Publié le 21 février 2022 | Poster un commentaire
• Des services publics en crise
Depuis 2019 et le développement de la pandémie, la fragilité de notre système de santé mais aussi celle de l’Éducation nationale, de la prise en charge des personnes dépendantes ont été révélées au grand jour, même si de fait ces dégradations remontent à plusieurs décennies. Depuis les années 1990 en effet, dans le cadre des politiques néolibérales adoptées à Bruxelles avec le soutien actif des pays membres de l’Union européenne, une des obsessions majeures des gouvernements a été de réduire les activités couvertes par le secteur public, pour en ouvrir le champ – et les opportunités de profit – au secteur privé, et ce, au nom du dogme de l’efficacité du marché par la dite « concurrence libre et non faussée ». Des normes ont ainsi été instaurées pour limiter les dépenses publiques. Des entreprises publiques ont été privatisées ou ouvertes à la concurrence.
Cette marchandisation des services publics s’est traduite, outre la réduction des services rendus, par un recours accru à la sous-traitance, l’introduction de règles de gestion empruntées directement au secteur privé, dans une perspective de « rentabilisation » des services (comme la T2A, tarification à l’activité, à l’hôpital). Dans ce cadre de restriction budgétaire, la politique hospitalière a notamment abouti à supprimer des milliers de lits (75 000 lits d’hospitalisation complète entre 2003 et 2019 [1], soit une baisse de 16%), tendance qui se poursuit au profit des soins ambulatoires. En lien avec l’objectif de réduction des dépenses publiques, toutes les démarches administratives ont été progressivement « dématérialisées » et numérisées, ce qui pénalise gravement les personnes les plus précaires ou les plus âgées. Résultat de toutes ces procédures : des employé·es épuisé·es qui ne parviennent plus à remplir leurs missions, des usagers et usagères perdu·es et maltraité·es, et la solidarité censée être portée par les services publics… en grave régression !
• Les femmes en première ligne
Cette désagrégation des services publics affecte les populations les plus modestes, et elle touche particulièrement les femmes. La fonction publique est en effet majoritairement féminine : 63% de femmes en 2019 [2], et même 78% dans la fonction publique hospitalière où elles sont notamment infirmières, sage-femmes, puéricultrices, aides-soignantes. Elles représentent 71% des enseignants de l’Éducation nationale. Elles sont plus souvent à temps partiel que les hommes (28,5% d’entre elles, contre 11% des hommes).
Dans la plupart de ces professions, les salariées ont tiré la sonnette d’alarme pour dénoncer leurs conditions de travail marquées par l’alourdissement des charges de travail pour des effectifs insuffisants et des salaires très en retard sur la moyenne européenne. Ces conditions se sont encore aggravées dans le contexte de la pandémie avec le départ de collègues qui n’en peuvent plus ou ne perçoivent plus le sens de leur travail… Des mobilisations massives des enseignant·es ont alerté sur cette situation en janvier 2022.
Dans tous ces secteurs, l’État compte depuis des décennies sur le sens du « dévouement » des femmes, réputées avoir choisi leur profession par « vocation » en priorisant l’idée de se rendre utiles à la société. Mais aujourd’hui la limite a été atteinte. En cette période de crise sanitaire, la majorité de ces salarié·es ont poursuivi leur travail au risque d’y perdre leur santé… tandis que les Français les plus riches ont continué d’accumuler les profits [3].
La santé, la petite enfance, les personnes âgées
• Santé : l’offensive contre les maternités et les centres IVG au détriment des droits des femmes
Les femmes sont concernées par le service public de la santé non seulement en tant que salariées majoritaires, mais aussi en tant qu’usagères. En particulier en ce qui concerne les maternités et le recours à l’IVG.
De moins en moins de maternités
La politique de restructuration de la santé a entraîné la fermeture de nombreuses maternités. Entre 2000 et 2020, en France métropolitaine, leur nombre est passé de 700 à 496 [4] alors que le nombre de naissances s’est maintenu autour de 750 000 par an. Des petites maternités (moins de 300 accouchements par an) ont fermé, leur nombre passant de 448 à 202, sous prétexte du manque de sécurité. On a favorisé le regroupement dans de grosses structures (plus de 2000 naissances par an). Parallèlement, le nombre de lits a quasiment été divisé par deux entre 1975 et 2016, tandis que leur taux d’utilisation a pratiquement doublé du fait de la réduction de durée des séjours (8 jours en 1975 contre 4,6 jours en 2016).
La diminution du nombre de maternités illustre l’abandon des petites villes et se traduit, pour un grand nombre de femmes, par un éloignement géographique de la maternité et donc un rallongement du temps de transport pour accoucher, avec les risques que cela peut entraîner. Ainsi, entre 2000 et 2017, la part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes de la maternité la plus proche a augmenté de 40%.
Une régression du droit à l’avortement
Depuis 2009, la loi HPST (Hôpital Patients Santé et Territoires) a accru les difficultés pour accéder à l’avortement. Les hôpitaux se désengagent de plus en plus de la pratique d’IVG car il s’agit d’une activité « non rentable », sa tarification étant établie à un niveau très bas. Plus de 130 centres IVG avaient déjà fermé entre 2001 et 2011 [5]. En région parisienne, c’est le cas des centres de Broussais, Saint- Antoine, Tenon et Jean Rostand, ce qui correspond au quart des IVG pratiquées en Île-de-France. La lutte exemplaire menée à Tenon a néanmoins permis de gagner la réouverture de ce centre.
Certes, la possibilité ouverte aux médecins libéraux (depuis 2004) puis aux sages-femmes (depuis 2016) de pratiquer des IVG médicamenteuses a desserré l’étau, mais de fortes disparités régionales continuent d’exister : 37 départements comptent moins de 5 professionnel·les du secteur libéral de santé pratiquant des IVG médicamenteuses. Et 9% des avortements sont pratiqués en dehors des départements de résidence des femmes.
Face à ces difficultés, le délai actuel de 12 semaines de grossesse constitue un frein à l’accès à l’IVG. Du fait qu’elles ont dépassé ce délai légal, cinq mille femmes partent chaque année avorter à l’étranger (en Espagne, Pays-Bas ou Royaume-Uni, où le délai se situe entre 14 et 22 semaines). Les périodes de confinement ont amplifié ces difficultés, en particulier pour les personnes isolées, les mineures, les étrangères sans papiers et les femmes victimes de violences confinées avec l’auteur de ces violences. Le nombre d’avortements pratiqués en France a d’ailleurs baissé de 4% en 2020 par rapport à 2019 [6].
En 2021, le Sénat a rejeté la proposition de loi allongeant le délai de 12 à 14 semaines alors qu’elle avait été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale… malgré l’opposition du gouvernement. À suivre.
• Accueil de la petite enfance
L’émancipation passe par l’autonomie financière, et donc par un emploi rémunéré. Or du fait du manque de solutions pour l’accueil des jeunes enfants et de la persistance des rôles sexués, les femmes sont nombreuses à devoir se retirer de l’emploi ou bien à passer à temps partiel à la naissance d’enfants. Il y a donc un véritable enjeu, pour permettre l’égalité entre les femmes et les hommes, à répondre de manière satisfaisante aux besoins liés à l’accueil de la petite enfance.
Un grand besoin de places d’accueil
Fin 2018, la capacité d’accueil des enfants de moins de trois ans est de 59% [7]. Mais cela ne signifie pas que 59% de ces enfants trouvent un mode d’accueil : car un même enfant peut mobiliser deux places pour être gardé toute la journée (par exemple école le matin, assistante maternelle l’après- midi). La capacité d’accueil réelle est donc inférieure.
Ce sont les assistantes maternelles qui représentent le premier mode de garde avec 33 places pour 100 enfants de moins de trois ans8. Alors que la crèche est le mode d’accueil qui recueille le plus la faveur des parents et qu’elle contribue à réduire les inégalités sociales en favorisant une socialisation précoce des enfants, elle ne représente que 20% des modes d’accueil. Ensuite vient l’école préélémentaire (4 %) et les salarié·es à domicile 2 %. Mais 41% des jeunes enfants – soit 943 000 enfants ! – sont encore pris en charge par un « mode informel », la mère le plus souvent, ou une personne de la famille : c’est la « débrouille ».
De fortes inégalités
Même si la France est mieux lotie que d’autres pays, les inégalités y sont très fortes [9]. Ainsi, parmi les 20% de familles les plus riches, 68% des enfants ont accès à un mode d’accueil, mais cette part n’est que de 9% pour les plus pauvres. Et parmi ces derniers, seuls 5% sont accueillis en crèche. Fortes inégalités aussi en matière de desserte territoriale – selon les départements, la capacité d’accueil varie de 9 à 87 places pour 100 enfants de moins de 3 ans -, ainsi qu’en matière du coût restant à la charge des parents.
La reconnaissance officielle des besoins en termes de petite enfance s’est faite… en livrant ces activités au secteur privé ! Elle s’est accompagnée d’une dégradation des conditions de travail, avec la diminution du nombre légal des personnes d’encadrement des enfants ainsi que des qualifications requises. Seul le service public, dont le principe repose sur l’égalité d’accès et la socialisation des coûts, peut répondre à ces besoins de manière égalitaire.
Des objectifs non réalisés… bien que très insuffisants
Les objectifs de création de places se succèdent et, même minimalistes, ils ne sont pas réalisés. Ainsi la Convention d’objectif et gestion (COG) de la CNAF pour 2013–2017 prévoyait la création de 100 000 places de crèches… pour seulement 32 500 réalisées ! L’objectif suivant pour la période 2018–2022 prévoit la création de (seulement) 30 000 places mais selon le dernier bilan (février 2021), cet objectif ne sera réalisé qu’à hauteur de 40% fin 2022…
• Prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées
Le vieillissement de la population française conduira dans les années à venir à une augmentation du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie. Affirmant que le financement public sera incapable de procurer les futurs milliards que coûtera bientôt la dépendance, les gouvernements successifs ont privilégié un système mixte : prise en charge (minimale) pour les plus démuni·es par la solidarité nationale, et renvoi des autres vers les assurances privées individuelles ainsi que vers le secteur privé des établissements et services auprès des personnes, qui ont avant tout pour objectif de maximiser les profits.
Les enjeux
La question de la prise en charge de la dépendance des personnes âgées est profondément marquée par les rapports de genre. D’abord parce que l’espérance de vie des femmes est supérieure à celle des hommes, elles sont donc plus fréquemment confrontées à cette question. Ensuite, parce qu’elles sont aussi les principales pourvoyeuses des soins : qu’il s’agisse des soins professionnels ou de l’aide aux personnes apportée au sein même de la famille, les femmes sont majoritaires.
Concernant l’aide au sein de la famille, les femmes sont largement prépondérantes parmi les aidant·es, il s’agit le plus souvent de l’épouse, la fille ou la belle-fille. Elles sont souvent contraintes de réduire leur nombre d’heures de travail, de renoncer à une évolution professionnelle, voire de se retirer de l’emploi, avec toutes les conséquences en termes de perte de salaire et donc d’autonomie, de moindre droit pour leur future pension ainsi que de moindre disponibilité pour s’investir dans la vie sociale. Le risque d’épuisement est reconnu, les effets négatifs se répercutent sur l’état de santé mentale des aidant·es (stress, anxiété, dépression), sans oublier les sentiments de culpabilité parfois liés à la monétisation des relations familiales. Qu’elles soient membres de la famille ou professionnelles de l’aide à domicile, ces femmes subissent les conséquences de politiques publiques insuffisantes et de la pénurie dans la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées.
Concernant les emplois de ce secteur – aide à domicile, auxiliaire de vie, aide-soignante, etc. –, ils sont majoritairement occupés par des femmes (souvent d’origine étrangère) du fait des stéréotypes sur les rôles sociaux. Donc, peu valorisés. Ils font pourtant appel à un savoir- faire technique comme relationnel (qualités d’écoute, psychologie, attention, patience, etc.), qualités qui ne sont pas reconnues comme qualifications car considérées comme « naturellement » féminines !
Une situation actuelle intenable
La prise en charge de la perte d’autonomie se fait de diverses manières : en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD, publics ou privés), en unités de soins de longue durée des hôpitaux (USLDH), etc. Elle peut aussi se faire à domicile par des professionnel·les et/ou une personne de la famille. La prise en charge impliquant d’importants coûts financiers, il existe une Allocation personnalisée d’autonomie (APA) [10] qui vise à compenser en partie les frais engagés. Le prix médian d’une chambre seule en hébergement permanent en EHPAD en 2019 est de 2004 € par mois [11], à comparer avec le niveau de pension moyenne qui s’élève à 1382€ nets… et à seulement 1045 € pour les femmes (Drees 2020) !
Les emplois étant peu valorisés et les conditions de travail étant difficiles, il y a une forte pénurie de personnel sur l’ensemble de ces métiers. Dans certains établissements, une aide- soignante doit s’occuper de dix personnes en deux heures. Les principales intéressées parlent de « travail à la chaîne » et s’interrogent sur les conséquences que cela a sur la dignité des patient·es. À domicile, la majorité des aides professionnelles travaillent à temps partiel, souvent contraint, et auprès de différentes personnes : leur amplitude journalière de travail est généralement importante, pour de faibles salaires.
Cette situation exige de repenser les politiques publiques d’accompagnement, les ressources que la société doit y consacrer ainsi que la manière de prendre en charge la perte d’autonomie des personnes âgées, en intégrant l’objectif d’égalité entre les femmes et les hommes. Il s’agit d’un choix de société.
Nos revendications
Les services publics, à développer et améliorer, sont un outil pour la réalisation des droits humains et l’intégration des enjeux écologiques. Seule une socialisation et une prise en charge par des services publics de qualité peuvent répondre aux besoins des jeunes enfants et des personnes âgées ayant perdu leur autonomie, permettant ainsi aux femmes d’avoir un emploi et d’accéder à l’autonomie financière indispensable à l’égalité. Il y a donc un fort enjeu pour les femmes, comme pour la société, de mettre en place de véritables filières professionnelles qualifiées et revalorisées – qui doivent sortir du label « féminin » -, et de penser tout ce secteur des soins (le care) à l’aune de cet objectif. Il est indispensable de reconnaître l’importance de toutes ces activités pour le bien-être collectif.
• Rendre enfin effectif le principe « à travail de valeur égale, salaire égal ».
• Pour tous les emplois à prédominance féminine des secteurs du soin, instaurer une formation de qualité pour le personnel en visant la mixité, la reconnaissance des qualifications, la revalorisation des salaires (les infirmières des hôpitaux en France touchent par exemple un salaire inférieur de 21% à leurs homologues d’Allemagne), et la construction de parcours professionnels.
• Revaloriser le point d’indice de la Fonction publique, gelé depuis 2010.
• Créer un droit pour tout enfant de trouver un mode d’accueil collectif et public avant l’âge de scolarisation, et un droit pour toute personne de voir sa perte d’autonomie prise en charge.
• Développer un service public de la petite enfance regroupant tous les modes de garde : crèches, haltes garderies, assistantes maternelles, avec une priorité aux crèches publiques. Les conditions d’accueil et d’encadrement des enfants doivent être améliorées.
• Défendre et développer l’école « maternelle ».
• Transformer le congé parental d’éducation qui doit être d’une durée égale pour les deux parents et bien rémunéré (pour ne pas en dissuader les pères). Il devrait être plus court pour ne pas compliquer le retour à l’emploi comme constaté actuellement.
• Allonger le congé paternité et le rendre obligatoire comme l’est en majeure partie le congé maternité (cela protègerait les pères de toute pression de leur employeur pour qu’ils y renoncent).
• Développer un service public de prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées, quelle que soit la forme choisie (maintien à domicile, établissements, accueil de jour, etc.). L’urgence est d’investir dans la qualité des services qui ne peut passer là aussi que par l’amélioration des conditions de travail, avec le recrutement de personnel en nombre suffisant afin d’assurer un encadrement de qualité, de combattre la maltraitance et prévenir les facteurs de risque.
• Informer les personnes âgées et leurs proches sur leurs droits en facilitant leurs démarches administratives (pas uniquement « en ligne »).
• Arrêter les fermetures des maternités et augmenter le nombre de lits. Adapter les solutions de manière à ce que chaque femme puisse accoucher à une distance raisonnable de chez elle (trajet de moins de trois quarts d’heure par exemple).
• Rendre effectif le droit à l’avortement, y compris pour les mineures et les femmes sans papiers : réouverture de centres d’IVG ; allongement du délai pour avorter de 12 à 14 semaines ; suppression de la clause spécifique de conscience des médecins relative à l’IVG (une clause de conscience globale existe déjà couvrant tous les actes médicaux) ; possibilité pour les sages-femmes de procéder à des avortements instrumentaux et reconnaissance de leurs qualifications.
Signataires : Adéquations, ATTAC, CGT, Collectif CIVG Tenon, Collectif national pour les droits des femmes (CNDF), Femmes égalité, Fondation Copernic, FSU, Les Économistes atterrés, Les Effronté·es, Marche mondiale des femmes (MMF), Osez le féminisme ! (OLF), Les Rosies, Réseau Féministe « Ruptures », Union syndicale Solidaires.
[1] Drees, 2021, Les établissement de santé.
[2] Insee Première n°1842.
[3] Selon le rapport « Des inégalités qui tuent » (Oxfam, janvier 2022), de mars 2020 à octobre 2021, les actifs des milliardaires français ont augmenté de 236 milliards d’euros. Soit l’équivalent de quatre fois le budget de l’hôpital public !
[4] Alice Bergonzoni, « La part des femmes en âge de procréer résidant à plus de 45 minutes d’une maternité augmente entre 2000 et 2017 », DREES, Études et résultats n°1201, juillet 2021.
[5] Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes, 2013.
[6] DREES, Études et résultats n°1207, septembre 2021.