AME : François Bayrou veut priver de couverture santé des dizaines de milliers d’étrangers
Pour réformer l’aide médicale d’État, le gouvernement a préparé deux décrets qui excluent de tout accès aux soins des dizaines de milliers de personnes étrangères en situation irrégulière. Les victimes les plus nombreuses seraient les femmes.
À quelques jours du vote de confiance qu’il a sollicité, le premier ministre François Bayrou a un certain sens des priorités. Le 29 août, à sa demande, le directeur de la Sécurité sociale a transmis au conseil de l’assurance-maladie, pour avis, deux projets de décrets réformant l’aide médicale d’État (AME), qui assure une couverture santé aux personnes étrangères en situation irrégulière.
Dans ces décrets, il y a du « bon sens », a assuré François Bayrou mercredi 3 septembre sur BFMTV. « Lorsque vous demandez des efforts aux Français, il n’est pas possible que les étrangers n’y soient pas associés. Par exemple, il y avait dans la liste des soins de la balnéothérapie. Ce n’est pas normal, ce n’est pas raisonnable. »
Mediapart a pu consulter les deux projets de texte. Le premier modifie en effet « le panier de soins de l’aide médicale d’État » et exclut « les actes de rééducation réalisés en balnéothérapie ».
Les représentants d’associations d’aide aux étrangers en restent bouche bée. « Je mets au défi l’assurance-maladie de nous indiquer combien de balnéothérapies ont été financées pour des bénéficiaires de l’AME, réagit Didier Maille, coordinateur du pôle social et juridique du Comité pour la santé des exilé·es (Comede). On parle de personnes au bout de la chaîne de l’exploitation : des précaires, des travailleurs en situation de survie, qui gagnent moins de 860 euros par mois. Leur priorité n’est pas de faire des cures thermales à Vichy. C’est indécent. »
« Indécent », c’est aussi le mot employé par Matthias Thibeaud, référent plaidoyer « accès aux droits santé » pour Médecins du monde. « Le gouvernement laisse penser que des personnes contraintes de quitter leur pays, qui ont subi de nombreuses violences sur leurs parcours de migration, viennent se la couler douce en France. » Il rappelle « la réalité : une personne sur deux n’a pas accès à l’AME alors qu’elle pourrait y prétendre. Et ceux qui en bénéficient subissent de nombreux refus de soins ».
Le projet de décret restreint aussi la prise en charge par l’AME de soins plus essentiels : les prothèses dentaires, les lunettes, les aides auditives. Là encore, la mesure est « sans objet », assure Didier Maille, du Comede : « Certes, pour ces soins, les bénéficiaires de l’AME sont pris en charge à 100 %. Mais le tarif de l’assurance-maladie est minime. Les bénéficiaires de l’AME n’ont pas droit aux complémentaires santé et ne bénéficient pas du dispositif “100 % santé”. Les prothèses dentaires, les lunettes ou les aides auditives sont donc totalement inaccessibles avec l’AME ; c’est une escroquerie intellectuelle de faire croire à une nécessité de contrôler ces dépenses. »
Avec sa « stratégie de communication », dénonce encore Matthias Thibeaud, le gouvernement veut en réalité invisibiliser l’essentiel : « Une restriction sans précédent de l’accès aux soins. »
On estime qu’entre 40 000 à 60 000 femmes pourraient être concernées. C’est dramatique, tant pour leur santé que pour leur autonomie.
Le premier projet de décret prévoit également de modifier le calcul des ressources qui donnent droit à l’AME. S’il était publié, seraient alors prises en compte les ressources du conjoint ou de la conjointe. « Concrètement, explique Matthias Thibeaud, cette mesure vise les personnes étrangères en situation irrégulière qui vivent en couple avec un conjoint qui dispose d’une carte Vitale. Si les revenus de leurs foyers dépassent le plafond de ressources de l’AME – 15 508 euros par an –, alors elles perdront purement et simplement tout accès à une couverture maladie. Elle devront assumer l’intégralité de leurs frais de santé de leur propre poche. Les principales victimes seront des femmes étrangères en grande précarité, souvent déjà fragilisées par des situations de dépendance ou de violence. On estime qu’entre 40 000 à 60 000 femmes pourraient être concernées. C’est dramatique. »
L’association Women for Women France estime de son côté à 100 000 le nombre de femmes qui perdraient ainsi « tout droit aux soins en France ». Cette association féministe soutient les droits des personnes immigrées confrontées à des violences conjugales en France. « Des femmes sans papiers, souvent très précaires, sont en situation de dépendance conjugale, explique Alexandra Lachowsky, directrice du plaidoyer.(…)
Le deuxième projet de décret prévoit de durcir les conditions d’accès à l’AME : il faudrait fournir des documents d’identité « avec photographie ». Là encore, Médecins du monde tente de ramener le gouvernement au réel : « Cela représentera un obstacle administratif insurmontable pour de nombreuses personnes. Beaucoup ont dû quitter leur pays sans pièce d’identité – notamment les plus jeunes –, ont perdu leurs papiers, se les sont fait voler, ou sont victimes de confiscation de leur document ou de chantage aux papiers », expose Matthias Thibeaud.
De ces deux décrets, François Bayrou en a « discuté avec le Rassemblement national » (RN), lors de leur rencontre mardi à Matignon. Le premier ministre entend-il amadouer le parti d’extrême droite en vue du vote de confiance du 8 septembre sur le budget ? Le RN veut en effet démanteler l’AME : dans son projet, seuls les soins urgents et vitaux seraient pris en charge pour les étrangers en situation irrégulière. Le gouvernement Bayrou n’est pas loin du compte : il veut faire baisser drastiquement le nombre de bénéficiaires de l’AME, 465 000 personnes étrangères en 2024.
Le projet est bien politique. Car du seul point de vue économique, cette réforme est sans effet, explique Didier Maille : « Les hôpitaux, surtout publics, vont se retrouver avec encore plus de patients sans droits ouverts. Les impayés seront plus nombreux. C’est perdant-perdant : l’hôpital va perdre des ressources et le malade sera endetté à vie, poursuivi par des huissiers. »
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