Un texte d’universitaires publié le 22 octobre dans l’Obs est intitulé « la psychanalyse ou l’exercice illégal de la médecine » (1). Ce texte a ensuite été repris avec enthousiasme par le Figaro. Il est devenu une pétition qui rassemble plus de 700 signatures. Les psychanalystes y sont accusés d’ « emprise sectaire » à l’Université et la psychanalyse y est définie comme pratique « antisociale ». Parmi les signataires on note le professeur Van Rillaer qui apparut comme l’artisan principal du « Livre noir de la psychanalyse » (2), ce livre collectif, un brûlot, paru en 2005. On note aussi la signature de Martine Wonner, psychiatre devenue députée LREM, qui a publié avec d’autres un rapport parlementaire sur la psychiatrie (3). Cette signature apporte la caution du parti majoritaire, de l’équipe gouvernementale. C’est un véritable retour de la science psychiatrique d’état que vient signifier la signature de Wonner; elle concourt à cette volonté d’une police de la pensée à la façon de ce fit la dictature stalinienne au 20ème siècle. La même qui cite Basaglia et Bonnafé !
Ces pétitionnaires exigent que la psychanalyse soit exclue des tribunaux ; ces collègues semblant ignorer que les experts nommés par la justice le sont comme psychiatres ou psychologues, pas comme psychanalystes, et que les experts ayant une pratique psychanalytique sont très très peu nombreux.
Ils exigent que la psychanalyse soit exclue aussi de l’Université alors que le nombre des psychanalystes dans les facultés de psychologie, de médecine et autres instituts de formation est en chute libre depuis une dizaine d’années.
Une réponse a été apportée à ces chasseurs de psychanalystes par des universitaires psychanalystes (4). Elle mérite d’ être lue et diffusée, elle affirme la nécessaire « diversité des recherches et des soins » face à ceux qui veulent « exclure la psychanalyse de la cité ». Nous signons la pétition de ces collègues.
Ils notent que nos adversaires de papier concluent leur texte vibrant d’ardeur répressive par un appel aux Présidents d’Université exigeant qu’ils cessent de recruter des enseignants chercheurs ayant une formation psychanalytique. Pourquoi maintenant ? Parce que les élections au collège psychologie du Conseil national des universités vont avoir lieu bientôt, parce que des places pour les amis sont à gagner. C’est leur vision de l’intérêt commun….
Nos ennemis de la psychanalyse veulent aussi exclure la psychanalyse des institutions psychiatriques alors que dans la majorité de ces lieux elle n’ a plus droit de cité. Mais pour ces gens-là tout psy parlant de Freud est un suspect et ils voient des psychanalystes partout, y compris partout où il n’y en a plus.
Ces tenants de l’éradication de la psychanalyse, qu’ils qualifient d’ « antisociale » , mènent cette bataille depuis une vingtaine d’années avec l’appui des technocrates néolibéraux des gouvernements successifs. En 2004, la Haute autorité de santé affirma que les approches psychothérapeutiques étaient « non pertinentes » avant de devoir piteusement se rétracter. En 2005, le « Livre noir de la psychanalyse » prenait le relai, plus tard Michel Onfray recopia leurs arguments. La bataille n’a jamais cessé et très récemment Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat, affirmait que les autistes devaient échapper à la mise en présence de tout psychiatre- supposé psychanalyste… (5). Des officines comme les Fondations Montaigne et FondaMental livrent la feuille de route -dans notre champ en particulier- à l’Etat néolibéral, ce sont eux qui organisent l’éradication de la psychanalyse. Martine Wonner et le ministère actuel de la santé sont en première ligne au service de l’hospitalisation privée capitaliste, des Assurances, des firmes pharmaceutiques et de leurs mercenaires.
Le bilan de la situation dans les institutions psychiatriques et du médico-social
a été fait par le Printemps de la psychiatrie (6). L’influence de la
psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle tendent à
disparaître. Les thérapies cognitivo-comportementales sont présentées
comme la panacée, les protocoles de soins sont impératifs selon la Haute
autorité de la santé (qui fut présidée par la Ministre actuelle de la
Santé). Les conséquences sont sues de tous : des soignants épuisés, la
disparition des réunions de travail, les équipes destructurées, la
bureaucratie étouffante des managers, la pensée clinique appauvrie à en
pleurer, les démissions de psychiatres hospitaliers comme jamais, etc.Et
les responsables en sont le Ministère, les politiques d’austérité, les cadres et directeurs obsédés par la rentabilité TAA, le respect de protocoles figés et une gestion déshumanisée des « ressources soignantes ».
Bien sûr, la Ministre va affichant un visage de compassion de plateau de télévision en service psychiatrique, mais elle reste inflexible, impitoyable : « une bonne réorganisation avec mes managers et sans embauche et sans hausse des salaires, et tout sera réglé », tel est le contenu de ses déclarations. Le professeur Bellivier qui l’assiste travaille aussi pour FondaMental, il parle comme un ordinateur de dernière génération. Madame Martine Wonner est la communicante de l’équipe ; elle cite la psychothérapie institutionnelle de Bonnafé, le Printemps de la psychiatrie, le Basaglia de Psichiatria democratica pour montrer sa culture, mais ses propositions visent à détruire ce qui peut subsister de vivant de ces expériences et elle signe cette pétition liberticide. Elle ose tout.
C’est depuis la tête de l’État que sont menées ces attaques incessantes contre la psychanalyse, contre la psychothérapie institutionnelle, contre la psychiatrie infanto-juvénile, contre la psychiatrie publique. C’est depuis la tête de l’État que s’organise la reconfiguration de la discipline psychiatrique, au point de la rendre méconnaissable. Van Rillaer et ses amis s’adressent à l’État, sachant que leurs amis y détiennent tous les pouvoirs. Leur ruse étant de se présenter comme minorité assiégée, à la façon d’un Eric Zemmour par exemple.
Mais pourquoi veulent-ils donc avec acharnement la disparition de la psychanalyse ? Ils pourraient se contenter de lui réserver une place résiduelle, une réserve grillagée, mais cela ne leur suffit pas.
Une première réponse est d’y voir un aspect de l’ expansion des ségrégations et exclusions diverses à l’œuvre à notre époque(7). C’est une des formes du tournant autoritaire du néolibéralisme en France -et dans le monde.
Mais que savons nous du néolibéralisme ? C’est cette phase du capitalisme qui s’est étendu sur la planète depuis les années 1980, elle est née aux USA, en Grande-Bretagne, et aussi au Chili. Les généraux chiliens après avoir pris le pouvoir en 1973 par un coup d’état militaire organisèrent la terreur blanche, torturèrent et massacrèrent à une échelle de masse pendant que les économistes néolibéraux, les Chicago boys, avaient carte blanche pour privatiser sans entrave les richesses du pays. « La cordillère des songes », le beau film de Patricio Guzman nous le rappelle.
Le néolibéralisme est un ennemi de la démocratie dès ses origines. Le peuple chilien en son extraordinaire soulèvement actuel conteste cet ordre injuste et cruel dont il a tant souffert. Ce qui fut mis en œuvre au Chili, comme en Chine plus tard, c’est la « Stratégie du choc » décrite par Naomi Klein en 2008 (8).
C’est cette stratégie du choc qu’il nous faut discerner à l’œuvre en France : Gilets jaunes éborgnés par dizaines lors des répressions et calomniés en sus, répression des syndicalistes et campagnes de presse contre les cheminots, directions syndicales se heurtant au refus de tout dialogue du pouvoir et du patronat, attaque annoncée contre les retraites par répartition, mise à mal de tous les services publics au profit des capitalistes, répression policière toujours plus forte et marquée de racisme, etc. Ce gouvernement frappe partout, s’appuyant sur un réseau d’éditorialistes au service des milliardaires qui les paient, et le président des ultra-riches coordonne l’ensemble.
En Europe comme aux USA et en Chine, c’est une entreprise liberticide qui se déploie.
A l’échelle des individus, le néolibéralisme veut nous reformater en « entrepreneurs de soi » comme Pierre Dardot et Christian Laval (à la suite des travaux de Michel Foucault) le démontrèrent brillamment (9). Le néolibéralisme nous veut réduits à des monades solitaires adeptes de l’auto-exploitation. Quelques années après la parution de ce livre nous en sommes à constater l’ampleur des dégâts causés par cette logique qui intime l’ordre d’ être corvéable à merci et de se convaincre que tel est son choix. Le film de Ken Loach, « Sorry we missed you » décortique cette logique mortifère, cette réduction de l’humanité.
Nos réducteurs de têtes pensantes s’attaquent à la psychanalyse au nom de la Science. Mais leur propos est étranger à la controverse scientifique, à la recherche de nouvelles vérités scientifiques. Les thérapies cognitivo-comportementales se réfèrent à la science mais elles ne sont que des programmes simplistes. Le noyau rationnel du texte des amis de Van Rillaer est à trouver dans le propos du Délégué interministériel à la transformation publique trouvé un collègue (10) : « les sciences comportementales » « replacent les attentes et les pratiques des usagers au cœur de la fabrique de la décision politique ». Au cœur de leur projet est bien la destruction de la notion d’intérêt général, de bien commun, leur explosion au profit de la référence aux consommateurs et usagers, isolés. La « science » à laquelle il se réfère est une conduite à tenir, un protocole, une caricature de science. Ce qui est aux commandes avec cette équipe c’est un scientisme à vocation totalitaire.
Ce qui apparaît insupportable pour ces idéologues dotés de gros moyens financiers, c’est de considérer l’ être humain comme être de parole à la singularité irréductible. Ils affirment même qu’il existe une « sexualité normale », alors que les sexualités admises socialement, et aussi les formes de famille, se sont multipliées. Devons nous nous attendre à l’édition d’un guide des bonnes pratiques sexuelles édité par ces signataires en collaboration avec la HAS?
La psychanalyse quelles que soient ses variantes apparait comme un des refuges de l’intimité de l’être parlant, comme une des formes restantes de possibilité de liberté. Bref, la psychanalyse comme toute pensée critique est strictement insupportable aux tenants du néolibéralisme dans sa phase de radicalisation autoritaire.
Les contempteurs de la psychanalyse se trouvent d’abord à l’extrême-droite et dans la droite macronienne ou chez les Républicains. Ils sont nombreux aussi dans les milieux de gauche et d’extrême-gauche ; espérons que l’hégémonie actuelle des forces de l’ordre moral nouveau incitera ces derniers comme toutes celles et ceux qui défendent les idéaux de liberté er de solidarité au-delà de telle ou telle préférence partisane, à veiller à ne pas mêler leurs critiques à celles des forces liberticides.
Pascal Boissel, 3–11–2019
Notes.
1.https://www.justicesanspsychanalyse.com/
2.« Le livre noir de la psychanalyse », sous la direction de Catherine Meyer, Ed ; Les arènes, 2005.
3. https://www.uspsy.fr/Qui-est-responsable-de-la.html
4. « Contre l’exclusion de la psychanalyse, pour la diversité des méthodes de recherches et de soins, un appel à la pensée » http://chng.it/VsrmkfJ
5. https://www.uspsy.fr/Pedopsychiatres-et-psychiatres-du.html
6. https://printempsdelapsychiatrie.org/2019/01/30/premier-article-de-blog/
8. Naomi Klein, « La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre », Actes sud, 2008.
9. Pierre Dardot et Christian Laval, « La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale » ;, La découverte, 2009.
10. Benjamin Royer https://blogs.mediapart.fr/royer-benjamin/blog/011119/les-sciences-neurocomportementales-nouvelle-avancee-du-0. neoliberalisme
Excellent site. la véritable machine à déconstruire la calomnie du nom de Freud, de Lacan suppose désormais de prendre au sérieux l’apport considérable d’Alain Badiou à la philosophie contemporaine en donnant aux travaux de Lacan une place centrale. La conséquence est l’ouverture d’un champ épidémique nouveau : l’antiphilosophie au coeur de la philosophie (prolongeant ainsi la dynamique originale de Deleusze et Guattari découvrant, déchiffrant la nécessité de la fonction quasi politique (clinique et critique) de l’anti-Oedipe au centre de l’Oedipe.