Soyons fiers de ce que nous avons fait depuis 2 mois et demi…

Notre cama­rade Hugo Melchior est l’un des anima­teurs en vue du mouve­ment sur Rennes. Il a été victime d’une mesure d’in­ter­dic­tion de mani­fes­ta­tion. Il a bien voulu répondre longue­ment à nos ques­tions et tirer un premier bilan de 2 mois et demi de lutte, au moment où se met en place un comite de soutien a toutes les victimes de la repres­sion.

Hugo, peux tu nous expliquer pour quoi le Préfet t’a inter­dit l’ac­cès au centre ville de Rennes pendant 15 jours et comment as tu réagi ?

Mardi 17 mai sur les coups de 9h30–10h, deux membres de la BAC et un briga­dier chef de police sont venus chez moi pour me remettre en mains propres un procès verbal signi­fiant mon inter­dic­tion de séjour de ce jour jusqu’au 30 mai, 6h dans le centre-ville de Rennes. Ils sont restés dix minutes à peine, le temps que je signe le procès verbal. Il n’y a eu aucun problème de ce côté là. J’ai égale­ment reçu une carte signi­fiant les déli­mi­ta­tions géogra­phiques de cette inter­dic­tion. Concrè­te­ment, cela veut dire que je ne peux pas par exemple me rendre à la gare pour prendre le train, ni aller à la Mairie pour effec­tuer des démarches et bien entendu, et c’est ça qui est visée prio­ri­tai­re­ment par cette mesure d’in­ter­dic­tion de séjour dans une partie du terri­toire de la commune de Rennes, parti­ci­per à des mani­fes­ta­tions de rue avec mes cama­rades contre la loi travail. Comble de l’iro­nie, le Tribu­nal Admi­nis­tra­tif que j’ai saisi par la média­tion de mon avocate vendredi 20 mai dans l’es­poir de faire casser cet arrêté préfec­to­ral se trouve, lui-même, dans la zone inter­di­te…

Ainsi, ma liberté d’al­ler et venir, pour­tant consi­dé­rée dans la Cons­ti­tu­tion française comme une liberté publique fonda­men­tale, pour­tant consub­stan­tielle de la citoyen­neté, mais d’abord de l’hu­ma­nité, comme le stipule l’ar­ticle 13 de la Décla­ra­tion univer­selle des droits de l’homme, est désor­mais subor­don­née à cette inter­dic­tion de terri­toire, et cela jusqu’au 30 mai. Cette remise en cause de cette liberté fonda­men­tale, avec celle de pouvoir mani­fes­ter libre­ment, découle d’un arrêté de la préfec­ture, acte admi­nis­tra­tif, et par là-même d’une déci­sion du Minis­tère de l’In­té­rieur qui instru­men­ta­lise sans vergogne le contexte d’Etat d’ur­gence et la « menace terro­riste » pour tenter d’en­tra­ver la vie quoti­dienne de mili­tants poli­tiques un peu trop inso­lent et agita­teur à son goût. Cet acte admi­nis­tra­tif est scan­da­leux par nature car en y recou­rant l’au­to­rité vous met devant le fait accom­pli. Contrai­re­ment à un procès au pénal, il n’y a pas la possi­bi­lité de contes­ter en amont la déci­sion, de deman­der l’or­ga­ni­sa­tion d’un débat contra­dic­toire

En ce qui me concerne, encore une fois, il ne s’agit pas simple­ment d’une simple inter­dic­tion de mani­fes­ter, d’une inter­dic­tion ponc­tuelle, seule­ment le temps des mani­fes­ta­tions de rue contre la loi travail, comme ce fut le cas pour les mili­tants de Paris concer­nés par des arrê­tés préfec­to­raux. Il s’agit d’une inter­dic­tion abso­lue, perma­nente, 24h/24, qui concerne une zone spatial éten­due et qui s’étend sur une longue période, en l’oc­cur­rence 14 jours. Si je devais contre­ve­nir à l’ar­rêté et péné­trer quand même dans la zone inter­dite pour aller mani­fes­ter par exemple, je risque d’être appré­hendé, puis faire l’objet de pour­suites sur le plan pénal avec la possi­bi­lité d’être condamné au maxi­mum à 6 mois d’em­pri­son­ne­ment et 7500 euros d’amendes, en appli­ca­tion de l’ar­ticle 13 de la loi du 3 avril 1955.

Pour justi­fier d’une telle mesure profon­dé­ment liber­ti­cide  et vexa­toire à mon encontre, qui ne repose en réalité que sur des présomp­tions pour justi­fier cette inter­dic­tion de séjour, le procès verbal fait clai­re­ment réfé­rence à mon passé de mili­tant révo­lu­tion­naire puisqu’il est indiqué dans le procès verbal que je suis « défa­vo­ra­ble­ment connu pour des acti­vi­tés poli­tiques passées ». En effet, j’ai commencé à mili­ter en septembre 2005 au sein de la section jeune de la LCR à Rennes et j’ai été amené à jouer un rôle impor­tant dans tous les mouve­ments étudiants entre 2006 et 2010. Au cours des ces diffé­rentes mobi­li­sa­tions, je n’ai eu de cesse de vouloir me mettre au service du mouve­ment ouvrier, des luttes étudiantes, de propo­ser mes savoirs-faires, mes ressources avec pour seul désir d’être utile à ma classe, à mon camp, celui des travailleurs, de tous les oppri­més, de tous celles et ceux qui ne supportent plus la pour­ri­ture capi­ta­liste et veulent rompre avec elle d’ur­gence ! Actuel­le­ment docto­rant en histoire, chargé de cours à l’Uni­ver­sité Rennes 2, j’ai de nouveau décidé d’as­su­mer un enga­ge­ment total au sein de mon univer­sité dans le cadre de la mobi­li­sa­tion contre la loi travail, qui consti­tue une nouvelle étape dans le proces­sus de réor­ga­ni­sa­tion néoli­bé­rale du travail en cours depuis les années 1980.

En déci­dant d’en­tre­prendre une telle réforme scélé­rate, que même la droite décom­plexée au pouvoir n’avait pas osé mette en œuvre, les déci­deurs socia­listes ont démon­tré, une fois encore, qu’ils n’étaient rien d’autre que les gardiens inté­ri­maires de l’ordre établi, c’est-à-dire de l’ordre produc­tif néoli­bé­ral. De plus, il est souli­gné, dans ce procès verbal, ma « parti­ci­pa­tion à des mani­fes­ta­tions ayant joué un rôle omni­pré­sent dans l’or­ga­ni­sa­tion de mani­fes­ta­tion ayant engen­dré un trouble à l’ordre public à Rennes ». Il est indé­niable à nouveau que j’ai pris part à l’or­ga­ni­sa­tion, aux côtés d’autres mili­tants du NPA, d’En­semble, de la JC, mais égale­ment d’étu­diants non encarté, des nombreuses mani­fes­ta­tions qui se sont succé­dées à Rennes, depuis début mars, contre la loi travail sur la ville de Rennes.

Clai­re­ment, c’est cette acti­vité mili­tante quoti­dienne, débri­dée, décom­plexée qui a été visée par le Minis­tère de l’in­té­rieur cher­chant, en s’at­taquant à moi de la sorte, par cette mesure extra­ju­di­ciaire, à faire un exemple et tenter de diffu­ser la peur au sein du secteur mili­tant à Rennes ! Le procès verbal rappel, enfin, mes décla­ra­tions sur les réseaux sociaux sur la ques­tion de la violence poli­tique et par là-même avoir assu­mer publique­ment la néces­sité de ne pas subor­don­ner le réper­toire d’ac­tion au seul respect du cadre de la léga­lité, aux seules mani­fes­ta­tions de masses, même si elles sont évidem­ment une condi­tion néces­saire à l’in­ver­sion du rapport des forces en faveur du mouve­ment social, et d’as­su­mer le fait de recou­rir à des actions de blocages écono­miques, des grèves actives et prolon­gées, et de manière géné­rale à tout ce qui peut contri­buer, y compris les émeutes de rue, à rendre le climat inte­nable pour le gouver­ne­ment contre lequel on se bat.

C’est ce que j’ap­pelle avec d’autres la « stra­té­gie de la tension », c’est-à-dire la capa­cité d’ar­ti­cu­ler oppor­tu­né­ment massi­fi­ca­tion et radi­ca­lité qui se carac­tère d’abord par le refus du léga­lisme et le paci­fisme inté­gral, car je consi­dère qu’en dernière instance l’Etat n’a pas le mono­pole de la violence physique légi­time et que nous devons être prêts à nous défendre physique­ment et collec­ti­ve­ment contre nos enne­mis que sont les déci­deurs écono­miques et de manière géné­rale tous les mili­tants de l’éco­no­mie poli­tique, car, une fois pour toute, la poli­tique n’est pas un pique nique, ni un diné de gala, encore plus quand on prétend défendre un projet de société révo­lu­tion­naire. Quand j’en­tends les décla­ra­tions du déjà candi­dat Jean-Luc Mélen­chon, qui reprend sans vergogne la même rhéto­rique poli­cière du PCF des années 68, en renvoyant dos à dos la violence poli­tique dont font usage certains mili­tants poli­tiques et celles de ceux char­gés de sauve­gar­dés l’ordre établi, j’ai la nausée. Il est profon­dé­ment choquant, et même temps pas surpre­nant venant de la part de quelqu’un qui consi­dère qu’en dehors du suffrage univer­sel et des élec­tions, point de salut, de l’en­tendre dire que les fameux « casseurs » seraient en vérité des alliés objec­tif du pouvoir, et par là-même si on va jusqu’au bout de la réflexion des enne­mis du mouve­ment en cours.

Ainsi, il est certain qu’à défaut de pouvoir me pour­suivre sur le plan pénal, le minis­tère public est obligé pour m’at­teindre de recou­rir à l’arme inique de la coer­ci­tion admi­nis­tra­tive et ainsi me faire payer le prix de mon enga­ge­ment en faveur de la défense des droits collec­tifs des travailleurs remis en cause par ce projet de loi inique ! On limite la liberté de circu­la­tion d’un indi­vidu au nom de sa « dange­ro­sité poten­tielle » en tant que mili­tant révo­lu­tion­naire, sans qu’on n’ait rien à lui repro­ché à part ses idées subver­sives. Mais être attaqué de la sorte par l’Etat, quelle plus belle recon­nais­sance de la justesse de son enga­ge­ment poli­tique ! Au moins, cela prouve l’Etat sait recon­naître ses vrais enne­mis : celles et ceux qui veulent subver­tir radi­ca­le­ment la société capi­ta­liste ! J’es­père vrai­ment que lundi 23 mai, la préfec­ture et le Minis­tère de l’in­té­rieur connaî­tront un terrible camou­flet. En effet, si l’ar­rêté liber­ti­cide devait être cassé ce jour là par le tribu­nal admi­nis­tra­tif, cela repré­sen­te­rait une mémo­rable défaite pour les déci­deurs qui compren­draient, alors, qu’on ne peut pas en toute impu­nité, sous couvert d’État d’ur­gence, user de méthodes coer­ci­tives, exécu­toires pour tenter d’en­tra­ver l’ac­tion des mili­tants poli­tiques !

Pourquoi, à ton avis, Rennes est elle une des villes qui a connu le plus fort mouve­ment étudiant contre la loi Travail ?

Rennes est histo­rique­ment une ville de robe et de services. En dépit de la présence à partir des années 1960 de PSA la Janais, consi­dé­rée comme une des plus grosses entre­prises d’Eu­rope, dont les sala­riés étaient essen­tiel­le­ment des ouvriers-paysans, qui vivaient en campagne, Rennes n’a jamais une ville à forte densité ouvrière, contrai­re­ment à une ville comme Fougère, la ville la plus ouvrière de Bretagne, avec notam­ment le secteur de la chaus­sure, aujourd’­hui tota­le­ment sinis­tré avec les consé­quences que l’on sait dans le champ poli­tique local, l’émerge d’un vote FN. A Rennes, ville qui a toujours été modé­rée, deve­nue seule­ment à majo­rité socia­liste à partir des élec­tions muni­ci­pales de 1977, en même temps que le reste de la Bretagne bascu­lait à gauche après des décen­nies d’hé­gé­mo­nie de droite modé­rée de tradi­tion catho­lique, il existe un lieu où s’épa­nouie une tradi­tion reven­di­ca­tive et contes­ta­taire depuis les années 1970.

Ce lieu, c’est l’uni­ver­sité Rennes 2, univer­sité de sciences humaines et sociales. La capa­cité des étudiants de Rennes 2 à s’émou­voir et à se mettre régu­liè­re­ment en mouve­ment, au point de suspendre tempo­rai­re­ment la fonc­tion éduca­tive de l’uni­ver­sité, est dû à la fois à la socio­lo­gie de la majo­rité ensei­gnée (les étudiants sont issus majo­ri­tai­re­ment des classes popu­laires et des classe moyenne basses et donc du fait de leur socia­li­sa­tion primaire et leur trajec­toire biogra­phique parti­cu­liè­re­ment sensibles à la ques­tions sociale), à la dispo­ni­bi­lité intel­lec­tuelle d’étu­diants, inscrits dans des filières critiques telles que l’his­toire, la géogra­phie, la socio­lo­gie ou encore la psycho­lo­gie, pour des mouve­ments qui cherchent, à travers la contes­ta­tion d’une réforme parti­cu­lière qu’ils jugent scan­da­leuse, dénon­cer le capi­ta­lisme néoli­bé­rale, la « nouvelle raison du monde », et, enfin, à la présence conti­nue de mili­tants de gauche capables, à condi­tion d’as­su­mer un enga­ge­ment total, de créer une demande sociale de mobi­li­sa­tion. Une fois encore, comme en 2006, comme en 2010, les étudiants de Rennes 2 ont joué un rôle phare et pion­nier dans la mobi­li­sa­tion contre la loi travail qui s’est donnée à voir dans les univer­si­tés françaises ces deux derniers mois, après plus de 5 années d’ato­nie sociale et avec un milieu mili­tant parti­cu­liè­re­ment sinis­tré. La dispa­ri­tion de l’UNEF en est la plus parfaite illus­tra­tion.

Dès la première assem­blée géné­rale, des centaines d’étu­diants parais­saient dispo­nibles pour s’en­ga­ger fran­che­ment contre cette réforme du code du travail. Après ces années de léthar­gie affli­geante, on eu l’im­pres­sion que nombreux étaient celles et ceux qui atten­daient, telle une lente impa­tience, une occa­sion, c’est-à-dire une réforme vrai­ment insup­por­table, la grosse goûte d’eau vrai­ment sale qui fasse débor­der le vase des démis­sions, des renon­ce­ments, des provo­ca­tions, des insultes, des attaques, des désho­nores, pour allu­mer leurs torches et mettre le feu à la prai­rie ! A partir de ce moment-là, et grâce à l’ac­tion déci­sive des mili­tants poli­tiques et syndi­caux, qui ont fait preuve d’une unité exem­plaire dès le départ (je tiens à ce propos à souli­gner le compor­te­ment exem­plaire des cama­rades de la JC), le « bateau France » a connu une belle muti­ne­rie de la part de celles et ceux qui veulent détour­ner celui-ci de sa trajec­toire morti­fère !

Comment expliquer l’im­por­tance du mouve­ment auto­nome rennais et nantais, et comment vous, avec la JC notam­ment, vous avez « fait avec » ?

La « mouvance auto­nome » n’est pas appa­rue sur la scène rennaise ces dernières années. Elle existe en réalité au mini­mum depuis les années 2000 et person­nel­le­ment j’ai fait sa connais­sance en 2006 lors du mouve­ment anti-CPE, alors que j’avais 18 ans et que je décou­vrais le champ poli­tique radi­cal à Rennes. Une chose est sûre : celle-ci n’est ni un bloc mono­li­thique, ni un secteur figé. Elle est d’abord à moment donné ce que sont les mili­tants qui la composent à un moment donné. Celle-ci est traver­sée par des courants, des géné­ra­tions et donc porteuses de contra­dic­tions et de riva­li­tés, à l’image de n’im­porte quel mouve­ment poli­tique. Elle se carac­té­rise essen­tiel­le­ment par la jeunesse de ses membres, un rapport décom­plexée, mais raison­née, à la violence en poli­tique et à son exté­rio­rité sociale à l’égard du monde du travail, même si cette posi­tion n’est en rien incom­pa­tible avec une volonté poli­tique pronon­cée, qui s’est affir­mée notam­ment à l’au­tomne 2010 lors du conflit des retraites, pour la créa­tion de liai­sons, pour le fait de travailler aux join­tures entre des personnes qui d’or­di­naires ne se côtoient pas, ne se fréquentent pas habi­tuel­le­ment ; étudiants, sala­riés, privés d’em­ploi. Bref, œuvrer à la désec­to­ri­sa­tion sociale et rendre ainsi possible des « cama­ra­de­ries impro­bables », autre­ment dit des liai­sons dange­reuses pour le pouvoir en place.

Dans cette mouvance, dont les fron­tières sont évidem­ment diffi­ciles à défi­nir préci­sé­ment, étant donné qu’il n’y a pas de système d’en­car­te­ment comme dans une orga­ni­sa­tion poli­tique et syndi­cale tradi­tion­nelle, il y a les jeunes géné­ra­tions, qui ont entre 18 et 22 ans, qui sont la géné­ra­tion pour­rait-on dire « Notre dame des landes », puis celles et ceux, plus âgés, qui ont déjà connu des mouve­ments de masse à la fac, comme en 2006, ou en 2007, 2009 ou encore 2010 lors du mouve­ment contre la réforme des retraites. Malgré les diver­gences qui peuvent nous oppo­sés, nous avons été obligé de veiller à travailler ensemble autant que faire se peut pour le bien du mouve­ment. Lors de la mobi­li­sa­tion à Rennes 2, lorsque des désac­cords entre moi et eux, je n’ai jamais cher­ché à les taire ou les mino­rer. Comme je l’avais fait par le passé, j’ai préféré les confron­ter, mettre les désac­cords sur le tapis, comme disait le président Mao, et voir si, malgré ces diver­gences, nous pouvions conti­nuer à travailler ensemble et ainsi préser­ver l’unité du mouve­ment, dont les mili­tants « auto­nomes » consti­tuent une compo­sante incon­tour­nable.

La mobi­li­sa­tion contre la loi travail conti­nue encore après deux mois et demi de lutte achar­née et jeudi 19 mai, j’étais très heureux de les retrou­ver, comme en 2010, auprès des syndi­ca­listes de FO, de la CGT, de la CNT ou encore du SLB pour procé­der au blocage du dépôt de pétrole de Verne sur Seiche. Je consi­dère qu’à Rennes, en dépit des diffé­rences de person­na­li­tés, des désac­cords entre nous sur bien des points, les mili­tants dits automnes sont des cama­rades à part entière et depuis 2006 il me semble que nous avons réussi à dépas­ser bien des points de clivages qui nous permettent aujourd’­hui, face à un Etat bour­geois impla­cable dans la mise en œuvre de ses réformes, de nous concen­trer sur l’es­sen­tiel, de lutter contre le secta­risme et les postures « plus révo­lu­tion­naire que moi tu meurs » abso­lu­ment stériles, et avoir appris nous écou­ter, à mieux nous connaître, à mieux nous respec­ter, en un mot faire preuve de compro­mis pour éviter que la corde si précieuse de l’unité se rompe.

Pourquoi selon toi,   l’état en lien avec la Ville de Rennes, a t’elle  fait preuve d’un tel  achar­ne­ment poli­cier ?

> Avec mon inter­dic­tion de séjour dans le centre ville déci­dée par la préfec­ture, la multi­pli­ca­tion de arres­ta­tions de mani­fes­tants et l’hy­per-présence poli­cière qui aura trans­for­mée lors de chaque mani­fes­ta­tion le centre-ville en une cita­delle impre­nable, qu’il nous fallait donc conqué­rir, il est appa­rait clai­re­ment que le Minis­tère de l’in­té­rieur a pour objec­tif de châtier le secteur mili­tant à Rennes en coupant des têtes. La ville de Rennes, en tant que foyer de résis­tance, est deve­nue, malgré lui, le symbole de la lutte contre la loi travail et son monde. On veut aujourd’­hui nous faire payer nos deux mois et demi de lutte contre la loi travail et ce gouver­ne­ment socia­liste de droite, notre ingé­nio­sité, notre audace, notre persé­vé­rance, notre arro­gance !

Oui, nous payons le prix fort, parce que nous avons eu l’in­dé­cence de crier :  » Votre loi néoli­bé­rale rêvée par le Medef et jalou­sée par la droite revan­charde et ultra-décom­plexée, on n’en veut pas et elle doit finir, comme vous, dans les poubelles de l’his­toire « ! Face à cette violence insti­tu­tion­nelle débri­dée, nous devons faire front, reven­diquer notre unité indi­vi­sible, mais nous devons aussi faire preuve d’une grande prudence, car nous voyons ô combien le coupe­ret ne cesse de tomber ces derniers jours sur les têtes des nôtres ! Aussi, nous nous devons, me semble-t-il, nous garder abso­lu­ment des actions qui mettraient inuti­le­ment en danger des cama­rades et qui néces­si­te­raient la mise en œuvre de longues campagnes de soutien couteuse en éner­gie et en moyen. Nous devons privi­lé­gier aujourd’­hui les actions en liens étroits avec les syndi­cats de sala­riés enga­gés dans ce combat commun, comme nous l’avons fait tout au long de cette semaine.

Le mouve­ment peut il encore rebon­dir ? Comment vois tu la suite et que devons nous faire ?

Comme chacune, chacun a pu le remarquer, le mouve­ment contre la loi travail est confronté depuis plusieurs semaines à une tendance bais­sière.
Les dernières jour­nées de mobi­li­sa­tion ont été un échec au regard du nombre de mani­fes­tants. Rennes, une des villes les plus en pointe, même si elle a été davan­tage épar­gnée par cette tendance lourde, n’échappe pas à cette phase de reflux. Nous n’avions eu de cesse de présen­ter la jour­née du jeudi 28 avril comme une jour­née char­nière, déci­sive, pouvant être, en cas de succès remarquable, un possible moment tour­nant dans l’his­toire de ce mouve­ment. Pour ce faire, nous aurions dû être bien plus nombreux à venir mani­fes­ter que le 31 mars et des grèves auraient dû écla­ter dans diffé­rents secteurs. Or, malgré la présence de plusieurs centaines de milliers de personnes, malgré des heures de haute conflic­tua­lité avec les forces de l’ordre dans la sphère parta­gée avec une répres­sion muti­la­trice, il n’en a rien été malheu­reu­se­ment, bien au contraire. Les chiffres, émanant des orga­ni­sa­tions syndi­cales et du minis­tère de l’in­té­rieur, furent sans ambi­guï­tés. Le coupe­ret est tombé. Le 1er mai et les jour­nées suivantes a confirmé cette tendance de fond et la jour­née d’hier à nouveau, au point que la CGT n’in­dique même plus sur son site inter­net le nombre de mani­fes­tants à l’échelle natio­nale et par ville telle­ment les rassem­ble­ments sont deve­nus confi­den­tiels.

A cela, il faut ajou­ter, chose loin d’être négli­geable car ayant consti­tué le fil rouge de la lutte contre la loi travail à l’échelle natio­nale ces deux derniers mois : la fin de la mobi­li­sa­tion estu­dian­tine dans les univer­si­tés, à Rennes 2 comme partout ailleurs, du fait de la fin de l’an­née univer­si­taire. Toute­fois, il y a, enfin, une mobi­li­sa­tion dans un secteur clé de l’éco­no­mie, à savoir les raffi­ne­ries, comme en 2010 ! Il faut donc conti­nuer à œuvrer au blocage des dépôts pour assé­cher encore davan­tage les pompes et ainsi pertur­ber consi­dé­ra­ble­ment la norma­lité quoti­dienne. Le texte n’a pas encore été adopté et donc encore passé par le Sénat dominé par la droite, qui ne manquera pas de l’amendé dans un sens ultra­li­bé­ral, et nous devons conti­nuer à nous tenter et même si nous perdons nous devons faire regret­ter à ce gouver­ne­ment socia­liste de droite sa provo­ca­tion, sa volonté de faire autant de mal à classe ouvrière !

L’autre date char­nière sera évidem­ment la mani­fes­ta­tion centra­li­sée à Paris le 14 juin prochain ! Cela sera une grande première depuis 2003 et la mobi­li­sa­tion de la fonc­tion publique contre la contre-réforme des retraites de François Fillon ! Il nous faut la prépa­rer à fond et être des centaines de milliers à Paris pour provoquer un mardi noir dans la capi­tale ! Alors que l’État PS tentera d’ap­pe­ler piteu­se­ment la concorde, au rassem­ble­ment et à la récon­ci­lia­tion natio­nale autour de l’équipe de France et l’hymne natio­nale, Euro 2016 oblige, nous appel­le­rons, nous à la lutte à outrance contre les déci­deurs, à la guerre sociale ! Même si la défaite devait deve­nir un fait accom­pli, nous pour­rons éprou­ver une vraie fierté d’avoir su nous rendre utile, d’avoir été mettre au service d’un mouve­ment dont la seule exis­tence consti­tue déjà une victoire en soi, car celui-ci est histo­rique : c’est la première fois depuis 1981 et l’ac­ces­sion de François Mitter­rand à la prési­dence de la Répu­blique qu’un gouver­ne­ment dit de « gauche » se trouve confronté à une mobi­li­sa­tion sociale prove­nant de sa propre base élec­to­rale, de son propre camp.

Aussi, soyons fiers de ce que nous avons déjà accom­pli depuis deux mois et demi et peut-être que le meilleur reste à venir…et, au moins, la droite revan­charde, qui compte les jours, est préve­nue !

Propos recueillis par Yves Juin.

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