Fabrice Arfi. Media­part. / Le RN contre l’éga­lité devant la loi.

Le Pen, Sarkozy : il n’y a pas de « Répu­blique des juges », mais des juges de la Répu­blique

Le juge­ment Le Pen et les réqui­si­tions du procès Sarkozy-Kadhafi ont en commun d’avoir libéré en quelques jours la parole déchaî­née d’un popu­lisme contre l’État de droit. En creux pointe un profond désir du retour des privi­lèges et de la fin de l’éga­lité devant la loi.

Fabrice Arfi

Extraits

En France, le problème du narco­tra­fic, des cambrio­lages, du terro­risme, des violences physiques, ce sont les trafiquants de drogue, les cambrio­leurs, les terro­ristes, les agres­seurs… Mais pour les affaires d’at­teintes à la probité, le problème, c’est la justice. Plus préci­sé­ment celles et ceux qui la rendent au nom du peuple français, les magis­trat·es. À en croire de très nombreux commen­taires poli­tiques et média­tiques depuis la condam­na­tion pour détour­ne­ments de fonds publics de Marine Le Pen, les juges seraient ainsi deve­nu·es des agent·es de désta­bi­li­sa­tion démo­cra­tique.

Il s’agit d’une folie, qui cache un dessein poli­tique profon­dé­ment malsain et dange­reux : un désir de retour des privi­lèges, qui avaient été abolis dans la nuit du 4 août 1789. Le meilleur baro­mètre de cette patho­lo­gie natio­nale est para­doxa­le­ment à trou­ver en dehors de nos fron­tières. Le prononcé du juge­ment du tribu­nal de Paris même pas encore terminé, le Krem­lin de Vladi­mir Poutine, grand défen­seur des liber­tés comme chacun·e le sait, faisait en effet savoir qu’il s’inquié­tait d’une « viola­tion des normes démo­cra­tiques en France » (défense de rire), quand l’au­to­crate hongrois, Viktor Orbán, postait sur le réseau social X un tendre « Je suis Marine » (défense de rire bis).

 

Il va falloir s’y habi­tuer tant la tendance est lourde. La France vit désor­mais, à l’in­té­rieur de ses fron­tières, au rythme d’une inter­na­tio­nale popu­liste, dont l’État de droit est une cible prio­ri­taire, qui a déjà fait des ravages à l’ex­té­rieur : Trump aux États-Unis, Berlus­coni en Italie, Bolso­naro au Brésil, Néta­nya­hou en Israël.

La France n’est évidem­ment pas immu­ni­sée. Ce qui est en train de se passer avec le juge­ment Le Pen, comme avec les réqui­si­tions du Parquet natio­nal finan­cier (PNF) la semaine dernière dans l’af­faire Sarkozy-Kadhafi, est un test de rési­lience démo­cra­tique pour le pays. Rien de moins.

Mais le moment est orwel­lien. D’Éric Ciotti à Jean-Luc Mélen­chon, en passant par le chef du gouver­ne­ment, François Bayrou, un cartel de l’im­pu­nité s’ébroue en « on » ou en « off » pour dire qu’un tribu­nal qui applique… la loi cause­rait un trouble à l’ordre démo­cra­tique. On en est là et il faut vrai­ment se frot­ter les yeux pour le croire. Qui vote la loi ? Pas les magis­trat·es, mais la classe poli­tique. D’où les élu·es tiennent-ils leur légi­ti­mité ? Du vote popu­laire. Celui-là même qui est agité par les procu­reurs poli­tiques de la justice finan­cière pour affir­mer que lui seul doit sanc­tion­ner les dérives des élu·es.

Réalise-t-on l’ex­tra­va­gance – et la faus­seté – d’une telle posi­tion et ce qu’elle implique ? En France, tout le monde est suscep­tible, s’il est reconnu coupable d’un délit, d’être inter­dit d’exer­cer son métier dès le juge­ment de première instance (ce qu’on appelle en droit une « exécu­tion provi­soire ») : un entre­pre­neur pour fraude à la TVA, un patron pour travail dissi­mulé, un kiné­si­thé­ra­peute pour agres­sions sexuelles, un anes­thé­siste pour vol de médi­ca­ments, un surveillant péni­ten­tiaire pour violences, un huis­sier pour détour­ne­ment de fonds, etc.

Mais les élu·es devraient, elles et eux, être par nature exclu·es du champ d’ap­pli­ca­tion de la loi, comme l’ont plaidé les avocats de Marine Le Pen durant le procès ? « La propo­si­tion de la défense de lais­ser le peuple souve­rain déci­der d’une hypo­thé­tique sanc­tion dans les urnes revient à reven­diquer un privi­lège ou une immu­nité qui décou­le­rait du statut d’élu ou de candi­dat, en viola­tion du prin­cipe d’éga­lité devant la loi », a expliqué en réponse la prési­dente du tribu­nal, Béné­dicte de Perthuis, en rendant le juge­ment qui a condamné Marine Le Pen à quatre ans de prison (dont deux ferme) et cinq ans d’iné­li­gi­bi­lité à effet immé­diat.

La magis­trate a fait œuvre de péda­go­gie en détaillant pendant près de trois heures les moti­va­tions de son juge­ment. Elle a d’abord mis en avant « la gravité des faits, leur carac­tère systé­ma­tique, leur durée sur douze ans, et la qualité d’élus ». De fait, on parle d’un système orga­nisé de détour­ne­ments par le parti de Marine Le Pen de plus de 4 millions d’eu­ros d’argent public, siphon­nés des caisses du Parle­ment euro­péen pour rému­né­rer des emplois fictifs du Rassem­ble­ment natio­nal.

(…)Pire : Marine Le Pen n’était-elle pas celle qui, en 2013, dans la foulée de l’af­faire Cahu­zac, récla­mait l’iné­li­gi­bi­lité à vie à l’égard d’élus condam­nés pour des atteintes à la probité, notam­ment le détour­ne­ment de fonds publics ?

Le risque de trouble à l’ordre public étant patent, venant de personnes qui ne semblent pas avoir saisi la gravité des actes commis, le tribu­nal a donc estimé qu’une exécu­tion provi­soire était indis­pen­sable, sans mécon­naître les consé­quences sur la vie publique de celle-ci. Mais la faute à qui : à la justice qui applique une dispo­si­tion légale ou aux préve­nus qui ont commis un délit ?

(…)

Au fond, qu’une partie d’un monde poli­tique qui a plus le souci de ses privi­lèges que de l’in­té­rêt géné­ral réagisse ainsi, c’était (malheu­reu­se­ment) prévi­sible. Ce qui l’est moins – encore que –, c’est la faillite média­tique qui entoure depuis si long­temps en France la chro­nique des affaires. (…)

Dans le genre, les réqui­si­tions du PNF dans l’af­faire Sarkozy-Kadhafi, au terme desquelles le minis­tère public a réclamé sept ans de prison ferme contre l’an­cien président, ont donné lieu à une choré­gra­phie affli­geante sur les plateaux de télé­vi­sion.

(…)

Dans l’af­faire Sarkozy-Kadhafi, comme hier avec l’af­faire Le Pen, l’ar­gu­ment d’un dossier « vide » et « sans preuve » a été répété ad nauseam par des édito­ria­listes poli­tiques (…)

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