Reparlons de la Grèce, l’austérité qu’elle subie est le résultat de décisions politiques néolibérales. Un bref retour sur l’histoire récente et une conclusion avec le rapport récent de la Cour des comptes européenne. Il se vérifie que la Commission européenne a pris des décisions absurdes, et qu’elle persévère. Ce texte est qu’un rappel de quelques faits pour concourir à un argumentaire anticapitaliste sur la question européenne.
La santé en Grèce, le cas de la psychiatrie.
Au sein de l’Union européenne, des politiques néolibérales ont été imposées d’une manière particulièrement brutale aux pays de sa périphérie. Elles ont produit la mise en faillite des services publics et des dispositifs de protection sociale, Il y a eu en Grèce des réductions des budgets de la Santé d’une ampleur inédite (de 40% pour le budget public hospitalier) produisant depuis 2010 des effets dramatiques.
Sur 11 millions d’habitants, 2,5 millions vivent sous le seuil de pauvreté, et 3,8 millions sont en « risque de pauvreté ». Les retraites ont baissé de plus de 30%. La précarisation des salarié-es et la paupérisation de larges parties de la société n ‘ont cessé de s’accentuer.
La récession économique permanente infligée à la Grèce, conduit le système public de protection sociale solidaire inexorablement vers la faillite. Des hôpitaux ont fermé, les effectifs des personnels ont fondu. La qualité des soins, notamment en psychiatrie a régressé brutalement. L’accès au soins devient une simple fiction, de plus en plus.
Les personnes et familles sont appauvries au point que le renoncement aux soins pour motif économique a explosé. Environ 20% de la population n’achète plus de médicaments. Beaucoup de familles font obligées de faire un choix entre se soigner et subvenir à leurs autres besoins vitaux.
La raréfaction des moyens pour la prise en charge des troubles psychiques et des pathologies mentales qui sont pourtant en constante augmentation est patente. Les suicides ont augmenté de 27% entre 2008 et 2011, puis de 5% chaque année. La mise à mal des structures familiales du fait du chômage de masse, de l’effondrement des salaires, et aussi des retraites, est certainement en lien direct avec cette augmentation dramatique.
Des hôpitaux psychiatriques ont été fermés, il n’en reste plus que deux pour toute la Grèce. Bien sûr sans création d’alternatives ni promotion de services communautaires. Alors que la Grèce avait connu une politique de mise en place d’une psychiatrie de secteur auparavant.
Le service public de psychiatrie est démantelé, ce au profit d’intérêts privés avançant sous le masque d’ONG ; de nombreuses ONG viennent participer au dépeçage des services publics, elles sont les actrices de la privatisation complète de la Santé mentale ; d’autres ONG restant fidèles globalement à leur mission humanitaire.
C’est une psychiatrie privatisée, éclatée, sécuritaire qui est mise en place en Grèce, au nom des économies exigées par les tuteurs néolibéraux . Il s’agit de gérer des populations de façon autoritaire, avec des bureaucrates et leurs protocoles.
Un des signes de cette dégradation est, en Grèce comme ailleurs, l’augmentation des hospitalisations sous contraintes et de celle des contentions en milieu hospitalier.
Cet état des lieux de la santé en Grèce amène à se poser la question des responsabilités politiques.
Historique de la Grèce et des mémorandums
Pour la période 1998–2008, l’évolution de l’économie grecque semble être une vraie réussite. L’intégration de la Grèce au sein de l’Union européenne et à partir de 2001 dans la zone euro sembla réussir. Le taux de croissance économique était alors élevé, plus élevé que celui des économies les plus fortes d’Europe. Lors de cette période, la croissance du PIB grec a été supérieure à la moyenne de l’UE, mais ce fut au prix de la subordination du pays.
Il se créa dès cette époque une bulle du crédit privé, touchant principalement le secteur immobilier, mais aussi celui de la consommation. Le gouvernement soutint les banques privées qui incitaient les ménages à investir en bourse. Les particuliers furent sollicités en tant qu’accédant à la propriété, automobilistes, consommateurs de biens électroménagers, vacanciers, etc. Pour beaucoup de Grecs , l’appartenance à l’Union européenne fut alors associée à un sentiment de prospérité.
L’incitation à s’endetter sans limite a créé cette bulle du crédit privé et ce fut le résultat de l’action consciente des banquiers grecs et des capitalistes grecs.
Les banques européennes arrivèrent à cette époque sur ce marché fort rentable et firent l’acquisition de certaines banques grecques ; la responsabilité des banques européennes, françaises et allemandes en particulier, est importante dès alors.
La dette du secteur privé s’est poursuivie et même largement développée au cours des années 2000. Les ménages, auxquels les banques proposaient des conditions de crédit alléchantes, ont eu massivement recours à l’endettement, tout comme les entreprises. On hésite sur la qualification du rôle des banques : imprudence ? Illégalité ? les deux.
Dès 2008 les particuliers furent nombreux à ne plus pouvoir payer les intérêts de leurs prêts,
Et puis, en septembre 2008, suite à la faillite de Lehman Brothers aux États-Unis et à la crise économique qui suivit, les prêts interbancaires se tarirent complètement. La valeur des actions des banques grecques s’effondra alors .
Les gouvernements des pays dominants de l’Union européenne ont décidé d’utiliser de l’argent public pour sauver des banquiers privés des pays dominants. Les dettes privées sont devenues ainsi dettes publiques dans toute l’Union européenne. Cette dette publique dont on parle tant et de façon si confuse souvent.
Les banquiers d’Europe de l’Ouest ont fait le pari que leurs États respectifs leur viendraient en aide en cas de problème, ils ont considéré qu’ils pouvaient prendre des risques très élevés en Grèce. Les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la BCE et la Réserve fédérale des États-Unis pour prêter ensuite à la Grèce. Car du fait du règlement de la BCE, la Grèce, ni aucun État, ne peut emprunter directement à la BCE.
Une des leçons de cette histoire, c’est que les banques concernées ont fait des profits sans grand risque, en ruinant toujours plus la Grèce.
Ici intervient pour la Grèce, un acteur essentiel : la Troïka qui regroupe la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne.
A partir de 2010, une politique d’austérité intensive est imposée par la « Troïka » et le gouvernement grec pour rembourser cette dette publique très élevée. Cette politique, ce « mémorandum » imposé, a diminué drastiquement les revenus des ménages ainsi que des PME.
Si l’on en croit le discours dominant sur le plan international, le mémorandum de 2010 constituait la seule réponse possible à la crise des finances publiques grecques. On a dit que les Grecs ne payaient pas d’impôt alors que les salariés et les retraités grecs avaient leurs impôts prélevés à la source. Et autres inexactitudes et mensonges.
En réalité le prêt du FMI à la Grèce n’était pas destiné à redresser l’économie grecque ou à aider le peuple grec, il a servi à rembourser les banques françaises, allemandes, hollandaises qui, à elles seules, détenaient plus de 70 % de la dette grecque au moment de la décision.
Le mémorandum de 2010 fut le début d’une période qui a soumis le peuple grec à une crise humanitaire dramatique et à la mise sous tutelle, sans pour autant assainir le système bancaire grec. Avec la violation des droits humains, perpétrée à la demande des créanciers et des grandes entreprises privées.
Alexis Tsipras est parvenu fin janvier 2015 au poste de premier ministre sur un programme proposant une redistribution des richesses ainsi que des programmes sociaux . Mais, arrivé au pouvoir, il a fait le pari de maintenir une bonne relation avec la Commission européenne ; il a engagé des négociations avec la Troïka qui se sont avérées interminables, tout en continuant à payer la dette ; i avait fait le pari qu’il pourrait parvenir ainsi à une réduction importante de cette dette. Il n’obtint rien.
Si le gouvernement Tsipras avait alors informé son peuple et les peuples européens de la façon dont les créanciers de la Grèce traitait celle-ci, s’il avait appelé à la mobilisation de son peuple et à la solidarité internationale , l’histoire aurait pu connaître d’autres développements. Le gouvernement Tsipras avait un moyen à sa disposition qu’il s’est refusé à utiliser: la suspension du paiement de la dette pour dégager une marge de manœuvre et investir dans son économie.
En fait, l’expérience des négociations entre la Grèce et la Troïka a montré qu’on ne peut pas espérer convaincre les mandataires de l’oligarchie financière de relâcher leurs politiques d’austérité dans une discussion rationnelle de bonne foi. Les témoignages de l’ex ministre des finances Yanis Varoufakis furent très éclairants sur ce point.
Ici, il faut dire quelques mots sur un des protagonistes principaux de ce drame , la Banque centrale européenne. Elle a alors agi au nom des gouvernements de l’ Union européenne, au nom de critères économiques jamais discutés par les opinions publiques. Dès le 4 février 2015, alors que le gouvernement Tsipras n’avait qu’une semaine d’existence, la BCE a bloqué les liquidités destinées aux banques grecques ne mettant à leur disposition que les liquidités d’urgence bien plus coûteuses. Puis les gouvernements européens ont refusé toute renégociation de la dette, comme nous venons de le voir, alors même que la quasi-totalité des économistes, y compris ceux du FMI, indiquaient qu’elle ne pourrait jamais être remboursée.
En juillet 2015, lorsque Tsipras a convoqué un référendum, dont la question était « pour ou contre accepter un nouveau mémorandum », la BCE a également bloqué les liquidités d’urgence et le gouvernement grec a dû fermer les banques.
Le référendum de juillet 2015 a été l’occasion d’une intense mobilisation populaire. Le rejet du mémorandum fut très majoritaire, et en particulier chez les ouvriers, les employés et chez les jeunes. Et pourtant Tsipras qui venait de remporter une victoire avec le résultat de ce vote a consenti quelques jours plus tard à signer ce qui lui était imposé. Il proposa cette image : il avait signé « le pistolet sur la tempe ».
Voici ce que disait le Prix Nobel d’économie, Paul Krugman au lendemain de cet accord :
« Les propositions de l’Eurogroupe sont de la folie. Cela va au-delà de la sévérité, vers l’envie de vengeance, la destruction totale de la souveraineté nationale et aucun espoir de soulagement (…) c’est une trahison grotesque de tout ce que le projet européen était censé représenter ».
Voila pourquoi le Comité vérité sur la dette avait conclu en juin 2015 à la nécessité urgente et légitime d’ annuler la dette réclamée par la Troïka . Je cite :
« Les dettes réclamées à la Grèce depuis 2010 sont odieuses car elles ont été accumulées pour poursuivre des objectifs qui vont clairement à l’encontre des intérêts de la population. Les créanciers en étaient conscients et ils ont tiré profit de la situation. Ces dettes doivent être annulées. ». La dette grecque fut dite par cette commission « illégale, odieuse, illégitime, insoutenable ». Taux d’intérêts abusifs, cadeaux fiscaux, fraude fiscale et l’évasion fiscale vers des pays comme le Luxembourg, ont contribué à cette dette.
Une suspension de la dette se justifiait pour la Grèce par le niveau insoutenable des dettes pour la population et par la supériorité des obligations juridiques des États à l’égard de leur population par rapport au remboursement des dettes. Son paiement empêchait et empêche le respect des droits fondamentaux de la population mais aussi de sortir de la crise économique.
Des dogmatiques, irréalistes dirigent l’Union européenne.
Un article de Martine Orange, dans Mediapart, daté du 18 novembre, cite longuement le rapport publié le 16 octobre, de la Cour des comptes européenne. Il « dresse un constat implacable des trois plans de sauvetage européens pour la Grèce. Des critiques formulées de longue date par nombre d’économistes sont confirmées, notamment le dogmatisme et l’irréalisme sans précédent de la Commission européenne. »
« La Cour des comptes européenne souligne combien il était important de mener un ajustement budgétaire pour ramener des comptes publics totalement en dérive. Mais cela s’est fait sans autre considération qu’un redressement à court terme, insiste-t-elle. À aucun moment, il n’a été question de croissance, d’emploi, de reconstruction de l’économie grecque pour aider le pays après la fin de son plan de sauvetage, souligne la Cour des comptes européenne : « Les programmes ne s’inscrivaient pas dans le cadre d’une stratégie générale de croissance conduite par les autorités grecques et pouvant se prolonger au-delà de leur terme. »
« Bien sûr, la Troïka a établi des scénarios macroéconomiques, assurant tous que la Grèce allait rebondir très rapidement. Dès 2012, prévoyaient les premiers. Ils ont tous été démentis par la suite. »
(…)« En l’absence de feuille de route stratégique pour stimuler les moteurs potentiels de la croissance, la stratégie d’assainissement budgétaire n’a pas été propice à la croissance. Il n’y a pas eu d’évaluation des risques visant à déterminer comment les différentes mesures budgétaires envisageables comme la réduction des dépenses et l’augmentation des impôts et leur succession dans le temps influeraient sur la croissance du PIB, sur les exportations et sur le chômage. » »
Le caractère expressément inhumain de ces agents de la Troïka est incontestable : « Ce n’est qu’au troisième plan de sauvetage en 2015 qu’il est prévu d’inclure l’impact social des mesures préconisées. »
Ils étaient des dogmatiques stupides : « nombre de réformes ont été exigées sans étude chiffrée précise, sans pouvoir avancer les justifications économiques qui amenaient la Commission à exiger de tels chiffres, sans s’interroger sur leurs pertinences lorsqu’elles étaient appliquées au cas grec, relève à plusieurs reprises la Cour des comptes européenne. »
Et quel est le résultat ? « L’économie ne se redresse toujours pas, la dette est à un niveau insoutenable, l’état du système financier est totalement délabré. » « La Grèce sort dans un état de délabrement économique sans précédent : son PIB a diminué de 30 %, sa dette publique a pris des allures stratosphériques, dépassant les 180 % du PIB, les banques grecques ne sont pas en état de prêter et d’assurer le financement de l’économie. »
Qui fait ses affaires du désastre grec ?
La Grèce, en tout cas, a été une bonne affaire pour elle et les pays européens créanciers : « la Banque centrale a réalisé officiellement 7,8 milliards d’euros de plus-value entre 2012 et 2016 sur ses rachats de titres grecs ».
Pascal Boissel, 19–11– 2017
Pour en savoir plus, consulter les sites de
Comité pour l’abolition des dettes illégitimes (CADTM)
France Grèce solidarité santé,
l’Union syndicale de la psychiatrie,