https://blogs.mediapart.fr/caroline-fiat/blog/010222/5-ans-de-perdus-pour-le-grand-age
Lors de ma première intervention le 19 juillet 2017, à la tribune de l’Assemblée nationale, j’interpellais mes collègues députés sur le non-respect desquatorze besoins fondamentaux des résidents en EHPAD. Une mission d’information me fut ainsi proposée, que nous avons menée avec Monique Iborra députée de la majorité. Le 14 mars 2018, après des dizaines d’auditions et de déplacements, nous remettions un rapport accablant à l’Assemblée nationale. Notre première préconisation : doubler sans délai le personnel soignant au chevet des résidents !
Déjà en 2018 donc, les députés savaient ! Ils étaient au fait de la maltraitance institutionnelle qui touche nos soignants et résidents. Ils savaient le manque cruel de personnel et de moyens qui conduit au rationnement de la nourriture, aux soins bâclés, etc. Mais ils n’ont rien fait. Depuis son annonce par Emmanuel Macron le 13 juin 2018, les promesses sont allées bon train au sujet d’une hypothétique loi Grand âge autonomie. Or nous savons désormais, depuis fin 2021 que celle-ci ne verra pas le jour sous ce mandat présidentiel.
Ce n’est pourtant pas faute d’alertes lancées aux politiques durant toutes ces années. L’année 2018 a connu une mobilisation historique du personnel des EHPAD, à bout. En septembre 2018, un reportage de Julie Pichot et Vincent Liger sur Envoyé spécial mettait en lumière le licenciement des lanceurs d’alerte témoignant des mauvais traitements infligés aux résidents faute de moyens. On y voyait notamment Hella Kheriel, aide-soignante licenciée par Korian suite à ses révélations. La même année le reportage de la journaliste Elise Richard, tourné pour M6 et Zone interdite, puis son livre, y dénonçaient la même maltraitance. En 2019, l’article de Philippe Baqué dans le Monde diplomatique décrivait en détail ses causes politiques.
La réalité des EHPAD a été observée, analysée, décortiquée en long et en large. Notamment celle des grands groupes d’Ehpad lucratifs qui grattent sur tous les coûts pour réaliser des bénéfices. On se souvient que Korian, qui en pleine première vague de Covid, voulait verser 54 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires. Le rendement financier est leur seule boussole ! Ne pas remplacer un infirmier, embaucher des « faisant fonction » d’aide-soignante non diplômé, rationner les protections… ce sont autant de dividendes pour les
actionnaires. « Il faut que ça crache » dit-on à Orpéa en parlant des résidents et de leurs familles. Les soignants en EHPAD aussi en pâtissent. Ils subissent plus d’accidents du travail que dans le bâtiment et sont victimes de troubles musculosquelettiques et de burn outen masse !
Si la situation est légèrement « moins pire » dans le secteur associatif et dans le secteur public, elle n’en demeure pas moins alarmante ! Le sous-financement chronique touche tous les établissements et a été révélé au grand jour durant la crise Covid. Un sous-financement qui ne date pas d’hier et qui était déjà une réalité sous Sarkozy et Hollande.
Aujourd’hui c’est le journaliste Victor Castanet qui fait état de la situation de maltraitance systémique au sein du groupe Orpéa ! A chaque nouvelle révélation, les réactions s’enchaînent. C’est à qui aura l’air le plus scandalisé, feindra le mieux la surprise et la colère. Et les annonces de circonstances pleuvent… surtout à 70 jours des présidentielles. Le Ministre Olivier Véran promet l’ouverture d’une « enquête ». La Ministre Brigitte Bourguignon mise sur les « contrôles » et la « transparence ». Chez les Républicains, Valérie Pécresse veut mettre en place « des indicateurs ».
Aucun changement structurel n’est proposé, aucun financement à la hauteur n’est mis sur la table. Le Gouvernement se rattrape aux branches affirmant qu’il a augmenté de 10 000 le nombre de soignants sur le quinquennat. Faut-il rappeler que compte-tenu de la hausse démographique des personnes âgées, le ratio de personnel par résident continue de s’aggraver ? Mon rapport parlementaire préconisait 210 000 soignants supplémentaires !
Le mépris pour les gens de terrain, qui alertent depuis des années, atteint des sommets. En tant qu’aide-soignante, j’ai eu droit à des monceaux de railleries depuis mon élection : « Je comprends que nous ne compreniez pas » me disait Agnès Buzyn. « Bac moins 2 » m’avait-on surnommé chez les députés En Marche. Et dans le même temps, tous les amendements que nous avons proposés à l’Assemblée nationale pour mettre fin au business de l’or gris, pour mettre en place un ratio acceptable de soignant par résident… tous ont été rejetés.
La Ministre Brigitte Bourguignon a beau jeu de reprendre ma rhétorique sur Twitter : « On ne doit pas faire de business sur le grand âge » écrivait-elle ce 26 janvier. Quelle mesure a-t-elle engagée durant
toutes ces années ? Aucune. Les chiffres de l’INSEE en attestent : les établissements publics disparaissent au profit du privé. Avec un prix médian par résident de 2460 euros par mois, une maison de retraite est plus rentable qu’un centre commercial !
Plus que jamais, le temps est venu de construire un véritable service public de la perte d’autonomie.