Clémen­tine Autain : « Valls veut substi­tuer la ques­tion de l’iden­tité à la ques­tion sociale »

Depuis plusieurs mois, une polé­mique oppose Manuel Valls à Clémen­tine Autain, porte-parole du mouve­ment de gauche radi­cale Ensemble, à propos de l’is­la­mo­logue suisse Tariq Rama­dan. Actuel­le­ment en visite en Israël et dans les terri­toires pales­ti­niens, le premier ministre est revenu dimanche 22 mai sur le sujet, dénonçant, dans une inter­view à Radio J, « l’is­lamo-gauchisme », « ces capi­tu­la­tions, ces ambi­guï­tés avec les Indi­gènes de la Répu­blique, les discus­sions avec Mme Clémen­tine Autain et Tariq Rama­dan, ambi­guï­tés entre­te­nues qui forment le terreau de la violence et de la radi­ca­li­sa­tion ». A la suite de ces propos, la conseillère régio­nale d’Ile-de-France a menacé, « sans excuse » de la part de M. Valls, de porter plainte . Elle s’ex­plique.

Non seule­ment Manuel Valls ne s’est pas excusé dimanche, mais il a fait état dans la soirée, sur BFM-TV, de « conver­sa­tion­sé­tranges » entre M. Rama­dan et vous. Allez-vous porter plainte ?

Clémen­tine Autain : Je consulte pour savoir si le propos peut être quali­fié juri­dique­ment de diffa­ma­toire. Mais l’es­sen­tiel est de nature poli­tique. Depuis quelques mois, Manuel Valls, mais aussi Jean-Marie Le Guen [secré­taire d’Etat aux rela­tions avec le Parle­ment], ont jugé utile de me cibler person­nel­le­ment pour m’af­fu­bler de quali­fi­ca­tifs aussi idiots qu’in­fon­dés comme « islamo-gauchiste ». L’enjeu est de nous disqua­li­fier, mon mouve­ment et moi, sans autre forme de débat démo­cra­tique.

Comment compre­nez-vous ce terme d’« islamo-gauchisme » ?

C’est à eux qu’il faut le deman­der. Qu’est-ce que cela veut dire ? Que je suis de gauche ? Oui. Que je me bats contre le rejet des musul­mans ? Oui. Et alors ? Où est le problème ?

Quelles sont vos rela­tions avec Tariq Rama­dan ? Comment le quali­fiez-vous ?

Je l’ai dit et redit, je n’ai jamais rencon­tré Tariq Rama­dan et n’ai jamais partagé de tribune avec lui. Ce dernier défend des idéaux réac­tion­naires qui ne sont pas les miens. Cette affaire est un prétexte. Que des hauts respon­sables poli­tiques, jusqu’au premier ministre, puissent racon­ter n’im­porte quoi, mentir et esca­mo­ter les termes d’un débat qui devrait être sérieux et exigeant, ce n’est pas à la hauteur.

Pourquoi en décembre 2015 le site d’En­semble a-t-il relayé un meeting auquel parti­ci­pait M. Rama­dan ?

Il s’agis­sait d’un meeting contre l’état d’ur­gence dans lequel inter­ve­naient des jour­na­listes du Monde diplo­ma­tique, des repré­sen­tants d’or­ga­ni­sa­tions des droits de l’homme et qui avait un objec­tif parfai­te­ment juste. Ensemble n’a pas souhaité y parti­ci­per, car, juste­ment, il y avait Tariq Rama­dan. Pour autant, dans la salle et à la tribune, nous esti­mions que nous y comp­tions de nombreux alliés et c’est pourquoi nous avons mis cette infor­ma­tion sur notre site Inter­net.

Que répon­dez-vous à M. Valls quand il parle à votre sujet de »capi­tu­la­tions » et d’ »ambi­guï­tés entre­te­nues qui forment le terreau de la violence et de la radi­ca­li­sa­tion » ?

S’il y a bien une « capi­tu­la­tion » intel­lec­tuelle à gauche, elle est au gouver­ne­ment, et s’il y a bien des « ambi­guï­tés », elles sont du côté de l’Etat. Ce dernier tient un prétendu « discours de fermeté » et dans le même temps nour­rit Daech[l’or­ga­ni­sa­tion Etat isla­mique] dans ses choix de poli­tique inter­na­tio­nale. Le premier ministre prétend cher­cher la voie de la paix dans le conflit israélo-pales­ti­nien en affir­mant que la recon­nais­sance d’un Etat pales­ti­nien n’est pas auto­ma­tique. Il soutient Benya­min Néta­nya­hou [premier ministre israé­lien] au moment où un ministre pour­tant de droite quitte son gouver­ne­ment parce qu’un repré­sen­tant d’ex­trême droite, raciste patenté, y entre.

Je lui pose la ques­tion : qui renforce le wahha­bisme saou­dien et qatari aujourd’­hui ? Qui arme les dicta­teurs du Moyen-Orient ? Qui verse de l’huile sur le feu en menant une guerre secrète en Libye ? Qui préfère soute­nir Erdo­gan[président turc] que les kurdes laïques ?  Ce n’est pas moi. Qui protège les exoné­ra­tions exor­bi­tantes des capi­ta­listes qata­ris ? Qui a remis la Légion d’hon­neur à un prince héri­tier d’Ara­bie saou­dite ? Rece­voir des leçons de morale de respon­sables poli­tiques qui parti­cipent à ces poli­tiques, ça ne m’im­pres­sionne pas.

Comment expliquez-vous ces propos ? 

Manuel Valls a perdu son sang-froid et tente une opéra­tion qui est assez claire : il veut substi­tuer la ques­tion de l’iden­tité à la ques­tion sociale. C’est une manière pour lui d’es­sayer de masquer l’ina­nité de sa poli­tique par un tour de passe-passe qui consiste à cliver à l’in­té­rieur de la gauche sur cette ques­tion. Se rend-il compte, ce faisant, qu’il épouse l’agenda de l’ex­trême droite ? Pola­ri­ser le débat autour de la ques­tion de l’iden­tité, c’est un piège inouï pour la gauche.

Nous, nous combat­tons les replis iden­ti­taires que nour­rissent les discours et la poli­tique du premier ministre. Je comprends que, ma famille poli­tique et moi, nous lui faisions peur dans ce moment poli­tique où la révolte gronde dans le pays et où nous sommes au bord de la grève géné­rale. Je solli­cite un débat public avec Manuel Valls. Où il veut, quand il veut. Pour avoir un vrai débat, non pas à coups de polé­miques, d’injures, de mots fourre-tout qui ne veulent rien dire, mais pour aller au fond des diver­gences.

Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmou­lières. Publié sur le site du Monde.fr

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