Nantes, la fête de la musique lors de laquelle Steve fut assas­siné. Témoi­gnages recueillis par le Jour­nal du dimanche

Voici des extraits d’un article du Jour­nal du Dimanche daté du 14 août : 

« EXCLUSIF. Steve : le JDD a eu accès à 148 témoi­gnages sur l’opé­ra­tion poli­cière contro­ver­sée


« Le soir de la Fête de la musique à Nantes, Steve Maia Caniço a perdu la vie à la suite d’une opéra­tion poli­cière contro­ver­sée. Si le rapport de l’IGPN nie les consé­quences de la charge des forces de l’ordre, voire son exis­tence même, le JDD a eu accès à 148 témoi­gnages recueillis par l’as­so­cia­tion locale Média’Son qui apportent une autre vision de la fin de soirée. Peu déclarent connaître Steve Maia Caniço. Certains n’ont couché que quelques mots, rageurs ou doulou­reux. D’autres se sont plus longue­ment épan­chés. Beau­coup, précis et méti­cu­leux, décrivent une nuit de confu­sion et de grande bruta­lité. »
Violence et stupeur. Cette nuit du 21 juin, pour la Fête de la ­musique à Nantes, Sébas­tien s’est vu mourir noyé. (…) »Et là ça a pété, on n’a rien compris. On s’est retrou­vés dans un nuage de gaz, mes yeux se sont mis à brûler, des gens couraient dans tous le sens. » (…) » Les yeux clos, il avance à tâtons, dans la nuit, les cris et la lacrymo. « Sauf que je pars dans le mauvais sens. En fait, là où y avait moins de gaz, c’était vers la Loire. » À « 2 mètres » de l’eau, ses jambes butent sur un corps penché au-dessus du fleuve. À quatre pattes, un homme hurle qu’il y a des gens dans l’eau, qu’il faut les sortir de là. (…)
Quatre-vingt-neuf personnes ont porté plainte

(…) on estime que l’opé­ra­tion poli­cière a débuté vers 4h30 pour se termi­ner à 4h52. Durant cette petite demi-heure, 33 grenades lacry­mo­gènes, 10 de désen­cer­cle­ment et 12 tirs de lanceurs de balles de défense (LBD) sont lâchés sur la foule. Une dizaine de fêtards au moins tombent à l’eau. Le corps de Steve Maia Caniço, disparu cette nuit-là, sera retrouvé dans la Loire plus d’un mois après.

(…) Quatre-vingt-neuf d’entre eux, dont Sébas­tien, ont déposé une plainte collec­tive le 3 juillet pour « mise en danger de la vie d’au­trui et violences volon­taires par personnes dépo­si­taires de l’au­to­rité publique ».(…)
Les plai­gnants ont entre 17 et 34 ans. Hommes ou femmes, lycéens, étudiants ou travailleurs, ils ont subi un choc qui n’a guère été pris en compte depuis. L’ha­bi­tuelle « cellule psycho­lo­gique », dégai­née par les pouvoirs publics à chaque événe­ment trau­ma­ti­sant ou presque, n’a même pas été évoquée à Nantes. Pour­tant, ce sont plusieurs centaines de personnes simple­ment venues faire la fête sur les bords de Loire, loin des loge­ments, là où les pulsa­tions de basses ne dérangent pas, qui ont été gazées en pleine nuit.(…)
« Et là, sans somma­tion, des gaz partout. À la fois d’au-dessous et d’au-dessus »
Parmi les 148 témoins, tous ceux qui reviennent sur le début de la charge soulignent qu’à aucun moment ils n’ont entendu la police préve­nir qui que ce soit avant que les grenades lacry­mo­gènes ne s’abattent au milieu de la foule réunie sur le quai. (…) » Tous décrivent alors « une scène de panique », des gens « affo­lés », « perdus », « terri­fiés ».
Nuage chimique quai Wilson
(…) Mais, au vu des vidéos amateur tour­nées sur place, il semble plutôt qu’il soit au plus tard 4 h 32, ­ver­sion confir­mée par les témoi­gnages consul­tés par le JDD. Selon ces derniers, la police ­com­mence à « char­ger depuis la route [en amont du fleuve] vers le quai, lais­sant comme seule échap­pa­toire la Loire », comme s’ils étaient « du bétail ». « Je me suis fait violem­ment repous­ser par les forces de l’ordre en direc­tion de la Loire, affirme un parti­ci­pant présent du côté du Bunker. Je me suis aussi fait tirer dessus avec des ­ grenades de ­désen­cer­cle­ment direc­te­ment dans les pieds et me suis fait trai­ter de “sale gaucho”. » Plusieurs personnes écrivent avoir vomi sous l’ef­fet des gaz et les témoi­gnages d’yeux, gorges et bronches brûlés sont légion.
D’autres récits effa­rants, situés dans le même inter­valle de temps, semblent confir­mer la dange­ro­sité de l’opé­ra­tion poli­cière.(…) »Je me suis réveillé dans la lacrymo, écrit un fêtard. Sans savoir par où partir, désta­bi­lisé, seul. »
Vingt minutes dans la Loire
(…)Parmi les 89 plai­gnants, deux ont chuté dans la Loire. L’un, fuyant les gaz lacry­mo­gènes, perd l’équi­libre et se fait empor­ter par le courant. Plus loin, il réus­sit à s’ac­cro­cher à une corde fixée au quai. À cet instant, l’autre tombe à la renverse et, dans sa chute, se luxe l’épaule. Le premier voyant le second se débattre dans l’eau sans parve­nir à nager le saisit par le col pour l’ai­der à se main­te­nir. Ils passe­ront une ving­taine de minutes dans la Loire avant d’être secou­rus.
(…)
« Quand on est allés voir la police pour leur dire qu’il y avait des gens à l’eau, on s’est fait envoyer bala­der »
Certains jurent avoir appelé les forces de l’ordre à la rescousse. « Quand on est allés voir la police pour leur dire qu’il y avait des gens à l’eau, on s’est fait envoyer bala­der : ‘Cas­sez-vous ou on vous embarque!' », s’étrangle un témoin. Un autre, rencon­tré par le JDD, précise son souve­nir. « On était une dizaine près de l’eau, on suivait un mec qui se débat­tait dans la flotte, relate-t-il. On est allés voir les flics pour qu’ils nous aident, ils ont répondu texto : ‘C’est pas notre boulot, c’est celui des pompiers.'(…)
« Deux tireurs visaient la tête des gens avec leur LBD, précise l’un d’eux. Ils visaient des personnes qui étaient accu­lées face à la Loire. »
Au moment de coucher son récit sur le papier, un parti­ci­pant n’en revient toujours pas. « C’est encore doulou­reux dans mon esprit, j’ai vu des attaques violentes et gratuites dans ma vie, mais celle-ci était parfai­te­ment infon­dée, écrit-il. Des matraques sur des gamins en tee-shirt, c’était terri­fiant d’in­com­pré­hen­sion, surréa­liste. “Dispro­por­tionné” n’est même pas le terme adéquat. »
Provo­ca­tions et coups de matraque
(…)
L’un des récits les plus violents concerne ce jeune plai­gnant qui parle du moment où il s’ex­tirpe du nuage de gaz. Lui ne se retrouve pas devant la Loire mais face à une rangée de poli­ciers casqués. « Un CRS m’a mis un coup de matraque sur le dessus du crâne, je suis tombé par terre et ai reçu plusieurs coups », détaille-t‑il, assu­rant que c’est lui, le garçon frappé au sol qu’on aperçoit sur l’une des vidéos amateur. Le jeune homme réus­sit fina­le­ment à se rele­ver. Rebe­lote et coup de bouclier. (…)

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