Edwy PleneL Media­part. « Trump-Poutine : le pacte des oligarques » . L’avè­ne­ment d’un « capi­ta­lisme mafieux »s

Un article sur le nouveau monde qui se décide et se modèle très vite selon des méthodes mafieuses. Un article essen­tiel de Plenel.

Extraits

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Trump-Poutine : le pacte des oligarques

Après la Pales­tine, l’Ukraine est la deuxième victime du pacte des oligarques scellé par Donald Trump et Vladi­mir Poutine. Légi­ti­mant la loi du plus fort contre toute égalité des droits, leur alliance traduit, à l’échelle du monde, la domi­na­tion d’un capi­ta­lisme mafieux.

Edwy Plenel

(…)

En l’es­pace d’une semaine, sous nos yeux, deux peuples sont ainsi passés à la trappe du Père Ubu qui préside les États-Unis d’Amé­rique depuis le 20 janvier. Dans la trappe, les Pales­ti­nien·nes ! Dans la trappe, les Ukrai­nien·nes !

Le 4 février, Donald Trump appe­lait au nettoyage ethnique de la bande de Gaza, débar­ras­sée de sa popu­la­tion pales­ti­nienne dont il souhaite l’ex­pul­sion, sans possi­bi­lité de retour, en Jorda­nie et en Égypte. Une semaine plus tard, le 12 février, à l’is­sue d’une inter­mi­nable conver­sa­tion télé­pho­nique de quatre-vingt-dix minutes avec Vladi­mir Poutine, il annonçait l’im­mi­nente conclu­sion d’un accord russo-améri­cain mettant fin à la guerre d’agres­sion de Moscou contre l’Ukraine, auquel ni les diri­geants ukrai­niens ni les gouver­nants euro­péens n’ont été asso­ciés.

Ces deux dates, où furent jetés dans un même trou noir les droits des peuples pales­ti­nien et ukrai­nien, reste­ront comme le double coup de gong signa­lant la bascule du monde dans une ère radi­ca­le­ment nouvelle.(….)

À Paris, au Sommet pour l’ac­tion sur l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle, le vice-président états-unien J. D. Vance s’est lancé dans une diatribe contre toute régle­men­ta­tion de la troi­sième révo­lu­tion indus­trielle, la révo­lu­tion numé­rique, défen­dant un droit absolu des mono­poles capi­ta­listes qui s’en sont empa­rés. À Bruxelles, lors d’une réunion du groupe de contact sur la défense de l’Ukraine, le secré­taire à la Défense, Pete Hegseth, a bruta­le­ment annoncé que l’al­liance améri­cano-euro­péenne, dont l’OTAN est l’ex­pres­sion stra­té­gique, n’était plus le souci de Washing­ton, les États-Unis ayant d’autres prio­ri­tés – « la sécu­rité de nos propres fron­tières ».

Enfin, à la Confé­rence de Munich sur la sécu­rité, J. D. Vance a déli­vré un discours program­ma­tique que n’au­raient pas renié les idéo­logues de la Russie pouti­nienne, défen­seurs des valeurs tradi­tion­nelles contre un Occi­dent supposé déca­dent. « Il y a un nouveau shérif à Washing­ton », a-t-il asséné, érigeant ce cow-boy de western en leader d’une croi­sade mondiale contre la seule menace que seraient « les migra­tions de masse », avant de termi­ner reli­gieu­se­ment par un « Que Dieu vous bénisse ». 

Dans un propos orwel­lien conforme à la censure du langage déjà pronon­cée par Donald Trump – discours où la « liberté d’ex­pres­sion » fut invoquée pour combattre les prin­cipes huma­nistes et démo­cra­tiques les plus élémen­taires, par la libé­ra­tion des paroles racistes et discri­mi­nantes –, le vice-président nord-améri­cain a érigé « la voix du peuple » – réduite au seul vote – en valeur cardi­nale, sinon unique, au détri­ment de tout contre-pouvoir : « Il n’y a pas de place pour des pare-feu », a-t-il résumé.

Deux évidences et un défi vital

Avec Trump comme avec Poutine, il ne reste de la démo­cra­tie que l’ap­pa­rence élec­to­rale, mani­pu­lée ou truquée. Le coup d’État en cours aux États-Unis reven­dique un pouvoir sans entraves de l’exé­cu­tif prési­den­tiel sur l’ad­mi­nis­tra­tion, la société, la justice, les médias, les oppo­si­tions et les contes­ta­tions.

Le choix de l’Ara­bie saou­dite pour scel­ler, cette semaine, l’al­liance entre Washing­ton et Moscou (..)

Ce moment où, à l’image d’un préci­pité chimique, l’his­toire s’ac­cé­lère brusque­ment, accou­chant de menaces défi­ni­tives qui, jusqu’a­lors, ne semblaient que poten­tielles, nous met sous les yeux deux évidences qui nous lancent un défi vital.

La première évidence, c’est que nous sommes entré·es dans une période où les deux anciennes puis­sances rivales de la guerre froide s’ac­cordent pour mettre fin au droit inter­na­tio­nal de façon radi­cale. Pour Trump et Poutine, comme pour leurs divers alliés et avatars, de Néta­nya­hou à Orbán, aucune règle supra­na­tio­nale n’est légi­time, seul compte le rapport de force construit par l’af­fron­te­ment et, surtout, aucun droit humain fonda­men­tal n’est oppo­sable aux poli­tiques qu’ils imposent à leur peuple ou à ceux qu’ils soumettent. Seul est juste ce que je crois bon pour mon peuple, pour­rait être leur devise – précepte que reven­diquait déjà Adolf Hitler. (…)

De cette rupture avec tout idéal d’un monde en rela­tion et d’une huma­nité en commun, le sort fait à l’Ukraine et à la Pales­tine est la démons­tra­tion brutale sur la scène diplo­ma­tique. Donald Trump peut d’au­tant plus s’au­to­ri­ser ce coup de force que le « double stan­dard » de la plupart des diri­geants occi­den­taux face aux guerres d’Ukraine et de Gaza a déjà mis à mal le droit inter­na­tio­nal qui aurait dû être intan­gible, dans les deux cas.

Soute­nir la guerre de Néta­nya­hou, ses crimes de guerre et contre l’hu­ma­nité, c’était faire le jeu de Poutine, de ses crimes de guerre et contre l’hu­ma­nité. Les « campismes » oppo­sés, l’un aligné sur l’en­ga­ge­ment pro-israé­lien de la prési­dence de Joe Biden, l’autre indif­fé­rent à la dange­ro­sité du nouvel impé­ria­lisme russe, sont aujourd’­hui confron­tés à la réalité igno­rée par leurs aveu­gle­ments respec­tifs : les États-Unis et la Russie parlent la même langue, celle de la loi du plus fort, sans bornes ni freins. Autre­ment dit, celle de la catas­trophe assu­rée d’une préten­due gran­deur qui, inévi­ta­ble­ment, instaure une hiérar­chie des huma­ni­tés, civi­li­sa­tions, reli­gions, nations, etc.

Nul hasard évidem­ment si Donald Trump a auto­ri­tai­re­ment décidé de crimi­na­li­ser la Cour pénale inter­na­tio­nale, trans­for­mant en délinquants ses magis­trat·es. Aussi bien Benya­min Néta­nya­hou que Vladi­mir Poutine, tous deux visés par des mandats d’ar­rêt de la CPI, ne peuvent que s’en féli­ci­ter. La liste des ruptures de la nouvelle prési­dence améri­caine avec toute inter­dé­pen­dance et tout multi­la­té­ra­lisme dans les rela­tions inter­na­tio­nales est inter­mi­nable. Retrait de l’Or­ga­ni­sa­tion mondiale de la santé et des accords de Paris sur le climat, mise à bas des règles de l’Or­ga­ni­sa­tion mondiale du commerce par l’im­po­si­tion tous azimuts de droits de douane, sortie de plusieurs instances des Nations unies, dont celles sur les droits humains et sur les réfu­giés pales­ti­niens, gel des fonds de l’USAID desti­nés à l’aide huma­ni­taire et au déve­lop­pe­ment, etc.

(…) Si l’on en doutait, c’est bien un capi­ta­lisme mafieux qu’in­carne la nouvelle prési­dence états-unienne, à l’ins­tar de son allié russe : un capi­ta­lisme sans régu­la­tion, sans entraves, sans limites, où ne règne que l’avi­dité, le profit, l’en­ri­chis­se­ment…

Ce capi­ta­lisme mafieux, dont les Italiens Roberto Scar­pi­nato et Roberto Saviano ont prédit et docu­menté l’avè­ne­ment, unit l’uni­vers des oligarques russes et améri­cains. La bande de Saint-Péters­bourg qui a fait main basse sur les richesses russes dans le sillage de la prise de pouvoir de Poutine (lire cet article de François Bonnet) et les milliar­daires de la Sili­con Valley qui se sont acheté à prix d’or une prési­dence avec Trump partagent le même imagi­naire préda­teur.

Comme toutes les mafias, leurs seules règles sont l’argent (l’ac­cu­mu­la­tion sans limites), la violence (les fins justi­fient tous les moyens) et le secret (aucun droit de regard ou de contrôle venu de la société). On peut y ajou­ter la reli­gion comme prétexte obscu­ran­tiste, justi­fiant la persé­cu­tion des mino­ri­tés, des diffé­rences et des dissi­dences. De même que les gangs crimi­nels se répar­tissent des quar­tiers et se partagent des trafics, ils sont prêts à décou­per le monde au gré de leurs inté­rêts, dans une fuite en avant extrac­ti­viste et brutale dont la nature et l’hu­ma­nité sont les cibles et les victimes. Des matières premières, pétrole et gaz, aux données person­nelles, c’est-à-dire nos indi­vi­dua­li­tés, ces oligarques, aussi bien russes que nord-améri­cains, ont en commun de s’en­ri­chir par l’ac­ca­pa­re­ment, voire le vol, de richesses qui ne leur appar­tiennent pas.

Reste, dès lors, à faire face. « En ces temps diffi­ciles, le déses­poir n’est pas une option », ne cesse de répé­ter le séna­teur Bernie Sanders, devenu la voix de la résis­tance aux États-Unis face au silence abys­sal qui témoigne de l’abat­te­ment de la gauche améri­caine. Il le dit avec d’au­tant plus de convic­tion qu’à l’in­verse des accom­mo­de­ments démo­crates, cet esprit indé­pen­dant, fidèle à ses révoltes fonda­trices, n’a cessé de sonner le tocsin sur la catas­trophe en cours : celle du capi­ta­lisme lui-même dont l’oli­gar­chie est l’iné­vi­table reje­ton, dans sa course illi­mi­tée, préda­trice et domi­na­trice.

Pas plus que Hitler et le nazisme n’étaient étran­gers à l’Eu­rope qui les a enfan­tés et qu’ils ont rava­gée, Trump et Poutine ne sont étran­gers à cette préten­due « mondia­li­sa­tion heureuse » (la formule est de l’inef­fable Alain Minc) qui, après la chute de l’Union sovié­tique, fut le conte de fées habillant le déchaî­ne­ment sur toute la planète du règne de la marchan­dise dans une totale indif­fé­rence au bien commun. Ils en sont les reje­tons logiques et inévi­tables tant que le capi­ta­lisme lui-même ne sera pas remis en cause, incar­na­tions de cette barba­rie dans la civi­li­sa­tion dont sa déme­sure est porteuse et qui, de nouveau, fait retour (lire ce parti pris de Roma­ric Godin).

Au cœur du présent, le passé ne se répète jamais à l’iden­tique, mais son souve­nir est toujours une alerte vigi­lante. Les événe­ments de ces derniers jours ont ainsi rappelé deux précé­dents histo­riques dont l’évo­ca­tion n’est pas un anachro­nisme mais une réso­nance. (…)

Mais, d’ores et déjà, nous savons qu’il n’y a pas à bargui­gner – et c’est ce que suggère l’évo­ca­tion de la séquence 1938–1940 où, hélas, tout était déjà joué, à force d’aban­dons, de renon­ce­ments et de d’ac­com­mo­de­ments. L’es­sen­tiel est désor­mais en jeu – tout simple­ment l’éga­lité des droits qui, depuis sa procla­ma­tion rous­seauiste au XVIIIsiècle, est au prin­cipe et au ressort des éman­ci­pa­tions.

Toutes et tous nous avons donc rendez-vous avec nous-mêmes, nos idéaux, nos prin­cipes, ce qui nous unit dans notre diver­sité, ce qui nous rassemble dans nos plura­li­tés. Comme ce fut le cas des bonnes volon­tés qui, hier, dans un dépas­se­ment d’elles-mêmes, de leurs préju­gés et de leurs secta­rismes, se retrou­vèrent pour combattre ensemble la peste brune – car il s’agit bien de cette même épidé­mie, en de nouvelles et inédites variantes.

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