Le nouveau rapport de l’AITEC « Collectivités locales, reprendre la main, c’est possible ! Politiques publiques de transition démocratique et écologique : résistances et alternatives locales à la libéralisation » se fonde sur une enquête approfondie menée en 2017 auprès d’élu-e-s, d’agents territoriaux, et d’acteur-trice-s du monde associatif. Il met en avant des politiques publiques locales alternatives, plus démocratiques, plus justes et plus durables, à rebours de la libéralisation des marchés, du tout-privé et d’une économie hors-sol.
Collectivités locales, reprendre la main, c’est possible !
L’aspiration modeste est de dresser un paysage non exhaustif des contraintes réglementaires que rencontrent les collectivités locales progressistes pour porter des politiques publiques locales de transition démocratique et écologique. Ce rapport propose des pistes pour saisir les opportunités permettant de créer un “écosystème” d’alternatives afin de renouveler ou inventer des formes de gouvernance locale plus démocratiques, justes et durables.
Les politiques néolibérales d’austérité et de libéralisation des échanges commerciaux et financiers ont poussé dans le sens d’une transposition des règles du marché dans la sphère publique. Elles placent les grandes entreprises, souvent transnationales et fortes de moyens techniques et financiers importants, en partenaires idéaux des pouvoirs publics. Ces politiques participent de l’assèchement des systèmes de solidarités publics et de l’asphyxie de l’économie de proximité : remise en cause de l’universalité des services publics, difficultés de relocalisation de l’économie, gestion comptable déshumanisée des politiques publiques, etc. Elles étouffent les possibilités de développer les politiques nécessaires pour répondre aux défis sociaux et environnementaux auxquels nous faisons face localement et globalement.
Pour autant, ces contraintes n’éliment pas la motivation de certaines collectivités à faire émerger tout un panel de solutions pour contre-carrer les ambitions de lucrativité et d’accaparement portées par les tenants de la doxa néolibérale. Trois entrées d’alternatives ont pu être identifiées :
1. Premièrement, il s’agit de (re)démocratiser des services publics : remunicipaliser les services publics, investir dans des sociétés coopératives d’intérêt général (SCIC), ne pas s’enfermer dans des contrats de partenariats publics-privés etc. Cela permet de pouvoir garder la main publique sur les services et donc le contrôle des dépenses et des orientations, d’inclure les citoyen-ne-s dans les processus de contrôle et de décision, et d’orienter les (ré)investissements pour l’amélioration et l’accessibilité du service ;
2. Deuxièmement, il s’agit d’aller vers une commande publique responsable : privilégier les achats publics locaux en prenant en compte les notions de cycle de vie ou de circuit-court, bien connaître l’offre territoriale pour adapter la demande publique aux capacités des TPE/PME et entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS), etc. Cela permet de prendre en compte l’impact social et environnemental de l’achat public tout en relocalisant l’économie et en soutenant les acteurs socio-économiques locaux ;
3. Troisièmement, il s’agit de travailler avec et pour le tissu socio-économique du territoire : structurer l’offre des acteur-trice-s économiques locaux (familiaux, artisanaux, agricoles ou éthiques), faciliter l’accès au foncier et aux équipements publics pour les acteur-trice-s de l’ESS, soutenir des initiatives de coopératives citoyennes (d’habitant-e-s, d’énergies renouvelables, etc.), etc. Cela renforce l’offre locale face aux grands groupes, tout en allant vers une (re)démocratisation des rapports socio-économiques locaux.
Conscientes des carcans qu’il reste à combattre pour avoir les mains libres afin d’impulser des processus de relocalisation de l’économie et de re-démocratisation des politiques publiques locales, plusieurs revendications et pistes d’action ont été suggérées par les acteur-trice-s rencontré-e-s :
- Faire sauter les verrous de l’interdiction de la préférence locale pour pouvoir inclure plus de pourcentage d’emplois et d’entreprises locales dans les contractualisations publiques ;
- Permettre des exceptions à la libre-concurrence pour toutes les entreprises de l’ESS, pas seulement dans les secteurs social, sanitaire et culturel, mais aussi artisanal et commercial ;
- Sortir les services et marchés publics du champ des négociations des accords de libre-échange ;
- Aborder les territoires de manière beaucoup plus écosystémique, comme un ensemble d’interactions et mener des programmes de planification et d’aménagement du territoire en ce sens ;
- Accorder un statut spécifique aux communs, y compris une reconnaissance juridique, pour influer sur les politiques foncières, la gestion des biens sociaux, ou la consécration d’espaces publics ;
- Donner plus de place aux mouvements sociaux et citoyens dans le processus d’élaboration des politiques publiques, de l’émergence à la mise en œuvre en passant par le suivi et le contrôle.
Bien d’autres pistes sont envisageables. Par leur force de résistance, et la capacité structurante de leurs prérogatives de puissance publique, les collectivités locales sont des actrices de poids dans les processus de transition démocratique et écologique, pour peu qu’elles s’ancrent dans une démarche structurelle et systémique en s’alliant entre elles mais aussi avec les acteur-trice-s citoyen-ne-s – associations, mouvements sociaux, syndicats, collectifs d’habitant-e-s ou d’usager-e-s, etc – pour porter leurs revendications. La désobéissance et la résistance locales aux processus de libéralisation est un fil à tirer pour travailler dans cette démarche sur la base d’une contestation commune et d’un projet de société alternatif commun.
Construire l’émancipation par les politiques publiques locales pourrait reposer sur quelques fondamentaux :
- Centralité des droits et des communs
- Résistance aux multinationale et au modèle qu’elles véhiculent
- Plaidoyer et portage de revendications communes auprès des institutions politiques
- Coopération entre collectivités locales et mouvements sociaux
- Croisement d’échelles entre local, translocal, et global
- Approche holistique de la transition
- Croisement stratégique entre alternative / résistance / réseau
- Solidarité entre territoires et réduction des inégalités (péréquation, coopération décentralisée)
Néanmoins, mettre en place des politiques publiques locales alternatives implique de saisir les enjeux de la libéralisation à l’échelle mondiale, parce qu’ils déterminent la rationalité dominante qui s’imposent aux politiques locales. Les enjeux de taxation des transactions financières, de financement de l’adaptation au changement climatique, de mise en place de politiques migratoires alternatives, de commerce mondial solidaire et équitable, sont des enjeux qui concernent les collectivités locales et leurs marges de manœuvre, mais ne peuvent s’appréhender au seul prisme de l’échelle locale. Renforcer des positions communes pour une transition fondée sur les droits et les communs universels, contre un localisme exclusif et xénophobe, est tout l’enjeu d’une résistance au libéralisme qui aboutit à un projet politique émancipateur.