« Notre parole n’est pas à la hauteur des événements »
Après l’attaque du Hamas contre Israël, François Ruffin exprime son « soutien aux victimes et à la société israélienne ». Mais il estime que « le soutien au gouvernement israélien ne doit pas être aveugle ». Le député « insoumis » de la Somme regrette, dans un entretien au Monde, un « alignement » de la France sur les Etats-Unis dans le conflit israélo-palestinien.
Quelle est votre analyse de la situation en Israël ?
Avant la froideur de l’analyse, je veux dire mes sentiments avec chaleur : l’horreur devant des femmes, des enfants abattus à bout portant, des jeunes dansant assassinés, des massacres chaque jour découverts, par familles entières. Que d’atrocités, de cruautés, qu’on n’oserait même pas imaginer. Et maintenant, la violence qui s’abat à Gaza, ces 2,5 millions de personnes, auxquelles l’on conseille de partir, comme s’ils avaient une terre d’accueil. Je condamne sans réserve les actes du Hamas. C’est une organisation fanatique, terroriste, qui a toujours été l’adversaire des progressistes au Proche-Orient, hostile à tout compromis de paix, qui veut la fin de l’Etat d’Israël.
Il faut dire aussi le terreau du Hamas. Avoir fait de Gaza une prison à ciel ouvert, sans espoir pour la jeunesse, a nourri le pire. On a bel et bien un face-à-face entre « le fanatisme du Hamas » et « une politique israélienne imbécile » [selon les mots de l’historien israélien Elie Barnavi] venant du gouvernement d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou. Sans un tiers qui s’interpose, une machine infernale est lancée. Or, depuis dix ans, la communauté internationale est aux abonnés absents. Avec les accords d’Abraham [en 2020], les Occidentaux ont voulu enjamber la question palestinienne. C’est un échec.
Le soutien aux victimes et à la société israélienne, c’est l’évidence, je m’y associe. Mais le soutien au gouvernement israélien ne doit pas être aveugle. Nous devons poser en permanence comme objectif le cessez-le-feu et la paix. Lundi, dans le communiqué des cinq pays, dont la France, il n’y a pas le mot paix : c’est un gros problème.
Pourquoi cette absence de mot d’ordre ?
Parce qu’il y a un alignement sur les Etats-Unis. L’activisme d’Emmanuel Macron sur Twitter [renommé X] ne compense pas sa désertion du dossier depuis des années. La tradition gaullo-mitterrandienne voulait que l’on s’exprime avec indépendance, sans s’aligner, qu’on affirme qu’il n’y a pas de solution militaire au conflit, que l’on appelle au respect du droit international, que l’on s’appuie sur l’ONU, et que l’on soutienne la création d’un Etat palestinien conformément aux résolutions de l’ONU. C’était la position de la France jusqu’au début des années 2000, jusqu’à Jacques Chirac. Depuis, c’est le silence, l’absence, l’alignement.
Que faut-il faire ?
La France est la seule puissance nucléaire de l’Union européenne [UE], la seule puissance de l’UE au conseil de sécurité de l’ONU. Je le dis gravement, ce n’est pas rendre service à la société israélienne, aux Français de confession juive, que de s’aligner sur les Etats-Unis, qui s’alignent eux-mêmes sur un gouvernement jusqu’au-boutiste en Israël. Le rôle de la France est d’être une corde de rappel, un point d’appui contre la fatalité de l’escalade. Notre levier, c’est la parole écoutée, qui porte, qui entraîne. Quand la France décide de parler fort et vrai, sa voix est entendue. Mais elle a fait le choix d’être muette.
Quelles perspectives en Israël ?
Je ne suis pas prophète. Une fois passé le choc, la sidération, un débat va traverser la société israélienne : est-ce qu’on continue sur le chemin des colonies, de l’humiliation des Palestiniens, ou bien est-ce que l’on cherche un autre chemin, celui du dialogue et de la paix ? Même s’il est semé d’embûches.
Et en France ?
Le conflit au Proche-Orient n’est pas qu’une question de politique étrangère, c’est aussi une affaire intérieure, de paix civile. De nombreux Français de confession juive, quand les Israéliens sont menacés, se sentent eux-mêmes menacés. Bon nombre de Français de confession musulmane, quand les Palestiniens sont bombardés, humiliés, se sentent eux-mêmes humiliés. D’où le rôle que nous avons à parler juste, à faire tout notre possible pour la paix, aussi chez nous. Car le risque d’importation du conflit existe.
Vous faites un parallèle entre politique étrangère et intérieure. Jean-Luc Mélenchon a accusé, mardi, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) d’empêcher toute concorde. Pour vous, le CRIF peut être un acteur de ce changement ?
C’est un interlocuteur, oui. Qui ne représente pas le pluralisme politique, d’idées, des Français de confession juive. En France aussi, il faut trouver le chemin du dialogue, qui passe par le respect mutuel…
Dans les manifestations de lundi, il y avait plus de députés RN que d’« insoumis » ; Marine Le Pen affirmait, mardi sur CNews, que La France insoumise (LFI) « a choisi le camp antirépublicain ». Vous avez réfléchi à la diabolisation de la gauche, comment lui répondre ?
Marine Le Pen n’a pas pour boussole politique la paix, elle exporte sa vision du choc des civilisations. Elle soutient aveuglément un gouvernement d’extrême droite et propose, sans ciller, de perpétrer des crimes de guerre à Gaza. Loin, très loin, de la position historique de la France. Sans que personne ne lui porte la contradiction, c’est sidérant. Le piège est tendu : nous voir sauter à pieds joints ne me réjouit pas.
Après Jean-Luc Mélenchon, la présidente des députés LFI Mathilde Panot a refusé, mardi, de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, suscitant l’indignation de certains de vos partenaires…
Pas de pudeur de gazelle. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement : samedi, le Hamas a commis des abominations. On doit mettre des mots forts sur des actes horribles, sinon notre parole est discréditée, moquée, enlisée dans des justifications byzantines, pas à la hauteur de la gravité des événements. Nous ne sommes pas le point de repère politique, diplomatique, moral, que nous devrions être.
Mais vous dites vous-même que ce conflit à des répercussions nationales…
Le rôle de nos dirigeants n’est pas de dresser des réquisitoires à l’endroit de leurs oppositions, mais de tout faire pour que la voix de la France soit entendue, et que ce soit une voix de paix.
Vous n’êtes pas allé à la manifestation de soutien à Israël lundi 9 octobre, pourquoi ?
Quatre de nos compatriotes ont été tués ce week-end, quatorze sont portés disparus [le bilan a été réévalué, mardi, à huit morts et vingt disparus, par le Quai d’Orsay]. Je le répète : il y a un soutien évident à apporter aux victimes, à la société israélienne, aux ressortissants français de confession juive. Dès la première seconde, j’ai dit l’horreur des crimes commis par le Hamas.
Maintenant, sur les conclusions politiques et diplomatiques à en tirer, il doit y avoir débat. Cela doit être permis. Sans qu’on se voit adresser des invectives. Or, il y a une ambiguïté possible de la manifestation entre le soutien aux victimes et le soutien au gouvernement israélien : dans le communiqué, les mots « Palestiniens » et « paix » étaient absents. Je ne veux pas d’hémiplégie. Je ne veux pas qu’une moitié d’humanité, une moitié de ce drame soit oubliée.
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