L’idée d’une « primaire des gauches » a le mérite de chercher une dynamique pour 2017, mais ne peut réunir ceux qui soutiennent les orientations du gouvernement et ceux qui s’y opposent. Il faut une autre logique démocratique, et un autre projet.
L’appel paru dans Libération pour une primaire des gauches a le mérite de secouer le cocotier. Il pose de fait une question fondamentale : comment susciter un désir, une dynamique de gauche en 2017 et ne pas laisser le chemin libre au FN et à la droite ?
Hollande, première cible
Les premiers signataires – parmi lesquels Thomas Piketty, Michel Wieviorka, Marie Desplechin, Guillaume Duval, Daniel Cohn-Bendit, Julia Cagé, Dominique Méda, Ariane Ascaride, Philippe Torreton, Gérard Aschieiri, Arlette Farge, Barbara Romagnan ou encore Romain Goupil – partent d’un juste constat : « Les citoyens sont en état de légitime défiance vis-à-vis de la politique » et « les gouvernements s’arc-boutent sur des modèles destructeurs, plutôt que de lutter contre les inégalités sociales, les discriminations, la dégradation de l’environnement et l’affaiblissement de la démocratie ».
La première cible de cet appel est évidemment François Hollande. Proposer une primaire des gauches, c’est dire que le président sortant n’est pas légitime pour incarner, après trois ans et demi au sommet de l’État, la candidature de gauche en 2017. Ce n’est pas rien. Proposer une primaire comme méthode de désignation, c’est aussi considérer que le choix d’un-e leader doit être l’affaire du grand nombre.
Cet appel n’en reste pas moins irréaliste : il n’y aura pas de primaire des gauches en vue de la prochaine présidentielle. Notons déjà que la probabilité que François Hollande consente à s’y soumettre est faible. Un président acceptant une telle mise en concurrence alors qu’il est en fonction serait une configuration inédite et pour le moins éloignée des pratiques de notre Ve République… et personne n’a vu François Hollande contester la monarchie présidentielle en vigueur.
Deux orientations incompatibles
Mais le plus important est ailleurs : il n’y a pas de cadre commun possible entre ceux qui soutiennent l’orientation gouvernementale et ceux qui la combattent à gauche. Or, la logique d’une primaire suppose que chaque candidat accepte, s’il perd, de mener la campagne aux côtés de celui ou celle qui l’aura gagnée. Imaginez-vous Manuel Valls soutenir Jean-Luc Mélenchon en 2017 ? Croyez-vous sérieusement que Pierre Laurent ferait tribune commune avec Emmanuel Macron ? Pensez-vous crédible de voir les militants du Front de gauche coller les affiches de François Hollande au premier tour de la présidentielle ?
La vie politique réserve parfois, souvent, des surprises, mais elle ne peut s’affranchir des mouvements de fond. La réalité à gauche, aujourd’hui, est celle d’une césure croissante entre deux grandes logiques : d’un côté, la réduction des déficits publics, la croissance pour horizon, le contrôle social, le démantèlement des droits et des services publics ; de l’autre, une rupture avec la « règle d’or » et le règne de la marchandise, la remise en cause des normes néolibérales, une transition énergétique, de nouveaux droits et libertés, une nouvelle République. Ces deux orientations ne sont pas compatibles. Trancher entre les deux ne peut se faire à l’occasion d’une primaire des gauches car les uns ne se rangeront pas derrière les autres – et réciproquement.
Alors, que faire ? Oui, une gauche est à reconstruire. Oui, pour ce faire, nous avons besoin de la confrontation d’idées, que les portes et les fenêtres des partis politiques s’ouvrent sur la société, que les citoyennes et citoyens de gauche s’en mêlent, jusqu’au choix de leur leader en 2017. Mais peut-on y parvenir sur la base d’une démarche commune entre les fossoyeurs de la gauche et ceux qui aspirent à reconstruire une perspective franchement de gauche ? Assurément non. C’est pourquoi nous devons trouver le moyen de rassembler toutes celles et ceux qui, à gauche, sont opposés aux choix gouvernementaux soutenus par la direction du PS.
Se fédérer dans un cadre inédit
Si la gauche franche, celle qui ne veut ni du Pacte de responsabilité, ni de la déchéance de nationalité, ni des lois Macron, ni de l’État d’exception permanent, reste éclatée, alors le pire est devant nous. Nous avons le devoir de nous fédérer dans un cadre inédit, capable de jeter les bases d’un projet commun pour une gauche du XXIe siècle, d’enclencher un processus de refondation. Comment choisir la personnalité qui en porterait les couleurs en 2017 ? La primaire permet de répondre à la demande croissante de participation citoyenne à la vie politique, au-delà des partis existants, et de garantir que la concurrence entre les candidats potentiels de cette gauche franche ne se termine pas par une multiplicité de candidatures à la présidentielle, affaiblissant les chances de compter, de gagner.
Nous connaissons les limites et les travers de la primaire, notamment l’accent mis sur la personnalisation et les critiques entre candidats qui peuvent laisser des traces, mais quelle autre méthode pour désigner une candidature d’un mouvement rassemblant différentes forces et sensibilités politiques ? Le consensus ? S’il peut faire rêver, il n’est pas gagné… Le tirage au sort ? Il n’est pas prêt de faire consensus. Le fait accompli par rapport de forces ? Il ne peut être satisfaisant. Or il faut bien une méthode pour légitimer une candidature, lui donner de la force propulsive.
Si elle est raccordée à la construction d’un mouvement politique et associée à un vaste travail sur le projet, la primaire est sans doute la méthode la plus efficace pour tout à la fois assurer une candidature commune à l’ensemble de la gauche qui refuse les choix gouvernementaux et susciter une dynamique citoyenne. Au moment où nous sommes dans les choux, c’est à méditer sérieusement.
Clémentine Autain. Publié sur le site de Regards.