Là-bas si j’y suis. « La guerre morale »

25 novembre;

La guerre morale

La guerre morale, c’est la guerre que mène Israël. C’est ce qu’af­firme le géné­ral Yoav Gallant, l’ex-ministre israé­lien de la défense qui fait l’objet d’un mandat d’ar­rêt pour crimes de guerre et crimes contre l’hu­ma­nité par la cour pénale inter­na­tio­nale depuis le 21 novembre.

Il n’est pas seul, le premier ministre Benya­min Néta­nya­hou et le leader du Hamas Moham­med Deif sont égale­ment pour­sui­vis, tous les trois portant le même chapeau avec écrit en gros « crimi­nel de guerre ».

La publi­ca­tion de ces mandats d’ar­rêts est un événe­ment impor­tant et encou­ra­geant. « Une bombe juri­dique massive » selon The Times of Israël. Pour la première fois, un pays occi­den­tal est mis en cause par cette juri­dic­tion.

Pour Néta­nya­hou bien sûr, c’est un crime anti­sé­mite et même une nouvelle affaire Drey­fus et le capi­taine Drey­fus, c’est lui. Pour le Hamas, c’est une « étape impor­tante pour la justice ». Pour Yoav Gallant, c’est « un dange­reux précé­dent contre le droit à se défendre soi-même et à mener une guerre morale, et elle encou­rage le terro­risme meur­trier ».

Guerre morale ?

Dans le flot des articles et des messages, qui a remarqué ce parfait oxymore ?

Guerre morale. C’est la novlangue de George Orwell, c’est Mille neuf cent quatre-vingt-quatre :

« LA GUERRE, C’EST LA PAIX
LA LIBERTÉ, C’EST L’ESCLAVAGE
L’IGNORANCE, C’EST LA FORCE »

Remon­tons le temps. Le 9 octobre 2023, alors ministre de la défense, Yoav Gallant, d’un ton viril, annonçait la stra­té­gie d’Is­raël sur Gaza : « j’ai ordonné un siège complet de la bande de Gaza. Il n’y aura pas d’élec­tri­cité, pas de nour­ri­ture, pas de carbu­rant, tout est fermé ». « Nous combat­tons des animaux et nous agis­sons en consé­quence ».

Phrase de colère ? Menace en l’air ? On connaît la phrase impec­ca­ble­ment colo­nia­liste d’Ehud Barak, Israël est « une villa dans la jungle ». Déshu­ma­ni­ser l’en­nemi pour en faire un gibier est une pratique tribale tradi­tion­nelle. Dans la jungle on ne tue pas un homme, on tue une bête. Mais ici, dans l’un des pays les plus mili­ta­ri­sés au monde, cette déshu­ma­ni­sa­tion est une feuille de route qui a été appliquée à la lettre.

En effet, dans leur mandat d’ar­rêt contre les deux leaders israé­liens, Gallant et Néta­nya­hou, les juges de la cour pénale inter­na­tio­nale consi­dèrent qu’il y a « des motifs raison­nables de croire que ces deux personnes ont, déli­bé­ré­ment et en toute connais­sance de cause, privé la popu­la­tion civile de Gaza de biens indis­pen­sables à sa survie, y compris de nour­ri­ture, d’eau, de médi­ca­ments et de four­ni­tures médi­cales, ainsi que de carbu­rant et d’élec­tri­cité ».

Vous avez dit « guerre morale » ?

La cour les suspecte égale­ment du « fait d’af­fa­mer des civils comme méthode de guerre, consti­tu­tif d’un crime de guerre » et de « crimes contre l’hu­ma­nité de meurtre, persé­cu­tion et autres actes inhu­mains ». Les accu­sa­tions portent aussi sur le « crime de guerre consis­tant à diri­ger inten­tion­nel­le­ment des attaques contre la popu­la­tion civile ».

Dans les premières semaines qui ont suivi les massacres du 7 octobre 2023, beau­coup consi­dé­raient les repré­sailles légi­times au nom des victimes. « Israël a le droit de se défendre ». L’ar­mée la plus morale du monde aler­tait aima­ble­ment la popu­la­tion de Gaza avant les attaques menées contre les terro­ristes du Hamas, ces lâches dans leurs tunnels maltrai­tant leurs otages. Oui mais ce n’était pas tout à fait ça. Au bout d’une année de massacres et d’aban­don des otages, le rapport de la cour pénale inter­na­tio­nale portant sur les six premiers mois montre qu’il s’agit de la destruc­tion plani­fiée d’un peuple à huis clos, les médias n’étant pas admis. Le but ? Pour les survi­vants, le trans­fert, c’est-à-dire une nouvelle Nakba. C’est le but reven­diqué par des courants israé­liens puis­sants dont Néta­nya­hou est entiè­re­ment dépen­dant.

La cour pénale inter­na­tio­nale n’est pas seule. Les enquêtes et les alertes se multi­plient. En septembre, un comité spécial de l’ONU a rendu un rapport sur « les pratiques israé­liennes affec­tant les droits de l’homme du peuple pales­ti­nien et des autres Arabes des terri­toires occu­pés » : selon le rapport, elles « présentent des éléments carac­té­ris­tiques d’un géno­cide ». Pour Human Rights Watch, les dépla­ce­ments forcés à répé­ti­tion consti­tuent des crimes contre l’hu­ma­nité.

Préci­sons que la cour pénale inter­na­tio­nale a égale­ment émis un mandat d’ar­rêt contre Moham­med Deif, chef de la branche armée du Hamas, pour crimes contre l’hu­ma­nité et crimes de guerre présu­més commis sur le terri­toire de l’État d’Is­raël et de l’État de Pales­tine depuis au moins le 7 octobre 2023. Selon Israël, Moham­med Deif aurait été tué lors d’un bombar­de­ment aérien en juillet 2024, ce que conteste le Hamas.

Les parti­sans de l’ac­tuel pouvoir israé­lien sont indi­gnés qu’un même trai­te­ment s’ap­plique à un chef « terro­riste » du Hamas autant qu’à des chefs « démo­crates » israé­liens. Peuvent-ils penser que la réci­proque existe ? Des Pales­ti­niens choqués que des chefs du Hamas puissent être mis au même plan que les diri­geant israé­liens ?

Si ces trois respon­sables sont épin­glés, ce n’est pas fini, il faut rappe­ler que la cour pénale inter­na­tio­nale a les moyens et la possi­bi­lité juri­dique d’émettre des mandats secrets de façon à proté­ger les témoins et le sérieux de l’in­ves­ti­ga­tion. D’autres enquêtes sont peut-être en cours.

Les membres de la cour pénale inter­na­tio­nale font l’objet de toutes les pres­sions possibles, voire même physiques. Trump et son entou­rage ont promis de faire taire ces empê­cheurs.

Nous voici devant la plus vieille lutte du monde entre le droit de la force et la force du droit.

Mais tout ça ne nous explique pas la guerre mora­le…

Daniel Mermet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.