qui prélève et reverse ensuite à la Generalitat.
Par exemple aussi, Catalunya en Comu, le parti d’Ada Colau se prononce pour « une république catalane dans une confédération espagnole ». Le choix du gouvernement du PP est tout autre, c’est celui de l’immobilisme et de la répression.
Les partis mobilisés pour un referendum négocié ou un changement de la Constitution sont marginalisés. Comment avancer sur un référendum négocié avec garanties quand le PP, Ciudadanos et le PSOE ne veulent pas en entendre parler ? Ces trois partis représentent 70% du Parlement espagnol. De l’autre côté, les partis indépendantistes sont dans la rupture avec l’Espagne. Le PP soutenu par Ciudadanos et le PSOE a fait le choix de l’escalade répressive.
Le droit à décider ou droit à l’autodétermination est un droit démocratique. Il est même reconnu par les Nations unies, il s’est appliqué en différents endroits du globe, comme en Écosse dernièrement.
Un saut dans la politique répressive
Les signes de soutien au référendum, malgré toutes les décisions du gouvernement espagnol, ne faiblissent pas. Le 11 septembre 2017, un million de personnes manifestent à nouveau dans Barcelone pour soutenir le référendum. 700 Maires sur les 900 organisent la consultation malgré les menaces judiciaires. Alors que la répression a commencé, le 18 septembre El Diario publié une enquête indiquant que 60% des Catalans avaient décidé d’aller voter malgré l’interdiction.
Au moment où nous écrivons cet article, le PP vient de franchir un saut qualitatif dans sa politique répressive. À travers une sorte de coup d’État, il a établi un régime d’exception en Catalogne. La Guardia civil, corps de l’État espagnol dépendant du ministère des Armées, est entrée dans les bâtiments publics à la recherche du matériel électoral. Elle est restée une journée entière devant ces bâtiments, le local de la CUP a été encerclé.
Quatorze représentants de la Generalitat ont été arrêtés, les amendes de milliers d’euros tombent, des blogs et des sites Internet sont fermés… Les finances de la Catalogne sont mises sous tutelle, il s’agit là de fait d’une suspension de l’autonomie ! Une première vague de quarante maires organisateurs ont été trainés devant les tribunaux. Des meetings ont été interdits sur tout le territoire espagnol…
Le PP héritier du franquisme, le PSOE prisonnier de ses lâchetés
L’héritage franquiste du PP est bien réel. Ce parti, après la transition, a recyclé tous les militants franquistes et leurs familles. Nous sommes maintenant entrés, d’ici au 1er octobre, dans une situation très imprévisible. La politique de répression policière et juridique du PP est en train d’enterrer toute possibilité de troisième voie comme celle de la fédération ou d’une confédération. Le PP vient de le démontrer à grande échelle : l’alternative est soit « la grande Espagne », soit la république catalane indépendante. Ce choix est plus que jamais une réalité.
Si, du PP, nous connaissons bien l’histoire et la loyauté au franquisme, la lâcheté du PSOE est terrible. Podemos, pas très à l’aise avec le référendum catalan, a proposé une motion de censure pour faire tomber le gouvernement de Rajoy. Effectivement, l’addition des voix des députés de Unidos Podemos, du PSOE et de ERC serait majoritaire au Parlement. Mais le PSOE reste aux abonnés absents et refuse de s’engager sur une motion de censure. Souvenons-nous que le PP est au gouvernement grâce à l’abstention des députés du PSOE…
Une question se pose sérieusement : ce qui peut apparaître comme une victoire policière ne va-t-il pas se transformer en défaite politique ? Nous ne pouvons que le souhaiter. Une vague de solidarité commence à se construire à travers de nombreuses manifestations dans tout l’État espagnol, la mobilisation de la jeunesse catalane en est un signe.
Nous ne pouvons que renforcer notre soutien au droit à décider et au rejet de la politique répressive et judiciaire du gouvernement Rajoy. La tenue d’un referendum massif serait une victoire contre le gouvernement et le PP. Les jours qui viennent vont compter et nous entrons dans une zone de tous les dangers. Une crise majeure est ouverte dans un des pays clés de l’UE, il serait irresponsable de rester spectateurs.
Francis Viguié.
« Le droit à l’autodétermination signifie un défi au consensus de la transition issu de la fin du franquisme »
Entretien. Alors que le gouvernement central de l’État espagnol tente par tous les moyens d’empêcher la tenue du référendum d’autodétermination du 1er octobre en Catalogne, nous avons rencontré Laia Facet, militante d’Anticapitalistas Catalunya.
Comment expliques-tu l’attitude extrêmement répressive et brutale du gouvernement qui prend le risque d’un affrontement très incertain pour lui ? L’État espagnol faisait face a un dilemme : s’il permettait un référendum d’autodétermination, cela créait un précédent qui rompait avec le cadre constitutionnel et donnait la possibilité d’ouvrir des débats au delà du terrain national ; s’il ne le permettait pas il devait assumer un tournant autoritaire alors que jusqu’à maintenant il s’était maintenu dans l’attentisme. Le dilemme a été tranché du côté autoritaire. La répression est menée par le Parti populaire et son gouvernement, ses alliés de Ciudadanos et le silence complice du PSOE. La justice et de la police collaborent et font le sale boulot, avec le soutien de toute la presse liée au régime qui relaie sa propagande. Nous ne nous trouvons pas seulement face au gouvernement PP, mais face a l’ensemble du régime : dans l’État espagnol le droit à l’autodétermination signifie un défi au consensus de la transition issu de la fin du franquisme, que le régime cherche a préserver à tout prix. Le processus actuel en Catalogne a en réalité généré une brèche dans les fondements de l’État.
Jusqu’où le pouvoir est-il prêt à aller ? Actuellement ils réquisitionnent tout le matériel officiel de la Generalitat de Catalogne : matériel de propagande du référendum, tracts, cartes de recensement, etc. Ils ont procédé à des arrestations de responsables du Gouvernement et cité à comparaître plus de 700 maires. Ils ont fiché des milliers de personnes ayant participé et organisé des meetings, collages, etc. Ils ont perquisitionné des entreprises privées qui ont édité du matériel sur le référendum, et ils ont entrepris nombre d’autres actions qui mettent en cause les libertés publiques, la liberté d’expression et droits démocratiques. De facto, le 20 septembre, l’article 155 de la constitution s’est appliqué. Celui-ci permet de suspendre l’autonomie politique de la Catalogne et de contrôler les comptes de la Generalitat… Je ne sais pas s’ils pourront aller plus loin dans la répression, à part d’essayer d’empêcher l’ouverture de bureaux de vote le 1er octobre, ce qu’ils vont tenter de faire, et peut-être aussi prendre davantage de sanctions judiciaires contre le Gouvernement de Catalogne. Ce qui est impressionnant, c’est que face à cela les gens n’ont pas eu peur. Tous les jours on assiste à des mobilisations massives pendant des heures, des collages, des diffusions de tracts, des débats… et pourtant les gens savent qu’ils vont probablement être fichés par la police, tandis que des imprimeries prennent le risque de se voir fermer. Le degré d’implication des gens augmente, et c’est extrêmement important pour défendre concrètement le droit à l’autodétermination, mais aussi pour reconstruire une conscience de classe aujourd’hui en crise.
Comment réagit la population dans l’État espagnol ? Comme je disais précédemment le niveau d’implication des gens augmente en Catalogne et, chose importante, nous n’avons pas assisté à des manifestations significatives d’opposition de type réactionnaires ou espagnolistes. Dans le reste de l’État la dérive répressive du régime fait réfléchir les gens sur le référendum. Si de larges couches de la population sont en désaccord sur le cheminement suivi par la Catalogne, nous assistons ces jours-ci à des mobilisations de plus en plus importantes en solidarité et en soutien au référendum et à la Catalogne. La manifestation très massive à Bilbao la semaine passée a été suivie dès le 20 septembre par d’autres dans des dizaines de villes, où les gens ont rempli les rues pour montrer leur solidarité. La tentative d’interdiction des manifestations a en réalité amplifié le mouvement. Nous devons proposer des perspectives constituantes en nous appuyant sur la vague Catalane, mais cela va être particulièrement difficile car le régime a resserré ses rangs et ils forment un bloc de pouvoir constitutionnaliste pro-régime, désespéré dans ses formes mais fort. Dans ce contexte deux questions sont importantes : nous devons tisser des alliances avec toutes les personnes, tous les collectifs, syndicats, partis qui dénoncent la répression, incluant les soutiens internationaux ; nous devons tout faire pour que la dynamique de mobilisation soutenue et antirégime en Catalogne déborde au delà de celle-ci.
Quelle peut être la suite après le référendum du 1er octobre ? Il est très compliqué de prévoir des scénarios. Nous sommes dans un de ces moments où en un jour il se passe plus de choses qu’en plusieurs années. Actuellement une double lutte de légitimité- légalité est en cours, celle qui émane de la transition espagnole et celle surgie de la volonté d’une majorité en Catalogne de déborder cette transition, qui se concrétise dans un référendum d’autodétermination. La confrontation à laquelle nous assistons ces jours-ci, dans la rue, les institutions, les lieux de travail et d’étude, va être longue, vient de loin et se cristallise ces dernières semaines.Ce qu’il se passera le 1er octobre sera décisif, ainsi que ce qu’il en sortira. Si le référendum donne une majorité substantielle au « oui », on devra défendre le résultat et favoriser l’ouverture d’un processus constituant en Catalogne. La tâche sera difficile. Si on nous empêche de voter, la dynamique de mobilisation peut s’amplifier
Dans cet affrontement, quelle politique défendez-vous pour la classe ouvrière en particulier face à un droit à l’autodétermination qui pourrait prend la forme d’une union nationale ? Nous avons un mouvement vivant, quelque peu imprévisible, et qui peut déborder les calculs du gouvernement catalan et des partis de la droite catalane à tout moment. Le mouvement, jusqu’ici, avait laissé l’initiative au gouvernement catalan. Nous croyons qu’un référendum pourrait changer la dynamique, que cela impliquerait un défi réel au régime, loin de la rhétorique du gouvernement qui ne s’est jamais traduite dans des solutions conrètes. Actuellement, on vit dans les rues un mouvement ample et un défi sans précédent depuis la transition, qui peut changer les rapports de forces, y compris en Catalogne. Il y a aussi la perspective de l’ouverture d’un processus constituant. C’est pour cela que les mobilisations actuelles nous permettent d’accumuler des forces et des expériences pour mener cette bataille politico-programatique où nous avons de fortes différences avec la droite catalane, une bataille qui jusqu’à ce jour paraissait une utopie. Les mobilisations étudiantes et les occupations de facs de cette semaine sont déterminantes pour envisager une lutte plus radicale Pour terminer, il faut savoir que les deux principaux syndicats combatifs catalans IAC et CGT ont déposé un préavis de gréve générale a partir du 1er octobre si le pouvoir empêche la tenue du référendum. Dans les mobilisations on entend de plus en plus souvent une musique qui dit « on a besoin maintenant d’une gréve générale ». Le fait d’introduire la gréve dans le répertoire des actions du mouvement catalan est quelque chose d’important en soi, mais aussi pour que des secteurs de travailleurs puissent voir les organisations syndicales comme des outils leur permettant de s’impliquer dans la lutte. Cela pourrait s’avérer fondamental pour être en position de force du point de vue de la légitimité lorsque le moment viendra de déclencher la bataille constituante. |