Douze propo­si­tions pour inven­ter une école éman­ci­pa­trice

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I : Avant Propos : le sens d’un projet

  1. L’école, une grande ques­tion poli­tique.

  • Outre sa fonc­tion cultu­relle géné­rale, l’école a pour objec­tif de prépa­rer les jeunes à leur inser­tion sociale et profes­sion­nelle dans la société néo-libé­rale que nous connais­sons confor­mé­ment aux impé­ra­tifs déter­mi­nés par les grandes insti­tu­tions inter­na­tio­nales dans lesquelles le grand patro­nat joue un rôle déter­mi­nant (OCDE, …). Dans cette pers­pec­tive, la défi­ni­tion des compé­tences exigées aux diffé­rents niveaux de quali­fi­ca­tion des travailleurs, et la sélec­tion sociale qui se faisait autre­fois en dehors et/ou avant l’en­trée dans le système scolaire passent aujourd’­hui par l’école, avec un système d’orien­ta­tion résul­tant d’un proces­sus de distil­la­tion progres­sive qui conduit les élèves aux voies et filières diver­si­fiées du lycée, « écar­tant », au passages, plus de 150 000 élèves qui sortent chaque année du système éduca­tif sans aucun diplôme quali­fiant. Cette situa­tion les conduit à la préca­rité, à l’ex­ploi­ta­tion et à l’ex­clu­sion inhé­rentes au fonc­tion­ne­ment du système écono­mique et poli­tique actuel.

Le problème de l’école est bien une ques­tion poli­tique, déci­sive pour qui prétend penser un véri­table chan­ge­ment de société.

  • Mais poser la ques­tion de l’école sans poser dans le même temps celles des condi­tions sociales des élèves, et celle des moyens que la collec­ti­vité entend consa­crer à l’édu­ca­tion n’au­rait pas de sens. C’est pourquoi il convient de penser les trans­for­ma­tions progres­sistes néces­saires du système éduca­tif, comme éléments du projet d’al­ter­na­tive écolo­gique et sociale que nous souhai­tons voir émer­ger en prise avec les réali­tés du XXIème siècle. A un moment où la ques­tion éduca­tive devient un enjeu essen­tiel du débat poli­tique, ENSEMBLE ! entend y appor­ter sa contri­bu­tion à partir des grands prin­cipes qui fondent son projet poli­tique. Tel est l’objet de ce texte.

  • La ques­tion de la méthode : Comment on fait pour que les inten­tions ici énon­cées ne restent pas du domaine de la procla­ma­tion sans pers­pec­tives ? Comment faire mûrir une alter­na­tive auto­ges­tion­naire quand on se prononce pour le main­tien, voire le renfor­ce­ment d’un service public égali­taire sur l’en­semble du terri­toire, ce qui exclut, par exemple, la multi­pli­ca­tion d’éta­blis­se­ments « à profil » sur le modèle des établis­se­ments expé­ri­men­taux type Montes­sory, Frei­net, etc… au sein même du service public ?

N’étant pas des adeptes de la stra­té­gie du « grand soir », nous conce­vons les chan­ge­ments souhai­tés ici comme le résul­tat d’un double mouve­ment : celui des chan­ge­ments poli­tiques au niveau de la société toute entière, et en parti­cu­lier au niveau de l’état, et dans le même temps la multi­pli­ca­tion des expé­riences locales sur le prin­cipe auto­ges­tion­naire, plus ou moins radi­cales et pas forcé­ment « hors système », la nature même du fonc­tion­ne­ment du système éduca­tif auto­ri­sant bien des initia­tives nova­trices si les person­nels en mani­festent la volonté sans pour autant remettre en cause le cadre égali­taire du service public natio­nal. l’es­sen­tiel est alors d’in­sé­rer ces expé­riences dans une cohé­rence poli­tique. D’où la néces­sité de ce projet.

b) : De l’Edu­ca­tion.

Après cinq décen­nies d’ex­pé­ri­men­ta­tions et de réformes abou­tis­sant de fait à l’ag­gra­va­tion des inéga­li­tés (PISA 2013) et de l’échec scolaire d’une part impor­tante des élèves issus très majo­ri­tai­re­ment des caté­go­ries popu­laires, notre convic­tion est que le système actuel n’est pas amen­dable : aucune démo­cra­ti­sa­tion de masse n’est conce­vable sans la suppres­sion de la mise en concur­rence des élèves et des établis­se­ments scolaires, qui est au cœur de la concep­tion de notre modèle scolaire, sans un réexa­men d’en­semble des dispo­si­tifs péda­go­giques aujourd’­hui à l’œuvre et sans une trans­for­ma­tion radi­cale de la forma­tion – initiale et conti­nue – des ensei­gnants et autres person­nels d’édu­ca­tion.. Il est vain donc d’es­pé­rer un véri­table élar­gis­se­ment de l’ac­cès aux savoirs sans une refon­da­tion de notre système éduca­tif.

Depuis plus de 40 ans, les stra­té­gies insti­tu­tion­nelles de diver­si­fi­ca­tion des voies de la réus­site  n’ont fait que s’at­taquer – sans succès notable – aux effets de l’échec scolaire : il est temps aujourd’­hui de s’at­taquer clai­re­ment à ses causes 

Nous fondant sur les acquis les plus nova­teurs des recherches contem­po­raines en sciences de l’édu­ca­tion qui montrent sans conteste que tous les élèves peuvent réus­sir une scola­rité de haut niveau, pourvu qu’on leur en donne les moyens, nous propo­sons d’en finir avec l’école de la sélec­tion pour lui substi­tuer un système d’école à voca­tion éman­ci­pa­trice se donnant comme objec­tif premier l’ac­qui­si­tion par tous d’une culture citoyenne commune ambi­tieuse en prise avec les évolu­tions cultu­relles, écono­miques et sociales de notre temps et les ambi­tions poli­tiques que porte notre mouve­ment.

Il faut en finir avec un système qui conti­nue d’igno­rer la ques­tion de fond : pourquoi , au terme de 50 années de réformes succes­sives du système éduca­tif né du proces­sus de massi­fi­ca­tion initié dans le dernier quart du XXème siècle tant d’élèves échouent-ils encore à l’école?

Notre convic­tion est qu’il faut en finir avec un système pensé et orga­nisé sur un mode ségré­ga­tif qui reste fondé sur l’éli­tisme, la sélec­tion, le culte du mérite indi­vi­duel, l’es­prit de compé­ti­tion et au final l’orien­ta­tion par l’échec. En finir avec l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion de l’école au service des puis­sances écono­miques et poli­tiques qui entendent- notam­ment par le biais de la péda­go­gie par compé­tences et du socle mini­mum de connais­sances- contri­buer acti­ve­ment au remo­de­lage du sala­riat et de la société dans l’es­prit du capi­ta­lisme finan­cier mondia­lisé.

A ce système injuste, inef­fi­cace et coûteux pour les deniers publics1, nous propo­sons de substi­tuer une école commune pour tous les élèves construite sur la base d’un tronc commun de culture citoyenne, géné­rale et tech­no­lo­gique portant la scola­rité obli­ga­toire à dix-huit ans,

Mais penser un programme de réus­site scolaire pour tous les jeunes dans une pers­pec­tive égali­taire éman­ci­pa­trice néces­site la prise en compte du contexte social, et donc une rupture avec une vision exclu­si­ve­ment scolaro-centrée. En effet, la trans­for­ma­tion de l’Ecole ne se résume ni à une trans­for­ma­tion des pratiques ni à celle de l’ins­ti­tu­tion scolaire.

Aujourd’­hui, combattre l’Ecole néo libé­rale sans tomber dans la refon­da­tion mysti­fi­ca­trice d’une Ecole « répu­bli­caine »- en réalité auto­ri­taire, réac­tion­naire et sélec­tive-, c’est travailler, tant à partir des résis­tances et des luttes reven­di­ca­tives concrètes qui se mènent qu’en s’ap­pro­priant les progrès de la recherche en éduca­tion, à l’émer­gence d’un véri­table projet alter­na­tif sur l’Ecole qui doit englo­ber, struc­tures, conte­nus, méthodes et péda­go­gies au service de fina­li­tés éduca­tives renou­ve­lées et raccor­dées à la problé­ma­tique éman­ci­pa­trice et auto­ges­tion­naire qui consti­tue l’épine dorsale du projet poli­tique global d’ENSEMBLE ! .

Comme le montrent Chris­tian Laval et Pierre Dardot2, le système éduca­tif tel qu’il fonc­tionne aujourd’­hui obéit à « la raison du marché », via un proces­sus qui s’ex­plique par une combi­nai­son de « mana­ge­ment moderne, de péda­go­gie nouvelle et conser­va­tisme auto­ri­taire ». Ces cher­cheurs proposent « une poli­tique volon­ta­riste d’éga­li­sa­tion concrète des condi­tions d’études de tous les élèves pour lutter contre la ségré­ga­tion scolaire, de  favo­ri­ser les pratiques coopé­ra­tives et les logiques de soli­da­rité, de  renfor­cer l’in­dé­pen­dance de la sphère de la connais­sance vis-à-vis des inté­rêts écono­miques immé­diats, et enfin de  rempla­cer les nouvelles formes de pouvoir mana­gé­riales par des formes plus démo­cra­tiques de conduite des établis­se­ments scolaires. Nous propo­sons de faire nôtres ces préco­ni­sa­tions.

II : Douze propo­si­tions pour avan­cer :

Cette école d’un type nouveau serait orga­ni­sée sur la base de quelques grands axes stra­té­giques indis­so­ciables. (Chaque propo­si­tion est ici résu­mée de façon lapi­daire et soulève plus de ques­tions et de problèmes qu’elle n’en résoud : à titre d’exemple, pour chacune d’elles, une ques­tion ou une propo­si­tion à débattre a été choi­sie, mais on verra qu’elle-même en soulève d’au­tres…).

1: Un parcours scolaire commun à tous les élèves dans le cadre d’une scola­rité obli­ga­toire de 3 à 18 ans , ce qui implique d’en finir avec toute forme de concur­rence, de clas­se­ment, de hiérar­chi­sa­tion ou d’orien­ta­tion anti­ci­pée des élèves, ainsi que tout redou­ble­ment. Dans ce système nouveau, les choix éven­tuels de spécia­li­sa­tion disci­pli­naire ou prépro­fes­sion­nels n’in­ter­vien­draient qu’en classe de termi­nale de lycée, après l’ob­ten­tion d’un bacca­lau­réat unique de culture géné­rale et tech­no­lo­gique à la fin de la classe de première.

Propo­si­tion : l’or­ga­ni­sa­tion actuelle du système serait main­te­nue sous la forme de 3 cycles suivis , selon le choix de l’élève, d’une forma­tion profes­sion­nelle ou d’études supé­rieures dans un proces­sus cohé­rent et progres­sif inté­grant les tran­si­tions et ruptures néces­saires:

1er cycle : 3 ans → 6/7 ans objec­tif de socia­li­sa­tion et prépa­ra­tion au « métier d’élève » ( la scola­ri­sa­tion dès 2 ans consti­tuant un droit pour les familles exclu­si­ve­ment condi­tionné par l’ac­cès de l’en­fant à la propreté).

2nd cycle : 6/7 ans → 11/12 ans :socia­li­sa­tion et appren­tis­sages fonda­men­taux.

3ème cycle : 12/13 ans → 18ans : pour­suite et appro­fon­dis­se­ment des appren­tis­sages du tronc commun.de culture géné­rale et tech­no­lo­gique, suivis d’une classe de termi­nale à voca­tion d’orien­ta­tion.

4ème cycle : appren­tis­sages profes­sion­na­li­sants et/ou pour­suite d’études supé­rieures., ou inser­tion directe dans une acti­vité sociale libre­ment choi­sie.

2 : Une forma­tion profes­sion­nelle initiale et conti­nue repen­sée

La classe de termi­nale des lycées serait conçue comme une sorte de propé­deu­tique permet­tant l’ac­cès à une forma­tion profes­sion­nelle immé­diate à ceux qui le souhai­te­ront et la pour­suite d’études spécia­li­sées plus ou moins longues aux autres. Elle serait orga­ni­sée autour de la phase termi­nale du tronc commun de disci­plines géné­rales et tech­no­lo­giques permet­tant d’éven­tuels chan­ge­ments d’orien­ta­tion en cours de route, et d’ options de spécia­lité permet­tant une claire diffé­ren­cia­tion entre les voies de forma­tion choi­sies. Une attes­ta­tion de fin d’études géné­rales et tech­no­lo­giques serait déli­vrée à l’is­sue de la scola­rité obli­ga­toire ainsi accom­plie, ouvrant la voie aux études ulté­rieures, qu’elles soient géné­rales ou profes­sion­nelles.

Dans cette pers­pec­tive, les actuels lycées profes­sion­nels seraient trans­for­més en écoles supé­rieures, qui seraient égale­ment les supports de la forma­tion conti­nue des travailleurs.

Ques­tions : Quelles rela­tions entre le monde du travail réel et l’école sur l’en­semble du cursus des élèves? Quelles obli­ga­tions pour les entre­prises ? Faut-il main­te­nir l’ap­pren­tis­sage comme voie parmi d’autres de forma­tion profes­sion­nelle ? Quelle indem­ni­sa­tion pour les élèves en stage plus ou moins prolongé en entre­prise ?

3 : Réha­bi­li­ter le rôle de l’Uni­ver­sité et des grandes écoles comme partie indis­so­ciable d’un projet éduca­tif global : Aujourd’­hui encore conçue comme phase ultime de forma­tion des élites intel­lec­tuelles et cadres diri­geants de la nation, mais subis­sant la concur­rence des grandes écoles de commerce et d’in­gé­nieurs, elle reste orga­ni­sée – à l’ins­tar du système scolaire – selon les prin­cipes de la concur­rence et de la sélec­tion. Nous voulons en faire le lieu d’ac­cès faci­lité pour tous à des forma­tions supé­rieures diver­si­fiées inté­grant grandes écoles spécia­li­sées ( dont le mode de recru­te­ment sera à démo­cra­ti­ser !), forma­tions profes­sion­nelles initiales (courtes et longues) et conti­nuées à partir d’une mission fonda­men­tale d’élé­va­tion du niveau de forma­tion géné­rale des citoyens et de quali­fi­ca­tion des travailleurs, tout en reva­lo­ri­sant sa fonc­tion de lieu perma­nent de recherche et d’in­no­va­tion dans tous les domaines du savoir.

Propo­si­tion : Penser un mode de finan­ce­ment des études pour les élèves qui auront dépassé l’âge de la scola­rité obli­ga­toire et qui s’orien­te­ront soit vers l’ap­pren­tis­sage d’un métier soit vers la pour­suite d’études.

4 : Repen­ser les conte­nus et méthodes d’en­sei­gne­ment.

Que faut-il ensei­gner dans la pers­pec­tive d’une école éman­ci­pa­trice ? selon quels « prin­cipes éduca­tifs » (pour reprendre la formule de Gram­sci) choi­sir les savoirs qui doivent compo­ser les ensei­gne­ments de culture scolaire commune dans la pers­pec­tive d’une société éman­ci­pée du capi­ta­lisme ? Autre­ment dit, comment donner à tous les moyens de l’éman­ci­pa­tion indi­vi­duelle et collec­tive ? qu’est ce qui doit être acquis par les futurs citoyens pour qu’ils puissent indi­vi­duel­le­ment et collec­ti­ve­ment parti­ci­per acti­ve­ment et dans l’in­té­rêt commun au gouver­ne­ment des affaires sociales, écono­miques et cultu­relles ?

Nous pensons que les programmes scolaires, loin de se canton­ner au « socle commun de connais­sances, de compé­tences et de culture » tels qu’ils sont aujourd’­hui conçus devront favo­ri­ser l’ac­qui­si­tion d’une culture large poly­tech­nique plaçant les diffé­rents savoirs à égale dignité, inté­grant les savoirs actuel­le­ment dits « géné­raux, tech­niques et profes­sion­nels ». Il s’agira ainsi de permettre :

La compré­hen­sion de l’or­ga­ni­sa­tion et des dyna­miques des socié­tés humaines passées et actuelles et l’en­ri­chis­se­ment artis­tique et cultu­rel de chacun.

L’épa­nouis­se­ment de l’in­di­vi­dua­lité de chacun grâce, notam­ment, à l’in­té­gra­tion des objec­tifs d’éga­lité filles/garçons, la mise en place d’une éduca­tion à la sexua­lité, et la lutte contre toutes les discri­mi­na­tions.

L’ac­qui­si­tion de connais­sances scien­ti­fiques et tech­niques permet­tant de comprendre les enjeux des grands défis contem­po­rains dans le domaine du climat, des éner­gies, des trans­ports, du loge­ment, de l’ur­ba­nisme, des tech­no­lo­gies du futur, de la santé inté­grant la néces­sité de se libé­rer du désastre produc­ti­viste.

Les appren­tis­sages seront dyna­mi­sés par la promo­tion de péda­go­gies coopé­ra­tives repo­sant sur le postu­lat du « toutes et tous capables » et s’ap­puie­ront sur les acti­vi­tés des élèves pour leur permettre de construire leur savoir.

La mise en place du « tronc commun de culture citoyenne, géné­rale et tech­no­lo­gique » sera complé­tée – à l’ini­tia­tive du Conseil Scien­ti­fique et Péda­go­gique de l’éta­blis­se­ment – par celle d’axes théma­tiques option­nels afin de diver­si­fier l’offre péda­go­gique et de s’adap­ter aux élèves dans leur diver­sité. Ces ensei­gne­ments seront conçus non pas en concur­rence avec les appren­tis­sages du tronc commun mais au contraire pour complé­ter et contex­tua­li­ser leurs conte­nus.

Remarque : La diver­sité des savoirs à abor­der et, du coup, la complexité d’or­ga­ni­sa­tion des emplois du temps impliquent un allon­ge­ment du temps scolaire hebdo­ma­daire et des locaux éduca­tifs adap­tés : A l’in­verse des torrents de déma­go­gie déver­sés ces dernières années par la Doxa éduca­tive pour justi­fier la récente réforme des « rythmes scolaires », nous assu­mons sans diffi­culté ces contraintes, tant il est vrai que les élèves n’ont pas besoin de moins d’école, mais avant tout de mieux d’école et, dans ce cadre nouveau, de plus d’école.

Ques­tion : Comment lutter pour une carte scolaire non ségré­ga­tive, alors que chacun connait les contraintes liées à la socio­lo­gie urbaine alors que les inéga­li­tés sociales et cultu­relles ont atteint un niveau consi­dé­rable sous le coup de plusieurs décen­nies de poli­tiques néo-libé­rales, aggra­vées par es choix de contour­ne­ment par les familles aver­ties des couches moyennes aisées de leur lycée, leur collège, leur école, en fonc­tion des popu­la­tions accueillies mais aussi des choix péda­go­giques qui y sont propo­sés ?

Ques­tion : Plus géné­ra­le­ment, se pose la ques­tion du rôle des collec­ti­vi­tés terri­to­riales dans le finan­ce­ment et le fonc­tion­ne­ment des établis­se­ments scolaires. Sachant que, selon le vieil adage, « qui paie décide » (au moins en partie) des conte­nus des acti­vi­tés propo­sées dans les établis­se­ments, faut-il main­te­nir le prin­cipe actuel de répar­ti­tion des respon­sa­bi­li­tés entre l’état et les collec­ti­vi­tés ? Si oui, quelles garan­ties pour assu­rer l’éga­lité réelle de trai­te­ment des élèves sur l’en­semble du terri­toire natio­nal ?

Quelles respon­sa­bi­li­tés pour les collec­ti­vi­tés terri­to­riales dans l’or­ga­ni­sa­tion et le finan­ce­ment d’éven­tuelles acti­vi­tés de carac­tère péda­go­gique et éduca­tif en complé­ment du temps scolaire dans le cadre de projets éduca­tifs locaux, par exemple?

Ques­tion subsi­diaire : Quid de l’en­sei­gne­ment privé sous contrat ?

5 : Débar­ras­ser le système éduca­tif de toute nota­tion ou autre forme d’éta­lon­nage des élèves pour lais­ser la place à un système de suivi person­na­lisé des appren­tis­sages fondé sur la capa­cité d’in­no­va­tion péda­go­gique d’en­sei­gnants libé­rés dans leur créa­ti­vité profes­sion­nelle grâce à des condi­tions de travail amélio­rées (notam­ment par l’abais­se­ment des effec­tifs par classes), à une forma­tion initiale et conti­nue entiè­re­ment repen­sée en fonc­tion de cette concep­tion nouvelle de l’école et à une véri­table reva­lo­ri­sa­tion de leur métier appuyée sur un renfor­ce­ment de leurs garan­ties statu­taires.

Dans l’école que nous voulons, la ques­tion de l’éva­lua­tion des élèves prend en effet un carac­tère central. Le mode actuel d’éva­lua­tion est anxio­gène, décou­ra­geant et contre produc­tif. Il ne vise pas à mesure les progrès des appren­tis­sages, mais à déve­lop­per l’es­prit de compé­ti­tion et à justi­fier et orga­ni­ser le mode de sélec­tion. A l’op­posé de cette logique, Nous propo­sons de lui substi­tuer une évalua­tion forma­tive fondée sur l’ap­port de chacun au travail du groupe, dans des pratiques péda­go­giques repo­sant sur l’es­prit collec­tif et la coopé­ra­tion.

La ques­tion des moda­li­tés de déli­vrance du bacca­lau­réat (examen par contrôle continu ou par épreuves termi­nales) devien­drait du coup obso­lète, une simple attes­ta­tion de scola­rité accom­plie dans des condi­tions satis­fai­santes ouvrant ipso facto l’ac­cès à pour­suite d’études si l’élève en mani­feste le désir.

Propo­si­tion : Créer, dans chaque établis­se­ment (ou groupe d’éta­blis­se­ments pour les petits établis­se­ments type école mater­nelle ou élémen­taire, notam­ment rurales) un conseil scien­ti­fique et péda­go­gique auto­géré par les person­nels) travaillant en liai­son avec la recherche en éduca­tion. 

6 : Une forma­tion des ensei­gnants visant à faire de chacun d’eux un véri­table ensei­gnant-cher­cheur dispo­sant d’une grande auto­no­mie profes­sion­nelle , capable d’éla­bo­rer en concer­ta­tion perma­nente avec ses collègues des stra­té­gies d’ap­pren­tis­sage adap­tées aux besoins des élèves et visant à la réus­site de tous. Une telle exigence implique la maîtrise par chacun d’un haut niveau de connais­sances et de compé­tences, tant dans son champ disci­pli­naire que dans le champ péda­go­gique, lui permet­tant d’en­tre­te­nir un rapport réflexif à sa propre pratique, expé­ri­men­ter de nouvelles façons de faire si néces­saire, échan­ger avec ses collègues dans le cadre d’équipes pluri­dis­ci­pli­nai­res…

Compte tenu de tous ces éléments, dont la mise en œuvre repré­sen­te­rait un réel boule­ver­se­ment de la concep­tion même du métier d’en­sei­gnant, la divi­sion des person­nels en caté­go­ries hierar­chi­sées perdrait tout son sens et consti­tue­rait un obstacle au chan­ge­ment. C’est pourquoi nous propo­sons d’al­ler vers un  corps unique des ensei­gnant-e-s de la Mater­nelle à la Termi­nale .

Problème : Dans cette pers­pec­tive, il faudra (re)penser les conte­nus de forma­tion commune – mais aussi spéci­fiques – des ensei­gnants de premier et de second degré, à partir d’un cadrage natio­nal mieux défini, ainsi que le cadre univer­si­taire perti­nent dans lequel ces forma­tions devraient être orga­ni­sées.

7 : Réor­ga­ni­sa­tion complète du temps scolaire autour de deux grands axes étroi­te­ment complé­men­taires et imbriqués: les ensei­gne­ments disci­pli­naires d’une part, et des ateliers de pratiques sociales et cultu­relles en liai­son avec les appren­tis­sages disci­pli­naires d’autre part.

Dans ce schéma, en plus d’être le lieu commun des appren­tis­sages savants, les établis­se­ments scolaires devien­draient égale­ment des lieux d’ani­ma­tion cultu­relle large­ment ouverts sur la vie de la cité.

Ques­tions : Quelles fonc­tions pour les ensei­gnants dans l’ani­ma­tion de ces ateliers ? quels liens (insti­tu­tion­nels et/ou occa­sion­nels) avec les artistes (inter­ve­nants exté­rieurs ou en rési­dence) et insti­tu­tions cultu­relles ? Quel statut pour les éven­tuels  anima­teurs inter­ve­nant dans cet ensemble d’ac­ti­vi­tés éduca­tives ?

8 :: Un fonc­tion­ne­ment entiè­re­ment nouveau des établis­se­ments scolaires, fondé sur le prin­cipe d’une auto­ges­tion instruite et collec­ti­ve­ment maîtri­sée entre person­nels, parents volon­taires, élèves aux droits citoyens recon­nus, et admi­nis­tra­teurs repré­sen­tant l’au­to­rité publique, dans le cadre d’une défi­ni­tion natio­nale des objec­tifs d’ap­pren­tis­sage. Il s’agit d’or­ga­ni­ser la liberté d’ini­tia­tive péda­go­gique indi­vi­duelle et collec­tive des person­nels à l’in­té­rieur même du service public , tout en posant les garde fous protec­teurs contre toute dérive vers des démarches contraires à l’in­té­rêt des élèves, ou entrant en contra­dic­tion avec la pers­pec­tive éman­ci­pa­trice pour tous. Notre lutte pour la trans­for­ma­tion de l’Ecole s’ar­ti­cule avec le combat que nous menons pour une autre société, débar­ras­sée du capi­ta­lisme, une société écolo­giste, fémi­niste et auto­ges­tion­naire. C’est pourquoi nous luttons, pour des formes alter­na­tives d’éva­lua­tion du travail des élèves et des ensei­gnant-e-s, pour la mise en place d’une nouvelle orga­ni­sa­tion des établis­se­ments scolaires avec élec­tion des respon­sables, direc­tion collec­tive par conseil d’éta­blis­se­ment et réel pouvoir des équipes péda­go­giques qui dispo­se­ront de temps impor­tant de concer­ta­tion inté­gré dans leur temps de service.

propo­si­tions:  il faudra imagi­ner, par exemple sur le modèle des délé­gués du person­nel dans les entre­prises – un statut de « parent d’élève délé­gué » doté de droits lui permet­tant de parti­ci­per à la co-gestion des établis­se­ments scolaires.

Deux «  utopies construc­tives » : l’élec­tion du direc­teur d’éta­blis­se­ment3 choisi en leur sein par les person­nels eux-mêmes, et la suppres­sion de l’ins­pec­tion rempla­cée par une évalua­tion collé­giale, forma­tive et non hiérar­chique .

9 : Un rôle éduca­tif accru pour toutes les caté­go­ries de person­nels : Tous les adultes travaillant dans un établis­se­ment scolaire, de l’ATSEM en école mater­nelle au person­nel d’en­tre­tien du lycée parti­cipent du bon fonc­tion­ne­ment de l’ins­ti­tu­tion éduca­tive, en contact direct avec les élèves. La manière dont leur travail est conçu et effec­tué a donc valeur d’exemple pour tous, au même titre que tous les autres profes­sion­nels de l’ins­ti­tu­tion. De ce fait, il découle que tous doivent être consi­dé­rés par défi­ni­tion profes­sion­nelle comme des éduca­teurs, et leurs fonc­tions spéci­fiques recon­si­dé­rées en ce sens. (A titre d’exemple, le CPE devrait exer­cer un véri­table métier d’édu­ca­teur et coor­don­ner l’ac­ti­vité de l’équipe éduca­tive ; l’in­fir­mièr(e), mais aussi les person­nels d’in­ten­dance et de cuisine contri­buer à une éduca­tion à la santé, etc…).

Ques­tions : Quelles forma­tions pour ces person­nels, quelle orga­ni­sa­tion du travail, quels rapports avec les programmes et conte­nus d’en­sei­gne­ment ? Ne pour­rait-on imagi­ner que les écoles supé­rieures de forma­tion des ensei­gnants soient égale­ment char­gées de former ces person­nels ?

10 : Une éduca­tion à la citoyen­neté par la pratique : L’école est une insti­tu­tion parti­cu­lière, lieu de vie collec­tive qui ne peut être confondu avec le reste de la société, mais elle doit être régie par les grandes valeurs qui fondent l’or­ga­ni­sa­tion sociale que nous préco­ni­sons : égalité, soli­da­rité et coopé­ra­tion deve­nant par là même éléments de la poli­tique éduca­tive des établis­se­ments, porteurs d’at­ti­tudes, de compor­te­ments indis­pen­sables aux acqui­si­tions scolaires comme aux trans­for­ma­tions sociales. Au sein de cette Ecole commune, les jeunes, futur-e-s citoyen-ne-s dispo­se­ront progres­si­ve­ment de droits de regrou­pe­ment, d’auto-orga­ni­sa­tion et de syndi­ca­li­sa­tion (avec mise en place des moyens corres­pon­dants : temps, lieu de réunion…) et de moyens de plus en plus impor­tants leur permet­tant d’être acteurs / actrices de leur propre forma­tion.

Ques­tion : Quelles limites insti­tu­tion­nelles à l’ac­ti­vité citoyenne dans l’éta­blis­se­ment ? ( ex : les élèves, dans leur grande majo­rité, n’étant pas majeurs, ne sont pas civi­le­ment respon­sables de leurs actes, y compris au plan finan­cier…)

11 : Une lutte réso­lue contre les dispa­ri­tés terri­to­riales et les ghet­tos scolaires : Contre la concep­tion mana­gé­riale de l’au­to­no­mie des établis­se­ments scolaires qui a pour fonc­tion prin­ci­pale la déna­tio­na­li­sa­tion du service public d’édu­ca­tion et la marchan­di­sa­tion progres­sive de pans entiers de l’en­sei­gne­ment, il nous faut inven­ter un cadre natio­nal d’un type nouveau qui libère les éner­gies, le travail et les intel­li­gences, qui insti­tue sur tous les plans la coopé­ra­tion et non la concur­rence, qui compense, autant que faire se peut les inéga­li­tés terri­to­riales.4

Ques­tions : Comment rendre attrac­tifs les établis­se­ments scolaires situés en « zone diffi­cile » ? Faut- il relan­cer une poli­tique de type ZEP avec plus de moyens ?

Est il perti­nent de propo­ser que soient favo­ri­sée la créa­tion , au sein du service public, d’éta­blis­se­ments à profil péda­go­gique parti­cu­lier ( type Decroly ou Frei­net) béné­fi­ciant d’un mouve­ment des person­nels (affec­ta­tions/muta­tions ) parti­cu­lier ( type classes prépa­ra­toires actuel­le­ment) et permet­tant aux parents le libre choix, sur cette base, de l’éta­blis­se­ment scolaire de leur enfant, au risque de favo­ri­ser ainsi la concur­rence entre établis­se­ments… et la déré­gu­la­tion du mouve­ment des person­nels ?

12 : Pour que ça change : expé­ri­men­ter, en toutes occa­sions et dans tous les domaines la démarche auto­ges­tion­naire :  

Résis­ter au discours idéo­lo­gique domi­nant de la poli­tique scolaire offi­cielle aussi bien qu’à celui de la Doxa de péda­gogues auto­pro­cla­més « nova­teurs » et révo­lu­tion­naires est néces­saire. Mais formu­ler des critiques, aussi justi­fiées soient-elles, sur le fonc­tion­ne­ment du système ne suffit pas. Il n’est évidem­ment pas ques­tion pour ENSEMBLE de se faire les chantres de quelque péda­go­gie offi­cielle que ce soit, mais il s’agit de favo­ri­ser l’émer­gence de nouvelles démarches gestion­naires et péda­go­giques cohé­rentes entre elles, sans négli­ger pour autant les reven­di­ca­tions quan­ti­ta­tives ( des moyens, il en faut beau­coup plus !) :  mobi­li­ser, en premier lieu, les forces exis­tantes loca­le­ment en faisant jouer tant au Conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’éta­blis­se­ment qu’au Conseil Scien­ti­fique et Péda­go­gique dont nous propo­sons la créa­tion un rôle déci­sif pour stimu­ler en perma­nence l’ex­pé­ri­men­ta­tion de nouveaux modes de gestion et de nouvelles stra­té­gies d’ap­pren­tis­sage lorsque les anciennes ont échoué, en écar­tant tant les tenta­tions auto­ri­taires de la hiérar­chie que les préju­gés dogma­tiques ou parti­sans; trans­for­mer, autant que faire se pourra, les réali­tés locales malgré les contraintes « struc­tu­relles » (notam­ment hiérar­chiques); face à chaque situa­tion, arti­cu­ler une acti­vité critique avec une réflexion sur les proces­sus d’éman­ci­pa­tion possibles dans les cadres exis­tants, qui sont à remettre en cause ( mais n’est ce pas là le moyen le plus effi­cace, préci­sé­ment, de crédi­bi­li­ser la néces­sité de les remettre en cause ?). Prendre au sérieux l’in­tel­li­gence des person­nels et leur volonté de faire au mieux pour que leurs élèves réus­sissent, signe incon­tour­nable de réus­site profes­sion­nelle et donc de satis­fac­tion person­nelle; se nour­rir des expé­riences ordi­naires multiples pour bâtir progres­si­ve­ment un cadre géné­ral partagé et nova­teur plutôt que d’im­po­ser ( par des direc­tives contrai­gnantes venues « d’en haut ») ou d’at­tendre ( « en bas ») des chan­ge­ments insti­tu­tion­nels et/ou poli­tiques géné­ra­teurs de moyens nouveaux ou des recettes miracle qui n’existent jamais : Il s’agit bien de démarches qui concernent, bien au-delà du monde éduca­tif, tous les citoyens. C’est pourquoi il faut penser ces chan­ge­ments non comme le résul­tat de l’ac­tion volon­ta­riste de quelques déci­deurs poli­tiques, pas plus à l’éche­lon local qu’au niveau natio­nal, mais comme le fruit d’une élabo­ra­tion et d’une mise en œuvre collec­tive, impliquant tous les parte­naires du système: ensei­gnants, parents d’élèves, grands élèves, repré­sen­tants du monde du travail, élus de tous niveaux insti­tu­tion­nels. Ce sera à eux, en tout état de cause, d’en imagi­ner ensemble les formes et moda­li­tés..

Autre titre possible : « Douze Chan­tiers »

Pourquoi douze chan­tiers ?

Le terme de chan­tier signi­fie que nous ne propo­sons ni programme clé en main, ni solu­tions miracles, mais que nous voulons indiquer quinze tâches auxquelles les citoyens, les parte­naires de l’école devraient, selon nous, s’at­te­ler prio­ri­tai­re­ment. Si nos propo­si­tions précises devaient être reprises et appliquées, nous serions très heureux. Mais l’es­sen­tiel n’est pas là. L’es­sen­tiel est qu’il y ait une prise de conscience poli­tique et l’ou­ver­ture d’un débat sur de néces­saires alter­na­tives au désastre actuel..

1 La notion est ici celle du « coût social », qui englobe, outre les dépenses budgé­taires de l’état et des collec­ti­vi­tés terri­to­riales néces­saires au bon fonc­tion­ne­ment du système éduca­tif, les dépenses liées aux poli­tiques de répa­ra­tion des échecs du système (poli­tiques d’in­ser­tion, etc.).

2 Voir leur dernier ouvrage : «  Commun » , essai sur la révo­lu­tion au XXIème siècle ». ed La Décou­verte ; Paris 2014

3 Pour le second degré, cette appel­la­tion – qui est déjà en usage à l’école élémen­taire – se substi­tue­rait à celle, archaîque, de « chef d’éta­blis­se­ment » , auto­rité hiérar­chique dési­gnée par arrêté minis­té­riel.

4 A titre d’exemple : l’in­ves­tis­se­ment par élève au niveau des écoles mater­nelles et élémen­taires varie de 1 à 12 s selon les moyens et la bonne volonté des communes dont elles dépendent ; Les lycées et collèges de centre ville sont mieux dotés en person­nels que les établis­se­ments de la péri­phé­rie, les élèves des grandes écoles « coûtent » propor­tion­nel­le­ment sept fois plus cher que ceux des univer­si­tés, …

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