Cher Carjou,
je te remercie de m’avoir fait parvenir l’intervention de Patrick Coronas lors du dernier Conseil municipal de Poitiers au sujet de la vente de l’ancien Théâtre.
Je pense que cette déclaration (cliquez ICI) se faisait au nom des élus du PCF et qu’elle représentait la position de la plupart des responsables de votre parti présents en nombre ce soir-là.
J’aimerais débattre avec toi de ce sujet comme nous l’avons fait sur d’autres thèmes, en toute franchise et cordialité, depuis un nombre d’années que j’ose de moins en moins calculer.
Tu me pardonneras également d’avoir travesti ton nom. Je n’expose pas un nom et un prénom aux grandes oreilles de l’internet sans le consentement du principal intéressé. Par contre je pense qu’internet fait maintenant partie de la place publique et débattre sur le forum est une pratique démocratique ancienne qu’il faut cultiver.
Je me permets donc de t’adresser des commentaires sur la déclaration de P. Coronas.
De nombreux accords
Tout d’abord les nombreux accords. C’est vrai que, malgré ce que peuvent dire quelques esprits chagrins, Poitiers est plutôt bien servie pour la culture. Le spectateur, la spectatrice, comme l’acteur et l’actrice, peuvent participer à une offre culturelle très importante si on la compare avec la taille de la ville. Être une capitale régionale, même l’une des plus petites de France, offre certains avantages. C’est vrai aussi que la gauche municipale a beaucoup œuvré dans ce sens depuis des lustres.
Je partage entièrement un passage de la déclaration que je ne saurais mieux dire : « Nous considérons que la culture n’est pas un luxe, c’est un droit à même hauteur que les autres. L’ambition démocratique du partage des œuvres et des pratiques artistiques, d’une appropriation populaire doit être le guide de notre action culturelle. C’est pour nous l’essentiel. Une municipalité doit y participer et apporter sa pierre à la construction tout au long de la vie des savoirs qui permettent l’émancipation. »
Dans la déclaration est rappelée la réalité des lieux de culture dédiés sur la ville et quelques unes des multiples actions qui s’y déroulent. La liste est impressionnante et elle n’est en plus pas exhaustive.
Des divergences
Il est important de dire explicitement sur quoi nous sommes d’accord. Ça évite de partir sur des débats qui sont à côté de la plaque. Je trouve ça stérile et lassant. Par contre il est stimulant de chercher à préciser sur quoi nous ne sommes pas d’accord. C’est un effort que finalement peu de personnes font. Elles préfèrent globaliser les critiques, ce qui est une pensée paresseuse que je ne souhaite pas cultiver.
Par ailleurs, je me retrouve tellement souvent dans le militantisme quotidien avec des camarades du PCF, pour lutter sur le terrain, pied à pied, pour la défense individuelle et collective des salariéEs, autour de valeurs partagées, que l’idée même de rejeter le PCF comme un bloc m’apparaît comme procédant d’un ridicule absolument comique.
Voici donc mes critiques de la déclaration, critiques que j’espère les plus explicites et précises possibles.
Pour commencer, je ne suis pas d’accord avec la déclaration quand elle dit que conserver le Théâtre se ferait « au détriment du développement de la médiation sur tout le territoire ce qui doit devenir – pour nous – la priorité absolue de la politique culturelle à Poitiers. » Les budgets sont « fongibles » c’est à dire que l’argent peut passer d’une destination à l’autre. Le budget du Théâtre peut être réalisé « au détriment » non pas d’autres activités culturelles mais « au détriment », par exemple, des subventions aux écoles privées au-delà de l’obligation légale ou aurait pu l’être « au détriment » de l’achat millionnaire du lycée des Feuillants. Présenter cela n’est pas seulement exposer une réalité comptable, c’est remettre le choix politique à sa place.
Mes divergences les plus importantes avec la déclaration portent sur la trop longue liste… de ce qu’elle ne dit pas.
Elle ne se prononce pas sur le loyer dispendieux du CGR, sur la non réponse au projet ancien (chiffré, avec étude de marché) de faire des salles de ciné dans cet ancien Théâtre.
Rien n’est dit sur ce centre ville minéral bien vide, sur les commerces actuels qui ferment, les promesses de magasins prospères qui n’engagent que celles et ceux qui y croient. Que pense le PCF sur ce monstre commercial de la zone autour d’Auchan qui se trouve en concurrence directe avec le centre ville sur nombre de type de magasins et qui propose un modèle de consommation qui favorise la malebouffe et le productivisme ? Comment revitaliser la place d’armes et le centre ville qui est aussi un quartier.
La déclaration est silencieuse sur la multiplication des appartements de haut standing autour de l’hyper centre ? Elle se tait aussi sur cette boucle : la première décision publique de A. Claeys en début de mandat fut de favoriser la construction de l’hôtel de luxe sur le site des Archives et quasiment la dernière sera de concéder le Théâtre au même financeur.
Cette privatisation d’un bâtiment municipal emblématique n’est-il pas un des éléments des privatisations que vous rejetez farouchement par ailleurs et à juste titre (par exemple le Parc des Expos) ?
Et que penser de cette « pensée formica » qu’on entend ici ou là qui consiste à se débarrasser de la plus grande partie d’un bâtiment parce que l’esthétique ne plaît plus. Ça me rappelle mon père qui avait échangé la « vieillerie » des pistolets de son père de la première guerre mondiale contre un service de couverts « modernes ». A ce titre-là penses-tu que la Manu, cette « vieillerie » d’architecture industrielle de Châtellerault, méritait d’être rasée ? Le Théâtre est un patrimoine. Pas une « vieillerie ».
Je n’aborde pas cette idée fantaisiste qu’on peut développer la culture en réservant un bout de l’ancien Théâtre dans une galerie commerciale. Tu pourras aller voir ce que ça donne, de l’autre côté du stade Bernabeu de Madrid, dans la galerie commerciale « centro comercial moda shopping ». C’est d’un triste ! A faire déprimer les adeptes du Prozac.
Car les choses sont liées. Il ne suffit pas de décréter des cloisons étanches entre les sujets (la culture, les quartiers, le commerce, le logement, le national/le local, etc.) pour que cela serve à analyser et changer la réalité. Bien sûr il est impossible de tout dire en une seule déclaration mais le Collectif est intervenu par quatre fois en début de Conseil municipal et vous auriez pu aborder ces questions au moins à ce moment-là.
A travers la question du Théâtre se trouve bien posée la question de la culture mais aussi celle du patrimoine, du commerce et même celle de la démocratie : qui a pris la décision de la vente du Théâtre ? Du transfert au CGR du TAP cinéma ? De choisir le financeur actuel ?
Toutes ces questions ont été posées en Conseil municipal. La déclaration n’y répond pas.
Last but not least
Le dernier mais non le moindre. Il y a eu 6000 signatures recueillies au cours d’une campagne de longue haleine. C’est, comme l’a dit Maryse Desbourdes au maire, la campagne « la plus importante mobilisation pendant votre mandat à la fois en nombre et dans la durée ».
Comment pouvez-vous ne pas répondre aux arguments d’une campagne progressite qui a touché, un par un, une par une, 6000 poitevinEs ?
Je voudrais t’exposer pourquoi ce type de comportement jette un froid.
Nous sommes en période pré-électorale et des négociations entre partis se déroulent en ce moment. C’est tout à fait normal et nous avons réussi, au sein du Front de gauche à Poitiers, à nous dire les choses en toute franchise, à exposer les arguments de chaque organisation, clairement, et, last but not least (j’adore cette expression, moi qui ne parle pas anglais) à ce que chacunE les considère pour ce qu’ils sont à savoir des arguments politiques légitimes : il n’y a pas d’anathèmes entre nous, nous avons touTEs appris de nos échecs respectifs et le respect des positions différentes des siennes est une des grandes avancées de cette période par ailleurs si inquiétante.
Nous sommes réunis au sein du Front de Gauche pour construire une alternative politique à gauche, pour démontrer que pour lutter efficacement contre la crise c’est à gauche qu’il faut aller et non pas à l’extrême droite.
Le PS est au commande du Sénat, de l’Assemblée nationale, du gouvernement, de la majorité écrasante des Régions, de très nombreuses grandes villes dont Poitiers. On peut faire le constat minimum qu’il ne gère pas la crise en menant une politique en faveur de la population. On peut toujours mettre en avant telle ou telle loi, une action qui distingue le PS de la droite mais la différence entre PS et UMP ne cesse de s’amenuiser. Dire cela ne veut pas dire qu’on oublie qu’il y a nombre de militantEs du PS ou influencéEs par lui qui ont le cœur à gauche. Nous en connaissons, toi comme moi, et même un bon nombre personnellement. Je ne nie pas non plus que le parti socialiste ou l’Union de la gauche a une histoire et qu’elle fait partie de l’histoire de la gauche.
Mais le vote sur le Théâtre apparaît pour ce qu’il est (un vote sur un objet architectural) mais aussi pour ce qu’il implique : une politique culturelle, une pratique démocratique, un aménagement du territoire communal, un acte de propriété, etc. Ces questions sont portées de façon différente et, dans ce cas-ci, opposées par d’un côté la majorité municipale et de l’autre un Collectif militant conséquent.
Or, par ce vote, par votre déclaration, vous apparaissez privilégier la légitimité de l’institution et l’alliance politique avec le PS, au détriment d’un Collectif militant progressiste. C’est un choix politique où, par exemple – et ce débat est, je le répète, légitime -, vous semblez privilégier un nombre d’éluEs conséquent du PCF à toute autre considération parce que vous pensez que ce nombre pèsera plus en faveur de la population qu’une liste municipale vraiment à gauche qui prend le risque réel de ne pas obtenir d’éluEs, ou de se retrouver rejetée dans une opposition très minoritaire.
Mais quid d’une alternative à gauche si tout change pour que rien ne change, si après les municipales on se retrouve avec la gauche plurielle (sans, mais plus sûrement, avec les Verts) menée par un PS affaibli – on peut l’espérer – mais toujours maître du jeu municipal, national, régional, etc ?
On ne part pas de rien. Cette expérience du baiser empoisonné du PS, vous l’avez vécu en 1981 avec Mitterand, en 1988 avec Jospin. Dans une situation économique encore pire, avec un PS totalement converti au libéralisme, comment penser qu’une alliance politique puisse être favorable au PCF (sans parler d’une alternative à gauche) ?
Et puis penser qu’on puisse construire une alternative à gauche, nécessairement indépendante du social-libéralisme, nous en sommes d’accord, en n’ouvrant pas l’horizon des pratiques démocratiques de la politique, en ne combinant pas mobilisation à la base et bagarre au sein des institutions ?
Voilà quelques remarques, questions et critiques que je souhaitais t’envoyer.
Je sais que le débat n’est pas clos au sein du PCF sur le type d’alliance aux municipales. Mais j’ai souhaité réagir sur un sujet qui me tient à cœur et qui permet de poser les implications de telle ou telle décision d’alliance.
Je sais aussi que cette lettre est à la fois trop longue pour le format internet et aussi trop courte pour aborder plus avant le thème de l’alternative à gauche qu’il nous faut construire.
Donc elle appelle d’autres échanges. Je te tends donc la perche, à toi, camarade Carjou, et à tes camarades ! Et à vous, camarades lectrices et lecteurs !
A bientôt de te lire, camarade Carjou. A bientôt de vous lire, camarades internautes.
Cordialement
Pascal